Hommage prononcé en séance lors du décès de M. René de Obaldia

Le 3 février 2022

Dominique BONA

 

HOMMAGE

À

M. René de OBALDIA

PRONONCÉ PAR

Mme Dominique BONA
Directeur de la séance

jeudi 3 février 2022

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René de Obaldia emporte avec lui son rire de gamin facétieux, son bon regard sur le théâtre de la vie et ses abrazos chaleureux.

Nous ne l’entendrons plus décliner son nom de sa voix sonore, René dé Obald-i-a, ni répondre d’un Si ! martial au moment de voter.

Ne s’envoleront plus parmi nous les vers qu’il récitait à tout propos, ces vers qui ont rythmé sa vie, accompagné ses jours :

« Moi j’irai dans la lune
Avec des petits pois,
Quelques mots de fortune
Et Blanquette, mon oie. »

Sa merveilleuse jeunesse va nous manquer.

En habit vert, dans les roulements de tambour, il avait l’allure et le panache de lointains conquistadors. Entraient avec lui sous la Coupole ses prestigieux ancêtres, en ligne directe : deux présidents de la République, l’un de la Nouvelle-Grenade – l’ancienne Colombie – et l’autre du Panama. Ainsi qu’un général couvert de décorations, son grand-père, qui perdit héroïquement un bras lors d’une bataille.

Mais l’habit vert, c’était aussi un jeu de masques – une manière de se réincarner dans le costume de son père. Un père mystérieusement disparu en Chine, sitôt après sa naissance, et qu’il ne devait jamais connaître. Consul général du Panama à Hong Kong, il avait porté avant lui l’uniforme brodé d’or, dessiné par Napoléon, l’épée et le bicorne.

Né Panaméen, d’une mère française, sur un territoire britannique du continent asiatique, René de Obaldia est un écrivain sans frontières, un peu d’ici, toujours d’ailleurs.

De Tamerlan des cœurs jusqu’aux Innocentines, il n’y a pas une ligne de son œuvre qui ne se ressente de son esprit frondeur, et où ne souffle un courant d’air vif, puissant et exotique, inhabituel dans l’hexagone, un air du large. Il n’a cependant parlé, écrit que dans une seule langue, sa langue natale, sa langue maternelle, le français – ce fut son plus solide ancrage.

De la France, il retient la leçon de l’universel. Réquisitionné en 1939, dans un régiment d’infanterie, il doit faire un effort pour comprendre que les Schleus, ainsi que le régiment tout entier appelle l’ennemi, ce sont les Allemands dont il adore la poésie. Confronté à la « fantastique inhumanité » d’un stalag en Silésie où il passe quatre ans en captivité, René de Obaldia reste marqué par la fraternité, la misère des hommes. Il est décoré de la croix de guerre.

J’aimais l’entendre évoquer les écrivains qui l’ont aidé à choisir sa voie. Sans eux, qui aurait-il été ? André Salmon, Robert Kanters, Jean Cassou, René Julliard, Jean Duvignaud, Maurice Toesca…, on peine aujourd’hui à leur donner des visages. À l’abbaye de Royaumont, sorte de phalanstère d’artistes et d’intellectuels de haut voltage, dont il fut dans les années cinquante le secrétaire général, il écrivit son premier impromptu, Le Défunt, dans l’unique but d’amuser la compagnie. Il a fait rire Nathalie Sarraute et Jankélévitch !

Sa fantaisie, son humour noir détonnaient déjà. À l’ère du nouveau roman, il ne reniait pas les chansons qu’il avait écrites pour Luis Mariano et affirmait son style en dehors des balises. Des récits éclair, des saynètes légères, des fugues, mais aussi une comédie onirique – Genousie, portée à la scène en 1960 par Jean Vilar – constituent une œuvre inclassable, où le verbe est roi.

On n’embrigade pas Obaldia. Il en rajoute dans la provocation poétique. Il est le seul dramaturge de tous les temps à avoir signé un western : Du vent dans les branches de sassafras. 1965. On n’avait jamais vu ça. Michel Simon, dans le rôle de John Emery Rockefeller, y donna sa démesure. Caroline Cellier y débuta.

C’est dans Du vent dans les branches de sassafras que figure, selon moi, la plus obaldienne des répliques du théâtre d’Obaldia :

« À certains moments, je me sens étranger à moi-même. »

Dans son appartement de la rue Saint Lazare, il faisait volontiers visiter son musée personnel. Je me souviens des affiches innombrables de théâtres où il avait connu succès et scandales, fours et triomphes. Gramont, l’Œuvre, la Gaîté, l’Atelier, Hébertot, Mouffetard, les Célestins à Lyon, d’autres théâtres encore en Europe, en Amérique et jusqu’au Japon. Où Obaldia n’a-t-il pas été joué ? Quand il a quitté l’église hier, dans son cercueil, ses amis l’ont applaudi debout. Il est parti sur des vivats.

Farceur tragique, fantaisiste désillusionné, jongleur de mots, René de Obaldia est avant tout un poète. Il aimait le rappeler, « dans poème, il y a le mot création ».

Que faire pour que notre ami le poète reprenne ici sa place, une dernière fois ? sinon vous lire un morceau choisi – très bref, très beau –, où il est bien vivant.

Il y parle de son livre de prédilection, Don Quichotte de la Manche.

« Parfaitement ! Je continue le combat. L’éternel combat. À l’instar de l’ingénieux hidalgo don Quichotte de la Manche, qui n’a cessé de me hanter depuis mon adolescence, je volerai au secours des veuves, des orphelines et des baleines en voie de disparition. Et je pourfendrai les gredins, les sagouins, les faquins, les martiens. Et moult politiciens : tous ces moulins à vent.

De ses sabots étoilés, Rossinante brisera tous les écrans de télévision. Et, éblouie par mes exploits, Dulcinée me dévoilera ses seins.

J’irai d’enchantements en enchantements, de châteaux en folies. Et ce sera l’imaginaire qui triomphera de la banale réalité. »

Il est douloureux de savoir que la voix de René de Obaldia, immortelle dans ses livres, s’est tue pour nous, pour toujours.