Rapport sur les prix de vertu 1930

Le 4 décembre 1930

Louis BARTHOU

RAPPORT SUR LES PRIX DE VERTU

PAR

M. LOUIS BARTHOU
DIRECTEUR DE L’ACADÉMIE

le jeudi 4 décembre 1930

 

Messieurs,

En lisant les nombreux dossiers que le Secrétariat de l’institut prépare avec le soin le plus minutieux, inspiré par l’impartialité la plus haute, une réflexion m’a frappé, entre tant d’autres qui trouveront leur place et leur commentaire dans mon discours. Est-ce d’ailleurs un discours qu’il faut dire ? Les faits parlent ici avec une telle éloquence qu’il suffirait de les exposer sous la forme la plus simple pour justifier les prix décernés par l’Académie française, après un choix dont les difficultés tiennent moins à la rareté qu’à l’abondance des mérites. Il n’est pas un département qui ne soumette à vos suffrages des pétitions et des rapports où les rivalités locales, si ardentes sur d’autres points, s’inclinent dans une trêve respectueuse devant le dévouement, le courage et le sacrifice. Tous les partis rendent le même hommage aux mêmes devoirs, quelle qu’en soit la source et l’on voit à côté les unes des autres leurs signatures qui n’ont guère l’habitude de voisiner. Il semble même que, gagnés par une émulation de gratitude et de justice. Ils prennent à cœur de rechercher, pour en parer leur ville ou leur village, les faits et les exemples de la vertu. La peine qu’ils se donnent pour la découvrir est-elle donc si grande ? C’est une réponse pittoresque à cette question que j’ai trouvée dans une pétition rédigée par le curé de sa commune eu faveur d’une vaillante vieille Fille. Il n’y va pas par quatre chemins. Dès la première phrase. La franchise et la vérité éclatent. Pas plus quailleurs la vertu ne court les rues cii. » Vais-je lui répondre qu’elle a peur de se compromettre dans de mauvaises rencontres ? Non, la paroisse est si petite : Et puis le bon curé n’est pas aussi pessimiste que la brusque rudesse de son aveu te laissait croire. Il l’atténue tout de suite en disant que « les honnêtes gens sont nombreux » autour de lui.

A la bonne heure ! La guerre n’a épuisé nulle part en France les qualités traditionnelles de la race. Après tant d’héroïsme dépensé, on pouvait craindre que la vertu, lasse de bien faire, eût besoin d’une sorte de repos-. Il n’en est rien. Les braves gens sont partout nombreux. Il ne faut pas se laisser tromper par les apparences ou, plutôt, il serait injuste d’exagérer les réalités fâcheuses dont elles sont l’expression. Certes, la guerre a changé trop d’habitudes, qui n’ont pas gagné à cette transformation ; elle a développé jusqu’au risque le goût d’une liberté dont l’impatience est moins soucieuse de servir le bien public que de satisfaire les appétits personnels ; elle a, devant le péril commun, rapproché les distances dans une égalité niveleuse qui a diminué le sens de la hiérarchie. Chacun se débrouille trop selon ses fantaisies et à sa guise. Mais les mauvais esprits et les mauvais cœurs n’ont pas altéré dans ses traits essentiels le visage si expressif de la France. Elle reste une terre d’élection, que la nature et que l’histoire ont privilégiée. Nous pouvons être fiers des grands exemples qui viennent, le plus souvent sans l’avoir cherchée, recueillir dans cette enceinte leur récompense.

Avant de dépouiller les dossiers qui m’ont été confiés, je savais l’étendue du prestige moral dont jouit l’Académie française. Mais je n’en soupçonnais pas le vrai caractère. Avouerai-je qu’il m’est parfois arrivé de trouver que la modicité de certains dons ou de certains legs risquait, en multipliant les fondations peu rémunératrices, de faire de notre institution un « bureau de vertu » trop encombré par une vaine besogne ? Je suis revenu de cette opinion et je ne crains plus les excès de la contagion. Si tous nos prix avaient l’intention d’être un secours, les sommes minimes que nous distribuons en si grand nombre seraient bien près d’être dérisoires. Mais il s’en faut que l’argent fasse, à lui seul, leur valeur. Même quand il s’agit des œuvres, dont l’entretien et les services coûtent cher, nos largesses les plus généreuses ne sont le plus souvent qu’un appoint. Que dire alors des cas individuels ? Nous cherchons moins à soulager les misères qu’à reconnaître et à encourager les dévouements. La richesse de nos ressources, que l’on critique parfois, ou que l’on jalouse, sans tenir compte de leur affectation obligatoire, se fond dans leur émiettement. Notre bureau de vertu n’est pas un bureau de bienfaisance. Nous faisons ce que nous pouvons. Combien nous voudrions faire davantage !

A côté de l’héroïsme, qui se dépense en actions d’éclat, dont la gloire est bruyante, il y a, par milliers des actes de sacrifice à la fois si courageux et si modestes qu’il faut, pour les amener à la lumière, faire en quelque sorte violence à leur timidité. Il n’est pas de vertu plus sincère et plus émouvante que celle qui s’ignore. L’humilité est la parure du devoir accompli. Aussi vais-je d’abord vers ces humbles que l’Académie toujours recherchés et aimés. Depuis qu’elle distribue des prix, elle fait une large part aux domestiques. Pourquoi reculer devant le mot ? Il suffit de lui donner son sens originel, qui s’est, il est vrai, un peu perdu. Ici nous ne pouvons pas nous y méprendre, puisque le Dictionnaire oppose la rigueur de sa définition précise aux excitations d’une démagogie envieuse qui veut tout niveler pour tout conquérir. Un domestique fait partie de la maison. Il n’est pas un esclave. Son service n’est pas une servitude. Autrefois même il restait si longtemps chez les mêmes maîtres qu’il passait souvent pour être de leur famille. Que ceux-ci fussent tous et partout justes et bons. Je me garde bien de le dire et de nier ainsi des exigences abusives, qui devaient provoquer une émancipation nécessaire. Mais est-ce s’améliorer que de changer d’excès ? Nous vivons dans des temps instables, où l’autorité, fût-elle la plus humaine, n’est pas toujours payée de retour et n’est pas sûre de pouvoir exercer ses droits les plus légitimes. Le respect n’est guère à la mode. Pour un oui ou pour un non, et quelquefois même sans qu’il soit dit un oui ou un non, on se brouille et on se quitte. Quand La Fontaine disait « en bon français », notre ennemi, c’est notre maître, il ne pensait pas donner une devise à des revendications peu fraternelles qui dépassent souvent la mesure même de l’égalité.

