Hommage prononcé à l’occasion de la mort de M. Jacques Soustelle

Le 27 septembre 1990

Jean DUTOURD

Hommage à M. Jacques SOUSTELLE*

prononcé par M. Jean Dutourd

dans la séance du 27 septembre 1990

 

 

Qu’il est triste, Messieurs, d’ouvrir cette séance de rentrée par l’évocation de notre confrère Jacques Soustelle que nous avons quitté en juillet, et que nous espérions bien, malgré la maladie dont nous savions qu’il était atteint, revoir aujourd’hui. C’est particulièrement triste pour moi qui l’avais reçu dans notre Compagnie et qui, à cette occasion, avais appris à connaître et à aimer l’homme qu’il était, à estimer la passion et la fidélité envers lui-même qui lui avaient fait traverser tant de tribulations. Chez cet homme qui avait vécu, non sans péril, trente années de notre histoire, et en contribuant à la faire, il y avait quelque chose de gentil, j’oserai presque dire de désarmé, que nous étions sans doute les seuls à qui il ne le cachât pas. Il ne me retrouvait jamais le jeudi sans me dire « Bonjour Parrain », et pendant une seconde le cacique de la rue d’Ulm, le chef des services secrets de la France Libre, le ministre, le gouverneur général de l’Algérie, le profond ethnologue se métamorphosait bizarrement en petit garçon à mes yeux. Je lui répondais « Bonjour Gros-Matou », qui était le surnom que Malraux lui avait donné, ce qui, de la part de l’auteur de La Condition humaine qui affectionnait les chats, était certainement une grande marque d’amitié. Cela ne manquait pas de le faire sourire, car il y avait bien longtemps qu’on ne l’avait plus appelé ainsi, et ce souvenir lui était agréable.

Jacques Soustelle était heureux d’appartenir à l’Académie française. C’était plus pour lui que la consécration de ses travaux. Que nous l’eussions élu effaçait en quelque sorte ses années d’épreuves. Et il y était d’autant plus sensible que la Compagnie avait été à son égard comme elle est toujours envers ses nouveaux élus, c’est-à-dire que, dès qu’il avait été des nôtres, ceux qui s’étaient le plus opposés à lui l’avaient adopté avec la même bonne grâce que s’il eût été leur propre candidat. Pour lui, qui était accoutumé aux haines politiques, cette unanimité amicale, dans laquelle il n’y avait pas de rancœur ni d’arrière-pensée, a été une charmante expérience, et qui a vraiment éclairé ses dernières années.

Notre Secrétaire perpétuel lui a sans doute offert une de ses ultimes joies en lui proposant d’être directeur de l’Académie pendant le deuxième trimestre de cette année, et en me demandant de remplir le rôle muet de chancelier auprès de lui. Il n’avait jamais été directeur et cette fonction, qu’il remplissait bravement, en dépit de petits malaises qui, hélas ! ne pouvaient pas nous échapper, lui a donné le sentiment le plus réconfortant que l’on puisse donner à un malade, qui est d’être utile, d’avoir les responsabilités d’un individu bien portant.

Jacques Soustelle, au cours des six ans pendant lesquels il a été des nôtres, s’est souvent absenté pour des séjours dans ce Mexique qu’il connaissait si bien et qui lui était si cher. Ne pensons pas qu’il est mort. Disons-nous qu’il est au Mexique, qu’il s’y plaît, et qu’il cause avec le dieu Quetzalcóatl dont il connaît tous les secrets.

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* décédé le 6 août 1990.