Inauguration de la statue d’Anatole France, à Tours

Le 12 octobre 1949

Jules ROMAINS

Inauguration de la statue d’Anatole France

A TOURS

Le 12 octobre 1949

DISCOURS

DE

M. JULES ROMAINS
de l’Académie française

 

Messieurs,

Il m’est certes agréable de prendre la parole, dans cette cérémonie, à la fois comme président du Comité qui remet à la Ville de Tours le monument dont vous connaissez maintenant l’histoire, et comme représentant de l’Académie française, dont l’écrivain que nous honorons fut un des membres les plus illustres. Mais je tiens à dire que, lorsqu’il s’agit de rendre hommage à Anatole France, je n’ai besoin de faire appel à aucun sentiment de circonstance, ou d’obligation, ou d’emprunt.

C’est un des écrivains que j’ai admirés le plus tôt dans ma vie, et à qui mon cœur et mon esprit sont restés le plus fidèles. Chaque fois que j’ai pensé à lui, ce fut avec une nuance de plaisir, et j’ajoute : de bienvenue. Chaque fois, j’ai eu l’impression qu’en cherchant à travers son œuvre je trouverais un morceau, une page qui, juste à ce moment-là, flatteraient mon humeur, ou l’apaiseraient, l’éclairciraient, y introduiraient un correctif salutaire. Alors que nous passons par des périodes où de très grands hommes nous indisposent, nous agacent, nous semblent soudain étrangers ou hostiles.

Je m’excuse de citer ce test tout personnel. Mais, à mon avis, il est de ceux auxquels chacun de nous a le droit d’attacher de l’importance ; parce qu’il échappe au soupçon de parti pris doctrinal comme à l’arbitraire de la mode. Il met en jeu ce qu’il y a chez nous de spontané et d’authentique.

À quoi attribuer le fait, dans le cas d’Anatole France ? Est-ce à une extraordinaire variété et richesse qu’aurait son œuvre, et qui ferait qu’à toute demande de l’esprit et de la sensibilité elle serait en mesure de fournir une réponse ? Je ne crois sincèrement pas. Plutôt à une sorte de charme diffus dans toute l’œuvre, et qui garde une efficacité en toute occurrence. S’il faut le mieux situer, disons qu’il se marque essentiellement dans le ton de la voix. Je sais qu’il y a des gens que le ton de voix d’Anatole France désoblige. Ils l’accusent d’être trop recherché, de se plaire dans des élégances archaïques ; plus encore peut-être de laisser voir trop de satisfaction de soi-même, trop d’assurance railleuse, trop peu d’angoisse et de tremblement.

N’insistons pas sur le prétendu archaïsme de France. Il en use avec discrétion, avec un sentiment très vif des degrés, des convenances particulières. Il estimait que dans les sujets anciens, des traces d’archaïsmes mêlés au style suivant un dosage variable et savamment calculé, favorisaient l’évocation des lieux des personnages. On peut penser autrement. Mais le procédé se défend très bien à condition d’être pratiqué avec économie, et pourvu que l’on s’arrête à la limite où l’évocation d’ancien tourne à l’imitation d’ancien. Quand France traite un sujet moderne, il ne cède à aucune affectation d’archaïsme, à moins qu’on n’appelle archaïsme le culte de la bonne langue ; l’aversion pour l’impropriété, pour la lourdeur, pour le néologisme inutile et de vilaine étoffe ; le souci de garder vivants et en plein usage des tours d’expression accomplis, fruits de tâtonnement progressif des générations et tels qu’en prétendant chercher mieux on ne peut que trouver plus mal.

Quant au reproche qu’on fait à cette voix d’être d’une suavité trop étudiée et trop constante, il n’aurait de force que si l’euphonie qu’elle nous offre était une simulation, un placage rhétorique sans lien profond avec la nature de l’auteur. C’est bien tout le contraire. L’euphonie francienne correspond à une vocation et à un effort de l’homme tout entier vers la sagesse harmonieuse. Et c’est pourquoi elle séduit ceux mêmes d’entre nous qui ont le plus d’antipathie pour la rhétorique et le faux bon style. Je dirai volontiers que l’euphonie francienne, comme celte de Renan, loin d’être obtenue par l’effacement d’une personnalité, l’érosion des caractères d’un art individuel, en traduit l’exigence suprême, l’achèvement. Il y a de même une euphonie constante de Debussy, de Chopin. Nous ne disons pas qu’elle remplace tout le reste de la musique. Mais dans leur musique à eux elle est toujours à sa place. Elle ne sert jamais à dérober sous un vernis uniforme une lacune de l’inspiration.