Il y a, heureusement, des exceptions. Quoique la plupart se rattachent au passé, puisque les cas de quarante ans de services ne sont pas rares et que Mlle Marie Bey, à Roanne, estimée par toute la ville, apporte depuis cinquante-deux ans ses soins les plus affectueux à la même famille, il faut les retenir et les récompenser. Comment ne pas s’incliner devant Mlle Georgette Bracquemont, dont deux frères sont tombés sur la ligne de feu, et qui, depuis vingt-cinq ans, reste, avec les gages du début, chez sa vieille maîtresse ruinée par la guerre, et, non contente de ce sacrifice, s’offre dans le village de Chevilly à tous les actes de dévouement ? Un compagnon d’armes de l’un de ses frères, qui l’a connue en 1916, nous a envoyé son témoignage du fond d’une cure de Haïti, où il est missionnaire : « Que le bon Dieu, dit-il, nous en donne encore beaucoup de ces saintes et dévouées domestiques ! »

Voilà certes un vœu auquel les adhésions, même les plus laïques, ne feront pas défaut. Il est plus exaucé qu’on ne le croit. Combien d’excellents dossiers ont passé sous mes yeux ! Si l’Académie était un bureau de placement, et si je ne risquais pas de commettre des détournements de services, je pourrais donner de très bonnes adresses. Celle de Mlle Domitia Froissard, par exemple. Mais que dirait l’abbé Ruffet, curé de Nogua dans le Jura, qui a recueilli, autour de sa signature pour la recommander à votre choix, les plus sérieuses références ? Après avoir successivement servi, avec une vocation toute ecclésiastique, trois autres prêtres, Mlle Domitia est depuis quarante ans sa bonne, son organiste et sa sacristine. Aussi demande-t-il pour elle, non pas une place mais, en attendant — le plus tard possible — sa récompense céleste, « un des nombreux prix de vertu dont l’Académie est la judicieuse dispensatrice ». Ce désir légitime est satisfait.

Si nobles que soient ces dévouements, qui ne reculent ni devant la vieillesse décrépite, ni devant la folie, ni devant l’horreur ou la contagion des maladies, leur énumération est impossible. Il faut choisir. Serai-je, malgré mon impartialité, suspect de patriotisme local, si je retiens votre attention sur le cas de Mlle Marguerite Moureu, qu’aucun autre rapporteur, assis à ma place, n’aurait pu négliger ? Elle est depuis quarante-six ans dans la même famille béarnaise, et cette famille est celle de Pierre Lasserre. Il avait constitué avec le soin le plus pieux, qui témoignait d’un cœur égal à son talent, le dossier de sa vieille bonne. Il me l’avait recommandée. Était-ce nécessaire ? La notice qu’il avait écrite avec une délicatesse émouvante et les certificats, tous autorisés, qu’il y avait joints par le plus louable scrupule de conscience, suffisaient à emporter la conviction. Fille d’un chef cantonnier qui mourut jeune encore en laissant cinq orphelins, Marguerite Moureu tenait de sa mère les plus rares qualités d’énergie, de bonté et de pureté. Elle entra en service à l’âge de seize ans. « Mais, dit Pierre Lasserre, ses vertus de servante ne furent que ses moindres vertus. Ce qui est avant tout à considérer, c’est le constant sacrifice qu’elle a fait de ses intérêts personnels à ceux de sa famille. Pas un instant elle n’a songé à assurer par des économies que le bon sens lui conseillait la sécurité de ses vieux jours. La plus grande partie de ce qu’elle gagnait a été consacrée au service des siens, que cette aide a fait passer, d’une génération à la suivante, de la condition d’extrême pauvreté à un état, modeste encore, mais très honorable. Si ses deux neveux et ses deux nièces sont devenus des instituteurs et des institutrices primaires très honorés dans leur profession, qu’il exercent en Béarn, au lieu de végéter dans les conditions d’ouvriers agricoles ou de paysannes pauvres, ils le doivent presque uniquement à leur tante dont les subsides leur ont permis l’accès des pensions où ils ont pu préparer leurs examens d’entrée à l’École normale... » Cette abnégation méritait la haute récompense que vous lui avez attribuée. Hélas ! Mlle Marguerite Moureu n’en recueillera pas toute la joie. Entre elle et Pierre Lasserre la réciprocité des bienfaits et une commune tendresse avaient établi un véritable lien de famille. Pierre Lasserre est mort sans avoir achevé son œuvre, déjà si variée pourtant et si originale, et sans avoir rempli toute la destinée qui lui paraissait justement promise. En associant son nom à celui de la femme courageuse et modeste qui fut à son service, après avoir été à celui de ses parents, je suis sûr de rendre à sa mémoire l’hommage qui lui aurait été le plus cher.

Les prix que vous accordez aux vieux serviteurs sont la récompense d’un dévouement désintéressé auquel la parenté du sang ne les astreint pas. Les devoirs familiaux, au contraire, dérivent, quelle qu’en soit la forme, d’une loi naturelle. Est-il donc juste d’y voir des actions vertueuses ? Cette question relève théoriquement de la philosophie du bien. En fait, il s’en faut que tout le monde obéisse aux instincts et aux devoirs de la nature. L’égoïsme forcené d’une lutte de plus en plus âpre pour la vie ou pour ses conditions meilleures tend à affaiblir la plus primitive des vertus. La famille n’a pas échappé aux secousses d’une anarchie moi le qui s’efforce de tout désagréger. Ceux qui veulent détruire l’ordre social et édifier des chimères sur des ruines savent qu’en s’attaquant à elle, ils ébranlent l’un de ses fondements les plus solides. Il nous vient d’un dehors ravagé par des bouleversements sacrilèges des échos qui font frémir. La France, heureusement, résiste. Prise dans son ensemble, et vue un peu partout, dans toutes les régions et dans tous les mondes, elle offre le spectacle d’une vie familiale où se pratiquent l’union et la générosité réciproque. Le goût de l’indépendance, dont il serait vain de nier certains symptômes, ne se confond pas avec l’ingratitude ou avec la révolte. Il ne faut pas trop nous calomnier. S’il y a des exceptions, qui sont mauvaises, la moyenne du bien est intacte et l’héroïsme, qui la dépasse en même temps qu’il la stimule, n’est pas sur la voie du déclin. Le dévouement familial, sous toutes ses formes, reste au premier rang de l’ordre du jour de vos réunions annuelles. Je ne suis embarrassé que par le choix des exemples et par la crainte de faire d’un silence une injustice. Ah ! si le temps ne me manquait pas !

Quelles histoires édifiantes et sublimes ne m’avez-vous pas donné, Messieurs, l’occasion de lire ! Cette demoiselle Amélie Coutussier, du Bourg de Laroche-Beaucourt, dans la Dordogne, qui soigne un frère infirme et qui, après une journée de dur travail, doit souvent chanter une ancienne chanson, peut-être gaie et frivole, pour exaucer le désir de sa vieille mère paralysée et tombée en enfance, n’est-elle pas faite pour émouvoir le cœur le moins sensible ? Et que penserez-vous d’Euphrasie Dooms, de Saint-Dié ? Dès son enfance, le malheur s’est abattu sur elle sans avoir de prise sur sa bonne humeur et sur son courage. Toutes les joies de la vie ont été refusées à sa santé toujours compromise. Presque complètement sourde, elle est aveugle depuis cinq ans. Mais sa mère, qui ne peut plus quitter son lit depuis la même époque, a besoin d’elle. Comme elle la soigne ! Deux pièces leur servent d’appartement commun. Euphrasie fait le ménage et la cuisine, elle balaie, récure, lave le linge, le tout proprement et avec un sourire qui met dans l’humble logis et dans le cœur de sa mère, qu’elle adore, un rayon de gaîté. Des voisines lui donnent un coup de main. Elle est si modeste qu’elle ignore sa vaillance. Quand on l’admire, elle s’étonne.

