Funérailles de M. Leconte de Lisle

Le 21 juillet 1894

José-Maria de HEREDIA

INSTITUT DE FRANCE.

ACADÉMIE FRANÇAISE

FUNÉRAILLES DE M. LECONTE DE LISLE

MEMBRE DE L’ACADÉMIE

Le samedi 21 juillet 1894,

DISCOURS

M. DE HEREDIA

MEMBRE DE L'ACADÉMIE

 

MESSIEURS,

La France a perdu le dernier de ses grands poètes. Nul ne relèvera le sceptre qu’il avait, reçu des mains défaillantes de Victor Hugo. Leconte de Lisle nous lègue, avec son œuvre si haute, le haut exemple de sa vie. Tout entière elle fut vouée à la poésie. Comme Eschyle, il a fait sa trilogie immortelle, les Poèmes Antiques, les Poèmes Barbares, les Poèmes Tragiques. Puissant évocateur, il a suscité devant nous les dieux, les races, les civilisations disparus, les bêtes sauvages, les pays lointains. En des vers d’une beauté sereine ou tragique, il a traduit le tumulte des passions, l’éternel désir, l’horreur et l’attrait de la mort, les révoltes de la raison ou de l’orgueil, l’angoisse du désespoir, ce que l’amour et la foi ont de plus féroce et de plus suave, toute l’âme antique, toute l’âme moderne, l’Humanité. Tel fut cet impassible.

Illustre avant d’être célèbre, il n’a pas cherché le succès, il a conquis la gloire. L’influence de son noble génie fut salutaire. Durant, trente années, il fut, pour les jeunes poètes, un éducateur, un modèle incomparable. Il avait l’âme tendre et fière, un esprit profond et charmant. Tous ceux qui l’ont connu, l’aimaient autant qu’ils le vénéraient. Il a été pour nous le vrai maître, un maître amical et fraternel, et jamais homme n’a mieux mérité l’honneur suprême des larmes qui ennoblissent et embellissent encore les lauriers, les palmes et les roses dont est jonché le cercueil du poète.