Hommage prononcé à l’occasion du décès de M. Jean François Deniau

Le 29 janvier 2007

Alain DECAUX

 

Hommage à M. Jean François Deniau*

 

 

A l’Académie française, Jean François, quand, appuyé sur ta canne, tu nous rejoignais le jeudi, tu cherchais une épaule. J’aimais bien que cette épaule fût la mienne. Trop souvent je t’entendais annoncer :

- J’arrive du Val de Grâce.

Après la séance que tu éclairais de ton incroyable mémoire, ayant trouvé une nouvelle épaule, tu déclarais :

- Je retourne au Val de Grâce.

Les médias, Jean François, nous ont comblés de l’histoire de ta vie, de tes missions, de tes exploits. Qu’ils en soient loués. Très peu ont souligné que, depuis plus de vingt ans, les unes et les autres ont été accomplis par un homme qui, par la force de l’esprit, s’arrachait à un corps mutilé et martyrisé. Tu allais toujours jusqu’au bout, je dirais même au-delà.

En novembre dernier, quelques jours avant ton ultime rechute, tu as tenu à te rendre en Palestine pour étudier et d’énoncer les problèmes, particulièrement graves, de l’acheminement de l’eau.

Tu es rentré à Paris. Pour mourir.

Si, à brûle-pourpoint, on t’avait demandé ce que tu étais, je gage que tu aurais répondu : marin.

Entre tous les métiers que tu as exercés, tous les devoirs que tu t’es assigné, c’est la mer sans doute que tu as privilégiée. À l’Académie, si nous butions sur un mot touchant à la navigation, nous nous tournions tous vers Bertrand Poirot-Delpech et toi. Jamais, vous ne nous avez déçus.

Qui oubliera, Jean François ton livre La mer est ronde ? Qui oubliera La Désirade ?

C’est en costume d’académicien que tu te trouves dans ton cercueil, mais tes cendres seront dispersées en mer.

Parmi les rites dont s’honore l’Académie française, il en est un qui, plus que les autres, frappe les impétrants. Quand, nouvel élu, tu as été introduit dans la salle des séances, nous nous sommes tous levés. Tes parrains - Jean d’Ormesson et Bertrand Poirot-Delpech, tes amis de toujours – t’ont conduit vers la tribune où siège le bureau. Tu t’es incliné comme le veut l’usage. Alors, le Secrétaire perpétuel t’a adressé les paroles que voici :

- Monsieur, vos confrères se sont levés pour vous accueillir. La prochaine fois qu’ils se lèveront en votre honneur, c’est parce que vous les aurez quittés.

Jeudi dernier, nous nous sommes en effet levés. Pour entendre ton éloge par Pierre-Jean Rémy.

La tradition veut que le Secrétaire perpétuel prononce un dernier hommage lors des obsèques. Si Hélène Carrère d’Encausse a tenu à me déléguer cette tâche, c’est parce que tu l’as souhaité, Jean François.

On dit des académiciens qu’ils sont immortels. À nos yeux tu l’étais vraiment. Je crois que, toi-même, tu as fini par le croire. Jusqu’au jour où l’on t’a averti que ton cancer ne pouvait plus être dominé. En soldat, en marin, tu as exigé de connaître l’échéance que l’on t’a dite proche. Dès lors, c’est de ta fin que tu t’es occupé. Tu m’as fait l’honneur - immense - d’en débattre avec moi.

Le père Gilles Masson, prieur des Dominicains, s’est rendu à ton chevet. Tu voulais parler. Tu lui as parlé. Plusieurs fois. Pendant des heures. Nous venons d’entendre son homélie, si belle. À l’évidence ton destin, si rare et à vrai dire unique, a été compris au-delà même de ce que tu espérais. Tu es revenu à cet évangile qui est pardon et amour.

Les croyants ne doutent pas, en cet instant, que tu sois dans la lumière de Dieu. Bien étonné sans doute de tout ce que tu découvres, mais n ’oubliant rien de la mission dont tu t’étais chargé sur terre : aller au-devant des hommes. Pour comprendre. Pour savoir. Pour aider.

Pour agir.

_______________________
* décédé le 24 janvier 2007.