Épître mise à la tête des Odes sacrées

En 1651

Honorat de BUEIL, marquis de RACAN

EPISTRE à Meſſieurs de l’Academie Françoiſe par Mr. DE RACAN, Miſe à la tête de ſes Odes ſacrées.

 

MESSIEURS

SI j’avois deſiré de la faveur au jugement que l’on fera de mes ouvrages, je les aurois adreſſez à quelqu’une de ces grandes Puiſſances, qui diſpoſent de nos biens & de nos vies, de qui les volontez ſont nos loix, & l’exemple les regles de nôtre langage, & qui peuvent auſſi facilement faire enteriner des graces dans l’Académie, pour les fautes de Grammaire & de Rhetorique, comme ils ſont dans les Parlemens pour les crimes d’Etat.

Mais, MESSIEURS, reconnoiſſant que toute mes actions auſſi bien que mes paroles, ſont dignes de blâme que de loüange, & qu’il me ſera plus utile d’être corrigé qu’excuſé : J’ay crû que je ne pouvois mieux adreſſer les Vers que j’entreprens ſur les Pſeaumes de David, qu’à ceux qui par leur merite ſe ſont acquis le pouvoir d’en juger ſouverainement, & qui n’ignorent rien de toutes les choses qui ſont agreables dans le grand monde, que l’art de la flaterie.

Je vous confeſſe, MESSIEURS, que je m’étois ſi peu ſatisfait en cet exercice, que j’avois réſolu de ne plus ſervir les Muſes que pour le conſeil ; mais Monsieur l’Abbé de Raimeſort, de qui la clarté du jugement penetre en toutes les belles ſciences ; & qui après avoir paſſé la plus grande partie de ſa vie dans les tempêtes du monde, eſt venu prendre terre en nôtre voiſinage, m’a redonné le courage que j’avois perdu, & m’a fait croire que j’avois aſſez de force en mon élocution, pour ſoûtenir la langueur de ma vieilleſſe. En effet, MESSIEURS, je ſuis déſormais comme ces vieilles beautez, qui ayant perdu toutes les graces de la nature & de la jeuneſſe, ſont réduites à payer dans les Compagnies de la gravité, de leur mine, & de l’agrément de leurs paroles.

Cette connoiſſance que j’ay de mes défauts m’a fait choiſir cette façon d’écrire ſur les Pſeaumes de David, où je trouve la matiere que la ſterilité de mon eſprit ne me peut maintenant produire, & un ſujet pieux plus convenable à mon âge, que les paſſions de l’amour, pour qui ma jeuneſſe s’eſt trop étenduë au-delà de ſes bornes. Si j’euſſe ſçû plûtôt ce que j’ay appris depuis quinze jours, que Monſieur l’Evêque de Grace les a tous faits, je ne m’y fuſſe jamais embarqué ; cette nouvelle m’a penſé faire regagner le port dés la rade, & ſupprimer ce peu que j’en avois fait, & j’ay encore été bien plus refroidy de m’y engager plus avant quand je les ay vûs ſi achevez, qu’il ne s’y peut rien ajoûter pour les rendre parfaits, ſelon le deſſein qu’il a pris de ne quitter jamais le ſens de David : Et toutefois, comme il y a pluſieurs degrez de perfection, ſi vous me donnez la permiſſion d’en juger, je vous diray avec ma franchiſe ordinaire, que je croy que ceux où il s’eſt égayé dans la Paraphraſe, ſeront auſſi agréables aux ignorans, dont je ſuis du nombre, qui ne les peuvent voir qu’en François, que ceux où il s’eſt reſtraint dans les regles étroites de la Verſion, ſeront admirez des Gens de Lettres. Ce raiſonnement que j’ay fait ſur la lecture de ces excellentes Paraphraſes, & ce qu’il a dit dans ſa Préface, qu’il ne les a entrepris que pour les mettre en la place des chanſons profanes, qui ſervent d’entretien à la jeuneſſe de la Cour, m’a fait chercher les moyens de contribuer ce que je puis à cette pieuſe intention, & je n’en ay point jugé de meilleur pour les rendre agréables aux Dames & aux Perſonnes polies du beau monde, que de les accommoder le plus que je pourray au temps preſent.

C’est pourquoy, MESSIEURS, ſi vous y rencontrez quelques fautes en la Geographie ou en la Chronologie, je vous demande cette grace de ne les point reprendre en détail que vous n’ayez jugé en general de mon deſſein, qui eſt d’expliquer les matieres & les penſées de David, par les choſes les plus connües & les plus familieres du ſiecle, & du pays où nous ſommes, afin qu’elles faſſent une plus forte impreſſion dans les eſprits de la Cour ; & ſi quelquefois je m’y ſuis licencié d’en décrire les vices, je veux croire que ceux qui en ſont entachez auront aſſez de prudence pour n’en pas témoigner leurs reſſentimens, de crainte de faire éclater les défauts qu’ils nous veulent tenir cachez : Vous pourrez juger de mon deſſein ſi vous prenez la peine de lire le treizième, Dixit Inſipiens, & le dix-neuviéme, Exaudiat, ce ſont ceux par où j’ay commmencé depuis que j’ay pris cette reſolution. Pour le premier vous y verrez avec étonnement, qu’au lieu de rendre le ſens d’un Pſeaume de David, j’ay fait ſans y penſer une Satyre contre les vices du ſiecle, & opour l’Exaudiat, je  l’ay accommodé entierement à la perſonne du Roy & de ſon Régne, juſques à y avoir décrit l’Artillerie, au lieu des Chariots armez de faulx, dont David ſemble vouloir parler au Verſet qui commence, Hi in curribus.