Telle à Sèvres, Mme Lorette Guilliotte. Elle a quatre-vingt-deux ans. Restée veuve depuis 1913 elle a dû, après une existence qui ne fut jamais heureuse, assumer les plus lourdes charges, une fille, une petite-fille et un petit-fils, tous de santé précaire, et quatre arrière-petits-enfants, dont l’aîné à sept ans. Pour faire face aux besoins de ces existences dont elle est presque l’unique soutien, Mme Guilliotte entretient des nourrissons ou des enfants de trois à onze ans. Elle n’en a guère élevé moins d’une centaine. Ayant elle-même mis au monde deux garçons et six filles, son expérience et sa sollicitude maternelles ont inspiré partout autour d’elle la confiance, l’estime et la gratitude. Elle trouvera dans le prix que l’Académie lui décerne le témoignage de notre respect. Mais cet hommage ne s’accompagnerait-il pas d’une réticence si je ne disais pas que de tels spectacles doivent nous faire réfléchir sur les conditions et sur les devoirs de la vie ? Certes, le bonheur complet n’est pas de ce monde et je crois que personne ne peut s’en flatter, mais celui que la vie accorde serait une usurpation cruelle et presque criminelle s’il ne recherchait pas, pour les secourir, les misères navrantes qui ne doivent être ni sa condition ni sa rançon.

La vieillesse n’est pas la seule à connaître le malheur et à le supporter avec courage. Souvent, et plus souvent que je ne le savais, le dévouement devance les années. Il n’a presque pas d’âge. Ce sont nos dossiers, Messieurs, qui m’ont fait faire cette découverte. Je n’en conclurai rien, rassurez-vous, sur la bonté originelle de l’homme et je n’instituerai pas un débat, qui serait hors de raison de saison et de maison, sur l’affirmation de Jean-Jacques Rousseau que « la pitié est une vertu naturelle et même si universelle que les bêtes en donnent quelquefois des signes sensibles ». Mais depuis que j’ai pris, et pris au sérieux, la charge de ce rapport, l’opinion que je m’étais faite de la nature humaine, sans avoir jamais été trop mauvaise, s’est plus rapprochée d’une équitable justice. Les exemples — je ne dis pas les exceptions — sont plus probants que les théories.

Ayant perdu, à l’âge de huit ans, sa mère, qui laissait cinq enfants, dont elle était l’aînée, Marthe Tomi, de la commune de Tasso, en Corse, fut astreinte aux devoirs d’une vie double. Aux champs, elle aidait son père ; chez elle, elle dirigeait le ménage et la famille. Il y a dans son dossier un rapport dont une phrase, d’une charmante naïveté, m’a tout de suite touché le cœur. « Privée dès sa plus tendre enfance de toute affection maternelle, elle dut abandonner à la fois ses rires et ses jeux pour assumer le rôle de maîtresse de maison et faire régner un peu de joie dans un foyer où vagissait un bébé de quinze jours. »

Voici, à Castel, dans la Somme, Mlle Yvonne Stalin. Aînée de cinq filles dans une famille de neuf enfants, elle parcourt, dès l’âge de douze ans, les villages voisins, avec une pauvre voiture, pour vendre des chaussures. Un an après, sa mère meurt, ayant mis au monde une sixième fille. Yvonne devient la véritable maîtresse de la maison. Son père est instituteur : elle le suit et elle l’aide dans tous les postes qu’il occupe, et d’où nous sont parvenus les certificats les plus élogieux. A la déclaration de guerre, qui mobilise son père et son frère aîné, elle est seule, absolument seule, pour s’occuper de ses autres frères et de ses sœurs. A ce moment, elle a dix-sept ans. Deux fois l’invasion la chasse. Quand elle revient à Castel en 1918, elle trouve un pays complètement dévasté où elle s’efforce de reconstituer une petite ferme. Bien ne lasse son énergie. Elle se sacrifie tout entière aux siens et la mort de son père, dont la retraite aurait pu lui apporter un secours la laisse, il y a un an, sans ressources, aux prises avec des créanciers qui absorbent le peu qui reste. Elle est malade. C’est s’honorer que de lui venir en aide.

Le cas de Mlle Angèle Maupoint, de Luçon, en Vendée, est du même ordre. A la mort de sa mère, elle a quatorze ans, un père infirme, quatre frères, une sœur, tous ses cadets, et pour toute ressource, un commerce dont elle doit poursuivre la liquidation désastreuse. Des revers de fortune ont transformé la situation de cette honorable famille. Tout repose sur la tête, et, si je puis m’exprimer ainsi, sur le cœur de la jeune fille. Elle interrompt ses classes et elle accepte comme un devoir sacré, sans jamais se plaindre, la tâche que le destin lui impose. Au dehors, elle gagne durement sa vie ; au dedans, elle s’épuise dans les soins qu’exigent les maladies de son père et de ses frères. Elle est une mère de famille, une infirmière, une sœur de charité.

Si j’étais tenté, par crainte de la monotonie, de m’arrêter sur ces exemples, je me rappellerais la réflexion d’Ernest Renan. « La vertu est plus monotone que le vice ; mais elle peut, sans inconvénient, se répéter. Remercions-la de se répéter ; c’est grâce à cette monotonie, qui peut être en littérature un gros défaut, que le monde moral subsiste. » C’est en effet la constance de la vertu qui fait la continuité du monde moral, hors duquel le chemin est tout tracé de la ruine au déshonneur. Quand Mlle Solange Jolivet, du Mans, âgée de dix-sept ans, aide sa mère à élever ses dix frères et sœurs, dont la naissance s’étend du mois de novembre 1911 au mois de juin 1929, elle contribue, par son adresse active et par sa douce tendresse, au maintien de ce monde. Qui ne l’a pas vue tenant dans ses bras, pour la conduire à la pesée de la Goutte de lait, sa dernière petite sœur ne sait pas à quel point une grande sœur — grande et jeune — peut ressembler à une maman. A moins qu’il n’ait rencontré dans les rues de Pont-à-Mousson Henriette Mourot, qui a pris, à l’âge de seize ans, la direction du ménage, vacante aussi par la mort de la mère, et l’éducation de ses neuf frères et sœurs, — ou, à Chevrières par Saint-Marcellin, dans l’Isère, Thérèse Rousset, plus âgée à peine, qui soigne en plus de son grand’père et de sa grand’mère, de son père et de sa mère, neuf frères et sœurs, « toujours bien tenus, envoyés régulièrement à l’église et à l’école » en tout quatorze personnes ; quelle héroïne ! — ou, à Saint-Omer, Aimée Bailleul, fille et sœur admirable ; ou, à Serverette, dans la Lozère, Mlle Adrienne Marie Vaissière, âgée, elle, de cinquante et un ans, mais qui, depuis 1897, a donné, soit à l’égard de son père, soit à l’égard de ses sept frères et sœurs, l’exemple de ce qu’une pétition couverte de signatures appelle « un courage obscur, mais persévérant » et « une abnégation librement consentie ».

