Rapport sur les concours littéraires de l'année 1950

Le 14 décembre 1950

Georges LECOMTE

SÉANCE PUBLIQUE ANNUELLE
DU JEUDI 14 DÉCEMBRE 1950

Rapport sur les concours littéraires

DE

M. GEORGES LECOMTE
Secrétaire perpétuel

 

Objet de notre culte, la langue-française, parlée sur toute l’étendue du territoire, dans les moindres villages de n’importe quelle région, atteste la séculaire et forte unité de notre pays. Nous avons pour mission d’en maintenir la pureté et la diffusion à travers le monde.
Dans certaines campagnes elle se parle concurremment avec de pittoresques patois locaux et avec des dialectes qui se sont ennoblis de belles œuvres littéraires, et qui restent encore en usage ou, du moins, au souvenir desquels les habitants de ces provinces, tout en parlant aussi un français très correct, demeurent presque pieusement attachés
Mais ce n’est pas une raison pour que, même dans ces contrées, si fidèles qu’elles soient à leurs traditions, on enseigne régulièrement ces dialectes dans les Écoles, les Lycées et Collèges.
C’est pourtant ce que, au cours de cette année, par un vote trop rapide, l’Assemblée nationale avait décidé après d’insuffisants débats, sans bien apercevoir toutes les conséquences et les risques d’une telle innovation.
Alertée par deux de ses membres, M. Émile Henriot, l’actuel Président de l’Alliance française, et M. Georges Duhamel, son prédécesseur dans cette charge, notre Académie s’est souvenue du parti que l’Allemagne s’efforça — en vain — de tirer du dialecte couramment parlé en Alsace en même temps que la langue française, pour encourager sournoisement quelques velléités autonomistes qu’elle s’ingéniait, d’ailleurs, à susciter. Et nous avons pensé que notre devoir était de faire entendre, par un ordre du jour motivé, notre inquiétude et notre avertissement.
Il fut entendu par le Sénat lorsqu’il dut délibérer à son tour sur ce projet de loi voté, au Palais-Bourbon. Justifiant avec clairvoyance le titre de « Chambre de Réflexion », que la Constitution actuelle lui réserve, il discerna les conséquences probables de son acquiescement et il refusa de le donner.
Nous nous plaisons à croire que l’Assemblée nationale a, elle aussi, entendu notre appel. Car, lorsque le texte adopté par elle lui revint sans l’approbation du Sénat, elle n’a pas exercé son droit de le remettre en discussion pour en faire une loi définitive.
Certes, nous portons le plus vif intérêt à la littérature régionaliste. Cette sympathie, constamment en éveil, est attestée par les nombreux Prix que nous attribuons aux écrivains qui, dans leurs livres, évoquent l’atmosphère, les paysages de leur terre natale, ses mœurs, coutumes, traditions, légendes et ses beautés.
Même nous nous efforçons de sentir, de goûter la poésie harmonieuse et colorée de certaines œuvres écrites dans l’un de ces dialectes, surtout lorsque nous pouvons en prendre connaissance grâce à une traduction due à l’auteur lui-même, ainsi que, pour notre enchantement, le grand Frédéric Mistral prit soin de le faire.
Toutefois, il nous semble, que, pour, la survie littéraire de ces dialectes, il suffit que l’étude en soit continuée, comme cela se passe aujourd’hui, par le cours professé dans une chaire spéciale des deux ou trois Universités provinciales dont relèvent les contrées où on les parle encore.
Mais c’est par l’usage quotidien que, dans les familles, il est transmis, de génération en génération, sans que l’École ait à intervenir. Les instituteurs ont assez de peine à enseigner la langue française et la grammaire pendant le peu d’années qu’ils ont pour instruire leurs élèves. Peut-être conviendrait-il de laisser aux municipalités qui le demanderaient, et aux maîtres qui y consentiraient, l’autorisation d’organiser, en dehors des heures de classe et sans en réduire le nombre, un cours facultatif, aussi bien pour les écoliers désireux de le suivre que pour les maîtres acceptant de le faire. La plupart d’entre eux exercent leur fonction dans la région dont ils sont originaires et dont, enfants, ils ont tout naturellement appris le dialecte parlé autour d’eux.
Quant aux élèves des Lycées et Collèges, pour la formation desquels les programmes sont déjà si surchargés, il paraît bien difficile d’ajouter l’enseignement d’un dialecte à celui des langues mortes, dont la nôtre est issue, et des deux ou trois langues étrangères, dont la multiplicité des relations internationales exigera de plus en plus la connaissance. Il faut, à la fois, leur assurer, autant que possible, une légère culture d’humanistes et les moyens pratiques de gagner leur vie dans un monde de d’échanges culturels, industriels et commerciaux. La tâche est assez lourde et complexe pour qu’on ne l’aggrave pas aux dépens des notions indispensables.

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En cette année 1950, nous avons attribué notre grand Prix de Littérature à M. Marc Chadourne qui, en 1927, avait été couronné par l’Académie pour son premier roman Vasco dont les mérites de vision, de pensée et de forme annonçaient un bel avenir d’écrivain.
Depuis cette époque, il a justifié le pronostic par une brillante série de beaux romans, tels que Cécile de la Folie, Absence, Dieu créa d’abord Lilith, Gladys ou les artifices, remarquables par la sensibilité, par la pénétrante psychologie des personnages dans le décor où ils se meuvent et qui contribue à nous expliquer leur caractère, leurs passions, leurs actes.
M. Marc Chadourne n’est pas seulement un romancier de talent dont la finesse d’observation s’accompagne d’une imagination qui rend plus fécondes ses découvertes. C’est aussi un infatigable voyageur dont la curiosité, puis certaines missions officielles, nous valurent et nous valent encore des livres saisissants sur l’Afrique, le Mexique, la Chine, l’Indochine, le Japon, l’Inde et I’Insulinde, l’Amérique, la Russie actuelle. Ouvrages dans lesquels, avec impartialité et clairvoyance, il nous montre, d’une manière très vivante, les choses telles qu’il les a vues, les habitants de ces pays dans leur action quotidienne, avec ce qu’il a pu percevoir de leur pensée, de leurs intérêts, de leurs ambitions et de leurs inquiétudes. Ce sont des livres substantiels qui, de l’Extrême-Occident à l’Extrême-Orient — selon le titre que portent deux d’entre eux — nous font faire un très attachant tour da monde en compagnie d’un guide qui sait conter avec agrément, aussi bien que voir, apprendre et deviner.
Dans sa dernière œuvre intitulée : Quand Dieu se fit Américain, qui nous renseigne avec précision sur un mouvement religieux en général assez peu connu, M. Marc Chadourne expose la loi des Mormons, parmi lesquels, il a vécu plusieurs années, ses origines sous l’influence d’un simple cultivateur illuminé, fervent, opiniâtre et courageux : Joseph Smith. Il rappelle les luttes que le nouvel apôtre dut soutenir contre des sectes rivales, les souffrances qu’il endura pour faire triompher sa doctrine. Il nous explique cette doctrine, mélange de la Bible, des Prophètes d’Israël, de l’Évangile, des préceptes et paraboles de Jésus-Christ et des « Sourates. » du Koran. Se croyant inspiré de Dieu, Joseph Smith trouva en lui-même la force de faire adopter sa foi par les habitants d’une assez vaste contrée américaine qui, pour la plupart, y sont restés fidèles, mais renonçant, presque tous, à la polygamie, que conseillait le généreux novateur.
Ce nouveau livre de M. Marc Chadourne, avec l’attrait d’un récit historique, offre celui d’un roman mouvementé, bien conduit et passionnant.

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Le bénéficiaire du Prix du Roman est M. Joseph Jolinon. Auteur d’une vingtaine de romans, il donne, depuis deux ans, une série de « petites histoires », comme il dit trop modestement, sous le titre général Les Provinciaux, qui forment, avec les mêmes personnages, une vaste fresque, à la fois large et minutieuse, de la vie d’une petite ville provinciale, depuis 1900. Il en est au quatrième volume intitulé : Dernières Ombrelles ; les précédents se baptisaient : Quatre Gibus, Le Jubilé, Les Écus d’or.
Le choix de ces titres indique plaisamment les époques où se déroulent péripéties, épisodes aimables, dramatiques, ou comiques. Avec le mouvement de la vie même se presse  une humanité, qui appartient à toutes les catégories sociales,  qui va de l’aristocrate au paysan, du banquier au religieux, de l’artiste à l’ouvrier, en passant par le coquin et même le sorcier, sans parler de séduisantes figures de femmes ou de délurées commères et de dangereuses coquettes.
La variété des caractères, dans la logique ou l’imprévu de leurs actions, forme un tableau très animé où les dons de l’observation montrent l’auteur assez amusé, assez humain lui-même pour n’être pas désenchanté. Nous ne sommes donc pas en présence d’une littérature noire, vouée aux investigations dans les méandres ténébreux du subconscient ou à l’introspection morbide. Ces quatre romans — que deux autres doivent suivre sur l’étude des comportements provinciaux — se rattachent donc à une conception bien française du récit et de la chronique des mœurs. Ils ne sont pourtant redevables qu’à eux-mêmes de leur ton d’humour, d’une dextérité à fixer le trait essentiel dans la rapidité du récit et l’emploi d’une langue pittoresque qui a pu faire qualifier M. Jolinon de conteur de « haulte graisse », et aussi, pour son habileté à de savoureux mélanges, de « cuisinier bourguignon ».
Il est en effet un fils de cette Bourgogne la sève vivace, féconde en produits divers, avec ses grands vins, ses tables copieuses, qui ne ménagent aucune des richesses de la basse-cour, de la laiterie, de la forêt et de la rivière, en ne refusant pas un rôle aux épices.
Pourtant, sous la jovialité de l’écrivain se dissimule un censeur, qui flétrit l’égoïsme, la cupidité, les méfaits des préjugés stupidement cruels.
Sans pédanterie s’affirment, chez. M. Jolinon, une forte culture et d’actives curiosités. Il laisse apercevoir maints scrupules de moraliste, mais sous des airs de badinage et avec l’originalité de ses accents malicieux. Il ne cesse, sans la moindre illusion à la Pangloss, de pratiquer une philosophie de bonne humeur, fort agréable dans notre temps de pessimisme et d’angoisse.

