Rapport sur les concours littéraires de l'année 1952

Le 18 décembre 1952

Georges LECOMTE

SÉANCE PUBLIQUE ANNUELLE

DU JEUDI 18 DÉCEMBRE 1952

Rapport sur les concours littéraires

DE

M. GEORGES LECOMTE
Secrétaire perpétuel

 

 

La mode est aux Prix littéraires.

Depuis que le baron de Montyon, au début du XIXe siècle, a eu la noble inspiration de consacrer une partie de sa fortune pour récompenser les Lettres et la Vertu, et a chargé l’Académie française de choisir les lauréats, bien des amis de la littérature et des belles actions ont suivi son exemple.

Mais depuis une trentaine d’années, des sociétés, des groupements, des mécènes ont, chez nous et à l’étranger, constitué des jurys qui décernent, sous des conditions diverses, des Prix d’un montant de plus en plus appréciable. Certains arrivent à des chiffres qu’on aurait jadis jugé ceux de véritables fortunes : 100.000, 300.000 et même un princier million jettent leur rayon d’or sur des destinées d’écrivains. Et je ne parle pas du triomphal Prix Nobel.

Pourtant certains Prix moins bien pourvus ont un éclat, un renom, sont presque, lors de leur attribution, un événement annuel, tel le Prix Goncourt et le Prix du jury Femina Vie Heureuse.

Les Prix de l’Académie sont à peu près dans le même cas.

Car, si la dévaluation de notre monnaie leur donne moins brillante mine qu’aux temps heureux du franc-or, ils sont toujours aussi recherchés. La diminution de leur valeur matérielle n’a rien ôté à leur valeur morale. Je dirais même qu’elle est accrue puisqu’il s’agit moins de profit que d’honneur. Cette idée de l’honneur plus enviable que l’argent, est bien dans une tradition classique française.

Donc cet honneur ne cesse d’être brigué.

La courbe des candidatures au privilège de souligner le titre d’un ouvrage avec la mention « Couronné par l’Académie française » est ascendante. Cette petite fièvre pour l’obtention d’un laurier nécessite des soins académiques redoublés, des examens plus délicats, des décisions plus motivées.

Par la Commission des Prix un rapporteur est nommé pour chaque volume déposé à notre Secrétariat et, autant que possible, confié, selon son caractère, son genre, à un spécialiste.

Le rapport est soumis à la Commission qui en discute avec conscience et, en dernier ressort, à la délibération d’une séance plénière de l’Académie.

Ainsi les préférences individuelles sont loin de pouvoir jouer arbitrairement. D’ailleurs, point de parti-pris dans les jugements. Toute intrigue serait mal venue, inutile et peut-être nuisible. Notre effort est constant vers la justice.

Mais que l’on se représente ce que cela exige de lectures, d’exercice du sens critique et de scrupules. C’est un millier de volumes dont il faut prendre connaissance. Naturellement, le Secrétaire perpétuel n’échappe pas à la tâche de rapporteur en attendant qu’il soit obligé, pour la rédaction du présent discours, d’ouvrir tous les livres distingués, de n’en rien ignorer.

Même lorsqu’il nous est possible de fractionner certains Prix — car la plupart sont indivisibles — le nombre des récompenses est largement dépassé par celui des concurrents. C’est alors qu’il s’agit de soupeser des droits et des qualités et qu’interviennent des tourments de conscience au sujet des évictions nécessaires. Il nous reste l’espoir de « repêcher » les évincés dans un proche avenir avec un nouveau travail.

Notre loi est triple : 1° encourager les jeunes auteurs — et un des agréments de la charge est de découvrir des dons verbaux où de pensée qui s’affirment dans un premier livre ; 2° attirer l’attention du public sur l’ensemble d’une œuvre qui n’a pas encore été assez remarquée ; 3° ajouter au renom d’un talent hautement reconnu.

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Notre Grand Prix de Littérature correspond en général à ce dessein de rendre hommage à un écrivain réputé. Et il le confirme en étant attribué, cette année, à M. Marcel Arland.

Son œuvre est considérable.

Elle se distingue d’abord par un double aspect œuvre de critique et œuvre de romancier. Mais intelligence et sensibilité s’entrepénètrent au cours d’un développement parallèle. Chez lui, dans les plus rigoureux raisonnements, tressaillent des inductions de poète ; et tous ses récits ou contes sont riches d’observations positives ; ses yeux sont bien ouverts sur le réel et le vrai. Sa curiosité des âmes sait apercevoir le drame où tant d’existences se débattent entre la révolte et la résignation et aussi entre les exigences tumultueuses et un consentement au calme, à l’ordre. C’est de ce dernier mot significatif qu’il intitula le grand roman qui lui valut le Prix Goncourt en 1929, ces trois volumes que traverse une inquiétude un peu âpre, mais non cette angoisse morose qui confine au désespoir et au pessimisme destructeur. Il s’en élève l’affirmation que la vie vaut d’être vécue si l’on arrive en son for intérieur à cet équilibre qu’offrent l’exercice du dévouement et la foi aux bienfaits des forces d’amour.

Vint ensuite un assez bref roman Antarès, l’illustration d’un amour avide d’inaltérable perfection qui se détruit brutalement lui-même pour ne pas être détruit par son déclin. Il s’était illuminé au scintillement d’une étoile que les amants crurent Antarès... Mais qu’importe le nom de la lumière !

M. Marcel Arland goûte particulièrement la forme de la nouvelle. Ce sont des historiettes écrites avec l’accent inimitable d’un témoin véridique, plein de mémoire et qui relate avec une émotion contenue des choses vues naguère, entendues jadis. Bouquets de souvenirs liés, sans perdre parfum et couleur, dans ces recueils : Les Vivants, Les Âmes en peine, Les plus beaux de nos jours, etc. Une variété d’épisodes et d’acteurs justifie un titre comme : Il faut de tout pour faire un monde, petit monde villageois où les passions et les misères se mêlent dans un pathétique évoqué en tonalités justes. Le conteur lance le jet de lumière sur les personnages pour les éclairer tout entiers au moment décisif.

Des impressions de jeunesse sont ramassées sous le titre Terre natale, où se discerne cette sourde exaltation de l’adolescence qui annonce l’homme aux fructueuses méditations et les enthousiasmes à demi voilés dont les pages de l’écrivain frémiront pudiquement.

De tous les livres où M. Marcel Arland évoque les paysages de la région où il est né — aux confins de la Champagne et de la Lorraine — montent la fraîcheur des bois et des champs, les rumeurs de la colline et de la plaine. Il entre en communion avec tous les charmes de la nature, s’enchante à tous les spectacles des saisons, plonge, tout attendri, clans le mystère des brumes et de la nuit, s’éblouit aux féeries du ciel.

La Consolation du Voyageur est son livre récent, où règne de même la joie de la contemplation et de ce qu’en retire un esprit déductif. M. Marcel Arland est comme entraîné, subjugué par le chant d’un oiseau magique, celui dont Châteaubriand se crut un jour accompagné en cheminant. Mais ce chant, soutien du voyageur, n’est-il pas le chant intérieur du poète, ces harmonies qui sont en lui, qui bruissent avec les battements d’ailes, les palpitations du rêve ? M. Marcel Arland s’est demandé si les 350 pages de ce livre connaîtraient « la fortune d’un roman », car elles ne relèvent d’aucun genre établi. Oui, elles sont essai, contes, mais surtout confidences d’un homme qui sait se pencher sur les cœurs.

Mais il sait aussi se pencher sur les ouvrages de l’esprit. Il le prouve savamment avec ses Lettres de France, son Pascal, où ce qu’il y a dans son propre tempérament de « jansénisme », comme l’a indiqué notre confrère Émile Henriot, lui permet de communiquer étroitement avec les austérités et la ferveur du monde de Port-Royal, d’écouter, comme en initié, les orgues passionnées de l’éloquence pascalienne.

Mais cela ne l’empêche pas d’aller de la gravité de Pascal au sourire, à l’élégance, si spécifiquement XVIIIe siècle, de Marivaux.