Parlons plutôt du dernier reproche, qui serait peut-être le plus grave : celui de satisfaction trop voyante, de complaisance envers soi-même, de manque d’inquiétude. Je me demande si les gens distingués, et divers, qui l’ont formulé, avaient bien pris la peine d’écouter la voix de France, et d’en saisir toutes les intonations et intentions. J’avoue n’avoir jamais été frappé par rien qui ressemblât chez France à de la fatuité. Quand je regarde dans les âges récents, ou même tout simplement autour de nous, j’aperçois quantité d’écrivains qui me semblent bien moins modestes, bien plus absorbés dans la contemplation, l’auscultation et l’adoration de leur moi. Cela se trahit dans chacune de leur phrases ; et le plus fâcheux est que l’odeur de ce moi qu’ils nous épargnent si peu est souvent antipathique ou odieuse. L’intérêt que nous leur montrons se rattache aux formes perverses et moroses de la curiosité. Nous ne cessons de nous dire in petto : « Quelle chance de n’avoir pas eu à vivre avec un individu pareil ! »

D’autre part, il faudrait avoir bien mal lu Anatole France pour l’accuser d’optimisme béat. Ni sur l’univers, ni sur la société, ni sur l’homme — ajoutons ni sur l’homme qu’il sent en lui — il ne se fait de grandes illusions. On composerait un copieux recueil de maximes avec des citations de France où il dénonce la sottise, la méchanceté, la cruauté de l’homme, son orgueil si vite tourné en lâcheté adulatrice, son mimétisme dérisoire sa fourberie, sa soif d’absurdité et de mensonge ; et aussi la férocité et la crédulité de la foule, la corruption ou l’infirmité des institutions, l’hypocrisie des lois et celle des mœurs, la tricherie universelle, l’échec, la condamnation par avance des bons et des purs ; l’aplatissement de la prétendue conscience humaine, et même de l’histoire écrite, devant le succès. Mais voilà, France dénonce tout cela d’une voix qui tâche de ne pas trembler, d’une voix qui au lieu de cultiver l’inquiétude et d’en faire étalage, la réprime. Oui, c’est la voix d’un homme qui a recueilli de ses maîtres, antiques et modernes, cette leçon que l’état le plus élevé, et le plus souhaitable, où puise se mettre l’homme, n’est pas l’épilepsie, ni le delirium tremens, ni la crise de fureur ; et que même, en simulant ces excès, faute de les ressentir vraiment, on ne donne pas de l’homme une image honorable.

Une circonstance aide France à maintenir cette discipline comme elle aide les gens à se tromper sur lui : c’est la présence continue de l’intelligence. Peut-être oserons-nous de nouveau prononcer ce mot sans qu’il paraisse entaché d’un soupçon d’injure. Car nous venons de vivre une époque extravagante qui d’un côté affectait de mépriser l’intelligence, de la dénigrer ; qui, lorsqu’elle voulait nuire à la réputation d’un homme — que ce fût un écrivain, un artiste ou un homme d’État — disait : « Il est bien trop intelligent ! » ; une époque qui feignait de mettre sa foi et son espérance dans le soi-disant génie aveugle et baveux ; et qui d’un autre côté ne cessait de se lamenter — oh ! avec raison ! — sur les maux, ignominies et catastrophes en vérité incomparables que lui valait le règne de quelques génies aveugles et baveux, poussés, exhaussés par des multitudes entraînées à la haine de l’intelligence et au fétichisme de la bave.