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Toute récente, la fondation Le Métais Larivière permit de créer un important Prix annuel dénommé « Grand Prix d’Académie ». C’est la première fois que nous avons le plaisir de le décerner. Il est assez bien doté pour que nous ayons pu le partager en deux parties égales entre MM. Luc Durtain et Gaëtan Bernoville.
M. Luc Durtain qui, sous le titre général de Mémoires de votre vie, vient de publier le quatrième volume : Histoire de l’Abîme, d’une grande épopée romanesque, doit prendre place dans cette génération d’écrivains qui ont atteint la renommée entre la première guerre mondiale et les heures actuelles.
Poète, essayiste, auteur dramatique, romancier, il a surtout conquis et gardé notre sympathique attention par des écrits qui font de lui un très perspicace témoin de cette époque tourmentée de l’histoire universelle.
Il a beaucoup voyagé, lui aussi, et parcouru la plus grande partie du globe. Il est de formation scientifique et médicale. Son expérience de la vie est considérable et cette expérience nourrit toute son œuvre.
Cette œuvre, si attachante, est un vaste tableau du monde contemporain, étudié sous tous les aspects sociaux, non seulement en France, mais dans tous les pays où M. Luc Durtain a vécu.
En le couronnant, d’une manière tout à fait exceptionnelle par notre Grand Prix d’Académie, notre Compagnie veut, tout en lui marquant notre particulière estime, signaler au public lettré l’œuvre de haute portée à laquelle les historiens devront se référer pour bien connaître et comprendre les mœurs, passions, appétits et luttes du temps présent.

Il y a quelques années, un nouveau livre de M. Gaëtan Bernoville qui, très laborieux, en publie beaucoup, m’a offert l’agréable occasion d’exprimer les éloges qui sont dus à son talent, à la variété et à la qualité de ses travaux. En essayant de ne pas me répéter, je tiens pourtant à profiter du prétexte que me fournit son plus récent ouvrage pour rappeler succinctement les étapes de sa vie.
La carrière de M. Gaëtan Bernoville — né en 1889, en pays en basque — fut, de très bonne heure, tout entière et sans interruption, vouée à la littérature. Elle s’est inaugurée lorsque, en 1913, il fonda la revue Les Lettres, dont l’indépendance fut l’un de ses attraits, où parurent de grands essais, consacrés à Charles Péguy, à MM. Paul Claudel, Jérôme et Jean Tharaud et où débutèrent MM. Henry de Montherlant, Jacques Maritain, etc.
Un livre de M. Gaëtan Bernoville, publié au lendemain de la guerre de 1914-1918, et qui eut du retentissement : Minerve et Belphégor, répliquait, avec un luxe d’arguments, à M. Julien Benda.
D’autres ouvrages, sur Paul Bourget, par exemple, sur le Pays des Basques, sa terre natale, un récit historique, La Croix du Sang, attestaient un talent souple et très personnel.
Enfin, M. Gaëtan Bornoville a continué de faire œuvre littéraire avec les 24 volumes de l’Itinéraire spirituel de la France. L’un des derniers nous raconte la vie généreuse, charitable et courageusement humaine, fervemment dévouée aux enfants malades de toutes les races, aux Noirs négligés, de la Mère Javouhey, mon héroïque compatriote bourguignonne, qui vient d’être justement béatifiée par le Saint-Siège.
Le nouvel ouvrage de M. Gaëtan Bernoville, consacré à Mgr Jarosseau, présente une physionomie de missionnaire et de diplomate d’un exceptionnel éclat, en une forme accordée à ce haut sujet et qui justifie l’intérêt du genre hagiographique dans les lettres françaises,

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C’est M. Bessand-Massenet qui, cette année, reçoit le Grand prix Gobert.
Son volume : La France après la Terreur, daté de 1946, évoquait d’une manière vivante, avec de précis témoignages recherchés à d’innombrables sources, l’atmosphère encore bien tourmentée de la période qui suivit le 9 Thermidor. Mais de 1799 à 1804, il restait tout de même des luttes civiles qu’il fallait apaiser. Dernières phases du grand conflit qui troublait le pays depuis 1789, hostilités encore inquiétantes. Telle est la période à laquelle M. Bessand-Massenet a consacré son nouveau livre : Les Deux France.
Au lendemain de Brumaire, la tâche était de restaurer l’unité de la famille française. Bonaparte comprit que là résidait son premier devoir. Il s’agissait d’imposer son arbitrage. « Il faut, disait-il, qu’il n’y ait ni vainqueurs ni vaincus ».
On croit communément que cet arbitrage fut facilement accepté, et les mesures réparatrices agréées sans trop de résistance. C’est se tromper. Le Premier Consul rencontra des oppositions parfois assez âpres. Tous les partis — surtout celui des contre-révolutionnaires — continuaient la lutte, mais sous une forme plus sourde. « Les haines sont plutôt ajournées qu’éteintes », écrivait-on un an après le Consulat.
En particulier, un groupe irréductible subissait l’influence du redoutable Chouan Georges Cadoudal. L’homme qui, d’après lui, dérobait par son habileté la France aux Bourbons, l’obstacle au retour des Lys, il entendait l’abattre. Il lia partie avec deux glorieux généraux de la Révolution, Pichegru et Moreau qui, par jalousie, étaient devenus les adversaires acharnés du vainqueur d’Italie.
C’est à ce complot Cadoudal-Moreau-Pichegru, de 1803 à 1804, que M. Bessand-Massenet a consacré une grande partie de son ouvrage. On est surpris de constater que, quatre ans après l’avènement du Premier Consul, les hommes qui s’attachèrent à sa perte aient pu jouir auprès d’une partie de l’opinion d’une fervente sympathie qui se manifesta lors du procès de ces conspirateurs. Les premiers chapitres des Deux France préparent le lecteur à bien comprendre les derniers soubresauts des passions partisanes.
M. Bessand Massenet s’inspire scrupuleusement des Maîtres historiens qui, depuis cinquante ans, ont étudié la vie et les actes de Napoléon. Mais il a su se faire, sur les hommes et les événements, des idées personnelles qui, parfois, renouvellent le sujet. Son style vivant et coloré donne à son livre très solide un attrait qui a décidé nos suffrages.

Pour le second Prix Gobert notre choix s’est porté sur l’Histoire religieuse de la Révolution dans le département de la Meuse et le district de Verdun.
Cette Histoire de Mgr Aimond s’impose tant par la profondeur des recherches et sa valeur documentaire que par le nombe et l’importance des problèmes étudiés.
Même sur un théâtre aussi restreint que celui d’un département, on voit se poser toutes les questions que soulèveront les successifs pouvoirs révolutionnaires à l’égard de l’Église catholique.
En dix ans, on voit la Révolution évoluer dans ce domaine vers la rigueur, et, en conséquence, le Clergé prendre, peu à peu, une altitude d’opposition.
Au début, une grande partie du Clergé, accueille les idées nouvelles avec bienveillance et parfois même avec enthousiasme. Mais cet enthousiasme tombe avec la confiscation des biens des églises. Et le vote de la Constitution civile, qui bouleverse les règles religieuses et met le Clergé en demeure de choisir entre le schisme, et les disciplines traditionnelles, sème la division dans les rangs des prêtres comme parmi les fidèles. Assez rapidement cette politique met à l’épreuve l’Église constitutionnelle elle-même. Les évêques et les prêtres qui avaient prêter le serment deviennent aussi l’objet de certaines rigueurs. Ce fut seulement sous le Consulat et par le Concordat de 1801 que s’opéra la réconciliation des Églises avec l’État.
Le volume si solide de Mgr Aimond nous permet de suivre jour par jour dans son diocèse les phases de ces déchirements. Si une relation aussi complète nous en venait de tous les départements, on pourrait suivre avec une singulière sûreté l’histoire religieuse de la Révolution.
D’ailleurs, le livre offre un intérêt que ne présenteraient peut-être pas certains travaux similaires : en effet, le département de la Meuse a vu Louis XVIII arrêté à Varennes et, quelques années plus tard, les Prussiens envahisseurs faire capituler Verdun et pénétrer jusqu’à l’Argonne.

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Avec M. Émile Magne, qui a obtenu le Prix Broquette-Gonin, nous sommes en présence d’un spécialiste du XVIIe siècle, ou, plus précisément, de la société littéraire, mondaine ou galante de cette glorieuse époque.
Ses livres sont nombreux. Le plus souvent ils s’attachent à la vie d’un personnage. Mais chacun d’eux est un prétexte à l’étude des mœurs. Je ne citerai ici que Scarron et son milieu, Voiture et l’Hôtel de Rambouillet, La Joyeuse Jeunesse et la Fin trouble de Tallemant des Réaux, Le vrai visage de Larochefoucauld, Madame de la Suze et la Société précieuse, Madame de la Lafayette, Ninon de Lenclos, La Bruyère, etc.
Ces résurrections très vivantes nous dévoilent souvent certains dessous mal connus, ou même inconnus, des pompes majestueuses du Grand Siècle. Non que M. Émile Magne se plaise au scandale. Mais il est un scrupuleux chercheur de vérités. Il emploie la plus stricte méthode historique.
Ne s’appuyant pas sur les ouvrages de seconde main, il s’adresse aux sources, recourt aux archives publiques et privées, aux secrets des mémoires inédits.
Sa science historique est soutenue par un beau talent d’écrivain et il sait rendre entraînante la lecture de ses très sérieux ouvrages.

Le Prix Thérouanne est attribué, en partie, au Joseph-Bonaparte, le roi philosophe, de M. Bernard Nabonne.
L’auteur n’est pas d’accord avec les historiens qui, en général, se sont montrés assez durs pour le frère aîné de Napoléon, En particulier M. Frédéric Masson l’a représenté comme ayant été presque constamment, pour son illustre frère, un collaborateur plutôt fâcheux.
Selon M. Bernard Nabonne, Joseph-Bonaparte fut surtout un sage dont les conseils ont été mal écoutés. Il a mis tous ses soins à nous persuader. Y a-t-il réussi ?
Du moins il a puisé à maintes sources précieuses et parfois nouvelles. Et si sa thèse demeure discutable pour certains Historiens, il l’a exposée avec vigueur, d’une manière attrayante, en un style alerte. C’est donc une contribution de plus à l’histoire des rapports entre les deux frères et, de ce fait, à l’histoire de la célèbre famille.
Une autre partie du Prix Thérouanne est allouée à M. Jean Gallotti. Dans son Palais des Papes il nous instruit de tout ce qui a été écrit sur ce sujet, mais il se sert de cette érudition, d’ailleurs très vivante, pour parler en connaisseur sensible de l’Art et de la Beauté.

