Réponse aux discours de réception des abbés Mongin et Fraguier

Le 1 mars 1708

François-Séraphin RÉGNIER-DESMARAIS

RESPONSE de Mr. l’Abbé REGNIER DES MARAIS Secretaire Perpetuel de l’Academie aux Difcours de Mrs. les Abbez Mongin & Fraguier prononcez le jour de leur Reception.

 

MESSIEURS,

Vous nous avez bien coufté l’un & l’autre ; mais enfin nous vous poffedons tous deux, & nous ne pouvons pas douter, que nous ne poffedions auffi en vous tout ce qu’on peut fouhaiter dans d’excellents Académiciens.

 

Il y a desja long-temps que vous nous en avez perfuadez, vous, MONSIEUR[1], dont les éloquents Difcours ont tant de fois enlevé nos fuffrages, & dont nous avons pareillement admiré l’heureufe & fage éloquence dans le Panegyrique du faint Roy à qui la France doit tous fes Rois depuis tant de fiecles.

 

L’avantage de bien parler & de bien efcrire, n’eft pas toutefois le feul que vous apportiez parmi nous ; nous vous connoiffons encore par d’autres endroits qui ne vous font pas moins d’honneur ; & nous fçavons que vous n’eftes pas moins eftimable par voftre probité, & par la douceur de vos mœurs, que par le jufteffe & par la beauté de voftre efprit.

 

Mais quand nous ne connoiftrions voftre merite que par le choix, qu’un Prince éclairé digne de fes plus glorieux Anceftres, a fait de vous pour la précieufe éducation de fon Fils, fon choix, qui auroit fuffifamment autorifé le noftre, n’auroit peu manquer d’en eftre fuivi.

 

Il n’y a qu’une chofe qui nous fait peine : c’eft que l’important employ qu’il vient de vous confier vous demande tout entier ; & qu’ainfi le mefme jour que nous vous acquerons, nous fommes à la veille de vous perdre en quelque forte.

 

Mais non : Nous ne fçaurions regarder, comme une perte pour nous, le temps que vous employerez à infpirer l’amour de la Vertu & des Lettres à un jeune Prince, qui doit avoir un jour tant de part à la fortune de la France.

 

Souvenez-vous feulement, lorsque vous luy parlerez quelquefois du Corps où vous eftes aujourd’huy receu, de luy en parler en telle forte qu’il fe fente porté à aimer une Compagnie, qui n’afpire qu’aux veritables richeffes de l’efprit ; qui ne cherche à les pofféder, que pour les employer à parer le merite & la vertu ; & qui eft pleine de refpect & de veneration pour le genereux Prince à qui il doit fa naiffance.

 

Pour vous, MONSIEUR[2], qui ne vous trouvez point engagé dans des occupations, qui puiffent vous dérober à nos exercices, nous efperons que par voftre affiduité à nos Affemblées, vous nous donnerez lieu de profiter fouvent du commerce, que vous avez tousjours fi foigneufement entretenu, avec les plus fçavants Perfonnages de l’ancienne Rome & de l’ancienne Grece.

 

Que ne devons-nous point attendre de vous, rempli comme vous l’eftes des lumieres que vous y avez puifées ? & de cet efprit de force, de jufteffe & de précifion, qui regne dans leurs Efcrits, que nous nous propofons à tout moment pour modele.

 

Sur tout que ne devons-nous point attendre d’un Académicien receu, pour ainfi dire, depuis long-temps par le Chef de l’ancienne Académie ; par cet homme à qui la fublimité de fon genie a mérité le titre de divin ; & dont les merveilleux Ouvrages ne fervent pas moins à élever l’ame à la plus haute fageffe, qu’à former l’efprit à la verirable Éloquence.

 

Nous ne pouvions rien defirer de plus convenable à noftre inftitution, MESSIEURS, que les divers talents que vous poffedez fi excellemment l’un & l’autre : mais auffi il n’en falloit pas de moindres, pour nous aider à reparer la perte que nous avons faite des célébres Académiciens, dont vous rempliffez aujourd’huy la place.

