Funérailles de M. Andrieux

Le 12 mai 1833

François-Xavier-Joseph DROZ

DISCOURS

DE

M. DROZ,

PRONONCÉ AUX FUNÉRAILLES

DE M. ANDRIEUX.

Le 12 mai 1833

 

Vous le regrettez tous ; mais qui peut le regretter autant que moi ? Depuis plus de trente ans, je le voyais chaque jour ; il connaissait toutes mes pensées, et je savais toutes les siennes. Cher Andrieux ! il faudrait du calme pour essayer de retracer tout ce qu’il y avait en toi d’élevé, de bon et d’aimable. J’espère quelque jour écrire ta vie, peindre ton caractère ; et, pour n’être pas trop au dessous du sujet, je m’inspirerai de cette notice si touchante et si vraie que tu nous a laissée sur Collin d’Harleville.

Je ne puis, dans cette solennité funèbre, parler que des titres de mon ami à la reconnaissance publique. M. Andrieux pouvait réussir dans des occupations très-diverses, parce qu’il avait beaucoup de raison, beaucoup d’esprit, et qu’il portait quelque chose de consciencieux dans tous ses travaux. L’éclat de ses premiers succès semblait le destiner à se consacrer tout entier à la carrière dramatique. Un devoir l’en éloigna pour long-temps ; le poète devint un jurisconsulte. Il a siégé dans ce haut tribunal, régulateur de tous les autres en France, et son savoir le fit remarquer dans cette réunion des plus savants magistrats. C’est un discours qu’il prononça devant le corps législatif, au nom du tribunat, qui fit rejeter un premier code imparfait, et qui, en obligeant les jurisconsultes à de nouvelles méditations, a fait produire ce code civil, l’un des plus beaux monuments dont puisse s’enorgueillir notre patrie. D’autres circonstances rendirent M. Andrieux à ses goûts poétiques. Ce fut alors qu’il perfectionna son heureux talent pour l’art des vers. Plusieurs de ses comédies resteront au théâtre, et toutes seront lues aussi long-temps qu’on lira le français. Ils iront à la postérité ses contes charmants, où l’esprit est toujours aux ordres de la raison. Ses profondes études en littérature le préparaient à changer encore une fois de carrière, et la dernière qu’il embrassa convenait si bien à son amour du beau, à sa passion d’être utile, il y a recueilli tant d’applaudissements et tant d’affection, qu’il semblait être né pour ne jamais en suivre d’autre. Élèves de l’école Polytechnique, élèves du collége de France, vous n’oublierez jamais le charme de ses leçons. La voix si faible de cet inimitable professeur retentira toujours à votre cœur. Ce n’était pas un art frivole qu’il vous enseignait, c’était l’art d’exprimer des sentiments honnêtes, généreux ; et, pour vous mettre en état de les exprimer, il les développait dans vos âmes. Il vous a consacré jusqu’à ses derniers instants : prenez, sur sa tombe, la résolution d’honorer sa mémoire, en pratiquant ses leçons. N’ajoutons pas à nos regrets, en supposant que, s’il eût évité les fatigues de son cours, peut-être aurait-il prolongé sa vie : Je suis convaincu que le chagrin de rompre des relations si douces, lui aurait été plus nuisible encore que des efforts physiques. Il est très-vrai toutefois que, dans ces derniers temps, beaucoup de personnes l’engageaient à ménager ses forces défaillantes, et le pressaient de renoncer à ses leçons. Pour leur répondre, il allait chercher les lettres où des élèves, animés d’une affection respectueuse, lui prouvaient qu’il atteignait son but, en lui disant qu’on sortait meilleur de ses leçons. Lorsqu’on était attendri par ces lettres touchantes : Je suis utile dans cette chaire, disait-il ; vous voyez qu’il faut que j’y reste. Mais, lui dit-on un jour, vous y périrez. Eh bien ! répondit-il, c’est mourir au champ d’honneur.

Méritons de finir doucement, ainsi que vient de finir Andrieux. Il a donné une preuve de plus que l’agonie de l’homme de bien n’a rien d’affreux, ni de cruel. Je l’ai vu lorsque évidemment il ne lui restait que peu d’heures à vivre. Il ne souffrait pas, son âme était calme, il éprouvait le besoin du sommeil : et, quelques heures après, il était endormi dans les bras de ses enfants.

Cher Andrieux ! lorsque j’allai t’annoncer la mort de Picard, tu me consolas ; mais qui me consolera de ta perte ?... Une pensée viendra souvent me distraire : Andrieux, Picard, vous m’attendez ensemble !