L’Académie française, ne pouvait qu’être reconnaissante à M. Robert Burnand qui raconte la vie du duc d’Aumale, le magnifique donateur à l’Institut du domaine de Chantilly. Il a tracé de ce prince si français une image d’un relief accusé. Son récit, mené dans un vif mouvement, aurait plu au chef qui fut vainqueur en Algérie. Et, sous cette Coupole, où il siégea, l’ombre du grand soldat, beau cavalier, applaudit certainement à notre vote du Prix Halphen pour cette exacte biographie.

Nous avons distingué par le Prix Née un livre du Père Jacques Bivort de la Saudée : Anglicans et Catholiques.
C’est un exposé des diverses tentatives, qui, depuis un siècle de renaissance catholique en Grande-Bretagne, se sont succédé pour rapprocher l’Église anglicane et l’Église romaine.
De 1853 à 1855, ce fut d’abord le mouvement d’Oxford, qui eut pour résultat de substituer au nom de « protestant » celui d’Anglo-catholique. En 1920, deux cent cinquante évêques anglicans, réunis à Lombath, adressèrent aux chrétiens du monde entier un appel à l’union.
De cet appel naquit l’idée de conférences entre les membres notables des deux Églises. Avec l’assentiment du Saint-Père et celui de l’Archevêque de Canterbury, elles eurent lieu à Malines de 1921 à 1925. Les participants étaient les hôtes du Cardinal Mercier, ce héros de la guerre de 1914-1918. Bien qu’animés d’un égal esprit de confiance et de sympathie — les Anglicans n’ont-ils pas demandé comme les catholiques sa bénédiction au vénérable prélat ? — les principaux points de discussion apparurent bientôt trop distants. La dernière conférence se termina, en 1925, sans conclure.
Le Pape et l’Archevêque de Canterbury ne donnèrent plus leurs assentiments à des conférences qui, de ce fait, ne se renouvelèrent pas.
Le Père Jacques Bivort de la Saudée s’appuie sur les textes les plus sûrs, notamment sur les correspondances de Lord Halifax, Anglican pro-romain, promoteur de l’idée d’union, et sur des notes non moins inédites de Mgr Battifol qui prit part aux entretiens de Malines.

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La médaille Richelieu est surtout réservée aux écrivains étrangers qui réalisent leurs œuvres en notre langue ou qui, fidèles à la culture française, la font aimer autour d’eux, ou aussi à certaines personnalités du dehors qui, bien que ne s’adonnant pas aux Lettres, sont aiment notre langue, notre littérature et, par leur action sociale ou politique, feint preuve d’une confiante amitié jour notre pays. :
C’est très exceptionnellement que, pour honorer leurs mérites littéraires ou pour reconnaître les longs services rendus à la France, nous l’attribuons à nos compatriotes.

Pour cette double raison, nous l’offrons, cette année, à notre confrère, M. Jacques Bardoux, membre de l’Académie des Sciences morales et politiques, où il succède à M. Alexandre Ribot.

M. Jacques Bardoux est actuellement député du Puy-de-Dôme à l’Assemblée Nationale après l’avoir longtemps représenté, au Sénat et été son élu aux deux Assemblées Constituante de 1945 et 1946.

Bien que ce docteur ès-Lettres et en Droit ait été, en outre, maintes fois chargé par le Gouvernement de délicates missions à l’étranger, délégué de la France à certaines Assemblées des Nations Unies ; bien que professeur à l’École libre des Sciences politiques, puis à l’École de Guerre, jamais, malgré tout le temps consacré à l’intérêt politique, diplomatique, social et à l’enseignement, il n’interrompit son labeur littéraire.

Collaborateur régulier de plusieurs grands journaux parisiens, comme les Débats, puis le Temps et d’importants journaux provinciaux, où il multiplia des articles clairvoyants et d’une grande sagesse, il sut mettre à profit sa parfaite connaissance de l’Angleterre, où il fit de longs séjours, pour nous dire, en des livres d’un vif intérêt et d’excellente tenue — tels que Souvenirs d’Oxford, Silhouettes d’outre-Manche, La Reine Victoria, Silhouettes royales d’outre-Manche — ses observations, sur les mœurs, goûts, coutumes, sur les idées et habitudes politiques de la Grande-Bretagne. Ses réflexions sur son histoire, vingt autres livres sur la France et son destin, sur l’Espagne, la Russie, l’Europe aujourd’hui et de demain, des études historiques comme Les origines de la guerre de Trente ans complètent ce volumineux bagage. L’œuvre d’écrivain et d’homme d’action, aux tâches si nombreuses, renseigne et captive ses lecteurs. Il leur donne ses raisons d’espérer et augmente leur foi en l’avenir.

Malgré l’affaiblissement temporaire dont la France souffre et que, heureusement son obstiné travail atténue peu à peu, bien des étrangers nous donnent avec empressement et délicatesse le plaisir de constater que son prestige intellectuel reste intact. Les relations internationales se multiplient. Et sans cesse nous recevons des preuves nouvelles de l’attachement de nos amis du dehors ont pour notre Pays, sa langue et sa pensée. Aussi est-il naturel que, fiers d’une fidélité si touchante, plus que jamais nous manifestions notre gratitude en décernant un plus grand nombre de nos médailles Richelieu que, pourtant, afin de lui conserver toute sa valeur morale, nous sommes loin de prodiguer.

C’est ainsi qu’il nous est infiniment agréable d’en disposer en faveur de S. Exc. Taha-Hussein, actuellement Ministre de l’Éducation Nationale en Égypte, qui écrit et parle le français comme la langue de sa terre natale, qui, docteur ès-lettres en Sorbonne, a invariablement montré beaucoup d’affection pour notre pays et qui s’est toujours intéressé à la vie intellectuelle de chez nous.

Nous avons le plus cordial respect pour cet homme d’État égyptien qui, atteint de cécité depuis sa petite enfance, trouva le moyen et eut le courage de faire des études complètes jusqu’au Doctorat ès-Lettres, de se vouer à l’enseignement jusqu’à devenir le Recteur de l’Université d’Alexandrie et Conseiller technique du Ministère de l’Instruction publique dont il est actuellement titulaire, puis d’écrire une dizaine de romans, puis encore d’essais, de traductions parmi lesquelles Andromaque de Racine et le Cimetière marin de Paul Valéry et beaucoup d’ouvrages dont quelques-uns sont des études sur certains aspects de la littérature française.

Il y a deux ans, profitant de ce que Maurice Maeterlink venait de publier Les Bulles bleues, je demandai à l’Académie française de rendre hommage à ce grand poète que, seule, sa noble fidélité à la Belgique, sa patrie, avait empêché de siéger parmi nous. Et, avec empressement, par un votre unanime, nous lui offrîmes notre médaille de Richelieu. Il voulut bien m’écrire le contentement qu’il en éprouvait. Ce fut l’un des derniers témoignages d’admiration qui lui parvinrent.

Le poète belge Valère Gille — devenu, après la mort de Maeterlinck, le doyen et le président de l’Académie Belge de langue et de littérature françaises, qu’il avait tant contribué à faire fonder sous le règne du roi Albert 1er et le seul survivant de la belle revue La Jeune Belgique, qui exerça une si heureuse influence — était, lui aussi, encore de ce monde lorsque, au printemps de cette armée, nous gravions son nom sur une pareille médaille. Sa mort ne m’enlève pas la satisfaction de rappeler ce que fut sa vie, tout entière dévouée aux Lettres et de dire les raisons pour lesquelles nous nous sommes fait un plaisir d’honorer son œuvre.

On ne louera jamais trop ce mouvement connu dans l’his¬toire des Lettres sous le nom de la Jeune Belgique, dont Octave Pirnez fut le tout premier animateur, qu’illustrent les noms d’Émile Verhaeren, Maurice Maeterlinck, Georges Rodenbach, Albert Giraud, Yvan Gilkin, Van Lerberghe, Albert Moekel, ceux de prosateurs tels que le puissant romancier Camille Lemonnier et Eugène Demolder.
Fondée par Max Muller, sous ce même drapeau de « Jeune Belgique », la revue qui était l’organe de ce mouvement défendit avec ferveur la littérature originale par la pensée et par la forme, l’art indépendant. Il n’est pas douteux que, dans ces deux domaines, elle détermina un brillant renouveau qui, dans la Belgique d’aujourd’hui, se prolonge par de beaux talents, par des œuvres saisissantes en prose comme en vers.

Valère Gille était trop jeune pour participer à sa création. Mais dès sa vingtième année, en 1887, il commença d’y écrire. Et bien vite il eut un rôle important. Même, dans cette équipe d’écrivains novateurs dont la plupart sympathisaient avec le vers libre, il eut originalité d’y pratiquer et défendre les règles classiques. D’ardentes polémiques entre Parnassiens et Symbolistes mirent parfois en lutte cet admirateur un peu exclusif de Racine et d’André Chénier avec Verhaeren et Maeterlinck. Batailles auxquelles, heureusement, leur amitié survécut.

Nous devons à Valère Gille dix volumes de poèmes, édités pour la plupart à Paris, dont l’un intitulé, La Cithare, publié en 1898, réent notre Prix Archon-Despérouses et fut salué par mon prédécesseur à cette époque, M. Gaston Boissier, de cet éloge : « C’est un recueil remarquable de poésies antiques où se retrouve l’inspiration d’André Chénier, et de Leconte de l’Isle ».

Puis vinrent Le Collier d’opales, Coffret d’Ebène, Corbeille d’Octobre, La Victoire ailée (1914-1918), Les Tombeaux ; série de sonnets à la mémoire des écrivains et artistes français, Le Joli mois de Mai, suite de poèmes populaires, Le Sacrifice, pièce en vers, glorifiant le génie de Racine, qui, en 1912, fut représentée à la Comédie française.

Enfin, nous eûmes le plaisir d’entendre sa voix le jour où, à Amphion, il apporta l’hommage de l’Académie Belge de langue et de littérature françaises, dont la comtesse Anna de Noailles était membre, à cette magnifique évocatrice des enchantements de la Nature.