Ce goût pour tout ce qui contribue au prestige de la littérature de notre France l’a incité à écrire une anthologie de la Poésie française et une autre de la Prose, dont le premier volume est seul publié. Il prend la prose au XIIe siècle, cette prose romane à une époque où la France est « en occident le plus haut foyer de culture ». Et le pèlerinage continue à travers cinq siècles, pour s’arrêter à Saint-Simon. Si cette anthologie est précieuse par le choix des morceaux cités — ce qui implique une lecture énorme et un souci constant de discrimination judicieuse — elle ne l’est pas moins par les arguments liminaires qui situent chaque auteur dans son temps, son climat et dans ce qui fait son originalité. Et cela avec un ton général persuasif, des nuances qui précisent les raisons de l’estime et comme des inflexions de voix prudentes pour mieux convaincre et pour se prouver à soi-même qu’on n’affirme pas en partisan péremptoire, mais avec la circonspection d’un chercheur de vérité. Cette Prose française fut, dans l’idée première de M. Marcel Arland, une déclaration de combat ou plutôt une protestation en faveur d’une « continuité française », afin d’aider à la victoire du prestige de notre pays un instant menacé par la défaite et quatre années d’arrogante occupation étrangère. De la prose française il a fait l’héroïne « chérie » de ce livre qu’il dit être, d’un mot dont la résonnance aura ici un chaud accueil : « une histoire d’amour ».

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Le Prix du Roman a été décerné à M. Henry Castillou pour Le Feu de l’Etna. Ce jeune romancier de trente ans s’est déjà signalé par quatre histoires romanesques d’un intérêt soutenu qui sont à la louange de son imagination et qui ont, en certaines pages, le sérieux attrait d’un livre d’histoire.

Si inattendues que soient les péripéties, si teintés de romantisme que soient les caractères, ils ne méritent jamais le reproche d’invraisemblance. M. Henry Castillou ne sacrifie pas aux effets vulgaires du gros drame.

Son Sicilien du Feu de l’Etna fugitif, pour avoir tué par imprudente indignation, pouvait aisément cousiner avec certains hors la loi de 1830. Au contraire, il reste naturel, sans aucune ressemblance avec les sympathiques brigands à panache de jadis. Il a quelque chose d’un héros de nos maquis, car M. Castillou, dans quelque lieu du globe terrestre qu’évoluent ses personnages. — Asie, Amérique du Sud, etc. les fait appartenir au monde moderne. Il y a dans sa prose une maturité, une désinvolture presque « mériméenne » que nous avons la surprise charmante de voir alliées à un élan juvénile.

Cela constitue mieux que des promesses et le meilleur éloge qu’on puisse faire du Feu de l’Etna est qu’on a envie de lire les romans qui viendront après celui-ci.

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Nous pouvons couper en quatre le legs Le Métais Larivière. Nous disposons ainsi de plusieurs Prix sous le nom de « Grands Prix d’Académie ».

M. Paul Fort n’aurait pas eu besoin de son titre de Prince des Poètes pour attirer à lui un de ces Grands Prix. Il y avait droit par l’ampleur, par la qualité verbale de son œuvre, par la noblesse et la variété de son inspiration. Il a, ce qui est rare, un lyrisme épique. Sa lyre vibre comme sous l’impulsion d’un trouvère qui va chantant par monts et plaines, dont la voix porte de clocher en clocher quelque bonne nouvelle d’héroïsme et de gloire.

Voilà ce que disent, avec des trouvailles de rythmes et d’assonances, les quinze volumes de ses Ballades françaises, composées loin du tumulte par un rêveur oublieux des sanctions et des récompenses tapageuses.

À dix-sept ans, à force d’avoir erré sous les ombrages du Luxembourg, Il a de l’existence une conception d’où est bannie la discipline des bancs de l’école. Et il se donne la tâche de lutter par le théâtre, par des récitations, contre le Naturalisme, de se vouer à l’Idéalisme et au Symbolisme. Il met debout le Théâtre d’Art, dont les programmes portent les noms de Rimbaud, Rachilde, Maeterlinck, etc. et qui fut continué par le Théâtre de l’œuvre. Plus tard, il fonde la revue Vers et Prose qui réunit une cohorte dont plusieurs fidèles sont devenus célèbres... et académiciens. Il revint au théâtre comme auteur de grandes fresques dramatiques. Il les a traitées avec une force et un pittoresque saisissants dans un cadre rigoureusement historique, par de sobres moyens et par un tragique de haut style, comme dans son Louis XI : curieux homme.

Sa poésie, où musique, fantaisie, verve s’unissent dans un riche vocabulaire qui évoque les grands moments de notre passé et, savoureusement, nos provinces, fait de ce Prince des Poètes un Poète vraiment national.

 

M. Pierre Grosclaude, autre bénéficiaire d’un des Grands Prix d’Académie, est un Normalien, agrégé de l’Université, docteur ès-lettres, qui n’a pas seulement l’éloquence de la chaire professorale, mais de celle qui sert, où que ce soit, loin de tout dogmatisme, la cause des Lettres, et, en particulier, celle de la Poésie, à laquelle il s’est voué, des années durant, en étant l’ingénieux, actif et dévoué Président de la Société des Poètes français.

Il a édité quatre ou cinq volumes de vers d’un lyrisme large, de forme classique, où on le sent l’ennemi de l’à peu près et de la facilité. Aux inquiétudes de l’enfance succèdent celles de la jeunesse prompte à répondre aux appels de la vie. Puis, après les émois individuels, viennent des préoccupations d’ordre général. La condition humaine lui est un thème qui, sans l’obséder, hante sa conscience parfois jusqu’à l’angoisse, mais sa plainte ne va pourtant pas de la mélancolie jusqu’au désespoir.

Prosateur, M. Pierre Grosclaude est surtout un critique, un historien littéraire. Spécialiste du XVIIIe siècle, il s’est attaché à Jean-Jacques Rousseau en présentant par des études magistrales les Confessions et Les Rêveries d’un Promeneur solitaire. Dans un essai sur l’amitié de Marceline Desbordes-Valmore et de Sainte-Beuve, il éclaire un côté cœur, bon cœur, de celui-ci, des fleurettes assez imprévues que ne flétrit aucun poison. Mais, capital, est son tout récent livre sur l’Encyclopédie. Il n’a rien négligé pour nous informer de ce que fut, comme il dit : « un audacieux message ». Recourant aux Archives, dépouillant les correspondances, il ne semble jamais manier un lourd appareil d’érudition bien que l’on sente la solidité de ses enquêtes et des appuis historiques qui autorisent ses fortes conclusions.

 

Un autre des quatre Grands Prix d’Académie est dévolu à M. Auguste Dupouy, aussi Normalien et agrégé... Si on lui demandait ce qu’il est, il répondrait : « Je suis humaniste et Breton ». Brève définition, qui contient beaucoup de choses diverses, comme en est composé le bagage littéraire de M. Auguste Dupouy. En effet, il est critique, romancier, historien, poète, journaliste. Il avoue qu’il lui eût été difficile de se cantonner dans un genre, ayant du goût pour tous — ajoutons parce qu’il est pourvu de larges aptitudes — il est de ces humanistes qui regardent tous les horizons, mais qui, à certaines heures, ont besoin de se révéler à eux-mêmes ce qu’ils ont de plus intérieur. Ainsi sont nés ses poèmes.

Quant au critique, il est porté à la bienveillance, estimant que l’analyse sympathique va plus loin que les coups de griffes venimeux. On le sent dégagé des préventions, des concessions aux modes. Le culte de la vérité « même quand elle n’est pas belle », a-t-il pu dire, lui paraît la meilleure hygiène intellectuelle. Il est l’historien de la Bretagne sur laquelle il a écrit une dizaine de volumes, qui sont des circuits sur cette terre riche en beautés et en légendes, mais qui sont aussi une géographie humaine. Il y a visé l’impartialité, en traitant cette chère province avec piété, certes, mais avec une piété virile.

