Discours prononcé à l'occasion de la mort de Henri Lavedan

Le 12 septembre 1940

Abel HERMANT

DISCOURS

DE

M. ABEL HERMANT

A L’OCCASION DE LA MORT

DE

M. HENRI LAVEDAN

MEMBRE DE L’ACADÉMIE FRANÇAISE

Le jeudi 12 septembre 1940

 

Messieurs,

Si vous nous voyez reprendre place aujourd’hui à ce bureau où nous ne montions plus depuis que nos séances étaient devenues de simples causeries familières, c’est que nous avons un triste devoir à remplir, et il faut observer la tradition. Il ne convient pas de négliger ceux qui nous quittent en ces heures douloureuses, et de ne leur rendre que des honneurs diminués. Il y a tout juste une semaine, nous parlions entre nous d’Henri Lavedan, avec quelle affection, avec quelle anxiété ! Nous ne savions pas que, la veille même, il était rentré dans le grand silence que depuis tant d’années une infirmité cruelle lui refusait. Ces cloches qui nuit et jour l’étourdissaient de leur fracas imaginaire, quand elles ont sonné pour lui, enfin il ne les entendait plus.

Il m’est personnellement pénible, et cependant il m’est doux, de me trouver désigné pour adresser à Henri Lavedan le dernier adieu de l’Académie. Presque contemporains, nous avons débuté ensemble. C’était dans un tout petit cénacle de très jeunes écrivains. On se réunissait chez l’un d’eux, qui demeurait rue de la Grande-Chaumière. Chacun apportait sa nouvelle et la lisait. On devait les publier toutes en un commun volume, et nous étions bien persuadés que les Soirées de la Grande-Chaumière éclipseraient les Soirées de Médan, alors célèbres. Elles n’ont jamais paru, mais la nouvelle de Lavedan, qui avait eu un grand succès de lecture, Mamzelle Vertu, fut, je crois, sa première œuvre imprimée.

De ce jour date une carrière brillante, heureuse, — facile, bien que ce fût è l’occasion une carrière de combat. Lavedan avait eu la fortune, toujours enviée, rarement enviable, de voir de près, dès son enfance, ce qu’on appelle le monde, et le inonde ne lui avait pas semblé très beau. Il le peignait naïvement tel qu’il le voyait. Il était né témoin, avec un tempérament de satiriste, sans peur, capable parfois de violence, jamais d’amertume. Il ne se piquait pas de moraliser, ni de châtier les mœurs en riant ; mais, en riant, il faisait réfléchir, et c’est, peut-être le plus grand service que l’on puisse rendre aux Français que de les faire réfléchir. Et puis, il avait beaucoup d’esprit et, comme dit un de ses héros, il avait la manière.

Quand il lut au Comité le Prince d’Aurec, on le refusa d’enthousiasme, alléguant que ce serait la dynamite à la Comédie-Française. Cela n’empêcha pas le Prince d’Aurec de triompher au Vaudeville, et Henri Lavedan d’être élu à l’Académie, dans un âge où bien peu osent rêver d’une candidature.

Au soir de sa vie, Lavedan a publié de charmants souvenirs, sous ce titre modeste : Avant l’oubli. Messieurs, ce n’est pas ici que l’on oubliera le confrère parfait, l’ami toujours obligeant et fidèle ; mais l’histoire des lettres françaises ne l’oubliera pas non plus : elle lui réserve, parmi les écrivains de ce siècle qui resteront, une place désirable et privilégiée.

Messieurs, je vous propose de lever la séance en signe de deuil.