Depuis plusieurs années notre Médaille de Richelieu avait apporté à M. Ringuet, Président de l’Académie canadienne, le témoignage de notre particulière estime pour son œuvre. Après la lecture de son dernier roman Le Poids du Jour, vaste et beau récit qui fait vivre trois générations d’une même famille, nous avons eu le vif regret de ne pouvoir renouveler ce même hommage. Notre règlement ne le permet pas. Mais, comme nous l’avons fait pour l’historien du Canada, M. Jean Bruchési, nous avons décidé que, à l’occasion de cet important livre, si riche d’humanité, un rappel de notre Médaille de langue française serait adressé à M. Ringuet.

En décernant cette Médaille que nous considérons comme l’une de nos plus hautes récompenses, à l’excellent poète qu’est M. Charles Corm, ce n’est pas seulement le chantre inspiré du Liban que nous entendons distinguer. Il n’est pas, en effet, un domaine de l’Art ou de la pensée auquel n’ait touché, avec une égale flamme, un égal bonheur, l’animateur de la Revue Phénicienne, l’écrivain du Mystère de l’Ame et de la Lumière.

Les ayant personnellement vues à l’œuvre, je sais de quoi sont capables les élites libanaises. Aussi quand l’Académie inscrit à son tableau d’honneur, avec le nom de M. Charles Corm et, pour un pareil hommage, M. Michel Chika, autre éminent Libanais, fervent ami de la France, de sa langue et de sa littérature et si entièrement favorable à son influence, ce n’est pas, même dans le sens le plus noble de ce mot, un cadeau qu’elle fait : c’est une dette française qu’elle acquitte.

Le beau roman de M. Blanchenay, L’Appel, méritait une de nos médailles.
Il est Président de l’Alliance française à New-York, où il réside. Nous ne pouvons que nous féliciter d’avoir en lui, un représentant de notre Pays.

Dans ce roman il montre un Mahieux, soldat de l’armée des États-Unis — descendant d’un Mahieux resté en Amérique après avoir combattu sous Lafayette pour l’Indépendance — qui, débarqué en Normandie avec le drapeau étoilé en 1944, découvre par hasard, dans un petit village, des Mahieux de souche pareille à celle de son ancêtre. L’Appel du sol de France agit sur lui, l’envoûte. Mille liens invisibles le retiennent. Il lui semble se retrouver chez lui, si bien qu’il fait venir sa fiancée américaine, s’installe avec elle et ils cultiveront ensemble leur jardin français. Ce bref résumé ne saurait donner l’accent du délicat enthousiasme qui a dicté à M. Blanchenay des pages du plus émouvant patriotisme, où, avec des trouvailles dans le détail, il célèbre notre terre, notre ciel, le charme si magnifique de nos campagnes. Roman sans dessein démonstratif, mais de touchante et poétique propagande.

Et voici encore d’autres médaillés étrangers, amis de la France, qui, selon les modes de leur activité littéraire, diplomatique ou sociale, ont contribué à son influence en rédigeant leurs livres en notre langue :
Louis Meylan, homme de grande valeur, est un philosophe suisse et un écrivain français. Il est l’auteur de nombreux ouvrages historiques, philosophiques, pédagogiques, remarquables par leur élévation de pensée. Cette année même, M. Louis Meylan nous a présenté un livre intitulé Les Humanités et la Personne, dans lequel se trouve une véritable doctrine, une philosophie de l’enseignement humaniste. L’Académie a voulu saluer non seulement un éminent écrivain, mais aussi cette Suisse romande qui a donné à la civilisation française tant d’œuvres magistrales.

M. Henry Vallotton, Ministre de Suisse à Stockbolm, à qui nous devons des souvenirs de voyages, par exemple en Afrique et en Finlande, des recueils de nouvelles, des études historiques, comme : Elisabeth, l’Impératrice tragique, et Sept Souverains de Suède, publiés cette année même. Ces volumes, qui contiennent de vivants portraits, des évocations suggestives, sont écrits en une langue très châtiée.

M. Benoit-Chérix, autre écrivain suisse, est l’auteur de Commentaires des Fleurs du Mal. Au prix de longues études et méditations, il s’est efforcé de mettre en lumière, les multiples faces du génie de Baudelaire. Son exégèse est des plus profondes. Il a su voir, par delà les apparences « Le mémorial, comme il le dit, du combat dramatique de l’homme exilé par le péché mais dirigé virtuellement vers la maison de Dieu par une nostalgie infinie ».

M. Mario Turiello est de ces Italiens merveilleusement cultivés à qui rien de ce qui est humain n’est étranger. Il a choisi de s’exprimer en langue française, continuant ainsi une tradition fort honorée, à travers les âges, par certains écrivains d’Italie, de Roumanie, d’Angleterre. Un effort si noble devait retenir l’attention de l’Académie. Elle est heureuse d’avoir pu marquer sa parfaite estime à M. Mario Turiello.

M. Adolfo-Costa du Rels, ancien Ministre des Affaires étrangères de Bolivie, est actuellement ambassadeur de ce pays en France après avoir été son représentant à la Société des Nations et, au sein de cette organisation, membre du Comité des Lettres et Arts d’abord présidé par Henri Bergson, ensuite par Paul Valéry. Dès 1914, il obtint le Prix Femina pour son poème Incantation à la Mer, et, bon juge le charmant conteur Henri Duvernois lui prédit « le plus bel avenir ». Parmi ses romans et volumes de vers qu’il a publiés, nous nous plaisons à signaler surtout son livre intitulé : France, terre courtoise préfacé par Mme la Duchesse Edmée de La Rochefoucauld, où il a, d’une manière très touchante, exprimé son attachement à notre pays.

Ancien Ministre plénipotentiaire d’Albanie en France, M. Stavro-Stavri a pris sa retraite dans notre pays après l’avoir longtemps habité, d’abord pour compléter ses études, puis pour accomplir les devoirs de sa fonction. C’est à la Faculté de Paris qu’il reçut son titre de Docteur en Droit, puis à notre Sorbonne qu’il soutint brillamment sa thèse de Doctorat. Il aime la France comme sa patrie. C’est en notre langue qu’il écrit ses Études sur l’Albanie.

Parmi les dernières publications de l’orientalisme français, l’Académie française a particulièrement distingué l’Anthologie persane (XIe-XIXe siècle) publiée par notre éminent confrère de l’Académie des Inscriptions et belles-Lettres, M. Henri Massé. Ce beau livre, aussi remarquable par sa valeur scientifique que par son charme littéraire, fera mieux connaître en France une belle littérature et contribuera à resserrer les liens qui nous unissent à l’Iran. Ceux d’entre nous qui ont eu le privilège de visiter la Perse savent combien notre langue et notre littérature sont répandues dans les élites de ce pays. Grâce à la nouvelle Anthologie persane nous pourrons goûter de même les poètes d’Ispahan et de Chiraz.
M. Timoléon Brutus, ancien bâtonnier au Barreau de Port-au-Prince, ancien Secrétaire d’État, est l’auteur, entre autres, de deux ouvrages en 2 tomes chacun, sur l’histoire de sa patrie : La Rançon du Génie ou la Leçon de Toussaint-Louverture, et L’Homme d’airain, ce dernier sur le fondateur de la Nation haïtienne, Jean-Jaques Dessaline.

Comme, malgré toutes les vicissitudes et les pressions exercées sur ce pays, ses habitants sont restés fièrement fidèles à la langue française, qui est la langue officielle de la République d’Haïti, ses livres sont écrits en un excellent français. Lorsque, cette année, M. Timoléon Brutus vint à Paris et fut cordialement reçu par les Pouvoirs publics, nous eûmes plaisir à enten¬dre une conférence qu’il fît en un impeccable français. En l’écoutant, nous nous rappelions une déclaration de M. Philippe Cantave, Consul général d’Haïti au Canada, lui-même lauréat de notre Académie « À l’aurore même de notre indépendance, disait-il, nous avons volontairement préféré à l’anglais, peut-être plus pratique, à l’espagnol plus facile, ce français, plus difficile, sans doute, mais combien délicat et nuancé. Et, depuis lors, cette langue « aux beautés souveraines » dure chez nous. Même nous avons souffert pour la conquérir. Il y a plus : Haïti est le seul état du monde, après la France, où la langue française est la langue officielle et usuelle ». Quelle fierté pour nous que cet attachement séculaire au parler de notre France ! C’est en toute justice que, par le don d’une médaille, nous indiquons nos sentiments émus à l’égard de cette touchante fidélité. Mais c’est tous les jours, à toute heure, que Haïti rend hommage au génie de la France, à ce que nous avons été, à ce que nous essayons d’être encore, à ce que nous voulons fermement être toujours.
La grande place qu’un sentiment de sympathie et de gratitude m’a fait donner à des écrivains étrangers, amis de la France, et familiers de notre langue, ne me laisse plus le temps de parler aussi complétement que je le voudrais de certains livres couronnés. Je le regrette.

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Voici nos lauréats du Prix Dupau :
M. Francis de Miomandre, lors de ses débuts, donna libre cours à une verve de pure fantaisie en quelques ouvrages, dont l’un : Écrit sur de l’eau lui valut l’honneur du Prix Goncourt. Puis, s’efforçant d’unir cette fantaisie à son esprit narquois, à la vérité et au sentiment, il se fait l’observateur ironique, certes, mais attendri de la comédie humaine et particulièrement de la parisienne. Enfin, depuis quelques années, sans rien perdre de ses qualités premières, il s’élève à des livres souvent pathétiques où le réel est à la base de la poésie et du rêve. Simultanément, il se montre un critique juste et bien informé avec des volumes intitulés : Figures d’hier et d’aujourd’hui, Visages, Le Pavillon du Mandarin. En outre, M. Francis de Miomandre a excellemment traduit de l’espagnol cinquante ouvrages anciens et modernes.

Filles du fécond et très louable romancier Paul Margueritte, Mmes Eve et Lucie-Paul-Margueritte, très différentes l’une de l’autre par le tempérament et la vision, se rejoignent dans un commun amour des Lettres, auquel toutes deux ont soumis leur vie entière. En ses 25 volumes, Mlle Lucie Margeritte a pratiqué avec talent tous les genres : contes, romans, comédies. Elle a révélé poétes et prosateurs de la vieille Chine et rapporté de l’Afrique du Nord : Les Chants Berbères du Maroc, Tunisiennes, qui ont remporté le Grand Prix du Protectorat, et un remarquable volume : En Algérie. Mme Eve Margueritte, romancière avant tout, a publié plus de 40 romans, traduit de nombreuses œuvres des meilleurs auteurs américains, et anglais parmi lesquels Thomas Hardy. Le travail de ces deux sœurs, cruellement meurtries par la guerre, est émouvant. En collaboration, elles ont écrit une trentaine de volumes très divers, dont une charmante évocation du quartier parisien Auteuil-Passy, si riche de souvenirs littéraires et artistiques.