Le roman historique devait le tenter. Il a entrepris de ressusciter, à l’aide de personnages et d’épisodes qui ne sont pas tous inventés, certaines périodes de l’Histoire de France, depuis la Gaule. C’est avec ses scrupules qu’il aborda aussi Rome et les Lettres latines, Horace, et, pour des éditions surveillées, Fénelon, Châteaubriand, Saint-Simon, Stendhal... L’humaniste devait être attiré par Sophocle, et, grâce à lui, l’Odéon a donné une version française des Trachiniennes.

Toute cette œuvre est pénétrée par la religion de la forme et elle est vibrante d’émotion discrète.

 

Grand Prix d’Académie encore, M. Lucien Fabre — dont nous avons à déplorer la récente mort subite. Sa vie s’est déroulée sur deux plans : le plan scientifique et le plan littéraire. Ancien élève de l’École Centrale, ingénieur des Arts et Manufactures, il a bénévolement livré à l’État certaines de ses inventions qui sont appliquées dans les services publics. En 1915, jeune officier, il a reçu la Croix de la Légion d’honneur pour faits de guerre. Ne croyant pas que l’algèbre et la physique soient hostiles à la poésie, il a servi son culte avec deux livres de vers. Il se prouvait que les règles de la versification, les lois de l’eurythmie ont de mystérieuses concordances avec les lois de la géométrie et les démarches de la raison. Ayant rencontré, en Rhénanie, les travaux d’Einstein, il les expliqua en un volume, le premier qui ait paru en France sur les théories de la Relativité.

Il aborda ensuite le roman. Ce fut Rabevel qui eut la fortune d’un Prix Goncourt bien applaudi. Histoire balzacienne au héros assez redoutable dont la physionomie est fixée avec vigueur et couleurs fortes.

Une philosophie du Rire et des Rieurs, très différente de l’analyse du Rire, par Bergson, précéda des ouvrages dramatiques dont plusieurs virent les planches, tel Dieu est innocent. Après une Vie de Jeanne d’Arc, voici cette année une Vie de Saint-Augustin. M. Lucien Fabre a présenté ce Père de l’Église dans sa réalité, levant le masque que certains historiens posaient sur quelques côtés de cette existence tumultueuse. Il n’est donc pas hagiographe, mais psychologue avec les habitudes des méthodes et de la droiture de la science, qui ne permettent pas aux biographes d’esquiver les difficultés, exigent qu’il les surmonte s’il veut dénuder dans sa totale vérité humaine une grande figure du passé.

M. Lucien Fabre reprend volontiers à son compte le mot de Terence : il ne veut être étranger à rien de ce qui est humain. Toutes les expressions du cœur et du cerveau, de la pensée et des passions instinctives l’attirent, lui semblent équivalentes et, en se faisant des emprunts réciproques, elles se rejoignent, pense-t-il, dans l’idéalisme de la Poésie.

 

Une histoire de la Diplomatie française de Mirabeau à Bonaparte par M. Pierre Rain, méritait hautement notre Grand Prix Gobert.

M. Pierre Rain occupe, à l’Institut d’Études politiques, la chaire qu’illustra Albert Sorel, dont il fut l’élève.

Si, dans son ouvrage, il lui reste fidèle, il se montre disciple indépendant. Ayant mis au jour une masse de documents, il a modifié, complété certaines vues de son maître sur cette période de l’Histoire de France. En 256 pages, il a condensé des événements et tiré des conclusions qui jettent un jour parfois nouveau sur ceux-ci.

Après avoir proclamé, en 1790, qu’elle ne ferait pas une guerre de conquêtes, la France fut entraînée à faire la guerre des Peuples contre les Rois coalisés. L’Europe mise en goût de dépècement par celui de la Pologne, espérait se partager la France pantelante. Mais les Armées de la Révolution lui barrèrent la route sur le Rhin, aux Alpes, aux Pyrénées, favorisant ainsi le dogme des « Frontières naturelles » qui, selon Albert Sorel — mais ce n’est pas l’avis de M. Pierre Rain — devait conduire l’Empereur à Moscou et amener ce qui s’en suivit.

Après avoir exposé ce que fut la diplomatie de Danton, il nous fait assister aux négociations franco-anglaises de Lille, puis aux conversations de Leoben, d’Udine avec les plénipotentiaires autrichiens, qui aboutirent au traité de Campo-Formio, premier éclatant succès diplomatique de Bonaparte. « Traité plus glorieux, dit M. Pierre Rain, qu’aucun de ceux signés par la France depuis le Traité de Nimègue ». L’ouvrage de M. Pierre Rain, plein d’aperçus nouveaux, est riche d’intérêt et de science historique.

 

Le second Prix Gobert est remis à M. Jean Duhamel pour une histoire de Louis-Philippe et de la Première Entente cordiale. Son exposé simple, clair, s’appuie sur de nombreux inédits, tirés, presque tous, des archives du château de Windsor. Il a pu consulter, par autorisation du Roi Georges VI des extraits du Journal de la Reine Victoria, commencé le 1er août 1832 et arrêté quelques jours avant sa mort, mine inexploitée jusqu’ici.

 

Pour le Prix Thérouanne, notre lauréat est M. Maurice Andrieux, dont sa vie du Maréchal Bugeaud, du « Père Bugeaud » ne fait double emploi avec aucun des ouvrages que la vie et l’œuvre de ce grand Français ont inspiré. M. Maurice Andrieux a vraiment réussi, comme il se le proposait, à faire connaître dans son vrai cadre, cet illustre duc d’Isly qui a rendu dans les domaines civils et militaires les plus étendus des services éminents et a laissé des enseignements encore aujourd’hui profitables. Il est ici présenté dans l’ambiance des événements, des mœurs, des opinions de son époque. Homme de juste milieu, il ne vit jamais que l’intérêt supérieur du Pays, sans souci d’être attaqué, au Parlement, dont il fut membre, ou ailleurs, par les ultras des deux bords, qu’il appelait : « les excessifs ». Cette excellente biographie est une page d’histoire.

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Selon les termes de la Fondation Général Muteau, ses prix doivent être attribués à des personnes qui « par leurs écrits ou leurs actes » ont contribué à la gloire de la France.

Dans cette catégorie, nul n’était plus digne de figurer que le colonel Jacques Weygand, fils de l’ancien généralissime des Armées françaises.

Tout jeune, il a cédé à l’attrait de la vie militaire la plus active. Après sa sortie, un des premiers, de Saint-Cyr, il choisit, pour faire tout de suite campagne, le IerÉtranger de cavalerie. Après onze années d’opérations qui le conduisirent de la Mésopotamie au Sud-Tunisien et dans le Haut-Atlas, nommé capitaine, officier de goum, titulaire de 7 ou 8 citations, officier de la Légion d’honneur, il prend part en France, dans les premières lignes, aux combats de 1939-40. Prisonnier deux fois, il s’évade deux fois pour reprendre contact avec l’ennemi.

À présent, il débute dans la Littérature en faisant revivre les hauts faits de la Légion, des légionnaires qu’il commanda : Il nous la fait voir, cette Légion qui rassemble des hommes venus des quatre coins du monde, dont l’union est cimentée par un commun amour des armes, des belles aventures civilisatrices, par la fierté légitime d’être à « la hauteur d’impossibles tâches », selon la belle parole de M. Jacques Weygand. On les voit, ces légionnaires envoûtés par l’Afrique mystérieuse, aux multiples embûches. Ardents à la bataille, ils sont, d’autre part, constructeurs de murailles, de bastions, de routes, perceurs de tunnels, souvent avec de pauvres moyens de fortune, mais soulevés par une sorte de foi mystique, se pliant aux rudes exigences d’un métier considéré tel un sacerdoce.

Ce Mémorial dédié à la Légion est écrit comme avec une plume d’acier bien trempé qui laisse à la vérité ses arêtes vives, ses lignes nettes, ainsi que doit être celle d’un corps d’élite imbu de ce commandement : « Honneur et Fidélité ».

 

La seconde tranche du prix Muteau honore, après le soldat le civil qui a aussi bien mérité de la Patrie.

