Inauguration d'une plaque apposée sur la maison où mourut Gabriel Hanotaux, à Paris

Le 1 juillet 1950

Auguste-Armand de LA FORCE

INAUGURATION D’UNE PLAQUE

APPOSÉE A PARIS
le samedi, 1er juillet 1950
SUR LA MAISON

OU MOURUT

GABRIEL HANOTAUX

DISCOURS

DE

LE DUC DE LA FORCE

Délégué de l'Académie française
 

 

 

Gabriel Hanotaux, homme d’État et historien ! En 1945, bien peu de temps après sa mort, je lui rendais hommage sous la Coupole, au nom de l’Académie et voici que, ce matin, toujours au nom de l’Académie, je le salue à la porte de sa maison.

Pourrions-nous ne pas nous souvenir de l’homme d’État qui, il y a plus d’un demi-siècle, donna à notre contrat militaire avec la Russie la sanction de l’alliance et qui sut introduire dans le traité de prudentes restrictions ? II en est qui n’y restèrent pas sous ses successeurs. S’il nous apporta l’alliance qui nous fut d’un tel secours au mois de septembre 1914, il ne voulait pas que la France pût être entraînée dans une guerre inutile. Pour rien au monde, il n’eût aliéné sa liberté ou celle de son pays.

Sa politique ne manquait ni d’énergie ni de souplesse. S’il fût demeuré au pouvoir, la convention, signée avec l’Angleterre en juin 1898, eût été ratifiée, la négociation africaine n’eût pas été abandonnée par son successeur et l’on eût évité l’incident de Fachoda.

Comment la France ne lui serait-elle pas reconnaissante d’avoir imposé l’annulation du traité à bail qui rendait impossible création d’un vaste empire colonial en Afrique ? C’est lui qui a achevé cet empire par la conquête de Madagascar, par la signature des onze traités libérant la Tunisie ; lui qui a joint nos Colonies de l’Afrique du Nord au lac Tchad et au Congo ; lui qui a fondé la colonie de l’Indochine ; lui qui a conclu avec Ménélik la délimitation de la colonie d’Obock-Djibouti. La postérité lui saura gré de cette grande œuvre.

Un tel Ministre des Affaires étrangères était bien digne de faire revivre devant nos yeux son prédécesseur lointain le cardinal de Richelieu. L’homme d’État qui avait fait si l’on peut dire, l’histoire, était plus que personne à même de l’écrire. Et il érigea, à la gloire du cardinal, les six tomes qui figurent aujourd’hui dans toutes bibliothèques et dont le dernier s’acheva avec sa vie.

Esprit universel, il s’intéressait à toutes choses ; déjà septuagénaire, il me disait : « J’ai encore du travail pour cinquante années. » Comment ne pas se rappeler son Histoire de la France contemporaine, monument plein d’érudition et de vie, Jeanne d’Arc, biographie de la Pucelle et peinture splendide du XVe siècle, qui charma et consola ceux qu’avaient scandalisés les perfidies, — et les ignorances, — de l’auteur du Lys rouge. Citons encore l’Histoire de la guerre de 1914 et l’Histoire de la Nation française, qui fut entreprise, avec un essaim de collaborateurs. M. Hanotaux avait une imagination magnifique, toujours tenue en bride par les sévères méthodes de l’École des Chartes, une intuition qui lui permettait de lire dans les esprits et les cœurs de jadis, il usait d’une langue drue et savoureuse, tour à tour éloquente et familière.

Et quel causeur ! Alerte et dispos, toujours vêtu de belles étoffes anglaises, il saluait tout joyeux le visiteur ou l’invité. Solidement campé sur ses jambes, l’œil vif et spirituel, la voix forte, — douce et caressante quand il s’adressait aux femmes, — cet homme de plus de quatre-vingts ans n’en paraissait guère que soixante. Ses Souvenirs et ses Carnets, dont les premiers volumes ont paru et que le public a tant goûtés, il les parlait devant ses intimes. On ne se lassait jamais de l’entendre. Il savait d’ailleurs écouter. Mais à tout ce qu’on aurait pu dire, on préférait ce qu’il disait. Quel que fut le sujet qu’il effleurât ; il semblait avoir la science de toutes choses. Bien différent en cela de tel historien fantaisiste qui prenait les faits les plus rebattus pour des découvertes et dont M. Hanotaux, disait : « Tout est nouveau pour lui, puisqu’il ne sait rien. »

Cependant la grâce de Mme Hanotaux embellissait la vieillesse du maître auquel de nombreux amis venaient rendre visite, et les heures coulaient trop rapides.

Rien de ce qui touchait à l’avenir de son pays ne le laissait indifférent. De là ce vif intérêt avec lequel il regardait la jeunesse. Combien de parents se confièrent à l’ami, au conseiller dont le cœur toujours jeune se plaisait à la guider ! Combien en est-il qui sortirent de son entretien encouragés et raffermis !

Dans cette maison vécut un sage, un homme de bon conseil, un esprit ouvert à toutes les lumières, un grand serviteur de la France. Passants, ne l’oubliez pas.