Funérailles de M. de Parny

Le 7 décembre 1814

Charles-Guillaume ÉTIENNE

INSTITUT ROYAL DE FRANCE.

FUNÉRAILLES

DE

M. DE PARNY.

Le 7 Décembre1814.

 

L’INSTITUT ROYAL, en exécution de l’arrêté pris dans sa séance du 25 frimaire an VII, a assisté aux funérailles de M. PARNY (Deforges) Évariste-Desiré, membre de la Classe de la Langue et de la Littérature Françaises. Le convoi étant arrivé au lieu de la sépulture, M. ÉTIENNE, Président de la Classe, a prononcé le discours suivant :

 

MESSIEURS,

À peine venons-nous de payer le dernier tribut à la mémoire d’un grand poète, que nous en avons un autre à pleurer. Ah ! faut-il qu’après un long deuil, les Muses françaises s’enveloppent de nouveau du voile funèbre de la douleur ! La tombe de Delille est encore humide de nos larmes, et déja l’impitoyable mort nous appelle autour d’un autre cercueil. M. de Parny n’est plus ! C’est ainsi que dans l’antiquité, Virgile et Tibulle se suivirent de près au tombeau. Étrange destinée ! Les deux poètes qui les ont fait revivre parmi nous, Delille et Parny, sont presque en même temps ravis aux Lettres et à l’amitié.

La France perd aujourd’hui, Messieurs, un poète qui manqua long-temps à sa gloire. Heureux successeur des Properce et des Catulle, il a achevé nos conquêtes littéraires sur l’antiquité. Doué à-la-fois d’une ame sensible et d’une imagination ardente, M. de Parny chercha d’abord gloire dans la noble profession des armes : il maniait, comme Gallus, la lyre et l’épée ; mais sa santé trop faible lui commanda bientôt la retraite, et il n’aspira dès-lors qu’a des succès plus paisibles et à des lauriers plus doux. Ses vœux furent comblés ; il se plaça sur le Parnasse français à côté des Écrivains du grand siècle. Que de grâce, que d’harmonie dans ses vers. Quelle pureté de style ! quelle délicatesse de pensées ! On reconnait toujours dans ses Élégies le langage expressif et vrai du sentiment. On voit qu’il puise dans son cœur le feu, la tendresse, la sensibilité qui respirent dans ses écrits.

Sa vie privée offre un tableau non moins attachant que les ouvrages qui l’ont illustré. Ami de ses rivaux, soutien de ses jeunes émules, il ignora ces passions funestes qui corrompent les douceurs de l’étude. Il n’y avait de place dans son cœur que pour les tendres affections. Il chanta l’amour, l’amitié ; et les derniers sons de sa lyre furent consacrés à la reconnaissance. Mais cet homme qu’on dirait avoir été élevé par les Grâces, qui ne semblait né que pour marcher sur des fleurs, est soudain frappé d’un mal qui dévore lentement ses jours. La douleur le trouve impassible : et l’écrivain, jeune encore, dont les vers respirent une si tendre langueur, une mollesse si pleine de charmes, supporte les plus cruelles atteintes sans s’émouvoir. Il voit croître les progrès du mal sans être ébranlé. Il souffre avec la fermeté d’un stoïcien ; et après une longue agonie, il meurt avec le calme d’un sage.

Oh ! que ne puis-je exprimer, Messieurs, la douleur de tout ce qui lui survit ! Que ne puis-je, ainsi qu’Ovide au bûcher de Tibulle, payer aux mânes de notre ami le tribut mérité de regrets et d’hommages que réclame sa mémoire. Je montrerais prés de son lit de douleur sa compagne désolée, serrant la main défaillante, recueillant les derniers regards d’un époux expirant ; je m’écrierais : ô Parny ! il ne nous reste plus de toi que ta gloire et ton nom ! Déja tu vis dans un monde plus heureux. Mais est-ce dans le poète latin que je dois puiser des inspirations ? Ah ! ce sont tes accens même qu’il faut emprunter pour te célébrer dignement, et c’est ta Muse éplorée qui va redire aujourd’hui ces vers échappés à ta douleur sur le tombeau d’Eucharis :

Toi, que son cœur connut, toi qui fis son bonheur,
Amitié consolante et tendre ;
De cet objet chéri viens recueillir la cendre.
Loin d’un monde froid et trompeur,
Choisissons à sa tombe un abri solitaire ;
Entourons de cyprès son urne funéraire.
Que la jeunesse en deuil y porte avec ses pleurs
Des roses à demi fanées ;
Que les Grâces, plus loin, tristes et consternées.
S’enveloppent du voile, emblême des douleurs.