 

L’un, tout addonné à l’eftude des Sciences & des belles Lettres dans l’eftat de la vie privée, s’eft tousjours fait diftinguer par une vafte & profonde érudition, dont il a donné des marques publiques jufqu’à la mort. Et nous nous fouvenons avec plaifir, & avec douleur en mefme temps, de celles dont nous avons efté fi fouvent tefmoins dans nos Affemblées, où fon attachement pour l’Académie, & fon gouft pour nos exercices l’appelloient prefque tousjours.

 

L’autre élevé à une des premieres Dignitez de l’Eglife, s’attachoit à remplir tous les devoirs d’un véritable Pafteur ; expofoit avec une éloquence chreftiennes les veritez & les maximes du Chriftianifme dans la Chaire & dans les Conférences ; foulageoit, dans les temps difficiles, les taxes de fon Clergé, par celles qu’il s’impofoit luy-mefme ; & fe rendoit cher à tout le monde, par le caractere de verité & de droiture, qui eftoit infeparable de toutes fes paroles & de toutes fes actions.

 

A la verité les obligations de fon eftat ne luy permettoient pas d’afifter fouvent à nos Affemblées ; mais il ne laiffoit pas d’avoir pour l’Académie une affection qui luy en faifoit aimer les exercices, & qui luy en rendoit tous les interefts recommandables.

 

Et comment ne l’auroit-il point aimée, luy digne Fils d’un grand Miniftre qui l’avoit tous-jours chérie & protegée, & qui chargé de tant d’importantes affaires n’avoit pas dédaigné d’eftre Académicien luy-mefme ? La mémoire de fon nom, qui doit eftre chere à tous ceux qui aiment le bien de l’Eftat, fera éternellement préfieufe à toute noftre Compagnie, & à tous les gens de Lettres.

 

Mais je ne fonge pas, MESSIEURS, qu’en vous parlant de ceux à qui vous fuccedez, je leur fais tort en quelque forte, après ce que vous avez fi bien dit l’un & l’autre de leurs excellentes qualitez.

 

Ce que je ne puis trop vous dire dans la place que j’occupe icy à regret, par la maladie impréveuë de noftre Directeur, & par les affaires & l’abfence du fecond Officier de la Compagnie, c’eft que vous entrez déformais dans toutes les obligations de l’Académie, & qu’elle n’eft point de plus grande & de plus preffante, que d’effayer de fe rendre digne de la protection particuliere, dont le plus grand Roy du monde luy a fait la grace de l’honorer.

 

Au milieu de fes grandes occupations, au milieu de tant de foins qu’il eft obligé de donner continuellement au gouvernement des Eftats que la Providence luy a confiez, il a la bonté de defcendre dans le détail de ce qui nous regarde : Et fi nous vous poffedons aujourd’huy, MONSIEUR, vous qui comptez dans voftre famille tant de perfonnes illultres par la robe ou par l’épée, ce n’eftt pas feulement un effet de noftre choix, c’eft un fruit que nous recueillons avec vous de fon attention fur nous, & de la juftice qu’il a voulu qui fuft renduë à voftre merite.

 

Il n’y a rien fur quoy fa vigilance ne s’eftende, mais au mefme temps qu’il veut bien abbaiffer fes regards jufques à nous, avec quelle force, avec quelle pénétration ne les porte-t il point jufqu’aux extrémitez de l’Univers, pour le falut de la France, & pour reprimer tant d’Ennemis que fa gloire & fa puiffance luy ont fufcitez.

 

Le Ciel dans la derniere campagne a confondu par tout leur orgueil & leurs efperances. Quelles graces dans la fuite ne devons-nous point nous promettre du Dieu des Armées, en faveur d’un Prince fi zelé pour le culte des Autels, & dans une guerre qu’il ne fouftient que pour la défenfe de fes Peuples, pour la confervation du droit des gens & de la nature ; & pour reduire fes Ennemis aux conditions d’une paix qui puiffe eftre équitable & ferme.

 

[1] Mr. l’Abbé Mongin.

[2] Mr. l’Abbé Fraguier.