Remerciement de Paul Pellisson

Le 30 décembre 1652

Paul PELLISSON

Discours prononcé par Mr PELISSON le 30 Decembre 1652. ſur ce que l’Académie, en conſideration de ce qu’il avoit compoſé ſon Hiſtoire, avoit ordonné que la premiere place qui vaqueroit dans le Corps, luy ſeroit, & que cependant il auroit droit d’aſſiſter aux Aſſemblées, & d’y opiner comme Academicien, avec cette clauſe, que la même grace ne pourroit plus être faite à perſonne pour quelque corſideration que ce fût.

 

MESSIEURS,

Si vous avez attendu de moy un remercîment qui réponde à la grandeur de vôtre bien-fait, ou à la dignité de cette Aſſemblée, je ne doute point que vous ne vous repentiez bientôt de m’avoir ſi genereuſement obligé. Mais ſi on peut dire des graces que vous faites, comme on a dit quelquefois de celles du Ciel, qu’on les merite quand on en reconnoît parfaitement la valeur, jamais homme ne les merita mieux que moy, & vous ne fîtes jamais une élection plus judicieuſe.

Je ſçay combien il eſt glorieux d’être membre d’un ſi noble Corps, quelle utilité eſt jointe à cet honneur ; de quel plaiſir cette utilité eſt accompagnée ; combien de défauts me défendoient d’aſpirer à ces avantages ; combien d’obſtacles en la choſe même vous défendoient de me l’accorder.

Ces diverſes conſiderations ſe preſentent à moy ſans ceſſe. Il n’y en a pas une qui ne m’arrête, qui ne me touche ſenſiblement, qui ne me donne pour vous, MESSIEURS, quelque particulier mouvement de reconnoiſſance.

Commenceray-je par la gloire dont me comble une ſi rare faveur ? Les Rois, les Conquerans, & quelques uns même de ces Heros, dont l’Antiquité a fait les Dieux, ont pris autrefois à grand honneur d’être faits Bourgeois de certaines Republiques.

Cependant, MESSIEURS, à le conſiderer comme il faut, un Etat, quelque floriſſant & quelque illuſtre qu’il puiſſe être, qu’eſt-ce autre choſe qu’un amas de gen, que l’interêt & la neceſſité ſeulement joignent enſemble, où regnent tantôt les richeſſes, tantôt la force & la violence, tantôt l’intrigue & la fourbe & tres-rarement le merite & la vertu ? Certes, ſi la pompe exterieure ne nous éblouît, & ſi nous n’en jugeons par les yeux plûtôt que par la raiſon, autant que l’uſage eſt au deſſus de la multitude multitude, l’eſprit au deſſus du corps, & le deſir de ſçavoir au deſſus de celuy de vivre ; autant l’Académie eſt au deſſus de la Republique, autant l’honneur que vous m’avez fait ſurpaſſe celuy dont ſe glorifioient autrefois, & ces Rois & ces Conquerans, & ces Dieux même de l’Antiquité. Et quand de ces reflexions generales, je deſcens à de plus particulieres, quand je me remets devant les yeux cette celebre Compagnie, établie en la premiere Ville du premier Royaume du monde, formée par le plus grand Miniſtre qui fut jamais, & protegée encore aujourd’huy par un autre, qui pour tout dire, ne pouvoit être plus digne de luy ſucceder ; quand je me la repreſente compoſée de tant d’excellens hommes, connus, eſtimez, & admirez de toute l’Europe : quand je m’imagine que j’auray à l’avenir une place au milieu d’eux, & que je verray mon nom parmy les leurs voler par tout l’Univers, & prendre part aux louanges immortelles qui leur ſont duës : l’oſeray-je dire, MESSIEURS ? je doute ſi je veille ou ſi je dors, & ſi ce n’eſt point icy un de ces beaux ſonges, qui ſans nous faire quitter la terre, nous perſuadent que nous ſommes dans le Ciel.