Vieilli sous le harnais, mais encore plein d’ardeur politique, M. Émile Buré a une longue et brillante carrière de journaliste et fut directeur de plusieurs grands journaux très lus. Chacun de nous est libre de ne point partager ses opinions, de ne pas approuver tous ses jugements. Mais on ne peut méconnaître son talent vigoureux et caustique, ni la grande place que, dans les feuilles dirigées par lui, il a toujours faite aux œuvres des écrivains, à la littérature, trop souvent négligée parmi les innombrables informations internationales.
Le poète Wilfrid Lucas est entouré d’estime et de respect pour la haute spiritualité qu’atteignent ses poèmes, vraiment épiques. Il en a conçu l’esprit ait cours de longues années, en son cerveau de croyant, et voilà trente tins qu’il s’applique à les échafauder et mettre au point. L’Académie ne s’est pis montrée insensible à la noblesse et aux qualités littéraires.de cette vaste constructive, qui veut unir l’amour humain à l’amour de Dieu. Chaque fois qu’un de ses étages fut édifié, elle l’a salué d’un de ses Prix : en 1936, Pour Cavaliers de Dieu, en 1944 pour l’Évangile du soir, en 1947 pour le Grand Voilier des âges. Aujourd’hui vient de voir le jour : Le Porche de la Mer qui n’est pas encore le sommet de l’édifice. L’Académie s’est fait un devoir d’en favoriser l’achèvement, d’applaudir à cette entreprise qui nécessite une persévérance peu commune et une véritable puissance de souffle.

Pourquoi le poète Philéas Lebègue a-t-il volontairement choisi de vivre en cultivant la terre ? C’est par amour de l’indépendance, que, la vie à la campagne et le libre travail des champs en sa ferme familiale lui assurent, paraît-il, mieux que toute autre profession. Ayant commencé des études secondaires que la maladie interrompit, et que, de bonne heure, il compléta par de méthodiques lectures, il aurait fort bien pu briguer et tenir quelque poste bureaucratique ou faire un apprentissage de notaire ou d’avoué. Mais il aimait la Nature autant que la liberté. Si bien que, dès son adolescence, sentant en lui le goût de la littérature, il opta pour la vie rurale sans peut-être se douter qu’un jour il en chanterait la dignité et la noblesse. Pourtant, peu à peu, en labourant, entraîné par ses lectures et les réflexions qu’elles lui inspiraient, Philéas Lebègue a écrit certains essais de linguistique, d’histoire, de philosophie et des romans. Mais surtout, lorsqu’il quitte le mancheron de la charrue, l’aiguillon pour conduire ses bœufs, il chante les travaux de la glèbe selon le rythme des saisons, la peine et les angoisses du paysan, la joie des récoltes, les mœurs des villages. Aussi est-de comme « poète-laboureur » qu’il est surtout connu et le plus favorablement apprécié, bien que — en souriant — il ait parfois protesté contre celle trop restrictive appellation qui, déclare-t-il, injustement — et, je pense, sans y croire beaucoup — nuirait à sa notoriété dans les villes. Ce en quoi il se trompe.

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En souvenir de notre très aimé confrère, Edmond-Jaloux, et pour rendre un suprême hommage à la mémoire de cet  éminent critique et romancier, qui, consacrant toute sa vie aux Lettres, nous. laisse soixante volumes de haute qualité, il nous a paru juste de réserver le Prix Louis Barthou pour Mme Edmond Jaloux, qui fut, non seulement une compagne attentive et dévouée, soutenant par une affectueuse sollicitude travail ininterrompu de son mari, mais une manière de collaboratrice par les entretiens qu’elle avait sans cesse avec lui sur le sujet et les péripéties des romans, les physionomies et démarches des personnages, et, en ce qui concerne l’histoire des Lettres sur les caractéristiques de chaque époque étudiée. Ainsi devons-nous à Mme Edmond Jaloux d’avoir pu faire paraître, depuis la mort de son mari, plusieurs volumes qu’il avait eu le temps d’écrire, mais, non de publier. Nous l’en remercions.

Le Prix Alice Barthou a pour titulaire Mme Jeanine Galzy. Sa brillante carrière s’est inaugurée, on le sait, par ce livre, poignant : Les Allongés, tableau des douleurs morales engendrées, chez les jeunes en traitement à Berck, par le mal physique.
Professeur agrégé, Mme Jeanne Galzy s’est penchée sur certains problèmes de l’enseignement et de l’éducation d’où sont issus des ouvrages comme : Une Femme chez les Garçons, Jeunes filles en serres chaudes. Mais elle ne se cantonne pas à un genre. Elle s’est laissé tenter par l’attrait de figures du passé : Sainte Thérèse d’Avila, Catherine de Médicis, la Reine Margot, André Chénier, George Sand. Son ingénieuse imagination ne lui laisse cependant pas abandonner le roman. Après La Grand’rue, Le Village rêve, voici récemment, sous le titre : La femme étrangère, trois cas d’un dramatique extrême, trois histoires qui replongent le lecteur dans l’atmosphère qui nous a oppressés pendant l’affreuse guerre. On y retrouve l’art d’enchevêtrer événements et psychologies. Ce qui est l’éminente distinction du talent, d’autre part si humain, de Mme Jeanne Galzy.

M. Pierre-Henri Simon est le lauréat du Prix Max Barthou pour Les Raisins verts. L’histoire d’un sentiment trop tendre, mais inavoué, platonique, entre une épouse et le fils de son mari, crise qui ressortit, mais de loin, au mythe de Phèdre, n’est pas le thème de premier plan de ce roman tragique : il est dans le malentendu de l’intelligence et de la sensibilité entre un père et un fils. L’auteur explique ces divergences, nous fait suivre ces débats, avec un art prenant. De forts arguments des deux côtés se confrontent et des idées répondent aux antagonismes et inquiétudes actuels. Roman curieux, où l’on sent les habitudes de discrimination d’un écrivain qui passa par la culture de l’École normale. Les éloquents dialogues ou Méditations ne nuisent pourtant pas au mouvement dramatique.

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En collaboration avec M. Louis Mouilleseaux, le général Ingold — qui, à partir du Tchad et jusqu’à l’heure de la complète, victoire, eut un rôle de premier plan dans l’armée du général Leclerc — a dessiné, avec un plein relief, un portrait intellectuel et moral de ce grand chef héroïque, entré glorieusement dans la légende. Ce livre intitulé Leclerc de Hautecloque, et superbement illustré, qui reçoit une part du Prix Marcelin Guérin, nous montre excellemment l’âme, le caractère, la clairvoyance, l’énergie et l’action de ce magnifique entraîneur d’hommes qui n’a jamais songé qu’à servir et délivrer la France.

Une autre part du Prix Marcelin Guérin a été à M. Humbert Ricolfi, combattant de la guerre 1914-1918, ancien Ministre et vice-Président de notre Chambre des Députés, pour son ouvrage Garibaldi, citoyen du monde. Il rappelle avec précision que, en 1870-1871, malgré certains dissentiments politiques entre l’Italie et la France, Garibaldi, à la tête d’une troupe de ses partisans, est venu combattre avec nous, sur notre territoire, pour le libérer, et que, en 1914-1918, les fils de Garibaldi, dignes de leur père, vinrent nous aider à chasser victorieusement l’envahisseur. Aussi juste qu’intéressant, ce livre est, en outre, fort opportun en ces années où nos deux pays, oubliant les tensions de jadis et de naguère, s’attachent, avec une égale bonne volonté, à rendre plus intime l’accord d’autrefois pour préserver notre commune civilisation latine.

Enfin, une dernière part du Prix Marcelin Guérin souligne l’intérêt d’une incursion à Saïgon notre France, où nous conduit M. Jacques Le Bourgeois qui a vécu en Indochine durant une période difficile et bien angoissante, de 1939 à 1941.

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Le bénéficiaire du Prix généreusement fondé par Mgr Grente, archevêque-évêque du Mans, est, Mgr Loutil qui, d’origine alsacienne par sa mère, est, dès son enfance, venu à Paris avec ses parents, y fit toutes ses études et y devint successivement curé de trois paroisses, de plus en plus importantes : De bonne heure, il compléta sa mission sacerdotale par un incessant et brillant apostolat littéraire. Ce fut, d’abord, par des romans d’une observation judicieuse, d’une fine psychologie, mais toujours dominés — sans la moindre apparence de prêche — par des préoccupations d’ordre moral. Et, très vite, ce fut surtout par la Presse que, sous le pseudonyme de Pierre l’Ermite, il poursuivit son action. Depuis plus d’un demi-siècle, en une langue expressive, avec esprit, avec une verve enjouée, parfois, malicieuse et narquoise, il commente, pour un vaste public, les préceptes de l’Évangile et montre que ce sont de sages exhortations pour que les hommes vivent dans la Paix, avec le respect les uns des autres, dans un esprit de justice, de bonté et de charité.

Le Prix Durchon est attribué à M. Jean Brethe de Lagressaye, professeur à la Faculté de Droit de Bordeaux, qui a publié dans la Collection des Universités de France, sous le patronage de l’Association Guillaume Budé, une édition critique de l’Esprit des Lois. Entreprise sans précédent. Le principal ouvrage de Montesquieu est célèbre, fréquemment cité, pourtant mal connu. Les lettrés en ont retenu les maximes où ils se plaisent à reconnaître la marque d’un grand moraliste français. Mais assez peu, sans doute, sont allés jusqu’à découvrir sûrement le plan et les intentions de l’auteur, la part du juriste se mêlant à celle de l’historien et du sociologue. M. Brethe de Lagressaye a su rendre plus accessible aux lecteurs du XX° siècle cette œuvre difficile. L’appareil critique laisse toute leur souplesse à de fines pénétrations du jugement. Aussi peut-on dire que, par son introduction et ses commentaires d’une clarté parfaite, le compatriote de Montesquieu, ce fils de la Gironde, a presque restitué un chef-d’œuvre à notre littérature.

