Funérailles de M. René Boylesve

Le 18 janvier 1926

Henri ROBERT

Funérailles de M. René Boylesve

MEMBRE DE L’ACADÉMIE FRANÇAISE

le lundi 18 janvier 1926

DISCOURS

DE

M. HENRI ROBERT
DIRECTEUR DE L’ACADÉMIE FRANÇAISE

AU NOM DE L’ACADÉMIE FRANÇAISE

 

 

MESSIEURS,

La mort inexorable n’aura pas laissé longtemps l’Académie française au complet.

Les Lettres viennent de faire une perte cruelle et brutale. Par son talent fin, subtil, où la vérité s’alliait à un romanesque tiré des événements mêmes de la vie, autant que par sa personnalité d’une rare et charmante distinction, René Boylesve occupait une place d’élite.

Il avait, très jeune encore, débuté dans la littérature par un roman d’analyse : le Médecin des Dames de Néans, qui laisse deviner les ressauts d’une adolescence sensible et troublée. Bientôt après, Sainte-Marie des Fleurs et le Parfum des Iles Borromées commençaient â répandre leurs effluves dans le public.

En 1899, avec Mlle Cloque — puis la Becquée et l’Enfant à la balustrade — quels jolis titres ! — commence la série des études sur la vie de province où se révèle la véritable personnalité de l’écrivain.

Devenu Parisien et ne devant plus cesser de l’être, Boylesve aimait à retourner au pays tourangeau, dans le cadre harmonieux et tempéré dont son caractère gardait la grâce un peu nonchalante et le dessin bien ordonné.

Il avait le culte de la petite patrie et, dans Mon amour, sa tendresse fidèle nous disait « la douceur, la délicatesse, la majesté tranquille et bienveillante de ces grands paysages de Loire ».

Avec ce qu’il a de bruyant et d’agité, Paris devait toujours l’effrayer un peu. Il savait que la vraie vie est la vie intérieure et qu’il faut la chercher surtout dans les existences habituellement contraintes, en qui les événements ont des répercussions d’autant plus sensibles qu’ils sont plus rares.

Ses romans sont les plus expressifs qui soient de cette existence moyenne et mesurée qui se déroule dans les petites villes : Loches, Langeais, Beaumont...

Mais il ne devait pas se confiner dans ces études esquissées en demi-teintes, d’une main légère et sûre, qui sont comme des pastels très fins dont l’art paraît plus admirable encore lorsqu’on les regarde de plus près.

Dans Mon amour, le Meilleur ami, Madeleine jeune femme, il se révèle observateur de la passion, autant qu’il l’avait été des mœurs provinciales. Seulement, l’amour qu’il peint est toujours discret et ne dérange pas les lignes extérieures.

Pas de grands mots, pas de situations factices ou trop dramatiques — la vie toute simple, retracée par un artiste, à l’aide de notations aiguës et de petits détails si bien choisis qu’un caractère s’y révèle tout entier.

Ses romans ressemblent à ces jardins à la française qu’il a si joliment dépeints dans la Leçon d’amour dans un parc. Il élague soigneusement tout ce qui dépasse, tout ce qui risquerait de déparer la ligne très pure ou de rompre l’ordre harmonieux.

S’il était permis de réunir en un seul tous les éloges que mérite une œuvre aussi nombreuse et aussi belle, il faudrait dire que c’est celle d’un homme de goût.

René Boylesve était charmant, loyal et sûr. Notre affection commune pour un grand ami, toujours regretté, Paul Hervieu, nous avait rapprochés et unis.

La grâce de son allure, la modération de ses propos, la séduction de sa voix joliment timbrée, ses gestes rares et précis, son élégance et sa distinction faisaient de sa conversation un délice.

Il axait horreur du bruit et de la réclame.

Peu d’hommes, au même degré, ont su mêler l’ironie à la sensibilité.

Est-ce lui qui a écrit : « Il arrive parfois qu’au milieu des ruines, on retrouve tout d’un coup un petit temple, de proportions modestes, mais de formes pures, resté presque intact parmi les décombres qui l’environnent. Je souhaiterais qu’il en fût, un jour, de mon œuvre, comme de ce petit temple. »

Ce vœu sera exaucé.

Par son ardent amour des Lettres, par la probité de son labeur, par sa sévérité pour soi-même, par la sûreté de son goût, ce pur artiste a su créer une œuvre assurée de durer.

Les Lettres furent, jusque sur son lit de mort, son souci et sa passion.

Elles perdent, en lui, l’un de leurs meilleurs serviteurs.