M. René Le Gentil, en 1940, sous-préfet de Dunkerque bombardée, incendiée, puis occupée — et l’on sait ce qu’entraîne ce mot — se déroba à l’offre d’une place sans danger de Chef de cabinet d’un Ministre et il déclara qu’il resterait à son poste pour protéger une population affolée, au moins jusqu’à l’arrivée de son successeur — ce qui se produisit un an après. Il fut donc de ceux qui subirent les pilonnages allemands et, l’ennemi entré dans la ville, les rafales de fer et de feu de la R.A.F. sur le port et les agglomérations urbaines, ce qui fit comprendre à l’envahisseur l’inutilité d’une tentative de traversée de la Manche. Dans son livre : La Tragédie de Dunkerque, M. René Le Gentil relate cette sombre histoire de mai-juin 1940 « sans haine comme sans crainte », dit-il, mais il est bien difficile en lisant ce témoignage, si sobre dans l’expression, de garder le sang-froid qui ne quitte pas le narrateur.

Nommé Commandeur de la Légion d’honneur, puis Préfet dans les Hautes-Pyrénées, il protège et sauve un certain nombre d’Israélites et d’internés dans les camps de concentration. Mis à la retraite d’office, en 1943, sur l’ordre des occupants, il est condamné à mort... Avant 1914, il était le Secrétaire général de la revue La Plume, organe d’une cohorte de jeunes artistes et écrivains, chasseurs de formules neuves, et il a une carrière de journaliste, d’auteur dramatique, de conférencier, de littérateur qui s’est trop modestement tenu à l’écart des compétitions académiques. Nous sommes heureux de mettre en valeur son livre d’histoire vécue et son civisme héroïque.

 

Un prix Thiers a été retenu pour M. Jean Descola, dont l’Histoire de l’Espagne chrétienne est des plus recommandables comme voyage dans la Péninsule avec un guide qui emploie toutes les ressources d’une sûre documentation pour nous mettre avec impartialité au fait du génie espagnol en plongeant aussi loin que possible dans le passé. C’est le premier livre d’un jeune historien et cela le classe déjà. Il semble avoir une vocation d’hispanisant, car il se prépare à nous faire mieux connaître les exploits des Conquistadors.

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Nous avons, cette année, donné le Prix Louis Barthou à un historien, M. Pierre Gaxotte qui, de bonne heure, s’est révélé, par ses livres très personnels, assis sur la documentation la plus consciencieuse, et s’est mis hors de pair cette année avec son Histoire des Français.

L’esprit qui l’a guidé est que, certes, les gouvernants, les chefs jouent un rôle considérable dans l’Histoire, mais que la France a une dette importante envers les couches profondes. Sa formation, son évolution, ses agrandissements, son expansion ne seraient pas ce qu’ils sont, ou même ne seraient pas, sans la coopération des élites et des masses. M. Pierre Gaxotte, pour donner à sa thèse tout son pouvoir, a mené ses investigations des temps préhistoriques à la crise qui a suivi la libération de 1944. Cette vaste enquête suppose des lectures considérables, des recherches ardues pour toujours tenir compte de l’impulsion des dirigeants et de celle du peuple. Il ne s’agit pas de descendre les grands hommes de leur piédestal, mais de voir qu’ils ont réussi un accord avec la Nation. On ne saurait trop féliciter M. Gaxotte de ses explorations difficiles qui nous instruisent aussi du mouvement intellectuel, moral, social, spirituel pendant vingt siècles.

 

Nous couronnons par le Prix Max Barthou La Ville dort de M. Bruno Gay-Lussac qui est une admirable évocation de Paris pendant l’occupation. Les personnages se forment peu à peu dans l’atmosphère étouffante. Nous retrouvons tout : le retour du prisonnier évadé, la Juive traquée, la police aux aguets, ce monde étrange où l’on avait faim et froid et où chacun se sentait si près de sa propre mort. M. Gay-Lussac, avec cette Ville dort, apporte un témoignage que l’avenir retiendra.

 

Pour l’ensemble de son œuvre, Mme Camille Mayran reçoit le Prix Alice Barthou. Licenciée de philosophie, elle a fait ses études de médecine. Elle débuta dans la vie littéraire par un roman Gotton Connixloo que suivit L’Épreuve du Fils, débat de conscience d’un jeune prêtre au sujet de ses rapports avec sa mère dégradée. Ayant épousé Pierre Hepp, directeur du journal L’Alsace, Mme Camille Mayran subit à Strasbourg la fascination de la cathédrale dont elle explique, dans un essai, le symbolisme et en quoi réside sa valeur esthétique. Elle a aussi rendu la poésie qui s’attache à l’histoire, au paysage d’une vieille cité provinciale comme Beauvais. Par une traduction elle a introduit chez nous le romancier anglais Galsworthy et elle vient de retracer la plus affreuse tragédie de la dernière guerre, crime inexpiable, sous le titre : Larmes et Lumière d’Oradour. Ses romans Hiver et la Dame en noir ont reçu les approbations les plus flatteuses et ils se distinguent, comme tous ses écrits, par une sensibilité intolérante à la médiocrité, par l’amour de la nature, l’intense ferveur d’un idéal exigeant, associé à un sens aigu de la réalité, et un style qui a la qualité de ses préoccupations spirituelles.

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M. Raymond Escholier est un des quatre titulaires du Prix Dupau.

Ce romancier est d’origine ariégeoise. On lui doit des livres de terroir dont Cantegril, Dansons la Trompeuse, très lus, exhalant, avec les parfums de la Gascogne ensoleillée, une jovialité un peu piquante, parfois railleuse, mais de franche bonne humeur méridionale, qui s’exprime avec brio.

Combattant de 14-18 puis, en 1940, résistant traqué par la Gestapo, M. Raymond Escholier était qualifié pour réunir ses souvenirs en récits sur ces deux guerres. De nombreux ouvrages d’art le désignaient comme compétent conservateur de musée. Des demeures de Victor-Hugo, place des Vosges, et à Guernesey, il est passé au Petit Palais où il organisa, en 1935, l’inoubliable exposition d’art italien. Son séjour entre les murs où Victor Hugo a vécu, aimé et travaillé, l’a rapproché de lui chaque jour davantage. Et, le connaissant de mieux en mieux, et mieux que tant d’autres, il a pu lui consacrer plusieurs livres qui font date. Ces temps-ci, il a publié Victor Hugo cet inconnu où il projette une perçante lumière sur ce qui restait mystérieux dans la vie du poète illustre. C’est un apport des plus précieux aux bibliothèques hugophiles, une suite de chapitres passionnants qua nous introduisent non seulement parmi les épisodes heureux ou douloureux du train-train familier, mais dans l’âme même de celui qui disait : « Ce sera ma loi d’avoir vécu célèbre et ignoré ». Après un livre aussi révélateur et inspiré par l’esprit de justice, que pourrait-il rester à connaître de ce destin hors pair

M. Raymond Escholier, retiré souvent dans les Pyrénées, n’y vit certainement pas comme un ours, mais il y poursuit ce malin plantigrade dont on croyait la race éteinte dans nos montagnes et qui offre encore l’attrait poétique de la découverte sur les pentes neigeuses.

 

Nous avons aussi destiné un de nos Prix Dupau à M. Jean Nesmy, Conservateur des Eaux et Forêts, qui a trop discrètement vécu à l’ombre de ses bois. Car, s’il jouit auprès d’une critique informée d’une notoriété du meilleur aloi, il n’a pas obtenu jusqu’ici la vaste audience que méritent la probité de son effort, la pureté de son style, son art de conteur.

Dès son premier roman : Ivraie, il était désigné par Émile Faguet comme une recrue de choix pour les Lettres. Avec ses Contes limousins, nous retiendrons particulièrement aujourd’hui ses cinq maîtres livres qu’en observateur, en poète, il a dédiés à la Forêt. Comme dans ses autres ouvrages, Au cœur secret des Bois, le plus récent, s’affirment sa connaissance des halliers, futaies, clairières, du glissement des bêtes apeurées, des querelles du vent et de la pluie, des odeurs humides des mousses ou capiteuses des écorces chaudes, des spectacles, décors, enchantements que prodigue la société végétale où se murmurent tant de confidences sur les secrets de la vie. Maintes pages de ces grandes évocations de nature sont dignes de se survivre parmi des « morceaux choisis ».

