Réponse au discours de réception de Louis de Sacy

Le 17 mars 1701

Charles PERRAULT

Réception de M. de Sacy

 

Response de Monsieur PERRAVLT, au Difcours prononcé par M. de Sacy, le jour de fa reception

 

MONSIEUR,

L’éloquent Difcours que vous venez de prononcer n’eftoit pas neceffaire pour juftifier noftre choix, & il n’a fervi qu’à nous faire voir plus diftinctement les richeffes que vous apportez à noftre Compagnie. Vos Ouvrages nous avoient appris à la vérité que chez vous on ne peut rien adjoufter à l’elegance des expreffions, mais ils ne nous avoient pas fait voir toute la force ni toute l’eftenduë de l’éloquence. Nous jugions bien qu’il y avoit un grand rapport entre voftre génie & celuy de l’excellent Autheur dont vous nous avez donné une fi belle & fi parfaite Traduction, mais nous ne connoiffions pas encore que vous n’eftes pas feulement femblable à ce Pline ingénieux & poli, qui efcrivoit fi agréablement fur toute forte de fujets, mais que vous egalez ce mefme Pline fi éloquent & fi majeftueux, l’Orateur le plus noble & le plus celebre pour le Panegyrique. Je ne fçay mefme, lorfque je réfléchis fur l’Eloge que vous venez de faire de noftre augufte Protecteur, fi vous ne l’emportez point du cofté de l’Eloquence comme vous l’emportez du cofté du Heros.

Quoy qu’il en foit, MONSIEUR, nous reffentons une extreme joye de vous voir aujourd’huy parmi nous, & d’avoir fi dignement rempli la place de l’illuftre Académicien que nous avons perdu.

C’eftoit un homme d’un fens exquis & d’une heureufe vivacité, qui fans autre fecours que celuy de fon propre mérite s’eft ouvert le chemin à un des principaux emplois de la Cour, & peut-eftre le plus difficile.

Sa plume a fervi le Prince à expliquer fes plus fecrettes intentions d’une maniere fi precife & fi noble, que pendant une longue suite d’années nul autre n’a efté appellé au mefme miniftere.

Peut-on mériter une louange plus folide que celle d’avoir fceu s’élever à la hauteur des idées d’un fi grand Prince, & de s’eftre fait en quelque forte avec luy une conformité de fentiments & de langage.

Quelle fuperiorité de genie ne faut-il pas pour conferver tousjours le caractere de Souverain en donnant des marques d’amitié, de fatisfaction & de confiance ; en un mot, de le faire parler de toutes chofes, & de le faire tousjours parler en Roy ?

Monfieur le Prefident Rofe aimoit noftre Compagnie, & il en a donné des marques bien effentielles avant mefme qu’il y euft efté receu.

Si nous avons l’honneur d’eftre admis à prefenter au Roy le jufte tribut de nos louanges dans ces jours de joye & de triomphe où fes Victoires nous appellent pour joindre noftre voix à l’applaudiffement des Peuples ; c’eft par luy que nous eft venu un fi glorieux avantage. Mais il ne fuffit pas que je rende à fa mémoire ce tefmoignage de fon bienfait & de noftre reconnoiffance, il faut qu’on fçache encore combien fut ingenieufe la maniere dont il nous attira cet honneur.

Il prit un de ces moments favorables où les Rois defcendus de leur Throfne fe meftent familierement avec leurs Sujets, & prennent plaifir à l’honnefte liberté qu’on fe donne de leur parler de toutes chofes. SIRE, dit il au Roy, j’ofe dire à  VÔTRE MAJESTÉ qu’elle fouffre un grand abus dans fon Royaume. Elle trouve bon que des Magiftrats, tres-fages à la verité, mais eftablis feulement pour rendre la Juftice en fon nom, viennent luy faire des Eloges & des Panegyriques fur fes victoires, pendant qu’elle laiffe dans l’inaction une Compagnie qui n’eft inftituée que pour confacrer fes grandes actions à l’immortalité.

A quoy VOSTRE MAJESTÉ referve-t-elle l’Académie Françoife la depofitaire de fa Gloire ? Quel plus noble fujet peut occuper ces dignes Artifants de la parole, & quelle occafion plus belle y aura-t il jamais de deployer les grandes voiles de l’Eloquence.

Le Roy foufcrit à ce difcours, & confiderant que ce reproche ingenieux eftoit tout plein de feus & de juftice, il ordonna que dans toutes les occafions qu’il y auroit de haranguer SA MAJESTÉ, l’Académie Françoife y feroit receuë avec les mefmes honneurs que les Compagnies Superieures.

Il n’eft pas croyable quel relief ces marques de diftinction ont donné à cette Compagnie, & de quelle gloire elle s’eft couronnée en s’acquittant avec fuccés d’une fi precieufe obligation.

De là s’eft enflammé le defir d’y eftre admis, fans doute, MONSIEUR, vous en eftes-vous apperceu par le nombre & par le merite des Concurrents qui vous ont difputé cette place.

Aprés vous avoir fait voir les avantages de l’Académie Françoife, il eft jufte de vous reprefenter fes devoirs.

Elle s’eft engagée de donner à noftre Langue toute la politeffe dont elle eft capable, & de la mettre en eftat d’egaler celle des Grecs & celle des Romains par la pureté & par la nobleffe de fes expreffions. Elle s’eft chargée en mefme temps de former des preceptes pour l’Eloquence qui eflevent nos Orateurs au rang des Cirerons & des Demofthenes. Elle doit enfin conftruire une Poëtique qui retrace fi bien toutes les routes du Parnaffe, que nos Poëtes puiffent monter jufqu’au mefme fommet où font arrivez les Virgiles & les Homeres.

Ce travail eft immenfe, mais il en eft un autre qui renferme des difficultez encore plus grandes & plus infurmontables, c’eft de celebrer dignement les louanges de noftre Protecteur.

Nous n’avons jamais parlé de fes moindres actions qu’avec un fecret deplaifir de n’avoir peu nous eflever à la hauteur de noftre objet ; cependant fa gloire augmente tous les jours, il fembloit que la Paix fi genereufement donnée à toute l’Europe, aprés tant d’exploits de valeur, mettoit le comble à tous les glorieux travaux d’une fi belle vie ; & voila que les peuples de l’Ebre, ces Peuples fiers & belliqueux viennent d’eux-mefmes, & fans contrainte, luy demander un Maiftre.

Si les Pyrenées s’eftoient applanies devant fes pas fous la menace de fes foudres tous-jours victorieux, le prodige n’auroit efté gueres plus eftonnant que de voir la Nation Espagnole rendre un tel hommage à la Sageffe de LOUIS ; mais que ne peut point le fouverain merite & l’affemblage de toutes les vertus.

N’en doutons point, MESSIEURS, Dieu touché des foins que prend noftre Monarque de faire regner la vraye Religion dans tous les lieux où il commande, veut le faire regner, ou par luy-mefme, ou par fes defcendants, dans toutes les parties de la Terre.

Que fi les evenements que luy referve la Providence encheriffent encore fur ceux qui font paffez, voyez,  MONSIEUR, le befoin que nous avons d’un Homme tel que vous, pour nous ayder à fouftenir un fi grand poids, & pour fuffire à la moiffon des louanges qui fe prepare.

Quelque petite que foit la part que voftre modeftie vous fera prendre dans ce travail, foyez perfuadé qu’elle efpuifera toute voftre eloquence, & que vos Ouvrages, quelque beaux qu’ils puiffent eftre par la forme que vous leur donnerez, feront encore plus recommandables par la beauté de la matiere que les grandes actions du Roy vous auront fournies,