Pour en revenir à notre propos, n’est-ce pas la présence continue de l’intelligence qui procure aux lecteurs du maître cette impression dont quelques-uns s’irritent, et qui leur fait croire à un excès de confiance en soi, et de contentement ? C’est qu’en effet une des vertus de l’intelligence — au sens large — est qu’elle arrive sans le chercher, par sa fonction même, à prendre à l’égard des événements une position qui les domine. Elle leur est supérieure pour le temps où sur eux elle s’exerce. De plus, en s’exerçant, elle fabrique à notre profité un plaisir spécial — celui de comprendre et de juger — qui ne se laisse démonter par l’aspect formidable d’aucun événement, d’aucune situation. Plaisir qui, à la différence d’autres, n’est ni louche ni pervers. Il vaut au contraire par la luminosité et la transparence, et cela même quand l’obscurité nous enveloppe de toutes parts. Il reste apparenté à la substance la plus pure de l’esprit. Les personnes qui usent peu des plaisirs de l’intelligence sont enclines à les trouver suspects ; d’autant qu’ils s’accompagnent souvent d’ironie ; et pour ces gens-là l’ironie n’est pas rassurante. Mais pour peu qu’on ait l’expérience de ces plaisirs, on ne doute pas qu’ils soient un des biens les plus précieux de cette vie — si contestable — et l’on en chérit et vénère les sources.

Certes les grands philosophes ont défini et recommandé la joie intellectuelle, en ont même fourni l’exemple dans leurs plus hautes méditations. Mais il est rare qu’ils nous aient montré comment nous pouvons l’introduire dans la vie quotidienne, l’appliquer aux conjonctures les plus humbles comme un topique toujours bienfaisant. C’est en cela qu’un écrivain tel que France a été un maître de l’art de vivre. Et des centaines de milliers de lecteurs, de tous pays, qui depuis bientôt trois quarts de siècle lui ont porté mieux qu’une admiration da rencontre, ou détachée, qui se sont fait de lui un ami, au sens effectif du mot, ont été bien loin, justement, de le considérer comme un simple amuseur. Ils attendaient de lui le cadeau de lumière subtile qui soudain recolore et transfigure le monde environnant. J’en ai connu qui, au cours des épreuves sans nom que notre époque nous a prodiguées, et plongés qu’ils étaient eux-mêmes au plus fort de ces épreuves, obtenaient sans faute quelques instants de consolation et de revanche si une bonne fortune leur mettait à portée de mains un propos de l’abbé Jérôme Coignard, ou le récit d’un de ses hauts faits, dans la version de Jacques Tournebroche.

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J’ai parlé de la voix, du ton de la vois d’Anatole France. Evidemment, j’aurais pu dire aussi bien : le style. C’est une question de vocabulaire. Si j’ai préféré ce mot de voix, c’est qu’il souligne davantage ce qu’il y a de vivant, d’unique, de mystérieux, dans la façon dont un grand écrivain s’adresse à nous, agit sur nous. On s’est habitué, à tort d’ailleurs, à séparer plus ou moins le style de l’homme même, où Buffon l’enracinait. On tendrait à voir dans le style un assortiment de malices techniques, lesquelles s’apprennent. On en viendrait à distinguer les stylistes, qui probablement n’ont pas grand’chose à dire mais le disent bien, et les créateurs véritables, trop occupés de ce qu’ils ont à dire pour s’attarder à la façon de le dire. France est une occasion excellente de rajuster nos idées là-dessus. Ce que nous suggérions tout à l’heure à propos de l’euphonie francienne, nous pouvons l’étendre à la fonction chez lui du style en général. Qu’il ait été un styliste, ses pires ennemis n’en disconviennent pas. Ils seraient même enchantés de l’en accabler. Mais nous, ses amis, nous savons bien, nous sentons, que chaque mouvement de son style ne fait que répondre à un mouvement de sa pensée, à une inflexion de sa personne vivante. C’est pourquoi l’image qui s’offre à nous, d’elle-même est celle d’une voix, avec sa modulation et son timbre.