 

Une autre part de notre Prix Dupau témoigne de notre estime pour M. Léon Bocquet. En 1900, il a provoqué une vraie renaissance dans le Nord, par la création, à Lille, de sa revue Le Beffroi qui sonnait clair et fort afin d’éveiller l’intérêt du public sur les mouvements intellectuels et artistiques du pays. En 1905, son tocsin rallia les opposants à une certaine réforme de l’orthographe, à ce que M. Léon Bocquet appelait sans ambages « une entreprise de démolition de la littérature française ». Depuis ce temps, il n’a jamais ralenti une activité qui diffusait les meilleures œuvres de nos meilleurs auteurs. Il a ainsi mis en lumière Louis Pergaud, Léon Deubel, René Maran, encore d’autres, et il a servi la gloire d’Albert Samain par deux livres qui font autorité. Mais ce révélateur et ce mainteneur est connu aussi comme poète avec ses Évocations de Flandres, Cygnes noirs, Branches lourdes, et comme prosateur avec d’âpres romans paysans : Le Fardeau des Jours, Heurtebise, avec ces récits épiques : L’Agonie de Dixmude et enfin comme critique avec sa Littérature française de Belgique. Laissant par moment son inspiration personnelle, il prit à tâche de mettre à notre portée par d’excellentes traductions des œuvres anglo-saxonnes, poèmes de Keats, contes de Stevenson et ce Bari-Chien de Curwood devenu familier chez nous. M. Léon Bocquet, ce grand laborieux, est un grand serviteur des lettres françaises par ses écrits et par sa propagande féconde.

 

Autre Prix Dupau. M. Jean Tild qui s’était d’abord fait remarquer comme dessinateur, ce qui l’a conduit à la critique d’art. Collaborateur de maintes revues où ses « Salons » alternaient avec des études sur des peintres et des sculpteurs contemporains, il s’attacha, en regardant en arrière, à Goya dont sa monographie connut un incontestable succès. Mais les nécessités de la vie entraînèrent M. Jean Tild vers le journalisme d’information et il se signala au journal Le Temps par des enquêtes politiques. Dans une biographie de l’Abbé Grégoire, il a tracé, en un volume, le rôle actif, aux États Généraux de 89 et à la Convention, de ce généreux prêtre constitutionnel dont les funérailles provoquèrent de vifs incidents, en 1831. Ainsi entraîné jusqu’à l’époque orageuse du romantisme, M. Jean Tild s’est épris des poètes chevelus, enthousiastes, combatifs et il nous introduit chez Théophile Gautier et ses amis. Voici ces derniers près de leur entraîneur au gilet rouge du soir d’Hernani, dans les traits de leurs physionomies attirantes, truculents, passionnés pour les Lettres et les Arts. Voici le bon Théo à travers ses luttes véhémentes toujours difficiles, son surmenage de feuilletoniste, dans la joaillerie de ses poèmes plastiques, dans sa prose d’émail, aussi, qui ne connut jamais la moindre faute de syntaxe, dans les joies, les tracas de famille, entouré de ses fidèles, toujours aimant, toujours aimé. Et pour ce Théo « qui écrivit tant et si bien », selon le mot d’Anatole France, notre sympathie grandit encore après la lecture du livre de M. Jean Tild.

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Le Prix Georges Grente, généreusement fondé par Mgr. Grente, archevêque-évêque du Mans, et récemment élevé à la dignité de Cardinal, est allé à Mgr. François Trochu, docteur ès-lettres, qui s’est spécialisé dans l’hagiographie. Il a écrit la vie d’une vingtaine de saints personnages du XIXe siècle pour la plupart. Ce qui le distingue en la matière c’est qu’il a suivi les exigences de la plus stricte méthode historique. Sa thèse consacrée au Curé d’Ars a été traduite en treize langues, a pénétré en Chine, au Japon. Avec des documents inédits, il a renouvelé l’histoire de Saint-François de Sales. Clarté, simplicité, sens critique, grande loyauté, émotion si tel épisode y porte, Mgr. Trochu préfère à des commentaires la citation des faits, mais de telle sorte qu’ils présentent ce qu’on oserait appeler des portraits d’âme, des paysages de vie intérieure. Telles sont les caractéristiques de ses dons d’écrivain.

 

Nos suffrages, pour le Prix Broquette-Gonin, se sont portés sur l’Histoire du Maroc de M. Henri Terrasse, longue histoire berbère-musulmane.

Combien d’années a-t-il fallu pour mettre debout pareil monument de 900 pages, d’une science qui atteste de patientes prospections à travers tant d’obscurs domaines de ce passé marocain, secoué par des forces ennemies, dans une confusion de tendances rivales, de haines plus ou moins fratricides. C’est de ce long et double passé minutieusement exploré que M. Henri Terrasse tire des conclusions pour les comportements français dans ce Maroc qui évolue rapidement sous la pression de la vie moderne. Il nous exhorte à l’aider avec une amicale et clairvoyance attention. Problèmes ethniques, économiques, religieux, que de difficultés à résoudre, de transformations à conseiller ! L’enseignement qui ressort des deux épais volumes de M. Henri Terrasse est précieux pour les Français qui cherchent les meilleures voies afin d’arriver à l’équilibre qui assurera la prospérité du Maroc dans la paix.

 

Par le Prix Lange, nous félicitons M. Tran Van Tung de nous initier à ce que sont au Vietnam les forces spirituelles la morale, la littérature, l’art, la poésie si riche, « chaude de larmes, de souvenirs, de tendresse et d’amour ». Des idées sont développées dans un impeccable et élégant français. Il y a en M. Tran Van Tung un logicien et un enthousiaste plein d’élan qui rêve, dans son patriotisme élevé, de progrès et, comme il dit, « d’ascension ».

 

La Fédération des Société Historiques et Archéologiques de Paris et de l’Ile de France, reconstituée en 1949 sous la présidence de M. André Lesort, Archiviste en chef honoraire de la Seine, s’est assigné pour tâche essentielle d’aider les érudits parisiens à publier leurs travaux. Un premier recueil vient de voir le jour, recueil de Méritoires dus aux plumes les plus autorisées, première pierre d’une construction, toute en matériaux de qualité, à la gloire de Paris. Un effort important est accompli déjà. Nous devons le souligner. Il a droit à notre entière approbation dont le Prix quinquennal Jean-Jacques Berger est le témoignage.

 

Bien que l’Académie soit tenue à ne couronner que des auteurs vivants, je veux signaler les Lettres d’Indochine de Guy de Chaumont-Quitry, jeune combattant mort là-bas, en 1948. Elles ne valent pas seulement par ce qu’elles laissent deviner d’intrépide courage, mais par une clairvoyance du problème indochinois où le cœur parle aussi haut que l’esprit, lequel veut comprendre plutôt que haïr.

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Notre Prix Durchon a rendu hommage, dès juin, à M. Georges Poulet qui vient de recevoir, en novembre, une nouvelle marque d’estime, avec le Prix de la Critique, pour ses ouvrages de philosophie : Le Temps humain et La Distance intérieure.

On ne résume pas en quelques lignes des livres qui traitent de questions comme celle du « temps », sur laquelle s’exerce volontiers la dialectique assez algébrique et imprégnée de science de nos métaphysiciens. Le « temps humain », serait relatif à notre champ de vision interne qui lui permettrait, selon son amplitude, d’étendre ou de restreindre cette « distance intérieure » dont parle M. Georges Poulet. Il nous propose maints sujets de discussion, par exemple sur la création littéraire examinée en fonction de cette « distance intérieure ». Et il nous incline à conclure que pour le « temps », comme pour le reste, nous sommes le jouet de nos facultés de sentir, et que l’idée que nous nous faisons du « temps » est affaire individuelle.

