Le nom roseau ne nous vient pas du latin, mais de l’ancien français ros, qui est issu de l’ancien bas francique rausa. Le latin avait pourtant deux noms pour désigner cette plante, harundo, dont le sens s’étendait à tous les objets faits en cette matière (canne à pêche, flûte, etc.) et dont la langue française n’a pas conservé de trace, et calamus, emprunté du grec kalamos, qui avait les mêmes sens que harundo, et auquel notre langue est redevable de beaucoup de mots. De calamus, désignant donc un roseau, et spécialement un roseau taillé en pointe pour écrire, le calame, on tira, en latin médiéval, le verbe calamare, « écrire », et l’adjectif calamarius, « relatif à l’écriture », que l’on retrouve dans l’expression calamaria theca, « boîte contenant les calames ». Cet adjectif se substantiva en calamarium, « écritoire », et surtout « encrier ». Par l’intermédiaire de l’italien et par analogie, on appela calamar, ou calmar, le mollusque marin, encore appelé « seiche », qui est doté d’une poche d’encre qu’il projette, en cas de danger, pour échapper à ses prédateurs, et qui se trouve donc présenter quelque ressemblance avec un encrier. Rappelons d’ailleurs que ce nom, seiche, est issu du latin sepia, dont nous avons tiré la forme homonyme « sépia », qui a d’abord désigné ce céphalopode, puis l’encre qu’il produit et enfin la couleur de cette encre ou un dessin fait à l’aide de celle-ci.
De calamus est aussi issu le nom chaume. Il désignait, au xiie siècle, la tige des céréales qui reste en terre après la moisson et, un siècle plus tard, la paille dont on couvre les maisons, appelées chaumines, avant que ce terme ne soit supplanté par chaumière. De chaume sont aussi dérivés les mots chaumer, « enlever le chaume », et chaumage, « arrachage du chaume », puis « époque de l’année où l’on pratique cette opération », mots que l’on se gardera bien de confondre avec leurs homonymes chômer et chômage. Dans chaume et ses dérivés, le c latin a donné le groupe ch en français : c’est aussi le cas pour chalumeau, nom issu de calamellus, un diminutif de calamus. Ce chalumeau, avant de prendre les sens techniques qu’on lui connaît, désignait une petite flûte champêtre dont jouaient les bergers. Ce pouvait aussi être un autre objet : dans la liturgie romaine, nous apprenait la quatrième édition de notre Dictionnaire, « Quand le Pape communie solennellement, il prend le sang dans le Calice avec un chalumeau d’or », objet que, dans des circonstances demandant un peu moins de pompe, on appellerait simplement et conformément à son sens originel, une paille. Il existe de chalumeau une variante normande, le calumet, nom qui fut popularisée quand l’on commença à s’intéresser aux mœurs des Amérindiens, mais que l’on trouvait dès 1625 dans La Muse normande, de David Ferrand : « [Il] l’embrache et l’entraine opres de ses navires, Chucher d’une herbe secque aveuq un calumet, Et brevotter d’un yau qui cauffe la tirelire » (« [Il] le prend dans ses bras et l’entraîne auprès de ses navires, fumer une herbe sèche avec un calumet, et boire des petits coups d’une eau qui échauffe la tête »).
Dans cette grande famille des noms tirés de calamus, on trouvera aussi la calamite, ou plutôt les calamites. La première est une pierre d’aimant et son nom, par métonymie, a ensuite désigné l’aiguille d’une boussole et enfin la boussole elle-même. On l’appelle ainsi parce que l’on plaçait jadis cette pierre d’aimant sur un roseau que l’on faisait flotter pour que celui-ci indique le nord. Calamite désigne aussi un crapaud, qui doit son nom aux roseaux qui constituent son habitat. On se gardera bien de confondre cet animal avec la fera calami, proprement « la bête du roseau », que l’on trouve dans les Psaumes, puisque c’est un crocodile que David nommait par cette locution.
À cette série, on a longtemps cru que l’on pouvait ajouter calamité. Dans ses Commentaires de Térence, le grammairien Donat écrit en effet : « Proprie calamitatem rustici grandinem dicunt, quod calamos comminuat » (« C’est à juste titre que les paysans appellent la grêle une calamité parce qu’elle met en pièces les tiges de blé (calamos) »). Cette étymologie était encore celle que proposait Bescherelle dans son Dictionnaire national : « Au propre signifie Destruction des moissons ; mais il est inusité en ce sens que l’on a oublié en quelque sorte pour les acceptations figurées et extensives dont il est le principe. La destruction des moissons étant un grand malheur qui atteint les populations, qui amène avec elle la détresse, la famine, calamité s’entend de tout grand malheur, de tout malheur quel qu’il soit. » Mais quelques années plus tard Littré signalait que cette étymologie, pour ingénieuse qu’elle soit, n’était pas la bonne, et qu’il fallait regarder l’origine du nom calamité comme inexpliquée ou le croire tiré d’un radical cal- signifiant « mal » et qui se trouverait dans calumnia « accusation fausse », et dans incolumnis, « intact, entier, sain ».