Et tel est vraiment, Messieurs, le caractère de la vertu, qui consiste dans le courage continu d’un devoir volontaire. M. Louis Thiéblot s’est imposé ce devoir. Il se sentait une vocation de médecin, dont M. le professeur Pouchet nous a garanti la sincérité et l’éclat. Mais comment y satisfaire ? La mère, veuve, — ou pire ! — avait, lui compris, quatre enfants, dont le dernier, qu’elle ne pouvait confier à personne, la réduisait aux maigres ressources d’un travail à domicile. La place de son aimé n’était-elle pas auprès d’elle ? Tous le pensaient dans la famille. Mais Louis Thiéblot s’ingénia à concilier son devoir filial et fraternel avec sa vocation. Boursier du Lycée Louis-le-Grand, il fit des travaux d’écriture. Brillant titulaire du P. C. N., et stagiaire dans un hôpital de Paris, il passe maintenant ses nuits à la maison de santé des Frères Saint-Jean de Dieu pour envoyer à sa mère les indemnités que lui rapporte la garde des opérés. Cette énergie valait un prix : j’y associe en votre nom les vœux et les espérances dont, ce lauréat de vingt et un ans ne peut manquer de tout l’aire pour se rendre digne.

Cet encouragement à une profession libérale n’exclut pas l’intérêt que l’Académie française a toujours porté à la terre. Je n’imaginais pas qu’on pût lui faire le reproche de l’exclure de ses prix. Pourtant, j’ai lu dans une pétition, par ailleurs excellente, cette phrase un peu vive. « Puis aussi, il faut bien l’avouer, on ne s’occupe pas assez de nos braves paysans, parfois si méritants. Ils verraient ainsi qu’ils ne sont pas mis au rancart... » Mais si, Madame, — car l’interpellation vient d’une femme — on s’en occupe : N’est-ce pas entre les familles des paysans français que doit être réparti le revenu de l’importante fondation Étienne Lamy ? N’est-ce pas la destination de la fondation Louis Géhère ? Et les agriculteurs ne sont-ils pas les principaux bénéficiaires des dotations Cognacq-Jay ?... Ainsi les paysans sont justement mis à l’honneur. L’Académie sait la peine qu’ils se donnent et la contribution qu’ils apportent, malgré tant d’incertitudes vaillamment subies, à la prospérité de la France.

Si je n’ai pas pu me décider ou me résigner à choisir dans la liste des prix Cognacq, pour les donner en exemple, quelques-uns de leurs lauréats, mon silence a eu pour unique cause la crainte de commettre une sorte d’injustice par omission. Mais ne m’accuseriez-vous pas d’ingratitude si je ne renouvelais pas, en votre nom, l’hommage public que méritent ces admirables fondations ? Deux cent quatre-vingt-treize dotations annuelles, auxquelles sont affectés quatre millions deux cent quatre-vingt mille francs de revenus. Voilà des chiffres dont l’éloquence est singulièrement saisissante Les résultats sont décisifs. Les allocations de dix mille francs en faveur des jeunes ménages ne descendent plus guère au-dessous de huit enfants. C’est dire leur utilité. La mémoire de M. et de Mme Cognacq, qui furent de braves gens, sachant le prix et donnant l’exemple du travail, est chère à l’Académie. Je la salue avec le respect que nous devons aux plus grands bienfaiteurs de la famille française.

Il y a une élite dans les champs comme dans les Lettres. Chacune court ses risques et chacune doit avoir son lot. Marie-Léontine Borie, de Saint-Gence, dans la Haute-Vienne a connu les uns : qu’elle reçoive l’autre. Quand son père est mobilisé en décembre 1914, elle reste seule avec sa mère, atteinte d’une maladie chronique, et avec un frère de deux ans, dont la santé n’exige pas de moindres soins. Elle n’a pas encore quatorze ans. Tout le fardeau du foyer pèse sur elle. La nécessité l’a mûrie avant l’âge. La tenue du ménage et ces deux infirmes dont elle est le soutien ne suffisent pas à son activité. Un héritage a fait tomber dans la famille un petit « borderage » d’environ quatre hectares. Marie-Léontine Borie se met à la culture, aidée par les voisins qui admirent sa conduite. La guerre dure. La fillette devient une jeune fille. Sa jeunesse et sa beauté attirent autour d’elle des « prétendants » et ce qu’on appelle dans ce coin du Limousin comme ailleurs en France des « partis avantageux ». Elle refuse de quitter sa mère alitée depuis le mois de septembre 1915, et qui est morte il y a environ vingt mois. Toute la commune l’aime et demande pour elle une récompense.

Vous la lui avez donnée, en même temps qu’à Mlle Maria Garnier, que Robert de Flers vous aurait recommandée. N’est-elle pas du canton qui, dans l’Orne, porte son nom ? Quel joli discours, fleuri de bonté et d’esprit, il aurait fait devant la population enchantée et reconnaissante de la Chapelle au Moine en remettant son prix à la lauréate, qu’une voix unanime avait désignée ! A l’âge de vingt-trois ans, Maria Garnier perdit presque coup sur coup son père et sa mère. Ils lui laissaient la charge de cinq garçons et de deux filles, plus jeunes qu’elle. Elle avait fait de bonnes études, mais elle sacrifia sans hésitation les goûts qu’elles lui avaient inspirés pour assumer la direction d’une ferme de vingt-deux hectares, louée en 1911 par ses parents : « Dites-moi, Messieurs (ce n’est plus moi qui parle, c’est la pétition ou la pétitionnaire), dîtes-moi si ce n’est pas un vrai mérite... à cette époque de dépeuplement des campagnes, où les jeunes surtout ne veulent plus se donner à la terre. Elle était jeune cependant, et elle s’y est donnée, y a adapté les siens et eux seuls, accomplissant les rudes travaux des champs. Donc, Messieurs (je cite encore), pour récompenser tant de vertus, ayez le geste qui servira d’exemple aux hésitants et encouragera ceux qui sont décidés à bien faire. »

Vous avez entendu cette voix ardente et pressante d’une présidente cantonale de la Ligue patriotique des Françaises. Vous avez fait le geste qu’elle vous demandait. C’est votre habitude d’écouter les suggestions désintéressées et les propositions raisonnables. Quand il s’agit d’une élection ou d’un prix littéraire, les sollicitations sont importunes et elles risquent d’aller à l’encontre de leur but. Mais pour les bonnes actions et pour les bonnes œuvres, les recommandations, les pétitions, les attestations, les témoignages, les hommages, les rapports, les certificats sont nécessaires. Sans eux, que saurions-nous ? Sans eux, que ferions-nous ? Sans eux, Mlle Adèle Mathon, de Roubaix, orpheline de mère à neuf ans, aînée de cinq enfants. auxquels elle se dévoua, et qui soigne maintenant son père âgé de quatre-vingts ans, nous serait inconnue. Et peut-être aussi Mme Blervaque, de Ville-sur-Saulx, dans la Meuse. Pourtant, quelle femme ! Agée de trente-six ans et veuve, elle a la charge de cinq enfants, dont l’âge va de huit ans à trois mois, à laquelle s’ajoutent les soins qu’elle donne à sa mère âgée de soixante-deux ans et à sa tante, qui n’en compte pas moins de quatre-vingt-deux. Ses ressources consistent uniquement dans l’allocation que lui vaut l’assistance aux familles nombreuses et dans un gain journalier de deux à trois francs pour quelques heures de travail. Elle réussit, par des prodiges d’application et d’économie, à élever ses cinq garçons, dont l’aîné tient le premier rang à l’école communale. Il lui reste une petite maison où tout son monde vit dans une propreté et une union parfaites. A la suite du décès de son mari, ouvrier consciencieux et laborieux, le maire ouvrit, il y a dix-huit mois une souscription pour lui apporter un secours nécessaire. Toutes les familles du village répondirent sans exception, dès le premier jour, à cette initiative. Quel magnifique exemple de la solidarité paysanne ! II y a plus. La commune a une petite usine : les ouvriers ont demandé à leur directeur de retenir chaque mois sur leur salaire une somme pour collaborer à l’entretien de la famille. Quels braves gens !

