Discours sur les prix littéraires 2010

Le 2 décembre 2010

Florence DELAY

Discours sur les prix littéraires

 

Mesdames, Messieurs,

Ce qui est aujourd’hui appelé discours était naguère intitulé rapport. Je me rangerai à cet usage. Tout au long de l’année scolaire, sept commissions se réunissent régulièrement avant les séances du jeudi. Chacun attire l’attention de ses confrères sur plusieurs ouvrages à lire, et le plus étonnant, note Jean Dutourd, est qu’on les lit. Même s’ils tendent à l’objectivité, nos critères sont subjectifs. Ils dépendent du goût, de l’affection ou de l’admiration que nous éprouvons pour un livre, une action, une œuvre. Beaucoup de noms vont résonner aujourd’hui sous cette vieille Coupole et faire sonner le présent. Mais pas le sombre présent dont s’occupe le mécénat social de notre Compagnie. Là je tairai des noms que n’illustrent que le malheur et la pauvreté.

Les prix que je dois rapporter sont cette année au nombre de soixante-douze. « Écoutez bien, ne toussez pas et essayez de comprendre un peu » dirait Claudel. Je les évoquerai d’autant plus volontiers que j’ai découvert, lors d’une enquête romanesque dans les registres de l’Hôtel de Ville au xvie siècle, le titre qui m’a plu de Grand Rapporteuse. La tâche qui m’est impartie est d’allure féminine. Il m’a fallu coudre ensemble des rapports de tissus différents, tailler s’ils étaient trop longs, broder s’ils étaient trop courts. Un paysage extraordinairement varié va se dérouler maintenant. Mon souhait est qu’il éveille votre curiosité autant qu’il éveilla la nôtre. Ma prière : que vous n’applaudissiez les grands prix, qui voudront bien se lever à l’appel de leur nom, qu’à la fin de leur éloge. Sinon vous priveriez la Grand Rapporteuse d’un temps qui lui est précieux. Elle n’a qu’une heure pour faire le tour du monde en soixante-douze noms propres.

 

Grand Prix de la Francophonie : Jean Métellus

Jean Métellus est à Haïti ce que Léopold Sédar Senghor est à l’Afrique, et ce qu’Aimé Césaire est aux Antilles, a-t-on dit. Comme cette comparaison nous paraît juste, écrit François Cheng. Jean Métellus est né à Jacmel, Jacmel au crépuscule s’intitulait son premier roman. Dans les années 1960, il vint à Paris pour entreprendre des études de médecine. Dès lors il mena de front une carrière de médecin neurologue et d’écrivain actif, alliance rare. Son œuvre est abondante, plénière, car il a abordé aussi bien le roman que le théâtre et l’essai, mais toujours en poète. Depuis Au pipirite chantant et Jacmel toujours jusqu’à son splendide dernier recueil porté par la colère et l’amour, où l’épopée le dispute à l’élégie, Braises de la mémoire, il chante avec passion et tourment sa terre natale et son peuple marron – du mot hispano-américain qui signifia esclave enfui, et puis trompé. Peuple épuisé, pillé, dépouillé même de ses dieux. Terre gorgée de lumière, mais terre qui bouge, qui tremble, qui souffre. Haïti, une nation pathétique, le titre de cet essai paru en 1987 résonne tragiquement aujourd’hui. En prose comme en poésie, Jean Métellus a chanté ses héros historiques – Toussaint Louverture le Précurseur, qui mena la révolte des Noirs contre l’esclavage, Jean-Jacques Dessalines, qui proclama l’indépendance de Haïti en 1804. Son œuvre prend son élan sur les rocs du passé et qu’il me permette de le contredire : les mots peuvent fertiliser les cendres.

Votre voix lyrique magnifie la langue française, langue à laquelle votre pays, contre vents et marées, reste fidèle, vous remercie François Cheng en notre nom à tous.

 

Grande Médaille de la Francophonie : Jean-Claude Corbeil

Jean-Claude Corbeil occupe depuis un demi-siècle une place centrale et agissante dans la politique linguistique du Québec, rapporte Gabriel de Broglie. À l’université de Montréal, il consacra ses travaux à la langue française parlée et écrite par les locuteurs québécois. Frappé par l’écart entre l’usage et les normes, il se mue en artisan de l’amélioration de la langue en usage – préoccupation qui nous est chère. Il fonde une Association des professeurs de français, anime des émissions de Radio Canada. Nommé à la direction linguistique de l’Office de la langue française, il se consacre à la préparation des textes fondateurs que sont la loi 22 et la Charte de la langue française en 1977. Puis il tourne ses efforts vers la coopération entre pays francophones. Il a créé des outils de référence, notamment un dictionnaire visuel multilingue qui connaît un large succès. Jean-Claude Corbeil n’a cessé de s’affirmer comme un des acteurs les plus efficaces du rayonnement et de la vitalité de la langue française.