M. Maurice Bémol reçoit l’autre moitié du Prix Durchon pour son analyse de l’œuvre de notre toujours cher et regretté Paul Valéry. C’est un in-8° de 400 pages, où le poète du Cimetière Marin, le créateur de M. Teste, est éclairé dans toutes ses richesses intellectuelles et verbales. Travail d’une singulière acuité où le critique est lui-même constructeur, tant il édifie, par ses définitions qui s’étagent avec une méthode inattaquable et la rigueur de ses déductions, un véritable monument littéraire de grande classe. Valéry nous apparaît dans l’admirable équilibre de son intelligence et de sa sensibilité, qui lui confère, avec la faculté raisonnante et les fermes données de la conscience, les aptitudes de l’imagination créatrice.

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Le libellé des Prix « Général Muteau » stipule qu’ils doivent être dirigés vers « des Sociétés ou des Individus de nationalité française, qui auraient le plus contribué, par leur propagande, leurs écrits, leurs actes, leur conduite héroïque, à la grandeur et à la gloire de la France ».

L’un de ces Prix si honorables a été voté au Commandant R. Sereau, pour son histoire de L’Expédition de Norvège de 1940, — préfacée par le Genéral Mithouard, —  qui, avec énergie et maîtrise, commanda l’armée chargée de cette entreprise. Après un court préambule sur les motifs de l’intervention alliée, il aborde l’exposé des opérations. Puis il raconte la bataille de Narwick. La prise de cette ville est un beau fait d’armes à l’honneur des forces françaises du corps expéditionnaire et de son chef. L’auteur rappelle que cette victoire n’a pu être exploitée, jusqu’au succès final en raison de la dangereuse situation des forces alliées au moment où elle fut remportée, à la fin de mai 1940. Il insiste sur cette vérité que le soldat et le commandement français ont fait preuve, en un pays où les circonstances atmosphériques sont particulièrement défavorables, des plus hautes vertus militaires. Bien que, par les détails, ce livre, d’ailleurs écrit avec soin, procède plus d’un rapport de l’état-major que d’une œuvre proprement littéraire, il constitue un message d’espoir par cette nouvelle preuve qu’il apporte de la permanence des qualités du combattant français. Ce pourquoi il a droit à l’une de nos couronnes.

Une autre partie du Prix Muteau salué le livre de l’amiral Decoux : À la barre de l’Indochine, livre où, de jour en jour, sont narrés, de façon pathétique, en une langue précise et colorée, les efforts de la France et de ses chefs — particulièrement de lui-même — pour arrêter les infiltrations japonaises et autres ou, faute de mieux, pour les neutraliser en maintenant l’autorité et le prestige français. Efforts aussi pour conserver l’amitié des habitants de l’Indochine. Bien meurtri à l’heure actuelle, ce pays a eu, pendant soixante ans, des gouverneurs — civils et militaires qui firent honneur à la France et dont l’action peut se définir en ces quatre mots qui sont comme la devise résumant bien les invariables principes de notre nation à l’égard des peuples constituant l’Union française : Savoir, Comprendre, Aimer, Respecter.

Enfin, le troisième Prix « Général Muteau » est bien mérité aussi par le Commandant Thomazi, ancien officier de Marine et historien de la mer. C’est La Bataille de l’Atlantique que, dans le livre ainsi intitulé, il retrace avec précision. Cet ouvrage est le premier, donnant une idée d’ensemble de la bataille ininterrompue, qui a commencé le jour même de la déclaration de guerre et ne s’est terminée qu’après l’armistice, dans les espaces périlleux et plein d’embûches de l’Océan. Il en montre les divers aspects (lutte contre les sous-marins et les corsaires, action aérienne, destruction de la flotte allemande) en s’appuyant sur une documentation solide, exempte d’encombrante technicité et sans négliger les incidents pittoresques qui augmentent l’intérêt du récit.

Regrettant de ne pouvoir couronner un écrivain décédé, l’Académie française tient cependant à témoigner sa sympathique fidélité à la mémoire du philosophe et historien littéraire Amédée Ponceau en signalant la valeur de son livre posthume : Paysages et Destins balzaciens, qui, s’accorde si bien avec les cérémonies actuelles célébrant le génial romancier de la Comédie humaine et qui ajoute un nouvel élément à cette retentissante série d’hommages.

Dans la même pensée nous avons nommé pour le Prix Vitet M. l’abbé Philippe Bertault qui a multiplié les publications sur les plus divers aspects de l’œuvre de Balzac et particulièrement sur le sentiment religieux, et qui étudient Balzac en face du Divin, Balzac et la Religion, (thèse de Doctorat), Balzac et le Catholicisme, Balzac et la musique religieuse. Il faut ajouter le commentaire qu’a fait M. l’abbé Philippe Bertault sur un écrit longtemps inédit de Balzac : Le Traité de la Prière et son étude, parue cette année même : Balzac précurseur du Catholicisme social.

C’est à la gloire de Victor Hugo, que M. Paul Souchon, Conservateur du Musée de la Ville de Paris portant le nom de l’illustre poète, a consacré sa vie littéraire. Il vient de faire paraître un nouveau livre : Victor Hugo, l’homme et l’œuvre, livre très complet où sont racontées les péripéties de son existence mouvementée et laborieuse, l’influence qu’elles ont eue sur ses idées, sur ses créations. C’est comme une « somme » que nous aimerions voir dans toutes les bibliothèques scolaires et publiques. En le désignant par le Prix Guizot nous avons voulu en souligner la valeur éducative autant qu’en recompenser les mérites littéraires.

Le Prix Saintour est donné à M. Antoine Bibesco, représentant d’une grande famille roumaine, invariable ami de la France. Il vient de rendre publiques les lettres que lui adressa Marcel Proust et dont ses commentaires, d’ailleurs sobres, ajoutent des traits notables à la physionomie de Proust. Ces lettres témoignent d’une intimité de vingt ans où s’exerça l’influence du destinataire, à un certain moment, sur la sensibilité artistique de son correspondant, car il lui fit mieux connaître les beautés architecturales de la France. D’autre part, ces lettres attestent que plusieurs éditeurs ayant refusé de publier les premiers livres de Marcel Proust, c’est M. Antoine Bibesco qui en fit comprendre à l’un d’eux l’originalité et sut vaincre toute hésitation.

La moitié du Prix Saintour échoit à. M. Robert Paul auquel nous devons un Dictionnaire d’une conception tout à fait neuve qui rendra de grands services et dont la lecture se poursuit par plaisir, d’article en article. Il renseigne non seulement sur le sens et l’étymologie des mots, mais aussi, d’après des exemples bien choisis, montre les associations d’idées qu’ils suggèrent selon l’emploi qu’on en fait dans certaines phrases.

Le Prix Rocheron est décerné au comte de Levis-Mirepoix, prince de Robeck, qui vient de réunir en volume, avec remarques et explications, les Mémoires et certains rapports diplomatiques du Comte de Lebzeltern, ambassadeur d’Autriche à Rome, puis à Saint-Pétersbourg et à Naples, l’un des collaborateurs préférés de Metternich. Sous l’impulsion de ce chancelier, il intervint maintes fois et en des sens divers, selon les circonstances et le sort des batailles, auprès du Saint-Père, puis de l’Empereur Alexandre de Russie, soit pour les exhorter à la conciliation dans leurs rapports avec Napoléon, soit pour les inciter à la résistance. Ces Mémoires, jusqu’alors inédits, sont d’un exceptionnel intérêt, car ils apportent une sérieuse contribution à l’histoire politique et diplomatique de l’Europe de 1800 à 1830.

M. Ernest Laut reçoit une part égale du Prix Rocheron. Conteur, romancier, collaborateur régulier de maints journaux, pendant trente années, il fut rédacteur en chef de l’un d’eux, très répandu, et il y réserva toujours urne place importante aux Lettres et aux écrivains, particulièrement à ses jeunes confrères.

Le Prix Ferrières rend hommage à M. Pierre Savigny qui, venu en 1940 du Canada, sa terre natale — où sa famille a un important rôle officiel — pour défendre, sur le sol de France, la liberté du monde, y a combattu vaillamment et en est reparti avec une double mutilation. Dans un livre fort émouvant, intitulé Face à l’ennemi, il nous dit les impressions ressenties parmi les paysages français, auprès de nos soldats en action dans la bataille. Il nous raconte sobrement ce qu’il a fait et, avec une plus généreuse abondance, ce qu’il a vu faire.

Destiné par son fondateur à faciliter et encourager les travaux « d’un homme jeune, orienté vers les spéculations de l’esprit ou vers la littérature d’idées ou vers les études psychologiques », le Prix Dumarest est accordé à M. Marcel Guilbaud, qui, après avoir écrit deux volumes non encore publiés, travaille à sa thèse de Doctorat : L’Âme romantique et la mer, et à un livre : La Poésie philosophique et religieuse d’inspiration spiritualiste.

Le Prix Capuran est décerné, à M. Robert Morche pour l’ensemble de ses œuvres en vers et en prose et pour sa constante activité littéraire qui, dans la vaste région provençale où elle s’exerce, contribue à entretenir une précieuse ferveur intellectuelle.

Le Prix Faguet est bien dû au travail de M. Henry de Bouillane de Lacoste, qui a surtout pour but de fixer la date des deux derniers ouvrages du poète Rimbaud : La Saison en Enfer et Les Illuminations, chronologie qui importe à la connaissance des pensées et de la vie littéraire — si brève — de l’auteur du Bateau ivre. Ces dates sont matière à controverses et M. Bouillane de Lacoste aborde ce sujet avec un sens critique, une méticuleuse patience qui vont d’argument en argument serrés pour aboutir à une probante conclusion.

Un premier roman, Les Roseaux froissés de M. et Mme Alain Peyrefitte avait été remarqué comme une étude sur l’adolescence considérée dans ses rêves et mouvements du cœur. Sous la forme du Prix Lange nous mettons un signet dans leur essai, récemment édité : Le Mythe de Pénélope. C’est une broderie d’une extrême ténuité, où, avec les plus élégantes arabesques, le symbole apparaît de la conjugale et si noble aventure homérique, et laisse découvrir, comme les auteurs l’annoncent, une sorte d’existentialisme, non de l’angoisse mais de la confiance.

