Inauguration du musée du cardinal de Richelieu

Le 25 novembre 1961

Wladimir d’ORMESSON

INAUGURATION DU MUSÉE

DU CARDINAL DE RICHELIEU

A RICHELIEU (I.-&-L.), le samedi 25 novembre 1961
DISCOURS

PRONONCÉ PAR

M. le Comte WLADIMIR D’ORMESSON

de l’Académie française
Ambassadeur de France
Délégué par l’Académie française

 

Monsieur le Premier Ministre[1], Monsieur le Maire[2],

Excellence[3],

Madame la duchesse de Richelieu, Mesdames, Messieurs,

 

J’ai l’honneur — et le vif plaisir — d’apporter le salut de l’Académie française à tous ceux qui entretiennent ici, avec piété, le souvenir du Cardinal-Ministre, et spécialement à Monsieur le Maire et à la Municipalité de la Ville de Richelieu, ainsi qu’aux organisateurs qui ont eu l’heureuse idée de créer le Musée que nous venons d’inaugurer. Il sera un joyau de plus de cette belle Touraine.

Dès qu’il s’agit du Cardinal de Richelieu, l’Académie française tressaille. Dès qu’on l’évoque, elle est présente. Chaque Jeudi nous travaillons au dictionnaire de la langue française sous son regard. Depuis plus de trois siècles, il nous protège.

À vrai dire les origines de l’Académie française furent mouvementées. Là encore, et même sur ce terrain particulier, se vérifie le prodigieux instinct d’un homme qui fut l’un des plus grands ouvriers de la grandeur française.

Comme toutes les institutions qui durent, l’Académie française, telle qu’elle existe depuis 327 ans, avait eu des antécédents. Dès la moitié du XVIe siècle, vers 1567, certains « beaux esprits » — surtout des poètes — prirent l’habitude de se réunir le dimanche « pour se régaler de vers et de chants » devant des auditeurs de choix. La mode venait d’Italie. On était en pleine Renaissance. L’humanisme s’épanouissait. Le roi Charles IX, qui se piquait d’être lettré, se déclara le « protecteur » de cette Académie. Mais elle ne survécut pas au souverain.

L’idée fut cependant reprise dix ans plus tard par un toulousain, Guy de Pibrac, magistrat et poète, Chancelier de la Reine Margot. Pibrac obtint du roi Henri III qu’il s’intéressât à la fondation de « l’Académie du palais », ainsi nommée parce qu’elle se tenait — déjà —  au Louvre. Mais cette Académie là non plus ne survécut pas à la mort de son fondateur.

Pibrac mourut en 1584, 45 ans plus tard, vers 1629, quelques jeunes écrivains parisiens, que dévorait la passion des lettres, décidèrent de se réunir chaque semaine chez l’un d’eux. Il ne s’agissait pas encore de fonder une Académie, mais simplement d’échanger des idées et de lire des œuvres à haute voix. Conrart, Chapelain, Godeau, Gombaud, de Serisay, Malleville, etc. furent les premiers habitués de ces séances. Elles se tenaient le plus souvent chez Valentin Conrart. Parfois les membres de la Compagnie prenaient leur repas en commun ou allaient se promener ensemble aux abords de Paris. Tout cela, d’ailleurs, très discrètement et sans éveiller l’attention, à la manière de Conrart dont Boileau a immortalisé le « silence prudent ».

Un jour pourtant les conjurés admirent dans leur sein un intrus. Il s’appelait Faret et était lié avec l’un des membres de la petite compagnie. On l’invita à lire devant l’aréopage une œuvre de sa composition : « L’honnête homme ». Fier de cette exceptionnelle faveur, Faret ne put tenir sa langue. Il confia cet exploit à un autre homme de lettres Boisrobert, qui était de l’intimité du cardinal de Richelieu. Celui-ci gouvernait alors la France. Le cardinal dressa l’oreille. Hé quoi ? Que signifiaient ces réunions clandestines, cette assemblée de beaux esprits ? Que complotait-on dans l’ombre ? Richelieu aimait les lettres. Il se piquait d’être poète, auteur dramatique. Dans sa jeunesse, lorsqu’il était évêque de Luçon, il avait publié deux ouvrages de caractère religieux. Mais s’il aimait la littérature, il n’aimait guère les rassemblements secrets !

Ayant pris ses informations, il décida non point de dissoudre le petit groupe de littérateurs ni même de contrarier leurs réunions, mais tout au contraire de mettre la main sur eux en les honorant et de devenir leur « protecteur »...

Au début, il y eut de fortes résistances. « De quoi se mêle le cardinal? » grognaient les conjurés. « Que cherche-t-il à nous imposer? » Pendant un certain temps une espèce de jeu de « cache-cache » se poursuivit. À la longue les pré-académiciens se rendirent compte que l’intérêt que leur portrait le tout-puissant cardinal servirait leur cause et celle des lettres au lieu de leur nuire. En 1634 l’accord se fit. Richelieu rédigea lui-même les statuts qui transformaient l’obscure petite association en une Compagnie de quarante membres. Le tout-puissant ministre avait lui-même fixé ce chiffre, ainsi que le mode d’élection des académiciens. Au bout de plus de trois siècles, ce règlement reste en vigueur.