 

Grand Prix de Littérature Paul Morand : Olivier Rolin

Olivier Rolin, frère de Jean déjà distingué par notre Compagnie, est un des écrivains qui traduisent le mieux les espérances souvent trompées de notre temps. Après des études à Louis-le-Grand et à l’École normale… mais je cède ici la parole à Jean d’Ormesson, qui s’adresse directement à vous : « Très vite, le bon élève – 19 en version grecque ! – se change en combattant. Spinoza et Marx, Malraux et Althusser vous précipitent dans la philosophie, la seule matière, selon vous, "ne participant pas à l’enseignement bourgeois". Et Mai 68 vous précipite dans la guérilla urbaine et rurale. Vous déchaussez les pavés, Monsieur, vous volez des voitures, vous fabriquez de faux papiers, vous procédez à des enlèvements, c’est l’époque de la clandestinité. À ces années d’exaltation succèdent les années de perdition et de découragement. Après Malraux, vous lisez Céline, et vous pratiquez avec une sage modération, une ombre d’indifférence, le métier d’éditeur et de journaliste. Et puis, contre le nombrilisme franchouillard tant raillé par les Anglo-Saxons, vous écrivez L’Invention du monde – chronique de 48 heures sur la planète. L’année d’après, Port Soudan – que vous développez ensuite dans Méroé et dans Tigre de papier – vous vaut le prix Femina. Votre œuvre traverse et mêle l’histoire et la géographie.

Beaucoup de choses vous séparent de Paul Morand. Mais si puissants sont nos rêves et nos mots qu’au-delà de tout ce qui vous oppose il aurait été heureux, j’imagine, de saluer en vous un écrivain du bouillonnement de la vie et de l’intensité. »

 

Grand Prix de Littérature Henri Gal, de l’Institut de France : Emmanuel Carrère, pour l’ensemble de son œuvre.

À travers tous les chemins qu’il prend, nous reconnaissons cette intrépidité doublée d’inquiétude qui le caractérise et fait de lui un de nos contemporains les plus authentiques. Critique de cinéma à ses débuts, il passe régulièrement derrière la caméra pour tourner ses livres et d’autres livres que les siens. De son roman La Moustache, paru en 1986, mon père, dans une émission fameuse, avait salué l’originalité d’une aventure aux frontières du normal et du pathologique. Cette aventure, captivante pour le lecteur, éprouvante sans doute pour l’auteur, est poursuivie dans La Classe de neige et dans L’Adversaire, qui retrace le destin d’un affabulateur tragique, Jean-Claude Romand. Emmanuel Carrère tente de comprendre l’intrusion du Mal, comme il tentait de surprendre l’intrusion du fantastique dans Je suis vivant et vous êtes morts, vie resongée de l’écrivain de science-fiction Philip K. Dick. Un roman russe n’est pas un roman et marque un tournant. De même D’autres vies que la mienne, où deux récits tragiques, deux vies brisées se croisent : la mort d’une enfant emportée par un tsunami, celle d’une jeune femme emportée par un cancer, qui luttait avec un autre juge pour aider les victimes du surendettement. Emmanuel Carrère le dit : « Tout est vrai. » C’est l’originalité de ce livre engagé, écrit Pierre Rosenberg, engagé non pas comme on l’entendait en 1968, mais comme on s’engage aujourd’hui – contre l’injustice, la pauvreté, la misère, l’effet de serre, le sort de notre planète, l’indifférence surtout. Ainsi s’inscrit-il dans la tradition des grands romanciers « engagés » russes et français du xixe siècle, mais il est avant tout le romancier de notre époque avec ses drames, ses inquiétudes, son dégoût et son goût de la vie.

 

Grand Prix du Roman : Éric Faye, pour Nagasaki

Court roman et grand livre qui part comme tant de fois en littérature d’un fait divers, rapporté en mai 2008 par plusieurs journaux japonais. Shimura-san est un homme moyen, d’âge moyen, qui vit seul, travaille à la météo, auquel rien n’est arrivé et soudain… Dans la maison qu’il habite des objets se déplacent, oh juste un peu, le niveau de la bouteille d’eau minérale baisse, un yoghourt disparaît. C’est lui le narrateur inquiet, puis le lecteur du constat de police où il découvre effaré un pan de sa vie, avant qu’aux dernières pages ne s’immisce la confession d’une femme. Ce serait une mauvaise action que d’en dire plus, de dévoiler à voix haute le secret à voix basse de ce roman qui mène au cœur de vies minuscules japonaises et, sans en avoir l’air, aux codes de l’ancien empire du Soleil-Levant, à l’histoire d’hier, à l’envers du miracle économique. Depuis Croisière en mer des pluies, Éric Faye s’affirme comme un de nos premiers romanciers. Dans Nagasaki, l’art bref se passe d’éclairs et de coups de théâtre. La précision entomologique fait surgir, intense et brutale, l’émotion.