Il ne faut pas aller très loin dans cette région lorraine si chère à nos cœurs pour trouver d’autres traits admirables, et c’est à Pont-à-Mousson que je vous ramène pour y rencontrer, à côté de Mlle Henriette Mourot, déjà nommée, Mlle Marie-Louise Petit. Orpheline d’un père et d’une mère, dont elle avait secondé les laborieux efforts, elle s’est dévoué corps et âme à l’entretien de neuf frères et sœurs. Cette charge écrasante ne l’empêche pas d’être sacristine et même d’exercer l’emploi de sonneur qui incombait à son père. Le curé-doyen de la ville, le maire et le président de l’Association des Familles nombreuses vous l’ont recommandée. Ce triple témoignage confirme l’impression de bonté impartiale que tous les dossiers m’ont donnée. Quand on prend le parti de la vertu, il faut avoir la vertu de n’être d’aucun parti. Les opinions de Sébastien Guépard, ouvrier peintre à Bône, dans le département de Constantine, ne vous ont intéressé à aucun degré. Il vous a suffi de savoir que sa femme et lui ont ajouté à la charge de leurs neuf enfants cinq orphelins laissés par leur beau-frère et leur belle-sœur. Ce sacrifice valait une récompense. Si généreux que soient les pria Cognacq, ils ont leurs conditions et leurs limites. Aussi l’Académie cherche-t-elle, dans les cas qui ne s’accordent pas avec elles, d’autres fondations pour venir en aide aux familles nombreuses. C’est ainsi qu’elle a pu donner un prix aux époux Bougain, de Rahon, dans le Jura, qui ont six enfants, l’aîné de huit ans, le dernier de quelques mois et qui, en plus, doivent entretenir un beau-père paralysé et une belle-sœur malade. Mme Bougain a trente-deux ans. Ancienne élève de l’Institut familial Ménager de Lons-le-Saulnier, elle n’a jamais manqué d’adresser, pour la naissance de chacun de ses enfants, un « très fier et très joyeux » faire-part à son école. Son ardeur au travail, sa patience, sa bonne humeur s’accompagnent d’un bon sens dont les conseils ont été souvent utiles à ses compagnes. Mais elle ignore son héroïsme, que d’autres voix vous ont heureusement fait connaître, et elle ne croit pas que la charité bien ordonnée commence par soi-même. Cet affreux proverbe. n’est pas non plus du goût du gardien de la paix Dauphinot, père de quatorze enfants, dont huit ont moins de seize ans. En l’inscrivant dans la liste de vos récompenses, vous avez accompli un acte de justice, qui vous vaudra la reconnaissance du préfet de police, du maire du XIIIe arrondissement et du curé de la paroisse Saint-Marcel. Ce sont des parrains qui comptent, et sait-on jamais de qui l’on peut avoir besoin ?

Il y a maintenant des dossiers d’un ordre plus général, puisque aucun lien d’un service rétribué ou, comme on dit, aucun lien du sang ne s’y rapporte. Leur abondance, sans atténuer mon admiration, me remplirait d’effroi si je devais les rapporter ou même les résumer devant vous. Ils sont trop ! Ce cri découragé n’est, vous l’avez compris, qu’une précaution contre le reproche, que l’on pourrait me faire, ici et ailleurs, d’avoir commis des oublis où l’on verrait une ingratitude. Si difficile que soit un choix, il faut en courir le risque. Que Mme Delporte, de Monthermé, dans les Ardennes, et que Mlle Marie-Anne Audren directrice de l’école chrétienne de Priantec, dans la Morbihan, m’excusent donc de ne pas insister, l’une sur le dévouement qu’elle a montré pendant l’invasion et qu’elle continue, depuis la paix, soit comme visiteuse de la Caisse de compensation, soit comme infirmière bénévole d’un paralytique qu’elle a pris à sa charge ; — l’autre sur le zèle avec lequel, après avoir élevé un frère et deux sœurs, ses cadets, elle a soigné, avec un courage qui n’a reculé devant aucune besogne, une colonie de vacances au cours d’une épidémie de fièvre typhoïde dont elle a été elle-même la victime. Leur modestie comprendra que, sans prétendre marquer des préférences ou donner des rangs, je réserve une mention plus accentuée à Mme Jacques, de Saint-Chély d’Apcher, dans la Lozère, et à Mlle Marie Martin, de Toulon. Ah ! Messieurs, les admirables Françaises !

En 1914, M. Jacques et sa femme, fermiers laborieux et économes, vivaient dans l’aisance du travail. Ils avaient quatorze enfants. Sept furent mobilisés. Leur départ nuisible à l’exploitation agricole et des appréhensions plus graves altérèrent la santé de leur père, qui avait, pendant les premiers mois, redoublé de soins et d’efforts pour faire face à une tâche plus difficile. Il mourut en janvier 1915. Sa veuve prit en mains la direction de la ferme. Deux de ses fils tombèrent au champ d’honneur. Ce double malheur n’abattit pas son courage. Mais la vie devenait de plus en plus dure. Il fallait trouver des ressources supplémentaires pour élever toute la famille. Mme Jacques prit chez elle des nourrissons, mais ses soins ne furent pas toujours payés de retour et il se rencontra des mères indignes pour abandonner leurs enfants, dont elle s’occupa comme s’ils étaient les siens. Ainsi, au lieu des salaires escomptés, elle subit une charge nouvelle. Mme Jacques l’accepta avec une vaillance et une énergie qui firent l’admiration de toute la commune. La fatigue finit par la vaincre. Elle vit maintenant dans une chambre modeste, avec le dernier de ses fils. La population a été unanime à demander qu’un prix lui soit donné pour soulager une détresse imméritée et pour récompenser une vertu constante.