Mais, MESSIEURS, ces beaux ſonges ne laiſſent rien après eux, au lieu que la gloire à laquelle vous m’appeliez, doit être bientôt ſuivie d’une utilité réelle & ſolide. Que ſert-il de le diſſimuler ? Si dés mon enfance les belles Lettres ont été ma paſſion ; ſi j’ay toûjours regardé l’art de bien écrire, comme la fin & le dernier but de tous mes travaux ; il ne m’étoit ni facile, ni poſſible d’y parvenir ſans la faveur que vous me faites. Il y a veritablement un petit nombre de Genies extraordinaires, que la nature prend plaiſir à former, qui trouvent tout en eux-mêmes, qui ſçavent ce qu’on ne leur a jamais enſeigné, qui ne ſuivent pas les regles, mais qui les ſont, & qui les donnent aux autres. Tels êtes-vous aujourd’huy, MESSIEURS, tels ont été aux siecles paſſez quelques grands Perſonnages de Rome & d’Athenes : mais quant à nous, qui ſommes, d’un ordre inférieur, ſi nous n’avons que nos propres forces, & ſi nous n’empruntons rien d’autruy, quel moyen qu’avec un ſeul jugement & un ſeul eſprit, qui n’ont rien que d’ordinaire & de médiocre, nous contentions tant de differens eſprits, tant de jugements divers, à qui nous expoſons nos ouvrages ? Quel moyen, que de nous-mêmes nous aſſemblions une infinité de qualitez, dont les principales ſemblent contraires, que nos écrits ſoient en même temps ſubtils & ſolides, forts & délicats, profonds & polis, que nous accordions toûjours enſemble la naïveté & l’artifice, la douceur & la majeſté, la clarté & la brieveté, la liberté & l’exactitude, la hardieſſe & la retenüe, & quelquefois même la fureur & la raiſon ? C’eſt beaucoup, ſi la naiſſance nous donne une partie de ce qui eſt néceſſaire pour ces grandes choſes, nous devons revecoir toute le reſte de l’Inſtitution ; il nous faut avoir recours aux Préceptes, aux Exemples, à des Amis, à des Maîtres ; & ces Préceptes, ces Exemples, ces Amis, ces Maîtres ; c’eſt parmy vous, MESSIEURS, que je me propoſe de les trouver. Que diray-je maintenant de la douceur que je me figure de vos Conferences ? Ceux que vous y admettez peuvent bien repreſenter en quelque ſorte & l’honneur & le profit qu’ils en attendent ; mais pour le plaiſir que vous apporte ſans doute l’agréable commerce des bonnes choſes, le plaiſir que la vertu, jointe à l’amitié, que l’union des eſprits, & la conformité de deſirs louables mêlent à toutes vos couverſations, il faut, ſi le ne me trompe, le goûter pour le comprendre ; il ſe ſent, & ne ſe peut exprimer. Je vous en prens à témoin, MESSIEURS. J’en prens à témoin ces heures qui coulent ſi vite, & ces importunes tenebres, qui d’ordinaire viennent plutôt que vous ne voudriez, vous ſéparer & rompre ces Aſſemblées.

Mais je m’arrête trop long-temps, MESSIEURS, à ce qu’il y a de moins particulieren vôtre bienfait. C’eſt ainſi que je devrois vous remercier, ſi vous aviez accordé cet honneur à mon merite, à mes inſtantes ſupplications, à la neceſſité de remplir vôtre Compagnie, & d’obéïr à vos Reglemens. Maintenant que vous fermez les yeux à tous mes défauts, que vous prévenez & mes pourſuites &mes eſperances, que vous oubliez pour moy vos coutumes & vos loix; qu’il ne ſe preſente point d’obſtacle ſi grand, que vôtre onténe le ſurmonte : avec quels termes & avec quelle éloquence, fût-ce la vôtre même, vous pourrois-je dignement remercier ? Je veux bienne point examiner icy ces défauts, que vous n’avez pas voulu corâÏderer, & qui vous devoient empêcher de penſer à moy ; & plût à Dieu que je puſſe, ou m’en corriger entierement, ou vous les cacher toute ma vie ! Mais je ne ſçaurois me taire de cet exces, de cette profuſion de vos faveurs, de cette forme de m’obliger, pour ainſi dire, contre toutes les formes. Je crains, MESSIEURS, d’en parler trop hardiment. Vous avez fait, ce me semble, en cette rencontre, & plus que vous ne pouviez ; vous avez préféré en quelque ſorte ma gloire à la vôtre, l’intérêt d’un particulier ſans merite à celuy de tout vôtre auguſte Corps. Je penſois, MESSIEURS, & vous l’aviez crû peut-être, que ce ſeroit la principale matiere de mon Diſcours : mais quelle apparence de m’étendre davantage ſur un ſujet, où ſi je veux me louer de vôtre bonté, je me vois preſque contraint de blâmer vôtre indulgence, où tous mes remercîmens ſeroient des reproches, où je ne ſçaurois ni vous défendre ſans orgueil, ni vous accuſer ſans ingratitude ? A la vérité, ſi l’Académie n’a jamais tant fait d’honneur à perſonne, jamais perſonne n’eut un ſi ferme & ſi veritable deſſein de l’honorer ; ſi elle a violé pour moy ſes propres loix, elle ne ſe plaindra jamais que je les viole. Mais je crains bien que toutes mes bonnes reſolutions ne puiſſent pas excuſer la ſienne. Qui ſuis-je, MESSIEURS, pour faire qu’on ébranlât en ma faveur des fondemens poſez avec tant de jugement & affermis par l’uſage de tant d’années ? Qui ſuis-je, que pour me donner entrée en ce ſacré lieu, il fallût non pas en ouvrir les portes, mais, ſi j’oſe dire, en abattre les remparts & les murailles, comme on ſeroit pour un Roy triomphant & victorieux. La vanité m’emporteroit, MESSIEURS, ſi j’allois plus loin. Je ſens cette douce confuſion de penſées que donnent la joye, la reconnoiſſance, & toutes les autres paſſions agreables, quand elles ſont au plus haut point, & dans ce deſordre de mon eſprit, tout ce que je puis, c’eſt de reprendre mes propres paroles, de finir de même que j’ay commencé, & de m’écrier pour toute concluſion. Si vous avez attendu de moy un remerciment, qui répondit à la grandeur de vôtre bienfait, ou à la dignité de cette Aſſemblée, je ne doute point que vous ne vous repentiez déja de toutes les graves que vous m’avez faites ; mais ſi c’eſt les meriter que d’en reconnoître parfaitement la valeur ; jamais homme ne les merita mieux que moy, & vous ne fites jamais une élection plus judicieuſe.