Ai-je besoin de rappeler, devant cet auditoire, que France avait beaucoup à dire, et que jamais chez lui le beau style a été l’alibi d’une pensée absente, ou défaillante. S’il faut encore l’affirmer, à l’adresse de pas mal d’autres, c’est qu’hélas ! la faculté de discernement, le sens critique ont subi de notre temps des ravages peu croyables, analogues d’ailleurs à ceux qui ont frappé le reste de notre civilisation. En particulier il s’est répandu les superstitions les plus niaises sur ce qui constitue dans une œuvre la richesse de contenu et de signification, la profondeur. Nombre de petits messieurs, ou de jeunes personnes — pourtant de faible appétit philosophique, et de toute mince culture — souriraient ou me plaindraient si je disais que France est, chaque fois qu’il veut, un auteur profond. Eh bien ! je le dirai tout de même. Je le dirai sans hyperbole, et sans pousser au paradoxe. Je n’irai point jusqu’à prétendre qu’il est un des quatre ou cinq plus profonds de notre littérature, avec Montaigne, Descartes, Pascal, Molière ou Balzac. Mais je le range dans la catégorie qui vient aussitôt après. Mon excuse — et l’excuse de ceux qui partagent cette opinion — est que nous avons pris notre idée de la profondeur, et de la richesse substantielle, à une tradition séculaire qui, aux noms que j’ai cités, adjoint, en remontant les âges, ceux de Rabelais, de Villon, de Dante, de Virgile, d’Horace, d’Aristote, de Platon, de Sophocle et de quelques autres, en bref la tradition de l’humanisme grec. Pour nous un auteur profond n’est pas un homme qui, prenant un peu au hasard des mots dont il n’est pas sûr, risque des suites de phrases dont il en sait pas très bien ce qu’il veut leur faire dire, dont il évite même de serrer le sens et les intentions de trop près, mais dont il escompte qu’elles produiront un effet éberluant sur un lecteur au préalable anesthésié. J’appelle lecteur anesthésié celui qu’une critique astucieuse a persuadé peu à peu que par lui-même il n’entendait rien à rien, et qu’il lui fallait croire sur parole les gens autorisés qui lui affirment tour à tour que deux et deux font cinq, ou vingt-neuf, ou moins deux cent quarante-trois ; que les vaches sont tantôt des animaux marins pourvus de nageoires, tantôt des rapaces nocturnes pourvus d’ailes. Un auteur profond, à notre avis, ce n’est pas davantage celui qui, ayant à nous décrire une voiture de marchande des quatre-saisons, nous en parle d’une façon si détournée, si allusive, que nous nous demandons s’il s’agit de l’Himalaya, du système de Copernic, ou d’une scène d’amour charnel. Cet auteur-là peut nous sembler d’une ingéniosité excitante, ou ravissant de malice imprévue. Mais la profondeur est autre chose. Un écrivain, enfin, ne nous paraît d’autant plus profond qu’il a de peine à s’exprimer, ou bafouille d’une façon plus désespérante. En revanche, nous considérons comme profondes des œuvres en apparence toutes simples et fluides, et d’une parfaite clarté, mais qui nous communiquent sur les choses, la vie, la nature humaine, des vues si justes, si pénétrantes, si fécondes, si neuves aussi en quelque point, que les esprits les plus savants et les plus sages peuvent les méditer, y rêver, presque indéfiniment. C’est ainsi que certaines fables de la Fontaine nous paraissent profondes ; que maints chapitres de Rabelais, de Cervantès, d’une verve pourtant toute populaire, nous émerveillent au même titre, et que le Candide de Voltaire nous semble le type même de la facétie fulgurante qui illumine les profondeurs.

Ceci dit, l’on s’étonnera moins, j’espère, que je tienne les Dieux ont soif pour un des romans les plus profonds qu’on ait écrits. Relisez-les. Et cherchez ensuite combien il faudrait mettre bout à bout d’ouvrages réputés profonds de philosophie, d’histoire, de psychologie sociale et collective, d’observation morale, pour aller aussi loin. Et quelle impartialité ! Quelle domination du sujet ! Mais votre plus grande surprise, je crois, sera de réfléchir que ce livre a pu être écrit dès avant 1911, c’est-à-dire, avant ces quarante années d’expérience amère qui certes nous ont tant appris, mais peu de vérités plaisantes ; ces quarante années qui, chez les meilleurs d’entre nous, ont découragé tant d’espérances, détruit tant d’illusions. Tout se passe comme si France avait ressenti tout cela, vécu d’avance tout cela. La sagesse de son livre semble avoir non plus seulement la notion abstraite, mais l’affreux contact. Elle réussit même à le dépasser, à les transcender, je veux dire à rejoindre un sentiment de contemplation où la pitié absorbe la colère, et où, pour emprunter à France un de ses mots préférés, on en arrive à mépriser l’homme tendrement. Qu’appellerons-nous œuvre profonde si nous traitons d’œuvre aimable et superficielle les Dieux ont soif ?

