Inauguration d'un médaillon d'Edmond Rostand, à Marseille

Le 24 janvier 1936

Henry BORDEAUX

Inauguration d’un médaillon d’Edmond ROSTAND

A Marseille

Le 24 janvier 1936

DISCOURS

DE

M. HENRY BORDEAUX
DÉLÉGUÉ DE L’ACADÉMIE FRANÇAISE

 

L’Académie française a fait à l’auteur de la Maison l’honneur de le désigner pour saluer le nom d’Edmond Rostand inscrit sur sa maison natale, auprès du nom de son père qui appartint lui aussi à l’institut de France.

Le nom sur la maison, c’est précisément le titre d’un poème qui fut recueilli dans le volume posthume : Le vol de la Marseillaise. Et c’est l’histoire de ce poème que je désire rappeler ici.

Edmond Rostand, pendant la guerre, était hanté par le sentiment de la mort cette jeunesse qu’il avait vu partir le 2 août 1914 dans un élan inoubliable, il ne pouvait admettre que, plus tard, elle nous pût manquer. Il fallait qu’elle se survécût, et qu’elle fût présente aux conseils de la nation, qu’elle assistât de son exemple permanent les générations nouvelles. N’avait-il pas contribué à la former ? Ne lui avait-il pas montré dans la Princesse lointaine et dans Cyrano comment on meurt pour un idéal ? N’avait-il pas dans l’Aiglon incarné à l’avance l’offrande du sacrifice ? Chantecler n’était-il pas le poème de l’acceptation et de la défense du foyer ? Ne soutenait-il pas dans le Vol de la Marseillaise notre Amour sacré de la Patrie ? Mais il ne voulait pas d’une survivance anonyme, collective. Il désirait que chacun de nos morts gardât. Son autorité posthume.

Un jour, il écrivit à M. Jean Ajalbert en précisant l’objet de ses préoccupations : — « Qui donc a jamais connu les 384 noms inscrits sur l’Arc de Triomphe ? Nous ne voulons plus d’interminables nomenclatures gravées hors de la vue, ni jeter notre gloire aux hirondelles. Morcelons notre Arc de Triomphe pour que ces fragments répandus puissent être épelés dans l’humble habitude de la vie. Trois mots qu’on lit chaque jour en passant, on les sait forcément par cœur. Et c’est cela qu’il faut ; que chaque Français sache à jamais par cœur quelques noms, adopte machinalement quelques mémoires. Il faut que notre plus obscur soldat sache, en tombant, qu’il aura son nom sur la muraille, à un endroit net et détaché où les yeux pensifs le chercheront, d’où le recevront les yeux distraits. De cette manière tous les morts sont sûrs de vivre, puisqu’on ne meurt que lorsque le nom s’efface ; et tous les vivants sont sûrs d’être animés par quelque mort, car toute l’âme est dans le nom, et lorsqu’on dit Psyché le papillon est là. Pour moi, ce que je préfèrerais — j’y ai souvent songé c’est qu’on gravât les noms des héros morts sur toutes les maisons où ils vécurent. Ce serait la façon la plus logique et la plus simple de briser, sur toute la surface du sol, l’immense litanie en brefs Souvenez-vous. Nos maisons, qui sont signées par ceux qui les ont construites, seraient ainsi contresignées par ceux qui ont empêché qu’elles ne fussent détruites. Et l’architecte chercherait avec amour une place pour le nom du sauveur. Alors de médiocres plâtres rayonneraient et, dénués d’inscription, des marbres seraient moins fiers... »

Cette pensée qui le hantait prit corps un jour dans le poème auquel j’ai fait allusion. Après avoir dit que les noms des morts doivent être rappelés dans chaque village sur les murs de l’église et de l’école, il ajoute :

Mais d’abord que notre zèle
Vous cisèle
Sur les maisons mêmes d’où,
Pour aller vers le martyre,
Ils partirent
Dans le soleil du mois d’août !

Sur la treille où, pour les mettre
Dans sa lettre,
La vierge a cueilli des fleurs ;
Sur le seuil où, pour qu’on parte
Comme à Sparte,
La femme a caché ses pleurs !

Libérateur des futures
Créatures,
Sur quoi vos noms sont-ils mieux
Que sur la maison sacrée
se crée
L’avenir mystérieux ?

Idéal qui veut qu’on meure !
La demeure,
Le logis, l’ordre et l’amour,
Le lit où l’enfant doit naître,
La fenêtre
Par où doit entrer le jour !

Ombre où nous nous composâmes !
Cœur des âmes !

Intérieurs de Chardin !
Maison où l’on sent la France
Qui commence
Dans la rose du jardin !

Jusqu’à son dernier jour le poète caressa ce désir de voir les noms de tous les morts inscrits sur la façade de leur maison. Le sien a été inscrit sur cette maison anonyme de l’avenue de La Bourdonnais où il est mort, où il ne fut qu’un passant. Je me souviens de son triste enterrement auquel j’avais pu assister, revenant de l’armée des Flandres et devant le lendemain repartir pour Mayence. Certes, les comédiens remplissaient la nef centrale de Saint-Pierre du Gros Caillou, mais le peuple s’entassait dans les bas côtés. Il y avait des spectateurs peu recueillis qui se montraient du doigt les acteurs et actrices avec de grands gestes et des exclamations : — Voilà Guitry. C’est Flambeau. — Et Sarah Bernhardt ? — Car Sarah Bernhardt, qui fut tour à tour la Princesse lointaine, la Samaritaine, le duc de Reichstadt, n’était venue que jusqu’au seuil. Malade, elle n’avait pu quitter sa voiture. Mais il y avait aussi des spectateurs attendris qui pleuraient et qui n’étaient venus que pour le poète. J’entendais le dialogue de quelques-uns d’entre eux : ils s’entretenaient de cette fin prématurée : — Vous savez comment il est mort ; expliquait quelqu’un : le soir de l’armistice, il était si joyeux que le cœur lui a sauté... Et je ne sais pas de plus beau commentaire sur la mort du poète.

Son idée même a été pieusement ramassée par un groupe de dames fidèles. Elles ont fondé l’œuvre de ce souvenir vivant : le nom inscrit sur la Maison.

Il est juste que le poète bénéficie aujourd’hui, à son tour, de son heureuse inspiration. Marseille a donné son nom à la rue où il est né. Ce n’était pas assez encore. Il fallait que sa maison natale fût spécialement désignée. Elle l’est maintenant. Que le passant qui s’arrêtera, ne fût-ce qu’un instant, devant cette image associée à l’image paternelle, donne une pensée à l’auteur immortel de Cyrano et de Chantecler, au poète de l’aventure pour l’idéal et de la défense du foyer...