 

La seconde coupure du Prix Durchon est le lot de M. Georges Mongredien pour l’ensemble de ses travaux historiques, plus de 30 volumes. Son domaine préféré, le XVIIe siècle, il le parcourt en chercheur scrupuleux et avisé. Certaines énigmes l’attirent, qui n’ont pas lassé l’intérêt du public et qui ne sont pas résolues malgré ce qu’ont essayé bien des scrutateurs du passé. M. Mongredien vient de s’attaquer au point d’interrogation du Masque de Fer. Il a tout lu, tout compulsé des diverses suggestions, depuis que la légende a été lancée par Voltaire, reprise romanesquement par Alexandre Dumas père et d’autres moins hasardeux. Aucune hypothèse ne lui a échappé ; il les discute toutes, en historien voué à la précision et à la prudence, pour identifier le prisonnier masqué de Pignerol et de la Bastille.

 

M. et Mme Djivré reçoivent le Prix Kornmann. Depuis vingt-deux ans, ils dirigent, à Fez, un groupe scolaire qui s’est progressivement, développé et compte actuellement 2.000 élèves. Après un enseignement primaire, ils peuvent suivre des cours complémentaires, apprendre un métier. Chaque jour 560 repas sont servis à des enfants nécessiteux. Le dévouement, le désintéressement, l’excellence des méthodes de ces éducateurs, les résultats obtenus ont été hautement loués par la Direction de l’Enseignement. Ils ont refusé un poste important, préférant continuer leur apostolat où ils rendent d’inappréciables services pour la propagation, au Maroc, de la langue française et ils servent la cause de notre pays auprès des populations israélites et musulmanes.

 

Le Prix Thorlet félicite à la fois Mme Vérine pour des écrits de haute pédagogie et pour la fondation de l’École des Parents et des Éducateurs. Cette école a pour but d’aider les personnes qui ont charge d’enfants dans les difficultés éducatives qu’elles rencontrent et, pour cela met à leur portée les observations scientifiques les plus récentes. Cette création de Mme Vérine elle en pose et définit les principes dans une série d’ouvrages aux titres significatifs : La Mère initiatrice, L’Art d’aimer les enfants, Délivrez-nous du Mal, etc. Elle ne recule devant aucun problème et apporte une véritable « somme » de réflexions pertinentes, de conseils qui n’éludent rien de ce que propose l’existence moderne. Ces excellentes leçons concluent à la puissance conductrice des grandes âmes.

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Une riche éclosion de littérature féminine est un des caractères de notre époque. Je groupe ici les écrivains-femmes couronnés par nos Prix d’Académie.

Mme Marguerite Yourcenar a connu cette année de flatteuses approbations pour les Mémoires d’Hadrien. On ne démêle pas, à la lecture, s’il s’agit d’une traduction littéraire et savante ou de mémoires apocryphes. Elle nous informe pourtant qu’elle a fait un roman historique, mais en l’étayant des textes les plus probants quant aux faits et quant aux personnages. Et elle nous plonge si avant dans le climat romain du IIe siècle qu’il nous semble entendre la voix de l’empereur épris d’Athènes, participer à ses expéditions guerrières, être son hôte pour écouter ses dissertations philosophiques, les aveux de ses égarements et des prestiges qu’il accumula autour d’Antinoüs. On croirait avoir en main les tablettes où, en des phrases d’une tenue platonicienne, il consignait, à l’usage du jeune Marc-Aurèle, l’essentiel de ses expériences et en déduisait des conseils pour la conduite de l’Empire. Ces Mémoires d’Hadrien sont une totale réussite.

 

Mme Germaine Beaumont a déjà un beau passé de travail et de succès. Des collaborations sérieuses et suivies à de grands journaux, une dizaine de romans assurent sa notoriété. Poète, au surplus, et elle l’est si fortement qu’on a pu lui dire lors de ses débuts de prosateur : « Vous ne serez jamais qu’un poète ». Voilà qui est loin d’être péjoratif. Car il y a bien de la séduction chez qui, en maniant la prose, sait aussi faire vibrer les cordes d’une lyre. Donc Mme Germaine Beaumont a le pouvoir subtil de créer une atmosphère mi peu mystérieuse, arrière-fond à certains drames du cœur dont elle noue et dénoue les phases avec une adresse qui naît comme d’intuitives enquêtes psychologiques et du fait des circonstances mais non, de vues arbitraires de son esprit. Il y a certainement en elle une visionnaire — oui vraiment un poète qui aperçoit, sous le ciel nuageux de sa Normandie des ombres légères, auxquelles son imagination donne la vie, de la flamme quand il le faut, un relief qui hausse certains de ses personnages au « type ».

 

Six volumes de poésie et autant de prose ont signalé Mme George-Day au public. Que ses vers soient lus en silence ou dits à haute voix, ils font sentir des battements de cœur, des émotions qui s’avouent en se contenant. Une harmonie de style et des ingéniosités de forme s’ajustent étroitement au fond. Son dernier roman, L’Eau ardente, met en conflit une sorte d’apôtre démagogue et un homme, grand esprit plein d’âme, auprès d’une femme à l’intelligence cultivée pour laquelle l’amour est le don entier de soi. Son dévouement est acquis à l’apôtre dont le fanatisme d’ambitieux égoïste fait de lui le bourreau de la malheureuse. L’homme généreux croit un instant l’avoir sauvée. Mais l’autre la reprend en se disant conquis par les lois du cœur. Tragédie de l’orgueil et de la tendresse que Mme George-Day a menée sans fléchissement.

 

Catherine et moi de Mme Henriette Saint-Amant est l’histoire de deux jeunes filles de conditions différentes, mais unies par une amitié qui se fortifie à travers maints événements. L’entreprise d’un ouvroir et la création d’un centre de repos pour blessés convalescents restituent de façon poignante l’atmosphère de guerre en province parmi les âmes françaises. Les sentiments, si ardents qu’ils soient, gardent une délicate mesure. Ce roman romanesque est imprégné de grâce dans le courage. Et à la fraîcheur poétique du fond correspond le charme de l’écriture.

 

Mme Maraval-Berthoin a mérité particulièrement l’estime de l’Académie pour son effort de rapprochement franco-musulman, à travers une dizaine d’ouvrages tout lumineux de soleil. C’est encore avec Dâssine, sultane du Hoggar le même éclairage sur la poésie et les mœurs des populations Indigènes du sud-algérien. Elle en parle en personne qui a observé familièrement une humanité digne de provoquer l’intérêt et une sympathie agissante. Ses évocations contiennent des avertissements.

 

Mme°Marcelle Maurette, qui a eu de brillants succès d’auteur dramatique, ne semble pas avoir fouillé des archives secrètes, ni apporté des jugements imprévus sur la Vie privée de la Pompadour. Mais, par un style raffiné, à talons rouges, paniers, mouches, révérences et politesse de cour, elle nous introduit, avec beaucoup d’agrément, à Versailles, à Marly, sans nous laisser souffler en suivant les prouesses de séduction où s’épuisait la Marquise vivant, même au pinacle, dans la crainte de la disgrâce.

 

Jep le Trabucaire, de Mme Boachon-Joffre, n’est pas tout à fait un roman de brigands bien que son héros rejoigne un camp de hors-la-loi après avoir tué un galant trop hardi de celle qu’il aimait. Les détrousseurs de grand chemin n’auront pas le dernier mot. Jep arrache de leurs mains des moines menacés et une jeune Espagnole de qualité. Puis il s’en va, privé d’amour, dans une avidité de rachat, vers la vie religieuse. Les chaudes couleurs de ce roman roussillonnais sont saluées dans une préface de Pierre Benoit. L’auteur, Mme Boachon-Joffre est la nièce du vainqueur de la Marne, dont le nom glorieux, universellement honoré, est ici, pour nous, le souvenir d’une présence qui fut une de nos fiertés.

 

Et voici nos Prix d’Académie alloués au clan masculin :

Jacques Legray est le pseudonyme d’un consul de France qui a collaboré à de grandes revues, mais dont le roman : Du sein des Flammes est sa première manifestation littéraire par le livre. Un séjour en Pologne, de 46 à 48, lui a permis de rassembler, dans une fiction, certaines expériences humaines douloureuses. Il possède le don de grouper, en frappantes synthèses, ce qu’il a vu dans une époque et un pays de dramatique gestation sociale.

