Rapport sur les concours d'éloquence et de poésie de l'année 1819

Le 25 août 1819

François-Juste-Marie RAYNOUARD

RAPPORT

DE M. RAYNOUARD,

SECRÉTAIRE PERPÉTUEL DE L’ACADÉMIE FRANÇAISE

SUR LES CONCOURS DE POÉSIE ET D’ÉLOQUENCE

POUR L’ANNÉE 1819.

 

 

Peu d’années après l’établissement de l’Académie française, quelques amis des lettres cherchèrent à lui assurer une heureuse influence sur la littérature et sur l’opinion. Des concours annuels de poésie et d’éloquence furent établis, et l’honneur de les juger fut déféré à cette compagnie.

Le prix d’éloquence était destiné au meilleur discours sur une matière de piété ou de morale.

Le concours de poésie fut, par les termes exprès de la fondation, spécialement consacré à la louange de Louis le Grand.

Ces circonstances, depuis longtemps oubliées, nous expliquent pourquoi les concours d’éloquence ne produisirent d’abord que des écrits religieux ou moraux, et pourquoi l’Académie, durant la vie de Louis le Grand, et même après sa mort, fut si fidèle à proposer des sujets qui invitaient les poètes à célébrer la gloire et les vertus.de ce prince.

Les intentions des fondateurs furent exécutées aussi longtemps que le permirent la marche de l’esprit humain et le développement des idées et des méthodes philosophiques, qui imposèrent enfin la nécessité de rajeunir ces exercices littéraires.

L’Académie sentit qu’elle devait donner aux efforts du talent une autre direction, varier les sujets, les approprier aux circonstances, de manière que les concours fussent ordinairement en rapport avec le progrès des lumières et l’état de la société ; elle prit soin de choisir des sujets qui offrissent aux concurrents plus de moyens de succès, et à l’opinion publique des leçons d’autant plus profitables que ces leçons devaient se mêler au plaisir d’admirer et d’applaudir les ouvrages couronnés.

Les concours ont plus d’une fois réuni ces deux avantages, et, pour ne parler que de la poésie, je choisirai deux exemples.

La première fois que l’Académie proposa un prix de poésie, l’éloge obligé de Louis le Grand devint une leçon de morale publique et de respect envers la loi. Les poètes célébrèrent l’édit contre les duels.

Et la dernière fois que la couronne fut posée sur le front d’un vainqueur avant la suppression des Académies, qui de flous, Messieurs, a oublié que la compagnie l’accorda au poète, déjà très-distingué à cette époque, qui chanta si dignement l’édit en faveur des non-catholiques ?

Quel beau privilége, pour une société littéraire, que de Mouvoir fonder, sur les triomphes du talent, un nouveau moyen d’éclairer l’opinion, de faire respecter les lois et les institutions publiques !

Alors la poésie retourne à son illustre et sainte origine. Consacrée d’abord à louer, à remercier la Divinité, ne fut-elle pas chargée de célébrer les lois, et de les transmettre, à la faveur de ses charmes et de son harmonie, jusqu’aux générations les plus reculées ?

Après ces observations, il serait inutile d’insister sur les motifs qui ont engagé l’Académie à proposer, pour sujet de prix de poésie, l’établissement du jury en France.

En reconnaissant l’avantage moral d’appeler les poètes à chanter une institution qui ne peut guère être séparée de la liberté publique, dont elle est une ferme garantie, l’Académie ne se dissimulait point la difficulté du sujet ; mais elle a pensé que cette expérience littéraire était digne et de l’époque actuelle et des talents qui pouvaient ambitionner la palme académique.

Quoique le prix n’ait pas été remporté, la compagnie n’a pas eu à regretter d’avoir choisi ce sujet. Le grand nombre des concurrents prouve qu’il a excité l’intérêt le plus vif.

Quelques-uns se sont distingués par des pensées profondes, rendues en beaux vers, par des détails poétiques, par des traits heureux, par des images brillantes, et tous par l’énergie et l’élévation des sentiments ; mais, en général, les concurrents ne se sont pas suffisamment préservés des déclamations ou exagérées, ou même injustes, dans lesquelles il n’était que trop facile de se laisser entraîner.

L’Académie ne demande ni la satire ni la censure des temps passés ; au contraire, le sujet permettait de célébrer le progrès des lumières, la marche graduelle et constante de la raison, l’amélioration successive des institutions politiques et sociales, les talents, les nobles efforts de tant de magistrats philosophes, de tant d’écrivains courageux, qui avaient si souvent et si longtemps sollicité le perfectionnement de la législation, et surtout de la législation criminelle.

L’abolition de la torture, l’assistance des notables aux dépositions des témoins, le conseil accordé aux accusés, la communication et la publicité de la procédure, etc., étaient autant de degrés qui devaient conduire à l’adoption du jury en France ; institution qui elle-même attend de nouveaux perfectionnements.

