Réponse au discours de réception du comte de Crécy

Le 24 juillet 1679

Claude BOYER

Discours prononcé le 24. Juillet 1679, par Mr BOYER lorfque Mr. Verjus Comte de Crecy fut reçû à la place de Monfieur de Caffaignes.

 

AGRÉEZ, MONSIEUR, qu’au lieu d’applaudir d’abord à l’éloquent Difcours que vous venez de faire ; au lieu de nous applaudir nous-mefmes du merite de nôtre choix, je vous plaigne de ne voir pas à la tefte de l’Académie Monfieur de Bezons qui en eft prefentement le Directeur. Les obligations indifpenfables de l’emploi que le Roy luy a confié auquel il doit tous fes momens, & la promptitude de vôtre départ que les ordres de SA MAJESTÉ preffent inceffamment, luy ayant ofté l’honneur de vous recevoir, honneur qu’il fe devoit & qu’il fouhaitoit avec ardeur, il fe trouve obligé de s’en décharger fubitement fur moy qui fuis le moindre de fes Confreres, & que le fort aveugle a fait le fecond Officier de cette Compagnie. Il eft fâcheux & pour vous & pour nous, qu’une action auffi celebre que celle-cy, & à laquelle il ne manque rien de vôtre part, perde en ma perfonne une partie de fon éclat & de fa dignité.

Mais comme ces occafions fi rares & fi fouhaittées font confacrées à la louange du Roy nôtre Augufte Protecteur, le moyen de refifter à la violente tentation de parler fur une matiere fi riche & fi agréable? Ne dois-je pas faire quelque effort pour me rendre digne de la place que j’occupe, & pour furmonter la malheureufe neceffité qui fait dépendre ordinairement les Ouvrages de l’efprit, du fecours du temps ?

Si le temps me manque, n’ai-je pas d’autres fecours qui ne me manqueront pas ? Le courage & les lumieres de ceux qui m’ont précedé, & qui m’ont tracé un fi beau chemin ; ce Genie d’Eloquence qui regne dans l’Académie, la majefté de ces lieux qui nous parlent fans ceffe de la grandeur de leur Maître, la faveur de mes Auditeurs dont les yeux & la memoire font tellement remplis des merveilles de fon Regne, que je n’aurai qu’à leur prefenter les chofes que j’ay à dire, fans ordre, fans art, & fans étude ; fur tout ne puis-je pas attendre du zele ardent qui me brufle pour la gloire du Roy, une de ces promptes & heureufes faillies, qui nous élevant au-deffus de nous-mefmes, nous font aller quelquefois où les plus longues meditations ne fçauroient atteindre ? Mais avec tous ces fecours, ai-je le temps de faire un choix dans un champ fi vafte, dans une matiere fi abondante, dans cette foule d’images & de grandes actions qui fe prefentent à mon efprit ? De quel cofté par quel endroit toucherai-je cette matiere précieufe, que des mains fi adroites & fi fçavantes ont maniée avec tant de bonheur & avec tant de fuccés.

C’eft vous, MONSIEUR, qui devez m’aider à trouver quelque route nouvelle qui me diftingue de ceux qui m’ont devancé. La conjoncture prefente, vôtre nouvel emploi qui regarde des negociations tres-importantes, vôtre départ précipité qui fait mon defordre & mon inquiétude, m’infpirent de nouvelles idées de la gloire de noftre Roy. C’eft vous qui pouvez me les faire connoiftre par des endroits qui échapent à la vuë des autres hommes. Louis LE GRAND, l’Augufte, le Victorieux, eft connu de tout le Monde. Je me garderai bien de tomber dans ces redites ennuieufes qui gaftent les fujets qu’on traite, au lieu de les embellir. Je ne parleray point des exploits inouïs de nôtre invincible Monarque, de cette eftendue & prodigieufe prudence qui fournit à tant de befoins differens, & femblable à la providence éternelle, eft prefente à tout & par tout. Je laiffe à toute la terre à parler de la rapidité de fes Conquêtes, du nombre incroyable de fes Victoires, dont le miracle trouvera à peine quelque foi parmi nos Neveux. Tout parle du grand Ouvrage de la Paix qu’il a confommé avec tant de force, avec tant de fageffe avec tant de patience. Je ne dirai rien de la beauté de fon Triomphe, où le Vainqueur ne traifne point après luy des Princes opprimez, des Rois enchaifnez, des Peuples couverts de larmes & de fang, mais où le Vainqueur mene avec avec lui des Princes délivrez, des Rois fecourus, des Peuples réjouis.

Ce font d’autres merveilles, c’eft un autre Louis que nous ne connoiffons qu’à demi, & qui fe montre à vos yeux, dont je voudrois parler. C’eft vous, MONSIEUR, & vos pareils, à qui dans les converfations dont il vous honore, & dans les inftructions qu’il vous donne, il fait remarquer la fageffe de fes confeils, la force de fa raifon, l’adreffe des refforts dont il fe fert pour mouvoir toute l’Europe. Cette fcience des divers interêts des Princes, cette connoiffance de leur puiffance, & de leurs caracteres, qui fert à donner le contrepoids à ce qu’il trouve en eux, ou de trop fort, ou de trop foible pour la confervation de la tranquilité publique, cette pénétration avec laquelle il démefle les plus délicats interêts de fa gloire & de fa grandeur ; en un mot, cette politique fuperieure à la politique de tous les autres Eftats qui le fait triompher par tout, & luy donne un auffi grand afcendant dans toutes les Cours de fes Voifins, que fes Armes en ont eu dans toutes les parties de l’Europe.

Que vous auriez, MONSIEUR, de grandes chofes à nous dire fur ce fujet, fi le fecret qui couvre les myfteres d’Eftat, n’étoit une des principales obligations de vôtre Charge & de vôtre Emploi !

Mais que fais-je? J’oublie infenfiblement que je vous dérobe les momens que vous devez à l’execution des ordres du Roy qui vous preffe de partir. C’eft affez que de vous eftre donné le temps de prendre icy vôtre place. Allez fatisfaire aux volontez d’un Roy qui vous demande cette mefme promptitude qu’il apporte heureufement dans toutes fes entreprifes. Mais fouvenez-vous, MONSIEUR, que ce beau zele qui vous fait travailler avec tant de succès pour les intérêts, & pour la gloire de nôtre incomparable Monarque, doit prendre icy une nouvelle chaleur, puifqu’avec les titres de fujet fidelle, de Secretaire du Cabinet, & de Plenipotentiaire de Sa Majefté, le titre d’Académicien que vous prenez aujourd’huy, vous doit faire regarder dans la perfonne de vôtre Roy & de vôtre Maître, celle de nôtre Protecteur.