 

Mgr. Jobit a mis en présence Leconte de Lisle et Lacaussade — qui fut le secrétaire de Sainte-Beuve et une assez curieuse figure — tous les deux originaires de l’Ile Bourbon. Leur amitié était fondée sur un pareil idéal d’art. Une rivalité surgit entre eux à cause de certains thèmes choisis par l’un et par l’autre. Lacaussade réclamait l’antériorité. Mais une date ne fait rien à l’affaire. Et Leconte de Lisle gardait l’avantage sur Lacaussade par la force sculpturale de son talent marmoréen.

 

M. Guillot de Saix est un esprit fin, cultivé. C’est un poète spirituel, plein de vivacité, notamment dans ses recueils de Fables. On lui doit des adaptations d’Aristophane. Auteur dramatique, ses pièces ont de la fantaisie et son Jean de la Fontaine, joué à la Comédie Française, n’est pas oublié. Ses vers y avaient une souple allure et ils supportaient le voisinage avec ceux de notre illustre fabuliste. Que dire de plus ?

 

Flambée de Souvenirs, de M. Jean Ledruze-Desmaires, ou les aventures d’un baroudeur au cours d’un demi-siècle. Sa vie : études au collège technique de Rouen, contre-maître du bâtiment, 34 ans de services militaires, 32 campagnes, 12 blessures ; Légion d’honneur dans chaque grade, médaille militaire, 30 décorations. On le voit au Maroc, en Syrie, sur le front français et souffrant en captivité. Le récit abonde en faits d’armes, en histoires de cantonnement racontées avec une bonne humeur fringante.

 

M. F. Fournier-Martigny est le persévérant directeur du Journal Français de Genève, organe central des Colonies françaises de Suisse, propagateur chaque semaine des nouvelles les plus diverses concernant notre pays. En conséquence, il milite pour la pénétration transalpine de notre littérature. D’autre part, M. Fournier-Marcigny est l’auteur de plusieurs ouvrages, notamment sur l’arrivée de Calvin à Genève, avec ses compagnons, et de l’emprise des huguenots français en Helvétie, du rôle immense qu’ils y jouèrent pendant plus de trois siècles.

 

Pour l’ensemble de son œuvre, M. Charles Fournet est aussi titulaire d’un Prix d’Académie.

« On ne lit plus Lamartine ! » tranchent parfois de jeunes Zoïles, comme s’il n’y avait plus d’échos pour les beaux cris lyriques. Or, Lamartine est toujours l’objet d’un culte. Entretenu dans bien des cœurs, il l’est notamment dans le pays natal du poète, le Mâconnais et en Suisse. Le Genévoix M. Charles Fournet est un des grands-prêtres lamartiniens, président de la Société Lamartine Suisse et de l’Amitié littéraire franco-suisse et l’auteur de Lamartine et ses amis suisses, de Lamartine roi. Ces livres jettent un jour neuf sur la biographie de l’illustre auteur des Méditations, et M. Charles Fournet lui suscite de nouveaux lecteurs en usant lui-même d’une langue musicale de belle race.

L’amour des poètes français a aussi déterminé M. Charles Fournet à s’occuper d’Anna de Noailles, un peu négligée et dont il sait surprendre l’ombre errante dans les jardins d’Amphion, au bord du Léman. Il la réincarne dans un joli volume de critique serrée, de compréhension. « Elle n’est plus à la mode ? s’écrie-t-il. Tant pis pour la Mode ! » Et il lui prédit l’immortalité de ceux qui ont, avec bonheur, exprimé quelque chose de leur inquiétude — de l’inquiétude humaine.

Voyageant en Grèce, M. Charles Fournet a capté le message de l’Hellade en artiste pour qui parle subtilement cette terre de Beauté. Elle lui a dicté maints chapitres attachants sur Athènes, Mycènes, les Cyclades, etc. Il est aussi le chantre délicat qui berce en vers fluides un fantôme élégiaque qu’il appelle Ophélie d’autrefois. Enfin Genève, sa ville, il la met sous nos yeux dans sa mission pacificatrice, belle cité libre qu’il faut — dans son pittoresque un peu froid, reflet de la pureté immaculée des cimes — ranger parmi les lieux privilégiés du monde.

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Nous ne pouvions mieux saluer que par le Prix Bordin le travail magistral de M. Jacques Henry Bornecque, professeur de Lettres à la Faculté de Caen, sur les Années d’apprentissage d’Alphonse Daudet. Avec le sérieux et toutes les précautions scientifiques d’une thèse, il nous met en possession d’une âme, d’une intelligence, d’un talent dans leurs successives périodes de développement juvénile — comme observés dans leur intime structure sous les verres d’un microscope. L’idée que « dès la prime jeunesse apparaissent et se cherchent les thèmes contrastés qui, un jour, enfin unis, donneront à l’œuvre son ton dominant », cette idée est à la base de son entreprise qui montre si pertinemment d’où procède le rôle éminent de l’œuvre d’Alphonse Daudet.

 

Le Prix Rocheron est décerné pour une part à M. André Moulis qui élève un mausolée de 200 pages à la mémoire d’André Lamandé, mort prématurément en pleine production. Il parle avec une fraternelle compréhension de ce beau caractère, de cette noble existence appuyée sur cette devise : « Travail, Rêve, Action », et il motive en critique lucide ses appréciations.

 

À Mme Mary Cressac, docteur ès-lettres, a été accordée une part du Prix Furtado. Cette petite nièce du docteur Roux éclaire la figure du génial savant dans une biographie où la piété familiale garde cette mesure propre à laisser le champ libre aux regards qui veulent aller aussi loin que possible dans une vie et dans une âme. Elle a donc réussi à nous faire entrer en communication avec un caractère fort, un esprit clair dont les enthousiasmes se contrôlaient sévèrement, possédé par un secret besoin de tendresse et par cette passion pour la science qui faisait du docteur Roux, comme on a pu le dire, « un saint laïque »,

 

Nous signalons, par le Prix Fabien, La Vie aux Champs de M. Arnaud de Pesquidoux. Nous traversons fermes, pâturages, guérets en écoutant son charmant langage de terrien averti qui émet les plus sages avis sur les moyens de remédier à l’exode des campagnes hallucinées par les Villes tentaculaires, pour employer le mot fameux de mon ami le grand poète belge Émile Verhaeren.

 

Prix Montyon, M. Pierre Richard avec la Vie privée de Beaumarchais. C’est un portrait fait par petites touches expressives, sans négliger l’œuvre théâtrale, c’est l’universalité de l’aventurier génial, si représentatif du bouillonnant XVIIIe siècle, qui est soulignée. Et les sujets d’intérêt ne manquent pas pour le portraitiste, avec l’étincelant touche-à-tout qu’était le créateur de Figaro. Il nous est montré se trouvant partout à l’aise, tenant tête aux pires orages, restant gai, prodigue de sa bourse et de son esprit, séduisant de son vivant et dont la séduction posthume, ayant agi sur son biographe, l’a incité à écrire un livre... qui séduit.

 

Prix Montyon aussi M. Paul Mousset pour son roman Le Pique-Minute. C’est un homme d’affaires qui est ainsi surnommé par son personnel dont il exige le maximum de rendement dans un minimum de temps. M. Paul Mousset a modelé dans une pâte ferme ce rapace grincheux, cupide, exécrable. Il le fait en satiriste qui frôle parfois le caricaturiste. Il lui oppose un adjoint honnête mais assez habile pour le mettre en rage lorsque ce dernier lui échappe. L’histoire entraîne dans un mouvement impétueux de la première à la dernière ligne.

 

Prix Montyon encore, M. André de Fouquières. Ses Cinquante ans de panache sont, comme il dit, des « fragments de sa vie ». Mais le mot « panache » ne me paraît pas juste, car les cinquante ans d’habit noir du mondain M. de Fouquières n’ont aucun air bravache, aucune suffisance avantageuse. Ce sont des notes d’homme de bonne compagnie sur les salons, les châteaux, les compétitions sportives élégantes, les célébrités de la « belle époque ». La petite histoire y trouvera force glanes.