Depuis la mort de France on nous a beaucoup parlé, sans chagrin croyez-le, du déclin de sa gloire, de la disparition de son influence. A la veille de la dernière guerre, quand nous étions déjà sur le point d’élever ce monument, il ne manquait pas de bonnes âmes pour nous dire : « Vous avez raison de vous dépêchez. N’attendez pas que France ne signifie plus rien pour personne. » Nous avons attendu, oh ! malgré nous. Mais vous voyez, France signifie encore bien des choses, pour pas mal de gens. Les dix années qui se sont écoulées dans l’intervalle n’ont certes pas travaillé à donner au monde un aspect plus francien, je veux dire plus conforme à l’image noble et souriante qu’il eût aimé se faire de la vie et de l’humanité. Mais elles n’ont pas déconcerté, ni désarçonné la sagesse francienne. Au contraire. Et elles nous font sentir encore davantage, si c’est possible, tout ce que France représente pour ce que je n’hésite pas à nommer : le bon côté. Oui, vers les débuts du siècle, ou plus récemment, bien des gens, dont l’âme était droite et bienveillante, s’imaginaient que France leur était ennemi, était de l’autre côté de la barricade. Ils souffraient de ses railleries, de ses apparentes légèretés, de certaines de ses impertinences. Aujourd’hui ils nous écouteront plus volontiers si nous leur affirmons que les suprêmes valeurs de civilisation qu’ils défendent et celles que France a toujours défendues sont les mêmes : liberté de l’esprit et de la vie quotidienne, ennoblissement de la condition humaine par la beauté, la bienveillance, la grâce ; tolérance mutuelle, douceur, charité. Les ennemis et les périls sont les mêmes. Je sais bien qu’il est facile de faire parler les morts. Mais j’attends qu’on me montre une ligne de France où il ait appelé de ses vœux l’oppression, le règne de l’idéologie fanatique, le mensonge féroce et sans trace d’ironie comme moyen de gouvernement, le sacrifice de tous les bonheurs et de tous les droits à l’idole de l’État policier, bref les multiples incarnations du monstre totalitaire.

Oh ! les temps peuvent s’assombrir encore. Rien ne nous garantit que le cycle des aberrations humaines ne nous réserve pas de nouveaux développements. Quoi qu’il puisse advenir, nous posons cette statue au bord d’un jardin de Touraine, tout près de la rue, pour que les passants l’aperçoivent — comme un modeste acte de confiance dans l’humanité de demain, et aussi comme un défi aux âges sombres. Nous remercions par delà le tombeau le sculpteur Sicard de l’avoir faite ressemblante, simple, et d’une vérité familière ; autrement dit, d’avoir songé à perpétuer plutôt France lui-même, qu’un caprice de se propre inspiration. La ville de Tours s’enrichit ainsi d’une nouvelle effigie illustre. Elle peut être fière de la série qu’elle avait constituée : Rabelais, Descartes, Balzac… (Balzac il est vrai nous a été dérobé, à la faveur des ténèbres. Mais sa place reste marquée, et son absence ne durera qu’un temps.) C’est un Panthéon de plein air ; moins abondant que l’autre, mais plus sévère, et plus cohérent dans ses choix. Et, très significatif à sa manière, bien que la signification n’en ait pas été délibérément cherchée. Mais n’est-il pas vrai qu’il y a une parenté entre ces grands n oms ? Le destin ne fait pas toujours aussi bien les choses. Dans un temps où les occasions de se féliciter en commun ne sont pas très nombreuses, nous avons le droit de nous réjouir que ce pays de Touraine, où l’on s’est accoutumé à venir de très loin chercher quelques-unes des essences les plus spécifiquement françaises, puisse revendiquer comme siens, au titre de la naissance ou de l’adoption, ces hommes-là, qu’il ait eu de plus le bon goût de s’en aviser, de se placer publiquement sous leur invocation aux yeux de ses visiteurs et du monde, et qu’à travers tant de vicissitudes, tant de déchaînements de la violence et de la matière, il ait gardé le souci de tenir à jour une pareille liste de héros de l’esprit.