Compliment à Madame la chancelière

Le 1 mai 1672

Charles PERRAULT

Compliment fait en May 1672. à Madame la Chanceliere par Mr. PERRAULT lorſque l’Académie Françoiſe quitta l’Hôtel Seguier, où Elle s’aſſembloit pour aller tenir ſes Conférences au Louvre.

 

MADAME,

Quelque glorieux qu’il ſoit à l’Académie Françoiſe d’être appellée au Louvre pour y tenir ſes Conférences ; il eſt tres-vray néanmoins qu’elle ne quitte qu’avec douleur le lieu où elle les a tenuës juſqu’icy avec tant de douceur & de ſatisfaction. Il luy arrive, MADAME, comme à ceux qui quittent leur pays natal, pour paſſer en d’autres pays plus riches & plus abondans, & où la fortune leur offre un établiſſement conſiderable. Quelque beaux & délicieux que ces pays puiſſent être, ils ne leur ôtent point le regret de la patrie, & jamais ils ne forment dans leur eſprit une idée auſſi agreable que celle des lieux bien-aimez où ils ont paſſé les premieres années de leur vie. S’il eſt vray, MADAME, que ce ſentiment ſi naturel à tous les hommes ſoit particulierement fondé ſur le ſouvenir des aſſiſtances & des careſſes qu’ils ont reçûes de leurs Parens, quel doit être le reſſentiment de la Compagnie après les marques de bonté & de tendreſſe qu’elle a reçûes de ſon illuſtre Protecteur, qui a toûjours eu pour elle toute l’affection d’un veritable père ? Je ne m’arrêteray point, MADAME, à exagerer les obligations que nous luy avons, moins encore à vous parler de ſes vertus & de ſes qualitez extraordinaires, qui ſeront à jamais l’admiration des ſiecles à venir ; cela a été traité trop dignement par ceux de la Compagnie qui ont fait ſon éloge pour y toucher après eux. Je diray ſeulement que pour bien connoître la grandeur de la perte que nous faiſons, il ne faut que conſiderer quelle eſt la conſolation que le Ciel donne à nôtre douleur. L’Académie Françoiſe perd ſon Protecteur en la perſonne de Pierre Seguier, elle le retrouve en la perſonne de LOUIS XIV. Elle ſe voit obligée de quitter cette demeure bien-aimée, & on la mene au Louvre pour y continuer ſes exercices Académiques, comme ſi la protection qu’elle perd en Monſeigneur le Chancelier ne pouvoit être bien reparée, que par celle du plus grand Roy du monde, & qu’elle ne pût paſſer dignement de cet Hôtel en un moindre lieu que le plus ſuperbe & le plus celebre Palais de l’Univers. Mais, MADAME, ſi l’Académie Françoiſe a le déplaiſir de quitter les lieux où vous l’avez reçûë ſi obligeamment, même dans les jours de vôtre affliction & de la ſienne, elle demande en grace qu’elle ne ſorte pas de vôtre ſouvenir ; & comme de ſon côté elle conſervera éternellement la memoire des obligations infinies dont vous l’avez comblée, elle vous ſupplie, MADAME, que vous la conſideriez toûjours comme une Compagnie qui vous eſt dévouée entierement, & dont tous les particuliers qui la compoſent font gloire d’être vos tres-humbles & très-obeiſſans Serviteurs.