Harangues faites à Versailles au sujet de la Naissance de Monseigneur le Dauphin

Le 11 septembre 1729

Antoine HOUDAR de LA MOTTE

HARANGUES

Faites à Versailles le 11. Septembre 1729.

Par M. DE LA MOTTE, Directeur de l’Académie Française, au sujet de la Naissance de Monseigneur le Dauphin.

AU ROI.

SIRE,

Quelque grande que soit la joie de VOTRE MAJESTÉ, elle doit redoubler encore à la vue de celle de vos Peuples. Heureux les Princes dont les prospérités sont des biens publics !

Oui, SIRE, ce que la joie fait aujourd’hui sur moi, elle le fait sur tous vos Sujets : Toutes les douleurs sont soulagées. Les actions de Grâces sont dans toutes les bouches & dans tous les cœurs ; & les signes de l’allégresse, tout éclatants qu’ils paraissent, sont encore loin d’en égaler le sentiment.

Jugez-en, SIRE, par les avantages que rassemble pour nous un événement si désiré. Nous voyons dans le Prince qui vient de naître, la satisfaction d’un Roi qui nous aime, & qui ne veut de félicité que pour nous ; les délices d’une Reine, qui regarde ce don du Ciel comme un gage nouveau de votre Cœur ; le plus cher intérêt de la Nation qui va voir votre sagesse se multiplier dans un autre vous-même ; la tranquillité confiante de toute l’Europe, qui sera votre gloire à son héritage.

Puissions-nous, SIRE, n’avoir à célébrer que cette tranquillité dans le plus long & le plus heureux de tous les Règnes ! Puisse l’Ange de la Paix éclairer toujours vos conseils ! Puissiez-vous, nouveau Salomon plein de ses vertus, exempt de ses faiblesses, couvert de la gloire la plus solide, désabuser les hommes de cette gloire militaire qui fait toujours le malheur des Nations, qui par le prix qu’elle coûte, devrait faire la douleur des Héros mêmes qu’elle couronne. Voilà quels sont les sentiments, quels sont les vœux de l’Académie Française pour VOTRE MAJESTÉ ; & pour moi, SIRE, pardonnez-moi mon transport (dans quelle occasion serait-il plus pardonnable de s’oublier) malgré toutes mes privations, toutes mes douleurs, ce jour est sans doute le plus beau de ma vie, puisque j’ai pu mêler, en présence de mon Roi, le témoignage de ma propre joie à celui de l’allégresse universelle.

 

À MONSEIGNEUR LE DAUPHIN.

MONSEIGNEUR,

Vous êtes l’objet de notre joie, sans la comprendre, & sans pouvoir la partager. Nous ne saurions encore vous faire entendre nos sentiments ; il ne nous reste que des vœux à faire en votre présence. Puissiez-vous tenir à la France, à l’Europe, à l’Univers, tout ce que votre Naissance lui promet. Nous l’espérons, non sur des présages frivoles, mais sur les fondements les plus solides. Le sang des Héros qui coule dans vos veines, les vertus d’une Mère, qui par la force de l’exemple deviendront bientôt les vôtres ; l’habileté des mains chargées de votre éducation, & accoutumées à former des Rois ; voilà pour nous, MONSEIGNEUR, les garants fidèles de vos progrès & de notre bonheur.

 

POUR LA REINE[1].

MADAME,

Goûtez aujourd’hui le prix de vos vertus : elles ont obtenu du Ciel ce que nous lui demandions par tous nos vœux.

Ces vertus qui vous ont élevée à la première place du monde, qui vous ont associée au sort d’un Époux aussi digne de tout votre amour, que VOTRE MAJESTÉ l’est de tout le sien : ces vertus méritaient que le Ciel consommât son ouvrage, & qu’il vous accordât ce Prince, dont la naissance est aujourd’hui la fête de toute l’Europe. Oui, MADAME, au milieu de notre joie, nous en félicitons nos voisins, c’est pour eux & pour nous le lien d’une paix durable, & la conciliation de tous nos intérêts. Qu’il croisse sous vos yeux pour apprendre à vous imiter ; Jetez dans son cœur les fondements solides des vertus Royales, & des qualités héroïques, en le formant à cette piété, qui ne connaît rien de grand que la Justice ; qu’au milieu de la douceur de vos caresses, il recueille le fruit de vos exemples, & que par ses heureux progrès la joie de sa naissance se renouvelle pour vous tous les jours.

 

[1] La Reine n’a point reçu de compliment.