Funérailles de Jacques Bainville

Le 13 février 1936

Henri ROBERT

ACADÉMIE FRANÇAISE

FUNÉRAILLES DE M. JACQUES BAINVILLE

Le 13 février 1936

DISCOURS

PRONONCÉ PAR

M. HENRI-ROBERT
DIRECTEUR DE L’ACADÉMIE

 

MESSIEURS,

La mort de Jacques Bainville est pour tous ceux qui l’ont connu, aimé et admiré un sujet de profonde tristesse. Certes, nous le savions malade, atteint aux sources mêmes de la vie, mais nous voulions espérer quand même. Il nous donnait l’exemple, en luttant avec un indomptable courage, un magnifique stoïcisme, contre le mal qui le torturait.

Il avait auprès de lui, pour l’aider dans ce dur combat, sa femme dont les soins attentifs et l’inlassable dévouement réussirent, par une sublime conspiration, à l’arracher plusieurs fois à son cruel destin. Sa femme et son fils, ses confrères et ses amis ne sont pas les seuls à ressentir profondément la perte douloureuse qu’ils viennent de subir, les Lettres françaises sont aussi en deuil.

Maurice Donnay, en le recevant récemment à l’Académie française, a fait de notre confrère un magistral et définitif éloge. Dans les tristes circonstances présentes je ne puis qu’évoquer son œuvre.

Il a écrit des livres qui ont consacré sa grande réputation et il est toujours resté fidèle au journalisme, dans lequel il avait fait ses débuts alors qu’il sortait à peine du lycée, en écrivant à Francisque Sarcey une lettre que celui-ci inséra dans le Temps. Voir pour la première fois son nom imprimé dans les colonnes d’un grand journal, quelle joie et quel orgueil pour un collégien ! Ce simple fait décida, peut-être, de sa vocation.

Il fut le collaborateur recherché et apprécié de plusieurs grands journaux : le Petit Parisien, l’Action Française, la Liberté, Candide, sans compter les journaux de province, les revues et les périodiques.

Il traita avec une égale maîtrise les sujets de science financière et de politique étrangère, soucieux avant tout de la grandeur, des intérêts de la France. Dans l’agitation où vit le monde et devant les périls menaçants qui nous entourent, il a su être un observateur clairvoyant et un conseiller prophétique. Un ministre bien inspiré, il y a quelques jours à peine, a récompensé ses éminents services en lui donnant la rosette d’officier de la Légion d’honneur.

Henri Massis et Pierre Varillon m’ont cité un trait de sa haute conscience professionnelle. Il se réveillait à peine d’une longue syncope, son regard était encore voilé, sa voix était faible comme un murmure lointain; rassemblant ses forces défaillantes, il songeait à son devoir de journaliste et disait à ses deux amis : « Je dois faire mon article de demain. »

Le talent du journaliste aurait suffi à justifier la grande réputation de Jacques Bainville. Ses livres lui conquirent une universelle renommée. Il avait toutes les qualités maîtresses du grand historien. Sa documentation était sûre, son style clair et précis, sa phrase courte. Il n’oubliait pas que la concision est la qualité indispensable de l’écrivain qui veut être lu comme celle de l’orateur qui veut être écouté.

Son Histoire de France, celle de Napoléon, celle enfin de la Troisième République, attestent son impartialité — vertu rare — et sa connaissance parfaite des hommes et des choses du passé. Il n’oublie pas le présent, qu’il relie aux temps révolus dans ses études sur l’Allemagne et sur les Dictateurs.

Il connaît l’art des raccourcis saisissants, des synthèses puissantes et des formules brèves, par quoi il fait revivre toute une époque et les principaux acteurs qui ont joué un rôle de premier plan sur la scène du monde. Enfin comment ne pas dire ici le charme et la fidélité de l’amitié de Jacques Bainville, sa parfaite courtoisie, l’élégance naturelle de son maintien ?

Comme l’a dit Charles Maurras, « sa mort est un deuil de l’État ».

Au nom de l’Académie française, je m’incline devant sa dépouille mortelle et j’adresse aux êtres chers qui le pleurent avec nous, l’expression sincère de nos condoléances les plus émues.