Inauguration des statues de Bernardin de Saint-Pierre et de Casimir Delavigne, au Havre

Le 9 août 1852

Alfred de MUSSET

DISCOURS

PRONONCÉ

PAR M. ALFRED DE MUSSET

POUR L’INAUGURATION DES STATUES DE BERNARDIN DE SAINT PIERRE ET DE CASIMIR DELAVIGNE,

AU HAVRE, LE LUNDI 9 AOUT 1852.

 

 

Ce n’était pas à moi de prendre la parole dans cette circonstance solennelle. Chargé seulement par l’Académie française d’assister, en son nom, à l’inauguration de ces belles statues, c’était assez pour moi de ce glorieux devoir et de l’honneur qui s’y attache. Un orateur célèbre, un poëte aimé de tous, devaient se faire entendre ici. Heureusement l’un d’eux est près de nous, malheureusement l’autre nous manque. M. de Salvandy devait vous parler de Bernardin de Saint-Pierre et de Casimir Delavigne. Il avait non-seulement accepté, mais désiré cette mission, qu’il eût si dignement remplie. L’attaque subite d’un mal cruel le retient en ce moment même où il achevait, pour vous l’apporter, une page qui, nous l’espérons, ne sera point perdue. Serait-ce à moi pris au dépourvu, arrivé d’hier dans vos murs, d’essayer de prendre la place de M. de Salvandy ? Si elle m’eût appartenu, je ne sais ce que j’aurais pu dire en face de ces deux hommes illustres dont votre grande et noble cité est fière à de si justes titres. Aurais-je pu assez admirer la poésie pleine de vérité, la grâce pleine de tendresse qui respirent partout dans Paul et Virginie ? Aurais-je su assez apprécier cette autre poésie et cet autre charme des Vêpres siciliennes et de l’École des vieillards, cette fermeté, cette pureté de style que Casimir Delavigne possédait si bien cette faculté précieuse, qui a fait dire à Buffon « Le génie, c’est la patience ?» u Aurais-je su vous dire qu’au milieu de sa gloire il aima toujours son pays natal, qu’il n’en parlait qu’avec effusion, avec attendrissement ? C’est ainsi que l’oiseau des mers, planant au loin dans l’azur des cieux jette pourtant toujours un regard sur la vague où flotte son nid.

Mais, Messieurs, vous n’attendez pas que je vous entre- tienne de pareils sujets sans réflexion, sans travail, sans étude ; vous ne voudriez pas me voir improviser presque au hasard sur de tels souvenirs. Vous ne me le pardonneriez pas ; et la seule manière dont je puisse rendre grâce de l’honneur que je reçois ici, c’est de laisser parler des voix plus éloquentes que la mienne.