Mlle Marie Martin a soixante-cinq ans. Il y a dans son dossier trois attestations qui résument sa vie. M. Benjamin Valloton, M. Perrier, ancien chef du service des rapatriements, et Mlle Emma Wust, qui personnifie l’Alsace « sans peur et sans reproche », ont associé leurs suffrages sous la forme la plus émouvante. M. Benjamin Valloton va jusqu’à dire que l’Académie « s’honorerait en donnant à Mlle Marie Martin une de ses plus importantes récompenses. Cette formule n’est pas excessive, ayant pour caution une des plus admirables existences qu’une femme de bien ait vécue. Puis-je mieux faire que de citer le principal pétitionnaire ? « Mlle Martin, dit-il, est tout simplement une sainte, née pour donner, pour donner encore, avec le sourire et jusqu’à l’épuisement des ressources. Après quoi, il lui reste les trésors du cœur. Ceux-là, qu’elle donne aussi sans compter, ne s’épuisent jamais. » Elle fit de sa petite fortune une rente viagère sur la tête de sa mère malade. Elle réussit à la reconstituer en donnant des leçons de français et de musique pendant des journées de travail qui avaient toutes pour elle vingt-quatre heures Mais la guerre survint. Alors elle dépensa « tout (ce qui s’appelle tout) » au service des rapatriés d’Annemasse et d’Évian, dont elle fut la consolatrice infatigable et modeste, attentive à leurs souffrances physiques et à leur détresse morale, toujours présente quand il v avait une inquiétude à calmer, une angoisse à apaiser, un désespoir à consoler. Après la guerre, elle reprit ses leçons. Leur profit allait discrètement, avec le tact qui rehausse le prix du bien, à des œuvres charitables dont les bénéficiaires ignoraient le nom même de leur bienfaitrice. Aujourd’hui Mlle Marie Martin, souvent accablée par la maladie, connaît, à son tour, la misère. Je salue avec respect la beauté d’une vie qu’elle a dépensée pour les autres.

Tous ces cas d’un dévouement exceptionnel ont un caractère, individuel : ils ne procèdent pas d’une Œuvre. Les Œuvres, parce qu’elles font nécessairement appel à l’opinion et à la générosité publiques, ne peuvent pas s’entourer du mystère dont la charité privée aime à s’envelopper, et qui serait, au demeurant, nuisible au succès de leurs efforts. Les unes trouvent leur point d’appui et leur force durable dans un fondateur ou un bienfaiteur qui les représente et qui les gouverne. Il leur donne la continuité de ses soins, de son attention vigilante, de son action généreuse et désintéressée elles ont un but collectif, mais elles s’expriment par le nom d’une personne. D’autres, au contraire qui sont impersonnelles, sont dirigées par des comités où les tâches individuelles se répartissent, se fondent et s’accordent sous un titre commun. Cette distinction ne se délimite pas par des frontières précises, mais elle serait bien commode si elle pouvait mettre un peu d’ordre dans l’exposé de fondations et d’institutions dont l’abondance force l’admiration du cœur plus que son énumération ne satisfait la clarté méthodique de l’esprit !...

Si j’essayais, tout d’abord, de l’ordre alphabétique ! Voici, à Jouy, dans la Seine, Mlle Allard, dont l’œuvre de Notre-Dame de Béthanie, qui est une des plus belles dans le domaine des « maternités spirituelles », recueille dès le berceau et élève gratuitement jusqu’à leur majorité les petites filles qui n’ont ni père ni mère ; — Mlle Delhon, à Saint-Martin de Lenne, dans l’Aveyron, qui dirige un orphelinat où elle subvient, par un dévouement que rien ne lasse, aux besoins physiques et moraux de quarante et une petites tilles, quelques-unes infirmes ; — Mme Ferracci, veuve de guerre et infirmière-visiteuse, à laquelle l’œuvre parisienne des Logements Sanatoria, une des formes les plus ingénieuses de la lutte contre la tuberculose, doit un succès que le directeur de l’Assistance Publique donne en exemple ; Mme Lang, à Annecy, âgée de soixante-douze ans et aveugle, dont l’Amicale de la Jeune fille, un titre qui tient ses promesses, est l’œuvre et la vie, également admirables : — Mlle Lavielle, à Dijon, qui a eu l’art de multiplier les formes de la protection de la jeune fille et qui a fait entendre sa voix jusque dans les conseils de la Société des Nations ; — la comtesse de Lévis-Mirepoix, présidente très active de l’œuvre des Petites Préservées, un nom qui suffit à dire son objet ; — Mlle Malpas, directrice de l’Association de Sainte Jeanne d’Arc, dont les résultats moraux ne sont pas inférieurs au patronage illustre et vénéré sous lequel elle se place ; — Mme Michel Peter, qui déploie, à Asnières, l’activité la plus dévouée et la bonté la plus intelligente.

Cette énumération serait vraiment trop arbitraire si elle était limitative. Mais, une fois de plus, comment tout dire ? Quoique je n’aie apporté dans mon choix aucune prévention d’aucune sorte et que je ne m’abaisse pas à faire du dévouement, cette vertu simplement française une question d’opinion ou de croyance. Je sens l’insuffisance de mes commentaires et surtout l’injustice involontaire de mes silences. En passant des personnes aux Œuvres, je n’ai pas l’espoir de mieux faire. Il n’est pas un dossier qui soit ou qui m’ait laissé indifférent. Tous regorgent de notes pressantes, de références élogieuses de certificats édifiants. Je viens devant vous les mains pleines, d’où tombent les prix que vous avez donnés. Jamais leur liste ne fut plus variée et plus riche. S’il pouvait la lire, le cardinal de Richelieu en éprouverait peut-être quelque étonnement, n’ayant pas voulu tout à fait cela en instituant l’Académie. Mais, uniquement soucieux de la grandeur de la France, cet immortel ouvrier de l’unité nationale avait porté au passé des coups si rudes qu’il n’aurait pas mis une barrière devant l’avenir. Il n’avait pas prévu les prix de Vertu, mais, le premier moment passé, il approuverait des fondations, nées de la sienne, qui sont, à leur façon, l’expression, dans la recherche et la récompense du bien, de l’union et de la paix françaises. Pourrait-il refuser son admiration aux Religieuses du Sacré-Cœur de Blon, dans le Calvados ; au Patronage des Enfants, en Charente ; au Patronage Saint-Michel, de Sarlat : à l’Aide aux Familles nombreuses, de Rouen ; à l’œuvre du Bon Pasteur ou à l’œuvre des Dominicaines d’Orléans ; aux Œuvres de Midi ; à l’Orphelinat Saint-Louis ; au Préventorium de Noisy-le-Roi ? Comme tout bon ministre qui s’est assuré un bon serviteur, il aurait laissé au Père Joseph le soin de compulser les dossiers et d’en extraire ce qu’un autre homme d’Église, qui ne fut pas cardinal, appelait le « substantifique moelle ». Mais sa joie serait grande de voir que l’esprit de sacrifice n’a pas dépéri dans cette France qu’il aimait. Il aurait seulement une ou deux surprises, celle, par exemple, d’entendre prononcer sous la coupole académique ce mot de préventorium, qui ne rend pas un son très français. Et surtout, que lui dirait l’œuvre de la Crèche de Bône, non la crèche elle-même, mais la ville africaine ? De son temps, si grande qu’il eût voulu la France, il n’aurait pas rêvé pour elle une action aussi lointaine. Ainsi vont les choses, Messieurs. Les hommes du plus puissant génie n’embrassent jamais tout l’avenir, même dans leurs desseins les plus vastes. Réjouissons-nous, en cette année d’un grand centenaire, que la vertu algérienne appartienne à la vertu française et que Charles X ait ajouté à la France de Louis XIII trois provinces dont la fidélité fait à la fois notre sécurité et notre gloire. Le dévouement n’y a rien perdu. Toutes les œuvres que j’ai citées en sont l’expression variée et émouvante. Le mal, physique ou moral, affecte des formes si diverses qu’il faut, pour le combattre, dépenser des trésors d’ingéniosité, de courage et de patience. Le même but exige des moyens différents. Le Bien n’est une abstraction que dans les traités de philosophie. Dans la réalité de la vie, il est multiple, innombrable et complexe.