L’Académie a reçu cinquante pièces. Cinq ont été particulièrement distinguées : ce sont les n° 16, 23, 37, 40, 49, que je désigne dans leur ordre d’enregistrement, sans que cette désignation indique aucune supériorité.

Dans les cinq ouvrages, il en est un oh l’Académie, a reconnu l’instinct de la vraie poésie, le germe d’un beau talent, un style parfois brillant et énergique, et une sorte d’originalité qui permet de beaucoup espérer ; mais l’Académie ne doit pas dissimuler que le défaut de composition, l’incohérence des idées et des images, l’ignorance ou le mépris de l’art des transitions, feraient craindre pour les succès de l’auteur, s’il ne se hâtait, en s’imposant des études sévères, et en invoquant d’utiles conseils, de se placer dans la bonne route, dont il parait écarté.

L’Académie avait dû à la générosité d’un anonyme le moyen de proposer un autre sujet : les avantages de l’enseignement mutuel.

Je crois ne pouvoir rendre, à cet estimable ami des lettres et de la patrie, un hommage plus solennel qu’en rapportant les expressions de Son Excellence le ministre de l’intérieur, qui, dans le temps, écrivit à l’Académie :

« Par la libéralité en elle-même, et par le mode que le bienfaiteur a indiqué, la mesure offre un double mérite.

« Le poète sera deux fois récompensé, et en remportant le prix, et en le recevant de l’Académie française, qui, se trouve ainsi appelée à consacrer, par l’autorité de son approbation et de son exemple, une méthode qui tend au perfectionnement de l’éducation populaire et à l’amélioration des mœurs publiques. »

Dix-neuf pièces ont été envoyées au concours ; dans quelques-unes l’Académie a remarqué des parties bien conçues et bien exécutées, des aperçus heureux, des traits piquants, une gaieté souvent spirituelle, le mérite de la difficulté vaincue pour exprimer poétiquement le mode d’instruction et les exercices de l’école.

Des concurrents ont choisi des formes familières, qui leur ont permis un style moins élevé.

En général, le sujet n’a pas été traité comme il doit l’être. Il s’agit non d’accuser l’ancien mode d’enseignement, ni d’exagérer les avantages du nouveau, mais de célébrer une méthode d’instruction qui perfectionne et facilite l’éducation Populaire.

L’Académie n’a jugé aucune pièce digne du prix ; des mentions honorables ont été accordées aux nos 5, 9, 10, 13, 15 et 16, indiqués dans leur ordre d’inscription comme les précédents, et par les mêmes motifs.

Les deux sujets sont remis, au concours il ne serait point convenable de faire connaître les causes qui ont fait refuser les prix ou accorder les mentions honorables ; ce serait livrer le secret des compositions des concurrents ; l’Académie espère que, par de nouveaux efforts et par d’heureuses corrections, ils sauront mériter des palmes aussi honorables.

Un autre anonyme a fait remettre à l’Académie une médaille d’or de la valeur de 1,500 fr., pour un prix de poésie dont le sujet sera le dévouement de Malesherbes.

Sans doute la gloire de ce vénérable magistrat, de ce vertueux philosophe, qui, sous la monarchie, reconnut et professa les grands principes de la liberté publique, et qui, après le renversement du trône, se dévoua volontairement pour le roi, n’a besoin ni de nos éloges, ni de nos hommages ; mais la France a besoin d’acquitter solennellement une dette sacrée.

Disciples d’Apollon ! tandis que le génie des arts animera l’airain et le bronze pour consacrer à Malesherbes un de ces monuments dont la destinée est de subir tôt ou tard le malheur de la destruction, c’est à vous d’élever à ce grand homme, si éminemment Français, le monument impérissable qui ne redoute ni les passions des hommes, ni l’injure des ans.

Enfin, l’Académie avait à décerner un prix à l’ouvrage littéraire, publié dans l’intervalle du 1er janvier au 31 décembre 1818, qu’elle aurait jugé le plus utile aux mœurs.

Plusieurs écrits très-estimables ont fixé l’attention de l’Académie ; mais, forcée de se conformer à l’esprit de la fondation, elle a eu le regret de ne pouvoir admettre au concours ni des ouvrages intéressants publiés avant l’époque indiquée, quoique de nouvelles éditions en eussent paru depuis avec des augmentations et des corrections considérables, ni des parties séparées de grands ouvrages, lesquelles, publiées durant le terme du concours, sont des volumes d’un corps de doctrine commencé antérieurement et non encore achevé, ni enfin des écrits utiles qui, appartenant entièrement à l’époque, avaient déjà subi l’épreuve d’un autre concours, et obtenu leur récompense.

L’Académie a développé son programme, et elle espère couronner des ouvrages qui, remplissant les intentions du fondateur, favoriseront la propagation des saines doctrines et le maintien des bonnes mœurs ; succès qu’il est permis de désirer et d’attendre sous un prince auquel on ne peut rendre un hommage plus juste et plus solennel, que de lui souhaiter de régner sur des Français qui soient également dignes de ses lumières et de ses vertus.