Ce prix est partagé Mgr Bruno Bernard Heim, savant héraldiste, dont le volume : Coutumes et Droit héraldique de l’Église traite de l’héraldique ecclésiastique actuelle, non seulement en artiste et en historien, mais aussi en juriste.

Le Prix Miller a été retenu pour M. Ernest Lemonon, juriste du Droit international, auteur d’ouvrages réputés sur la politique de nations voisines et notamment de l’Italie.

Sous une fiction romanesque, son récent livre est l’histoire même de celui qui la raconte, histoire d’un Bonheur. Et c’est de ce beau mot que s’appellent ces pages, infiniment émouvantes qui, sans y tendre, atteignent à un lyrisme grave et sobre.

Avec le Prix Missarel, nous avons voulu témoigner notre estime à un livre d’une densité de réflexions et de discussions où le docteur Maurice Vernet apporte des clartés sur l’énigme de l’Hérédité. Livre de science biologique, mais qui touche aux problèmes auxquels s’attachent les inquiétudes de l’intelligence depuis qu’il y a des hommes et qui pensent.

Si les conclusions du docteur Vernet sont celles d’un philosophe, c’est que son expérimentation et ses observations de savant les imposent à sa probité d’esprit. L’œuvre est de celles qui donnent à l’homme la notion de sa dignité et l’encouragent à devenir en acte ce qu’il est en puissance. Ces vues philosophiques font cet ouvrage de science justiciable d’une récompense de l’Académie française.
Sous le signe de Saturne, de M. Robert Viel, n’est pas un début et l’on y sent une expérience technique et une décision de se dérober à la mode des aventures pimentées de l’instinct ou maladives de l’esprit. Ce roman est une introspection forante et persévérante qui se colore de scènes rustiques et où passent des personnages pittoresques. Le Prix Vitet le recommande à une audience attentive au mystère et aux évolutions des sentiments.

Avec une prose d’une naturelle distinction, Mme Marie-Thérèse Gadala, poète d’autre part, a exploré certains Cœurs et âmes avec une délicate recherche sur les préoccupations de la vie intérieure. Les circuits que fait cette idéaliste la mènent toujours à trouver, comme elle dit joliment : « Dans la nuit la plus sombre, les étoiles », et c’est le Prix Ségalas qui lui a été réservé.

Mlle Marcelle Joignet a remporté le Prix Hervieu, avec un acte en vers : La solitude de Monsieur Descartes. Elle nous met en présence du Descartes, qui a pu écrire dans le Discours de la méthode : « J’étais amoureux de la poésie ». C’est donc l’homme sensible que nous voyons dans un arrêt qu’il fit à Tours, chez des amis. Il est encore endolori par la mort de sa fillette Francine, âgée de cinq ans. Sur la donnée de ce deuil, Mlle Joignet a écrit des scènes de tendresse et d’exquise sentimentalité, en inclinant l’illustre penseur vers une enfant de grâce pétulante qui l’émeut, le conquiert.

Mme Jacques Verd méritait un de nos Prix Montyon pour son charmant « précis » de psychologie animale qui conclut, après maintes démonstrations et relations de petits faits, à l’intelligence de Deux Lapins sauvages : Histoire naturelle et de biologie zoologique où l’on se croit en excursion parmi le thym et la rosée.

Après Moncrif, après Chamfleury, le docteur-vétérinaire Maurice Barat est un panégyriste du chat. Il n’omet rien de ce qui peut faire aimer ce gracieux animal domestique, chanté par tant de poètes. Il n’a rien négligé pour épuiser la question, ainsi qu’en fait foi un index bibliographique digne d’une thèse d’État, comme est digne d’un de nos Prix Montyon cet éloquent plaidoyer, qui se réfère à l’histoire et aux légendes autant qu’à la science.

Encore un Prix Montyon pour la Grand’Route de M. Christian Germoz. C’est le pathétique journal d’une jeune femme pendant l’exode de si tragique souvenir. Il en dit toute l’horreur, toutes les souffrances, toutes les torturantes surprises, mais aussi ce qu’il y eut de courage déployé, de force d’endurance à travers l’épuisement du corps et les angoisses de l’âme. Rien n’y est poussé au noir pour un effet d’horreur. Mais cet assemblage de faits dans le désordre d’un peuple fuyant la barbarie d’un envahisseur, dans cette terreur d’une foule qui a faim, qui a soif, qui ne sait ce que sera demain, est un témoignage que l’histoire doit enregistrer.

Et encore deux Prix Montyon :
Il semblait que tout aurait été dit sur Letizia, mère de l’Empereur. Il restait pourtant à dire, comme le prouve M. Alain Decaux qui, en consultant de nouveaux documents, ajoute, dans un livre sur Madame Mère, plus d’un trait à cette physionomie de matrone Corse. Il met en relief tout ce qui est utile pour expliquer le caractère de Napoléon. Ce récit attachant ajoute à l’admiration qui ne fut jamais marchandée à cette femme d’énergie et de sens rassis. À l’époque où elle élevait ses jeunes enfants, Paoli ne l’appelait-il pas : « Cornélie, la mère des Gracques » ?
C’est grande habileté d’avoir pu faire, sans rien négliger d’essentiel, en un petit volume, une Vie de Napoléon que vingt in-folio n’épuiseraient pas. M. Jean Gaillard sut accomplir ce tour de force en nous donnant un raccourci captivant, dans un style savoureux qui ajoute le charme de la formé à l’intérêt du fond.

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Malgré toutes ces brèves analyses que j’ai faites d’œuvres couronnées, il en reste encore une centaine dont je ne peux même pas citer les titres et les auteurs. Le temps si limité qui m’est imparti pour ce rapport — qui ne doit pas être un palmarès — ne me le permet pas. Du moins, tous les lauréats trouveront-ils au Secrétariat de l’Académie des listes imprimées et complètes de tous les Prix.

Mais je tiens pour un impérieux devoir de mentionner plusieurs volumes de vers que mous avons honorés. Car nous vivons dans une atmosphère où il faut moins que jamais négliger la Poésie.

Comme l’an dernier, aucun des poèmes envoyés pour concourir au Prix du Budget, ne nous parut mériter cette distinction, nous prîmes le parti de maintenir, pour 1950, le même sujet « La Lumière, ». Ce qui nous laisse le moyen de distribuer à la fois deux Prix. Sans doute, mieux annoncée par les journaux, cette prorogation de concours nous a valu maints poèmes d’une noble inspiration et d’une belle tenue, envoyés comme toujours avec une simple devise.

Lorsque, après de consciencieux débats à la Commission des Prix, puis, en séance plénière, nous nous fûmes mis d’accord sur les envois qui nous parurent les meilleurs, j’ouvris devant tous mes confrères assemblés les deux enveloppes cachetées contenant le nom des auteurs dont, jusqu’à cette minute, nous ne connaissions que la devise, j’eus la surprise d’y relever le nom de deux écrivains fort connus et fort estimés : MM. J.-H. Louwyck et Pierre Crosclaude.

Attirés par la beauté du sujet bien choisi, ils avaient eu la modestie, le silencieux courage et aussi la dignité, la délicatesse d’affronter le risque d’une telle compétition avec     maints poètes ayant une moindre situation dans les Lettres, sans en dire un seul mot aux amis que l’un et l’autre pouvaient avoir dans la maison.

M. J.H. Louwyck a, en prose comme en vers, une production abondante et de qualité, qui légitime le beau renom dont il jouit. Nous sommes heureux d’avoir été, sous cet anonymat volontaire, sensibles à son talent et eu l’occasion de rendre un hommage des plus sincères.

Quant à M. Pierre Grosclaude, ancien Normalien, docteur ès-Lettres, Président de la Société des Poètes français, il s’y montre si actif, dévoué, ingénieux, éloquent, que d’année en année, ses pouvoirs lui sont renouvelés par les acclamations ratifiant un vote unanime. Auteur de nombreux livres de prose et de recueils de poèmes, il vient d’en publier encore un : Cette autre mer profonde, cette mer spirituelle, ces profondeurs de l’âme agitées de sentiments divers où le philosophe confie au poète ses interrogations anxieuses, les ambitions de l’intelligence tandis que le cœur se meurtrit dans la mélancolie des désirs et regrets.

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Le grand Prix de Poésie attribué cette année pour la première fois a comme bénéficiaire M. Pierre-Jean Jouve, à l’occasion de son volume : Diadème. Mais c’est toute une œuvre, une fière solitude et un effort puissant que l’Académie a voulu Honorer. Dans Paradis perdu, Sueur et Sang, le don Juan de Mozart, les Noces, on peut admirer une langue d’une large et ferme sûreté, une inspiration qui reste toujours haute, même lorsqu’elle s’accorde des réalismes soudains. Si M. Pierre-Jean Jouve adopte des rythmes qui peuvent sembler tout personnels, s’il fait parfois fi de la rime, ce n’est pas pour obéir à des facilités commodes. La richesse de son vocabulaire, la hardiesse de ses images, leur foisonnement symbolique et son recours à quelque mystère en font une des émou¬vantes voix de la Poésie moderne.

Le Prix Archon-Despérouse est partagé entre Mme Mauger Kauffmann, Mlle Alice Cluchier et M. François Delcourt.

Mme Mauger-Kauffmann, dont 1’un des meilleurs volumes de vers est inspiré par l’amour maternel et le vide douloureux des foyers sans enfants, vient, sous le titre Reflets divins, nous donner des pages de méditation religieuse à l’ombre de silencieux monastères. Les rêveries mystiques, l’abandon d’une âme pieuse et fervente à la douceur évangélique, et ces tendres adorations s’expriment dans une langue claire et harmonieuse.

Mineur de son métier, vivant dans les profondeurs de galeries souterraines, sous un bas plafond, entre des murailles de charbon, M. François Delcourt n’en a pas moins un tempérament poétique qui l’a poussé à décrire, dans son livre Chant de la Mine, les risques et les peines de son dur travail, les idées et les mœurs de ses compagnons, l’existence de leurs familles au logis, l’animation des corons, la physionomie du « carreau » qui entoure les puits, les aspects et les austérités de cette vie dangereuse.

Comme l’écrivait le très regretté poète Léo Larguier sur le premier livre de Mlle Alice Cluchier, elle chérit son tourment et rien n’arrive à l’en distraire. Son ciel est tumultueux. Elle semble ignorer les sites apaisés. Elle ne sait que son âme. Son récent ouvrage : En faisant l’air sentimental la montre brûlée d’une flamme sombre. Une soif ardente de satisfaction spirituelle, des élans de fraternité humaine, rendent frémissants ses poèmes très colorés où luttent l’angoisse et l’espérance.