Voici des Colonies de Vacances. Elles se sont répandues clans tout le pays. Qu’elles soient à tendances confessionnelles ou qu’elles restent dans l’esprit laïque, elles rendent aux jeunes garçons et aux jeunes tilles les plus grands services. A la condition qu’aucun sectarisme ne les inspire, et les sectaires ne sont pas toujours du même côté, il faut les encourager, en développer l’exemple et en favoriser le développement. J’ai lu les dossiers. Il y a des photographies qui en disent long sur les bienfaits que procurent aux enfants les cures d’air, de mer ou de montagne. Elles sont plus significatives que les certificats avec lesquels elles voisinent, et dont je me garderais bien pourtant de dire du mal parce qu’ils attestent, de la part des pouvoirs municipaux, l’impartialité qui domine les préventions politiques. C’est votre honneur, Messieurs, de provoquer des propositions et des appréciations qui vous font confiance. Quoi qu’on en ait dit, et je reconnais qu’on le dit moins, l’Académie n’a pas perdu l’audience de l’opinion. Ce n’est pas mon affaire, dont M. le Secrétaire perpétuel s’est acquitté avec son zèle et son talent coutumiers, de montrer le libéralisme qu’elle apporte dans la distribution de ses prix littéraires. A la condition qu’il ne heurte ni les mœurs ni le sentiment patriotique, un livre de talent, quelles que soient ses tendances, est sûr d’être bien accueilli. A plus forte raison en est-il ainsi des prix qui ont pour objet de récompenser la vaillance, le dévouement, l’esprit de sacrifice, les initiatives privées ou collectives, dont le seul but, généreux et désintéressé, est de faire le bien. D’une année à l’autre les rapporteurs changent. Chacun a sa façon, son genre d’éducation ou d’esprit, sa manière et sa méthode. Chacun, il faut le dire aussi pour l’honneur commun, a ses opinions et ses croyances. Mais aucun ne voudrait juger d’un point de vue personnel, qui risquerait d’être partial, les dossiers dont il a accepté l’examen et la charge.

Qu’une colonie de vacances soit dirigée par un prêtre, par un missionnaire ou par un instituteur laïque, il n’importe pas à votre appréciation. Ce qui vaut, c’est l’intérêt social de l’œuvre. Ce qui compte, c’est la santé physique et morale des enfants. Les soucis qu’elle donne et les soins qu’elle exige provoquent une émulation dont la liste de vos récompenses est l’expression vivante et éloquente. Je dois souligner un de vos prix. Il va à l’œuvre de l’École de Saint-Michel-en-Préziac, dans le Morbihan. Ah ! Messieurs, quel beau dossier ! Voici trois années qu’il s’ouvre devant vous. En 1927, en 1928, en 1929, vous avez attribué à cette institution admirable une de vos grandes récompenses. Votre Commission vous a proposé et vous avez décidé de continuer. Il ne faut pas se lasser de rendre le bien pour le bien. C’est M. Guillet qui a été le fondateur de l’œuvre. Notre confrère, M. de Régnier, l’a appelé un « vétéran et un récidiviste de la charité ». Récidive pour récidive. Vous faut-il des références ? Elles sont de poids : un maréchal de France, trois évêques, un ancien bâtonnier de l’Ordre des Avocats de Paris, deux maires de Paris, l’Office Central des Œuvres de Bienfaisance. Vous faut-il des résultats ? L’École Professionnelle de Saint-Michel-en-Préziac élève près de trois cents enfants. Plus qu’une école, elle est une petite ville, un immense atelier, une ferme. L’argent lui manque, non le dévouement. M. Guillet, sans négliger d’autres fondations ou d’autres œuvres qui ont pour objet de protéger l’enfance, lui a tout donné, sa fortune, son temps, son cœur. Il ne peut pas faire davantage. Il y a pourtant beaucoup à faire. Vous y avez largement aidé.

Quel privilège vous avez, Messieurs ! Laissez dire et même, puisqu’il y a des sots, laissez rire ! Où trouve-t-on dans le monde une institution semblable à la vôtre ? Ceux qui en voient l’honneur n’en connaissent qu’un aspect. Mais il y a des devoirs qu’elle impose, dont, vous ne déclinez aucune responsabilité et aucune charge. Vous n’avez d’autre souci que celui du bien public, impartialement servi. De quelque côté que l’on vous sollicite, vous écoutez tous les appels qui sont dignes d’être retenus. Aucun autre intérêt ne vous inspire que celui du développement moral du pays. C’est ainsi qu’attentifs aux mouvements économiques et sociaux qui viennent battre jusqu’à votre porte, vous sentez le péril que la désertion des campagnes peut faire courir à la France. La solution générale de ce problème, s’il en existe une, ne relève pas de vous. Elle exige un plan d’ensemble, que seuls les pouvoirs publics, occupés parfois à des soucis moins pressants, peuvent entreprendre. Mais les efforts privés ne sont pas négligeables. En les encourageant, vous restez fidèles à vous-mêmes. Quand un brave homme, comme l’abbé Tervaux, curé de la Loge, dans le Jura, contribue, depuis quarante ans, au relèvement moral de son village par la création de coopératives de consommation et la constitution d’une caisse rurale, vous donnez à ses quatre-vingts ans la couronne d’un prix qui recueillera dans sa commune une approbation unanime. Vous vous associez dans le Lot-et-Garonne à la trêve des partis en consacrant par une récompense les Semaines rurales de Galapian, auxquelles l’abbé Beriau, un apôtre, a consacré le meilleur de son intelligence et de son cœur. L’Orphelinat agricole de Plougerot, dans la Haute-Marne, qui inculque à une centaine d’enfants abandonnés ou d’éducation difficile l’amour du travail, ne vous a pas trouvés indifférents. L’amour de la terre est une tradition académique.

Mais quels efforts vous laissent insensibles ? Quand un centenaire évoque, avec ses longs souvenirs, de grands services, vous le retenez au passage. Voici l’Association polytechnique fondée en 1830, au lendemain des Journées de juillet, par les Anciens Élèves de l’École polytechnique pour le développement de l’instruction populaire. Inspirée par un sentiment de solidarité démocratique, cette œuvre est restée fidèle, à travers toutes les vicissitudes de la vie politique et sociale, à son but élevé. L’ignorance, cette source malsaine de tant de malentendus, lui apparaît comme l’un des pires fléaux qui empoisonnent la liberté et troublent les conditions exactes d’une égalité sincère. Elle la combat par des cours du soir publics et gratuits où les ouvriers et les employés, auxquels le temps de s’instruire autrement fait défaut, trouvent tous les éléments de l’enseignement le plus étendu qui leur est fourni avec un absolu désintéressement par des hommes compétents recrutés dans toutes les professions. A Paris seulement, l’Association polytechnique compte 462 cours répartis entre 32 sections. Toutes les formes de l’enseignement, littéraire, scientifique, commercial, professionnel et artistique, y trouvent leur place, sans intolérance et sans esprit sectaire. Si, au cours d’un siècle, on ne relève dans la liste de ses présidents que deux membres de l’Académie française, M. Jean-Baptiste Dumas et M. de Freycinet, combien d’autres, parmi nous, que leurs professions ou leurs mandats ont mis en contact avec elle, n’ont-ils pas eu l’occasion d’apprécier la généreuse efficacité de ses services ? L’Association polytechnique relève d’un idéal auquel tous les cœurs nobles peuvent s’associer. Son rayonnement a franchi les frontières. Elle a obtenu dans les expositions internationales les plus hautes récompenses. Il lui manquait, Messieurs, votre consécration, à laquelle aucune ne s’égale. En la lui donnant, vous prouvez une fois de plus que rien de ce qui est vraiment, dignement et utilement français n’échappe à la vigilance et à la gratitude de l’Académie.