Mes amis me conſeilloient de les prendre de ſuite, & de ne me pas tant éloigner du ſens de David comme je fais ; en toute autre choſe leurs conſeils me ſont des commandemens, à quoy je ne deſobéïs jamais : mais en ces ouvrages, que je n’ay entrepris que pour me divertir, j’ay crû que je pouvois me donner cette liberté de commencer par ceux qui me ſont les plus agreables, où je croy le mieux réüſſir, & ne me point gêner dans les Regles étroites de la ſimple Verſion, ni même de la Paraphraſe. L’exemple d’un des plus polis eſprits du dernier ſiecle me doit ſervir de leçon à éviter cette contrainte, encore qu’il m’ait autant devancé en ſes autres ouvrages comme au temps qu’il m’a précedé ; néanmoins pour avoir plus affecté en celuy-cy la qualité de bon Traducteur, que de bon Poëte, Il eſt tombé en de ſi déplorables défaillances, que ceux même qui louent la fidélité ont pitié de ſa langueur. Tous les Sceptres de la terre joints à celuy de David n’auroient jamais eu le pouvoir de me ſoûmettre à une ſi lâche ſervitude ; je me contenteray donc ſeulement de rendre ces Pſeaumes un peu plus connoiſſables dans mes Vers, que ces Tableaux des premiers Peintres qui ne l’étoient que par le titre. Encore que je n’aye aucune connoiſſance des Langues étrangeres, je ne laiſſe pas de juger la difficulté qu’il y a de traduire des Poëtes mot à mot ; les ornemens qu’avoit cette ſainte Poëſie en ſon ſiecle & en ſa langue, ſont trop éloignez du nôtre & de nôtre idiome, pour les y pouvoir conſerver en leurs graces. Il n’y a point de beautez à l’épreuve des rides d’une ſi extrême vieillleſſe. Cette grande différence de mœurs & de façon de vivre qu’il y a eüe entre la Cour de David & celle de nos Rois, y a bien autant apporté de changement que celle des paroles ; peut-être que les Verſets qui nous ſemblent foibles, & que les eſprits délicats du grand monde ont peine à ſouffrir, étoient ceux dont les courtiſans de ce temps-là faiſoient leurs délices, & la créance que j’ay que ce ſeront les plus remarquez, me fera faire effort d’en rendre du moins les mots ſi je n’en puis rendre le ſens. Si on avoit peint la Maîtreſſe de Philippe II. avec deux bons yeux, & le Grand Duc de Guiſe ſans balafre, quelque approchans du naturel qu’ils fuſſent au reſte, on auroit peine à les reconnoître dans leur portrait. Ceux qui ſçavent ce que c’est que de faire des Vers, ne me donneront pas moins de loänge ſi je puis marcher aſſûrément en ce mauvais pas que les autres évitent de peur d’y broncher, que ſi j’avois ſoûtenu par mes paroles les royales penſées de ce grand Prophète ; par tout ailleurs je me donneray quelquefois la liberté d’ajoûter pour l’ornement, ou pour lier les Verſets, & quand je n’en pourray entendre le ſens dans Meſſieurs de Bourges, Laval & Guilbert, je croy avoir auſſitôt fait d’y en faire un tout neuf que de conſulter les Gens de Lettres, qui n’ayant pour la plûpart l’intelligence de l’Hébreu, ne l’entendent guere mieux dans leur Latin que moy dans mon François.

Voilà, MESSIEURS, le compte que j’ay à vous rendre ſur le ſujet de ce peu de ce peu de Pſeaumes que je vous envoye, & que vous conſidererez ſeulement comme un échantillon, pour juger ſi je dois pourſuivre ce travail, & ſi vous trouvez à propos que j’y donne le reſte de ma vie, vous m’obligerez d’y mettre le titre de Meditation, Imitation, ou Expoſition. Je vous confeſſe ingenument que je n’en ſuis pas capable, & que n’ayant aucune connoiſſance des Langues étrangeres, je ne puis ſçavoir de quelle diſtance je me ſuis éloigné du ſens de David : Je ne l’ay pris le plus ſouvent que dans Laval & Guilbert, qui les ayant déja paraphraſez, je les ay encore paraphraſez ſur eux, & les euſſe intitulez Paraphraſe des Paraphraſes, ſi je n’euſſe point apprehendé d’avoir reprimende en vôtre Compagnie de cette nouveauté. Ceſt pourquoy, MESSIEURS, ſi vous avez quelque commiſeration de l’ignorance de vôtre Confrere, vous ſerez une grande charité ſi vous prenez la peine de mettre l’intitulation de vôtre main ſur chacun de ces Pſeaumes, cela augmentera les obligations que je vous ay de l’honneur que vous me faites de m’avouer pour, MESSIEURS, Vôtre, &c.