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L’Académie réserve toujours aux poètes, comme il se doit, le meilleur accueil, une sympathie très marquée, en regrettant qu’elle ne dispose pas en leur faveur de plus nombreuses couronnes.

Un poète compatriote de José-Maria de Heredia, M. Armand Godoy, a reçu le Prix qui porte le nom de l’auteur des Trophées. Une trentaine de volumes de vers constitue son œuvre qui témoigne d’une ardente spiritualité, d’une âme sans cesse émue par tout ce qui est art et beauté, sensible aux spectacles de la nature comme au langage le plus subtil de la musique. Pour en faire l’éloge, pour exprimer ce dont il rêve en sachant voir ou écouter, pour traduire ses exaltations ou ses attendrissements empreints de piété, il emploie les registres les plus divers et manie les rythmes avec maîtrise.

 

Mme Hélène Séguin, qui a le Prix de Wils, est un poète sincère, émit, mais qui demeure optimiste et vaillant. Elle ne se comptait pas dans de stériles mélancolies, loue la douceur de vivre, la jeunesse et, ce temps-là passé, les souvenirs qui en restent. La nature l’invite à ces recueillements qui enfantent de touchantes élévations spiritualistes. Mais elle revient au monde extérieur pour nous entraîner parfois sur les traces d’une Muse un peu gamine, satirique et aussi mondaine, salonnière. Étant donné qu’elle chante, sur toutes les notes de la gamme, elle a eu bien raison d’appeler son nouveau volume : Le Clavier de mon cœur.

 

Pour le Prix Jules Davaine notre choix s’est arrêté sur Images de la Solitude de M. Jean Pourtal de Ladevèze. Il est de ces poètes, assez rares, qui aiment la poésie pour elle-même. Ses vers mélodieusement cadencés sont empreints d’une mélancolie sans amertume, d’un idéalisme sans illusion. La forme témoigne d’une constante recherche de la Beauté. L’art de M. Pourtal de Ladevèze, à la fois libre et surveillé, est à l’image de ce beau jardin de Nîmes — sa ville natale — où l’expansion méridionale est ordonnée par les lois sereines de l’architecture classique.

 

Mme Yvonne de Brémond d’Ars a été désignée pour le Prix Jean-Marc Bernard avec des impressions et souvenirs que chaque heure peut apporter à une frissonnante sensibilité d’artiste. Pas sa Fenêtre ouverte sur le passé, elle jette à l’espace les effusions d’un cœur prompt aux enthousiasmes qui a besoin de s’exprimer dans un élan sincère. Son imagination sans cesse éveillée moissonne en tous lieux, avec agilité, rythmes et rimes.

 

Le Prix Sully Prudhomme est partagé entre Mme Dominique Renouard et Mme Marguerite Savigny-Vesco.

La première a rapporté de Corse de vibrants tableaux d’une technique sûre, de franche clarté, enduits de soleil, pénétrés par l’éclat méditerranéen de l’île riante et violente.

La seconde, avec son Diadème du Silence, manifeste le goût de l’observation qui volontiers s’oriente vers les êtres proches, les paysages familiers, pour les peindre avec des tonalités douces, avec une bonne grâce expansive.

 

La baronne Léon Rolin, que récompense le Prix Artigue, a nommé La Lumière intérieure une suite de poèmes où elle ne se replie pas uniquement sur elle-même et elle a cherché cette lumière chez un Pétrarque, par exemple, chez Sully Prudhomme, qu’elle célèbre en strophes émues, ou dans des légendes, comme celle de Geneviève de Brabant, aussi dans maints paysages : Sur les monts foudroyés, sur l’orgueil des glaciers...

 

Le Prix Amélie Mesureur est dévolu à Mme Georges Desvallières pour Crépuscule. Elle chante en vers réguliers qui ne sentent jamais l’effort, et elle affectionne la forme serrée du sonnet. Du soupir elle va, résignée, à l’acceptation des lois de la nature et prouve des habitudes méditatives de concentration d’esprit.

 

Le dernier recueil : Abîmes, de Mme Raymonde de Kervern, Présidente des Poètes Mauriciens, confirme l’opinion acquise par l’éclat de son verbe, la connaissance de toute chose qui alimente son inspiration. Elle reçoit, c’est justice, un de nos lauriers.

 

Je citerai encore, parmi les principaux Prix de Poésie, les Chants du Silence de Mme Colette Daugny, qui ont le pathétique et noble ton des prières et des hymnes et confessent les nostalgies d’une âme qui s’exalte ; le Jeu du Rossignol, de Mlle Andrée G. Berry, suite de courtes pièces, chansons murmurées les unes avec une gracieuse nonchalance, les autres dans un mouvement d’ailes joyeuses ; le brillant Soir illuminé de Mme Marie Delétang ; les Poèmes émus et harmonieux de Mme Colette Lièvre-Brizard.

 

Le temps limité qui m’est imparti pour la lecture de ce rapport me contraint d’arrêter ici la mention d’autres prix. Je le regrette et m’en excuse. Mais tous ceux et toutes celles qui les ont obtenus en trouveront au Secrétariat la liste complète dont un exemplaire leur sera remis s’ils en expriment le désir.

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Notre Médaille gravée par Varin, au temps de Richelieu, est accordée aux amis de la langue française qui la défendent par leurs écrits, leur parole ou leur action de propagandistes.

Elle est offerte cette année à Mgr. Savard, titulaire de la chaire de Poésie française à l’Université française de Québec. En juin dernier, il présida, dans cette ville, le IIIe Congrès de Langue française où le comte Robert d’Harcourt représenta notre Académie avec éloquence, bonne grâce et dignité. En 1951, Mgr. Savard avait été chargé par l’Institut franco-canadien de conférences en notre pays. Président de la Société du Parler français, au sein de laquelle il s’attache inlassablement à maintenir la pureté de notre langue au Canada, Mgr. Savard, en dehors de nombreux articles donnés à des périodiques, est l’auteur d’ouvrages d’imagination, remarquables par l’élégance du style, la richesse des images, un sentiment profond de la nature. Ses dons d’écrivain en ont. fait un classique dans son pays. Et des pages choisies de son œuvre figurent sur les programmes scolaires.

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Cette année aussi, en septembre, le Canada vient de fêter, à Québec également, le centenaire de l’Université Laval, université toute française. Et là — comme à maintes autres cérémonies — notre confrère, M. Étienne Gilson, prit la parole et ses discours, remarquables par la pensée comme par la forme, firent une forte impression, comme ceux de l’historien, le comte Robert d’Harcourt.

La fidélité bien émouvante du grand pays d’outre-Atlantique à la France est un magnifique encouragement à rester nous-mêmes, à nous fortifier dans le sens de notre civilisation.

Les Canadiens déplorent — et d’autres étrangers aussi — que, chez eux, les auteurs français se laissent un peu submerger par la production littéraire d’autres nations. Mais si les vitrines des libraires, dans leurs villes, n’affichent pas assez de livres français, il y a là des causes économiques, question de changé, de transport, etc., et c’est une affaire à régler entre les Centres culturels, les éditeurs, les messageries officielles ou commerciales et certains décrets financiers internationaux. Cela n’implique aucun abaissement de nos Lettres. L’esprit français, dans son activité, ses curiosités, son originalité, sa vigueur créatrice est loin d’une décadence. Nous pouvons nous vanter d’avoir une profusion de talents qui comptent, en tous genres — histoire, critique, essais, mémoires, œuvres d’imagination, poésie.

Et je terminerai par cette remarque réconfortante : ces dernières années, la mise en vente, chez nous, est en croissance de ces importants ouvrages qu’on appelle « livres de bibliothèque » et de ces romans qui ont la sérieuse ambition d’être un panorama de la vie française, de la société moderne ; de semblables travaux honorent un pays et, pour des juges de bonne foi, ils affirment la vitalité intellectuelle, le prestige et la pérennité du génie français.