Comment n’en dirais-je pas autant de la Société des Missions Évangéliques, qui poursuit hors de France un apostolat moral et social dont les résultats sont considérables ? Elle a plus de cent ans d’existence. Toutes les Églises protestantes, sans distinction, se groupent sous la fière devise dont elle aime justement à se parer : Gesta Dei per Francos. Quoique sa propagande en Afrique et en Océanie ait un caractère religieux, elle met au premier rang de ses préoccupations et de son action l’expansion et le bon renom de la France. Entre elle et les Missions catholiques il y a moins une concurrence qu’une émulation. J’ai lu dans des livres publiés par les Missions évangéliques un vif éloge des efforts accomplis par la plus ancienne et la plus importante des Églises chrétiennes. De même, c’est un de nos confrères catholiques, dont la foi ardente est entourée ici et au dehors d’un estime unanime, qui m’a signalé avec la sollicitude la plus pressante l’œuvre des Missions protestantes. Ce respect réciproque, qui s’inspire du vrai principe de la liberté de conscience, honore les deux Églises. Il a la valeur probante d’un exemple et la force réconfortante d’une leçon. C’est la France qui fait ce rapprochement. Les Missions évangéliques la servent dans huit champs de propagande, d’enseignement, d’assistance, de bienfaisance et d’hygiène. Créée en 1822, la Société s’honore d’avoir eu ses héros et ses martyrs. Elle représente toutes les vertus de la famille française, qui sont de bons articles d’exportation. Ses 1.300 écoles réunissent 75.000 enfants. Aussi l’administration coloniale lui est-elle reconnaissante de la collaboration précieuse et fidèle qu’elle lui apporte. Quand les premiers missionnaires, parmi lesquels le Béarnais Casalis, eurent évangélisé il y a près d’un siècle les indigènes de la montagne de Moshesh, et planté un grand arbre, en signe de gratitude et d’espoir, le chef des Bassoutos faisait de cet arbre la maison de sa tribu et le point de ralliement de son peuple. Partout où elles ont jeté leur semence, les Missions évangéliques ont fait pousser les mêmes arbres. Piqué à leurs cimes, le drapeau tricolore atteste les services qu’elles rendent à la civilisation française.

Il en est d’autres, ceux-ci tout près de nous, que l’Académie n’a pas voulu ignorer et qui méritent, eux aussi, un public hommage. Qu’il s’agisse des œuvres de la paroisse de Drancy, dirigées par M. l’abbé Manet, des œuvres de l’Association Marie-Thérèse à Malakoff, ou de l’aide aux Mal-Lotis organisée par la Société française de Secours aux blessés militaires, le but est le même, l’intérêt semblable, le dévouement égal. C’est un gros problème que celui du développement de l’agglomération parisienne. Il suffit .de quelques chiffres pour en préciser l’importance et pour en marquer la gravité. Tandis que de 1861 à 1926 la population de la France n’augmentait que de 8,9 p. 100, passant de 37 400000 habitants à 40743000, Paris voyait croitre la sienne de 69 p. 100 et la banlieue de 564 p. 100. Il y a des communes qui, au cours de la période de 1911 à 1926, ont dépassé ce chiffre, telle Drancy où les habitants se sont élevés, dans ces quinze ans, de 4190 à 31489.

Ces progressions si brusques, accompagnées de lotissements hâtifs et mal repartis, ont créé, au point de vue de tous les services publics, des difficultés qu’une loi nécessaire s’est efforcée de résoudre. Mais l’Administration ne peut pas tout. Jamais, dans aucun domaine, l’initiative privée n’a été plus utile. Sans elle les municipalités suburbaines n’auraient pas réussi à faire face aux besoins si complexes des populations pauvres qui se sont entassées et serrées les unes contre les autres. Le mal n’est pas d’hier. Déjà en 1881, Ernest Renan disait ici même : « Connaissez-vous rien de plus triste que cette plaine de mesquine misère et de désolation sans poésie, que l’on traverse en sortant de Paris pour se rendre à Versailles par la rive gauche, cet amas sans ordre apparent de constructions qui ne sont plus urbaines et ne sont pas encore rustiques, ces chaumières (quelles chaumières ! Oh ! ciel) bâties de pièces incongrues, arrachées aux démolitions de la grande ville ?... » Depuis cinquante ans la situation s’est aggravée au point d’ajouter au désordre des maisons mal placées ou mal bâties un véritable péril social. Songez à ce qu’est devenue la vie de famille ! A la première heure, qui sonne tôt, tous se dispersent, chacun allant de son côté vers ses occupations. Le déjeuner autour de la table commune n’existe plus. Quand on se revoit le soir, on est harassé de fatigue, pris de sommeil impatient de récupérer des forces pour le dur travail du lendemain. Que deviennent les enfants, leurs soins physiques, leurs soins moraux, leur santé, leur instruction, leur éducation ? Il faut des écoles, des dispensaires, des cliniques, des consultations, des garderies, des visites, des pesées, des patronages, des colonies de vacances. Il faut de l’argent, beaucoup d’argent. Déjà l’Académie française a largement répondu aux demandes qui lui ont été adressées. Cette année, elles se, sont faites plus pressantes. C’est presque un cri d’alarme. Vous l’avez entendu, Messieurs. Grâce à vous, la situation va s’améliorer. Est-ce grâce à vous qu’il faut dire ? Ne dois-je pas plutôt mettre au premier rang, à côté des donateurs dont la générosité a créé les fondations indispensables, les vrais bienfaiteurs comme les sœurs si actives de l’Association Marie-Thérèse comme l’admirable abbé Canet et comme l’Association française des Secours aux blessés militaires qui ne manque jamais, dans un domaine toujours plus étendu, à aucun appel, à aucune nécessité, à aucun devoir ?

Ma tâche est finie, Messieurs. J’en aurais mal rempli l’objet s’il ne s’en dégageait pas d’elle-même une conclusion générale et consolante qui peut s’exprimer par les mots les plus simples. Le sentiment du Bien n’est pas en France la chose la moins répandue. Le Dévouement n’y connaît pas de chômage. La Vertu n’y est pas un mot stérile. Soit qu’il regarde ou soit qu’il se compare, un tel pays n’a rien à craindre de ses destinées.