Le prix Bernard signale le volume intitulé : D’une lettre… au courrier du Jour, de Mme Yvonne Devisme, jeune poétesse dont les accents bien personnels restent fidèles aux règles traditionnelles de la versification française. Et, sur des rythmes harmonieux, elle sait rendre les plus subtiles nuances du sentiment et de la pensée.

Mme Rondeau Luzeau est de ces esprits de notre France qui ne veulent pas qu’on oublie les grandes heures de la guerre de 1914-1918. C’est ce qui l’a conduite à composer le Livre du Souvenir, d’une émotion qui se traduit en vers robustes comme de durables palmes pour orner une stèle où seraient gravés des noms et des dates inoubliables. Nous l’en félicitons avec le Prix Wils.

À Mme France Lambert est dévolue une partie du Prix Jules Davaine pour son recueil : En cherchant la Terre promise. C’est un poète de mouvement et de vie, comme en témoignaient ses ouvrages antérieurs. Elle confesse cette fois le frissonnant désir d’une âme tendre vers les bonheurs humains, mais qui s’épuise en une quête de l’impossible et finalement se résigne à ne jamais aborder au pays de ses rêves. Tantôt classique, tantôt libérée, la poésie de Mme France Lambert épouse tous les remous de sa passion, la course haletante de son inspiration.

Mme Suzanne Bachot dont les volumes de vers, entre autres : Quand se penchent les lys, La Fontaine sonore, Comme une lampe ardente, etc. ont obtenu maintes récompenses, se voit attacher un nouveau laurier : le Prix Jousselin, pour son dernier livre : La Ronde en fleur. Son talent a une fraîcheur, une spontanéité qui fait songer à Mme de Noailles. Elle évoque les spectacles de la Nature avec une saisissante intensité. Ses poèmes d’amour sont d’une âme franche, éloignée de toute mièvrerie. Elle a écrit aussi, pendant les années sombres que nous venons de vivre, de vigoureux poèmes de résistance. Aujourd’hui son âme a trouvé sa sérénité dans un profond sentiment religieux. Sa Ronde en fleur est un bouquet de charmantes chansons enfantines dont elle a composé elle-même la musique. Simples, mais sans naïveté, imprégnées de la réalité quotidienne, ces chansons adaptées à l’intelligence et à la sensibilité des jeunes, sont destinées à instruire autant qu’à plaire et contribuent à faire éclore en eux le sentiment esthétique. Mlle Suzanne Bachot a pleinement réussi dans ce genre délicat et difficile.

L’Académie française a tenu à couronner pour la troisième fois Mme Anne Fontaine, non seulement parce qu’elle est une poétesse de grand talent, mais aussi parce qu’elle entretient dans un pays ami, avec un éclat particulier, par ses poèmes et ses chroniques, le culte de la littérature française. Avec des livres tels que Prismes, la Cantate des Objets perdus et ce Premier  Jour qui reçoit notre Prix Jouffroy-Renault, Mme Anne Fontaine a modulé des chants que n’entache aucun pastiche, aucun laisser-aller, aucune concession à la mode. Son amour de la mélodie, ses profondes rêveries, son impressionnisme descriptif lui assurent l’applaudissement des connaisseurs. Dans Le Premier Jour, elle divinise la Vie, la Nature, toutes les clartés, toute la création, êtres et choses. Tant d’âme et de musicalité font oublier l’absence de la césure et de la rime pour se laisser entraîner par un lyrisme continu.

La Marquise Francès de Dalmatie est l’une des plus jeunes poétesses de Paris. Ses vers sont aussi riches d’images que d’allusions, et d’ailleurs attestent une science des mots, des métaphores, de la métrique. Telle strophe ne suffit-elle pas à montrer une grâce verlainienne de l’enjambement :

Je rêve d’un long soir où le soleil aurait
Laissé glisser sur moi sa suprême caresse,
Où les branches, avec des langueurs de maîtresses
Berceraient mes regards au rythme des forêts.
Sa poésie intelligente ne tombe jamais dans le sensualisme commun. Si elle parle de la gourmandise, c’est en termes spirituellement savoureux.

Une autre part de ce même Prix Jules Davaine revient à M. Lucien Le Foyer. Homme politique et sociologue, il a fourni une longue carrière de lutteur et d’apôtre, au service des causes généreuses et, avant tout, de la Paix entre les Nations. Mais il est aussi un poète et, en écrivant Les Enchantements de l’esprit, il s’avère acquis aux enthousiasmes intellectuels comme aux contemplations des beautés de l’univers. Et cette objectivité cède parfois à des retours vers la traduction de certaines douleurs personnelles.

Poétesse méridionale, fille du Languedoc, Mme Miréio Doryan — à qui échoit le Prix Mesureur de Wailly — ajoute à une œuvre  déjà importante, un gros livre où d’amples poèmes célèbrent la splendeur de la création — qu’elle voit surtout sous l’aspect des visages et des paysages de son pays natal et qui porte pour elle témoignage de Dieu, que son âme douloureuse avait pressenti dans les affres de la souffrance. Le Grand témoignage comme indique la couverture de son livre, vaut par un souffle soutenu, une véhémence, quelque chose d’âpre parfois, mais où passent des vibrations solaires.

Le Prix Sivet, selon la volonté du donateur, doit aller à un écrivain originaire du Forez ou qui, même ne l’habitant plus, continuerait à l’évoquer dans ses vers ou sa prose. Nous ne pouvions faire un meilleur choix qu’en la personne du poète Louis Mercier dont, l’année dernière, ses compatriotes ont fêté avec affection ses quatre-vingts ans, qui n’a jamais quitté sa terre natale et dont la muse n’a jamais cessé d’être forézienne.

M. Louis Mercier s’attendrit au souvenir du foyer familial, de la maison où il a vécu avec ses parents, de tous les objets familiers, des meubles, du lit, de l’armoire, de la cheminée, de la lampe à huile, du crucifix accroché au mur. Il est le chantre des traditions locales, de la vie paysanne, des travaux, peines et joies des cultivateurs. Il se tourne avec respect vers les anciens de sa race qui fertilisèrent le sol sur lequel s’ouvrent les fenêtres de sa demeure et il s’excuse de n’avoir pas continué leur effort.

Je ne résiste pas à la tentation de citer quelques vers, où, avec simplicité, il exprime ce sentiment :
O bons semeurs de blé qui furent mes ancêtres
Et qui, du lit des morts, rêvez de nous, peut-être,
Que vos mânes profonds ne soient pas offensés
Si je n’ai pas marché les pieds dans votre trace,
Si je n’ai pas, fidèle à l’œuvre de ma race,
Repris votre sillon où vous l’aviez laissé...

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Se mêlant avec ferveur aux cérémonies organisées récemment pour fêter le centenaire de la mort de l’immortel romancier de la Comédie humaine, l’Académie a montré une fois de plus combien elle est fidèle au culte du souvenir. Elle s’est fait un devoir de participer, par des actes et des discours, à toutes les manifestations qui, depuis trois ans, eurent lieu pour commémorer — parfois pendant plusieurs jours ou semaines — Chateaubriand, Lamartine, Alfred de Vigny, Renan, Bergson, Joachim du Bellay, avec sa Défense et Illustration de la Langue française, Vaugelas, Anna de Noailles, Pierre Loti, Eugénie et Maurice de Guérin, Maurice Donnay, Jean Richepin, Guy de Maupassant, et, derrière lui, au-dessus de lui, son parrain et maître littéraire, Gustave Flaubert.

C’est avec un particulier empressement qu’elle s’est asso¬ciée aux hommages récemment rendus à Balzac, que tous les grands romanciers, nos aînés, appelaient avec admiration et gratitude « Le Père du Roman contemporain ».

À ce propos, certains lecteurs et quelques critiques croient pouvoir souhaiter que les jeunes romanciers s’éloignent des conceptions du créateur de la Comédie humaine, évitent les descriptions et les lents départs. « Nous sommes à l’âge, disent-ils, où les vitesses s’accélèrent. Il faut que le roman s’inspire de la rapidité, des successions d’épisodes du film. C’est ce que ferait Balzac s’il écrivait à notre époque ».

Parler ainsi, c’est concevoir le roman comme une histoire uniquement divertissante pour esprits fatigués, ou destiné à faire oublier, pendant quelques instants, la bousculade d’un voyage. Mais, ainsi conçu, le roman appartient-il encore à l’art littéraire ?

Sa technique, digne de ses traditions françaises, n’est celle ni du cinématographe, ni du théâtre. Certes, il doit être action, mais, avant tout, analyse et peinture de sentiments, de mœurs, de milieux dans un décor suggestif. Tel est le roman balzacien.

Ne pas tomber dans la prolixité, les détails inutiles, les trop minutieux inventaires, cela va de soi.

Mais il sied que, dès les premières péripéties, logiquement reliées les unes aux autres, les actes et les paroles des personnages nous laissent deviner leur âme, leurs passions, leurs origines. Et ainsi, tout de suite, nous nous intéressons à ce qu’ils vont sentir, vouloir et faire. Ce que n’obtiennent pas les épisodes se déroulant sans préparation ni explications, dans le chaos d’une construction désordonnée.

Avec des images juxtaposées au petit bonheur, de brèves scènes, plus ou moins bien raccordées entre elles, on trace des ébauches de personnages, mais on ne réussit pas à faire vivre l’individu-type. Encore un peu, avec le système préconisé, on tomberait dans l’esthétique de la marionnette.
D’ailleurs proscrire ceci, prescrire cela, édicter des lois, des règles, des procédés, n’a jamais servi à susciter des œuvres-maîtresses.

Seules s’imposent et résistent au temps — quels que puissent être parfois leurs défauts ou leur marque de mesure — celles qui sont l’expression d’un tempérament original et fort. Pour le romancier, pour le conteur, il n’y a pas d’autre commandement que d’évoquer, avec toutes les subtilités que lui permettent ses dons d’intuition, de vision, d’imagination, les émois nuancés de l’âme humaine dans l’atmosphère de telle ou telle société.

C’est ce que nous laisse bien voir le génie créateur du grand Balzac, l’un des plus hauts sommets de la Littérature française.