Funérailles de M. Henri Meilhac

Le 9 juillet 1897

Gaston BOISSIER

INSTITUT DE FRANCE.

ACADÉMIE FRANÇAISE

FUNÉRAILLES DE M. HENRI MEILHAC

MEMBRE DE L’ACADÉMIE FRANÇAISE

Le vendredi 9 juillet 1897.

DISCOURS

DE

M. GASTON BOISSIER

SECRÉTAIRE PERPÉTUEL DE L’ACADÉMIE FRANÇAISE

 

MESSIEURS,

La mort de M. Meilhac a surpris l’Académie française comme tout le monde. On le croyait en train de se remettre et il annonçait déjà son retour parmi nous, quand une reprise soudaine de son mat nous l’a enlevé en quelques heures. Par un hasard malheureux, le directeur et le chancelier de l’Académie se trouvent en ce moment éloignés de Paris. Je ne puis que très imparfaitement les remplacer, et vous me pardonnerez de ne pas même essayer de le faire. Si je sentais le besoin de vous rappeler quel homme nous venons de perdre, il me faudrait évoquer ici le souvenir de soirées joyeuses, réveiller l’écho des applaudissements et des rires de la foule ; je ne m’en sens pas le courage. Le lieu où nous sommes parle d’autre chose que de rire et de joie. Le moment viendra pour nous de rendre au talent de Meilhac l’hommage qui lui est dû. Je veux seulement aujourd’hui lui apporter en quelques mots l’adieu de ses confrères.

Il ne nous appartenait que depuis près de dix ans ; mais le jour même où nous avions élu M. Halévy, l’idée était venue à beaucoup d’entre nous qu’il ne fallait pas séparer ce que le succès avait uni. Nous n’attendions qu’une occasion pour faire asseoir Meilhac près de son collaborateur fidèle et les compléter l’un par l’autre. Elle s’offrit quand nous eûmes la douleur de perdre Labiche : Meilhac était son successeur naturel. Il fut élu à sa place, et l’on se souvient encore du discours qu’il prononça lorsqu’il prit possession de son siège. Il osa y faire l’éloge du bourgeois français, qui n’est pas toujours traité avec autant de complaisance. Il l’appelait hardiment « l’éternel honneur de notre race » : il lui reprochait sans doute « d’être un peu rebelle à l’enthousiasme et disposé à nier le rêve, parce qu’il a l’habitude de bien dormir » ; mais il le félicitait de résister à toutes les exagérations, d’aimer par-dessus tout le sens commun et de trouver sans effort, pour le défendre, des mots simples et francs qui font éclater le rire sur les lèvres de tous ceux qui les entendent. Dans cet éloge de Labiche, que de traits conviennent à Meilhac, et comme on trouve aussi chez lui, dans les écarts de sa fantaisie et les éclats de sa gaieté, un fond de solide bon sens !

À l’Académie, Meilhac fut bientôt apprécié comme il devait l’être ; on se prit à aimer l’homme autant qu’on admirait l’écrivain, Il n’était pas de ceux qui n’ont d’esprit et de cœur que dans leurs livres. Sa conversation la plus intime éclatait de traits spirituels, et plus on l’approchait, plus on était frappé de sa bonté et de son aimable indulgence. On se sentait tout d’abord attiré vers lui, et ses confrères devenaient très vite ses amis. Il y a trois mois, l’Académie le nomma son directeur ; Meilhac fut très touché de ce témoignage d’affection, et jusqu’à la fin, quand il portait déjà la mort sur ses traits, il tint à remplir exactement tous les devoirs de sa charge. On l’avait en même temps désigné pour faire le discours sur les prix de vertu. Il prit sa tâche tout à fait au sérieux : il y songeait sans cesse et en parlait à tout le monde, « Jamais, nous disait-il, avec son fin sourire, la vertu ne m’a tant occupé, depuis que je suis au monde. » Dès qu’il se crut à peu près guéri de l’atteinte que sa santé avait reçue le mois dernier, il songea à se remettre à l’ouvrage, et quelques jours avant de mourir il demandait avec instance qu’on lui envoyât les dossiers pour composer son discours. En même temps, il ne cessait de faire des plans de comédie et de draine, dont il entretenait ses amis ; car, dans cet homme qui semblait être tout de nonchalance et de plaisir, il y avait un infatigable travailleur.

Qu’arrivera-t-il de l’œuvre considérable qu’il laisse après lui ? Quoique au théâtre les modes soient plus changeantes qu’ailleurs, je crois bien qu’elle n’est pas menacée de périr.

Ne parlons pas d’immortalité ; c’est un bien grand mot, et il me semble que Meilhac, à qui les grands mots ne plaisaient guère, aurait souri de l’entendre prononcer à propos de ses pièces. Seulement, je suppose que ce siècle, au moment de finir, voudra jeter un regard en arrière et faire comme une revue de ses gloires passées. Il se souviendra d’abord avec reconnaissance des grands penseurs qui ont éclairé son esprit, des grands poètes qui ont charmé son âme, et il trouvera dans ces souvenirs de quoi être fier de lui-même. Mais il serait bien ingrat s’il ne se rappelait aussi ceux auxquels il doit tant d’heures de plaisir et d’oubli, qui, par la variété des spectacles qu’ils lui présentaient, l’ont égayé, ému, diverti, et qui, en même temps, ont tenu les veux du monde entier attachés sur notre théâtre. Parmi eux. Meilhac tiendra, n’en doutez pas, une place importante. N’est-ce pas Molière qui a dit que c’était un métier difficile de faire rire les honnêtes gens ? Meilhac les a fait rire pendant quarante ans de suite, rire des autres et d’eux-mêmes, dans des comédies charmantes, d’une gaieté franche, d’une malice sans fiel, pleines de fantaisies raisonnables, tantôt bouffonnes sans grossièreté, tantôt profondes sans prétention, vraiment françaises, ce n’est pas assez dire, vraiment parisiennes. Personne, Messieurs, n’a versé sur nous, pendant tant d’années, avec tant d’abondance, ces trésors de gaieté et de belle humeur qui rétablissent l’équilibre de l’âme, ce rire salutaire qui met au cœur plus de courage pour supporter les épreuves dont on souffre et braver celles qu’on prévoit.