Discours de réception de Claude Boyer

Le 1 janvier 1666

Claude BOYER

Discours prononcé en 1666. par Mr. BOYER, lorſqu’il fut reçû à la place de Mr. Giry.

 

MESSIEURS,

C’EST avec beaucoup de confuſion que je me preſente devant vous pour le tres-humble remercîment que je ſuis obligé de vous faire, dans l’impuiſſance où je me trouve de m’en acquiter dignement. Il y a des graces qui ſemblent n’obliger pas celuy qui les reçoit à une exacte reconnoiſſance, ou parce que celuy qui les fait n’en connoît pas tout le prix, ou parce qu’il croit par une genereuſe modeſtie que ſon bienfait ne vaut pas la peine d’un remercîment. Il n’en eſt pas de même de vôtre bienfait. Vous en connoiſſez tout le prix & toute la dignité ; vôtre generoſité ne ſçauroit ſe la cacher à elle-même, & vous en êtes ſi convaincus, que vous nous faites une loy inviolable de la reconnoiſſance que nous vous en devons, & que le remercîment, qui n’eſt d’ordinaire qu’une action de civilité & de bienſéance, devient pour nous une action de devoir & d’obligation indiſpenſable. Vous voulez même, tant vous êtes jaloux de la gloire de vôtre bienfait, que le remercîment en demeure dans vos Regiſtres, pour y être la marque éternelle de vôtre grace & de nôtre gratitude.

Cependant, MESSIEURS, j’ay beau chercher dans mon eſprit de quoy répondre à vôtre attente, & à toute la ſenſibilité que j’ay pour la grace que vous m’avez faite. Cette recherche n’a produit que d’inutiles deſirs, & des penſées ſteriles. Le ſeul moyen que j’ay pour vous remercier, eſt de vous perſuader de toute ma reconnoiſſance, en vous perſuadant de la haute opinion que j’ay de l’honneur que vous m’avez fait. Je vous diray donc, MESSIEURS, que cet honneur m’a paru ſi grand, que j’ay paſſé pluſieurs années ſans oſer le demander. Une penſée ſi ambitieuſe n’oſoit ſortir de mon cœur, j’attendois que le temps luy donnât plus de force & plus de hardieſſe, & j’ay crû que ce qui me manquoit du côté des qualitez neceſſaires, pour obtenir cette place, ſeroit ſupplée par le merite de cette retenuë & d’une longue patience. Je puis vous dire encore, que je n’ignore pas combien il m’eſt avantageux d’occuper la place de Monſieur Giry. Je ſçay que ce grand Perſonnage a fait beaucoup d’honneur à nôtre Siecle & à nôtre Langue, & qu’il a été une des premieres ſources de ſa pureté & de ſa politeſſe ; & pour dire encore davantage, je ſçay qu’il a vécu avec tant de probité, avec des mœurs ſi pures & ſi belles, qu’on peut dire de luy qu’il a vécu comme il a parlé. Mais ce n’eſt pas aſſez, MESSIEURS, pour remplir mon eſprit de tout ce qu’il y a de glorieux dans la place que vous m’avez accordée dans vôtre Académie, j’ay jetté les yeux ſur tous les grands Hommes qui la compoſent, j’y ay vû des eſprits du premier ordre, qui portent leurs regards juſques dans le ſanctuaire, & qui dévelopent tous les jours les ſecrets de la Science de Dieu ; j’y en ay vû d’autres à qui la nature a ouvert tous ſes myſteres, & qui ayant civiliſé la Philoſophie, ont fait d’une ſcience étrangere & barbare, une ſcience de la Cour & du monde poli. J’y vois des perſonnes de la premiere qualité, qui auroient crû leur gloire imparfaite, ſi ayant les premiers Emplois, & les plus hautes places de l’État, ils n’en avoient obtenu une parmy vous. J’y en vois d’autres, qui remplis de la ſcience des Loix, occupent avec dignité les premiers Tribunaux de la Juſtice Souveraine ; j’y vois des perſonnes d’une profonde érudition, qui ſçachant toute ſorte de Langues, ſe peuvent vanter d’être de tout le monde; j’y en vois d’autres, que nous pouvons appeller les treſors vivans de l’Hiſtoire ; j’y vois les plus fameux Poëtes dans le genre delicat, galant, & ſublime, des Orateurs dignes de l’ancienne Rome ; j’y vois enfin les plus Sçavans & les plus juſtes Eſtimateurs des Ouvrages de l’eſprit, & tout ce qu’il y a de plus beau & de meilleur dans l’Empire des Sciences & des belles Lettres.

Ma vûë ne s’eſt pas ſeulement arrêtée ſur cet amas de gloire & de merite; j’ay voulu remonter juſques à celuy qui a fondé vôtre auguſte Académie, à ce grand Cardinal de Richelieu, qui a jetté ſi avant les fondemens de la grandeur Royale que ſon élevation fait trembler aujourd’huy toutes les Puiſſances de l’Europe. C’eſt ce grand Homme, qui a donné naiſſance à cet illustre Corps, & qui a crû qu’il étoit également de la gloire de ſon Miniſtere d’apprendre aux François à bien obéir & à bien parler.

Pour achever ces glorieuſes idées de la dignité de vôtre Académie, je n’ay pas oublié vôtre illuſtre Protecteur, le grand Seguier, qui n’a rien vû de ſi grand que luy parmy ſes prédeceſſeurs. Après cela, MESSIEURS, je penſe que je n’auray pas beaucoup de peine à vous perſuader de la grandeur & de la verité de ma gratitude, lorſque vous me donnez une place dans une Compagnie, qui renferme en elle tout ce qui fait le plus ſolide éclat, & la plus haute dignité. J’attens ſeulement de cette honorable Societé que je vais commencer avec vous, qu’en me donnant l’avantage de vous voir de plus prés, le connoîtray mieux tout ce que vous valez, & que cette connoiſſance augmentera l’eſtime & l’admiration que j’ay pour vôtre merite, & la reſpectueuſe reconnoiſſance que j’ay pour vôtre bienfait.