Non sans difficultés — déjà ! — une fournée de nouveaux membres furent choisis pour passer du chiffre neuf au chiffre quarante. Plusieurs de ces premiers élus sont restés célèbres, tels Racan, Guez de Balzac, Vaugelas, Voiture, Saint-Amant, le chancelier Séguier, etc. Dès lors l’Académie française était fondée. Des lettres patentes du roi Louis XIII, datées du 29 janvier 1635, la revêtaient d’un caractère officiel.

Attention cependant ! Richelieu n’était pas au bout de ses peines ! L’Académie non plus. Ce fut au tour du Parlement de Paris de s’émouvoir ! Messieurs du Parlement considéraient d’un œil très soupçonneux cette Compagnie de gens de lettres et de personnalités illustres à laquelle le cardinal portait un tel intérêt. À quelles fins cette « Académie française » était-elle donc créée ? Quels étaient les véritables mobiles de Richelieu ? Méfiant et jaloux de son autorité, le Parlement de Paris refusa d’enregistrer les lettres patentes du roi...

Le cardinal dut « parlementer » — c’est le cas de le dire ! — pendant deux ans. Le tout-puissant protecteur de l’Académie française, fit savoir par écrit au premier président du Parlement de Paris que « Messieurs les académiciens (je cite le texte) avaient un tout autre dessein que celui qu’on avait pu lui faire croire » pour que le Parlement de Paris consentît à enregistrer — c'est-à-dire à leur donner force de loi — les lettres patentes du roi Louis XIII. Encore l’arrêt que prononça le Parlement de Paris eût-il soin de spécifier que « l’Académie ne pourrait connaître que de la langue française et des livres qu’on exposera à son jugement ». Ce qui signifiait, en langage clair, qu’il lui était interdit de se mêler de politique ! Ainsi l’Académie, le cardinal et le Parlement de Paris tombèrent-ils finalement d’accord. Mais cet accord ne se réalisa que parce que le second s’était méfié du premier et que le troisième s’était méfié du second !

Ainsi l’Académie française doit tout au cardinal de Richelieu.

Il n’en fut pas ainsi de son temps, ah ! il s’en faut ! Parce qu’il mit une sorte de passion — et tout son génie — à construire l’État, il fut attaqué, critiqué, jalousé, brocardé et même haï par nombre de ses contemporains. Les esprits les plus avertis de l’époque le considéraient — je cite un texte — comme « la vraye cause des malheurs de la France ». Cette constatation est à la fois pitoyable et très rassurante. Un autre ministre de l’ancien régime, de moins grande envergure, certes, mais qui eut tout de même le mérite de négocier et de signer le Traité de Versailles de 1783 qui consacrait l’indépendance internationale des États-Unis et qui était l’objet de toutes les critiques — le comte de Vergennes —, dit au duc de Croy : « On me rendra justice dans cent ans. » C’est le moins qu’il faut aux Français pour être justes envers eux-mêmes !

En terminant, excusez-moi d’évoquer un souvenir personnel.

En 1949, le Pape Pie XII, auprès duquel j’ai eu l’honneur de représenter la France pendant huit ans et demi, célébra le 50e anniversaire de son ordination sacerdotale. M. le Président de la République Vincent Auriol, M. le Ministre des Affaires Étrangères Robert Schuman, lui adressèrent à cette occasion des souvenirs. Il s’agissait de quelques beaux livres. L’un d’eux était une magnifique édition nouvelle de « L’Instruction du chrétien » que Richelieu écrivit en 1621, quand il était Évêque de Luçon. En le remettant au Souverain Pontife, j’attirai son attention sur un petit détail. En feuilletant l’ouvrage, j’avais remarqué une simple ligne à la dernière page. Cette ligne disait ceci « Achevé d’imprimer par les presses de l’Imprimerie Nationale — (que Richelieu avait fondée !) — à Paris, le 24 août 1944 ». — « Très Saint-Père, ai-je alors dit au Pape, on pourra vous faire les plus beaux discours sur la pérennité française. Rien ne vaut cette modeste inscription. Ainsi la veille de la libération de Paris, quand la capitale, la France entière, étaient dans l’état que vous savez, il y avait des ouvriers typographes qui achevaient consciencieusement d’imprimer un ouvrage du Cardinal de Richelieu en plein Paris. » Pie XII posa alors sa main sur la mienne et me dit simplement : « Voilà la France... »

Il est beau, il est bien, que le nom de Richelieu soit associé à cette parole d’éternité.

 

[1] M. Michel Debré.

[2] M. le Docteur Fortier.

[3] S. E. Monseigneur Louis Ferrand, Archevêque de Tours.