 

Grand Prix de Poésie : Jacques Dupin, pour l’ensemble de son œuvre

Comment dire ? s’intitulait le premier texte d’un jeune homme qui sortait de la guerre, de l’Occupation, des destructions massives et qui n’a pas tourné le dos aux paysages avec ruines. Cendrier du voyage, Les Brisants, Suite basaltique, Gravir, les commencements se frayent un passage à travers la résistance rocailleuse, éboulis, grottes, brisants du côté de la mer, sentiers de montagne du côté de l’Ardèche où Jacques Dupin est né en 1927. En écoutant ce qui gronde au ciel ou dans les sous-sols de l’esprit et du corps, il regarde ses aînés, Char revenu du maquis, Artaud de l’asile de Rodez, le lointain intérieur de Michaux, le parti pris de Ponge.

À vingt-trois ans, il est secrétaire des Cahiers d’art que dirige Christian Zervos, puis travaille pour les galeries Maeght et Lelong. Il devient l’éditeur, l’ami, le compagnon par ses textes, disons plutôt ses poèmes en prose, des plus grands peintres et sculpteurs du siècle dernier. Ne citons que ses monographies sur Joan Mirό et Alberto Giacometti – qui fit de lui deux splendides portraits.

En 1966, avec Yves Bonnefoy, Paul Celan, Louis-René des Forêts, Michel Leiris, Gaëtan Picon, il fonde la revue L’Éphémère. Sa poésie âpre, toujours en quête de brèche et de soupirail par où respirer, à partir de L’Embrasure se disloque d’un sens continu, les mots s’isolent. Mais laissons-nous guider vers ses poèmes comme vers autant de tableaux. « Signes bruts, lapidaires, brouillés, suspendus », c’est d’Antoni Tàpies qu’il parle, mais on le reconnaît. Saluons Jacques Dupin.

 

Prix Jacques de Fouchier, qui récompense l’ouvrage d’un auteur n’appartenant pas aux professions littéraires : Guillaume de Fonclare, pour Dans ma peau

Guillaume de Fonclare, qui n’a guère plus de quarante ans, est directeur de l’Historial de la Grande Guerre à Péronne, dans la Somme, poste qu’il occupe à temps partiel car il est atteint d’une terrible maladie qui lentement le paralyse. Les premières lignes de Dans ma peau sont poignantes, écrit Pierre Rosenberg, mais ce livre n’est pas que la description de la lente dégradation d’un corps devenu un carcan, c’est également un récit de ce que fut dans son horreur la Première Guerre mondiale, dont le musée a pour mission de garder le souvenir, des batailles aussi bien que de la vie quotidienne du soldat : « L’Historial ne célèbre ni l’héroïsme ni l’esprit de sacrifice, pas plus qu’il n’exalte l’amour de la Patrie ou la recherche de la Gloire ; on y célèbre l’être humain, l’immensité de sa souffrance. » Cette souffrance quotidienne est aussi celle de l’auteur, invalide comme le furent tant de soldats français, anglais, allemands… Son courage et le leur peuvent être mis en parallèle.

 

Un nouveau prix vient d’être créé. Il porte le nom de Léon de Rosen, lauréat en son temps du prix Fouchier pour son livre Une captivité singulière, la sienne. Réfugié russe, apatride, naturalisé français en 1940, il aimait la France, nous confie son fils, comme l’aiment ceux qui l’ont choisie. Du rapatriement des prisonniers de guerre et des déportés à la direction générale de la Croix-Rouge française, il milita inlassablement au service de Dieu et des défavorisés et milita de même pour la protection de l’environnement.

Prix Léon de Rosen : Patrick Blandin, pour Biodiversité. L’avenir du vivant

Patrick Blandin, professeur émérite du Muséum d’histoire naturelle de Paris et premier directeur de la Grande Galerie de l’évolution, nous livre des réflexions fort documentées sur le monde vivant en évolution, écrit le professeur Yves Pouliquen. C’est une œuvre dominée par l’inquiétude que provoque la disparition d’espèces vivantes. Le panorama de notre planète jusqu’à l’arrivée si récente de l’homme (sept millions d’années) démontre la fragilité d’un équilibre que l’Homo sapiens, devenu, selon l’auteur, Homo transformator, met en danger et que seule la biodiversité peut sauver. C’est pourquoi il appelle de ses vœux « un saut évolutif de l’Homo transformator en homo ethicus », seul garant de « l’avenir du vivant ».

 

Prix de l’Académie française Maurice Genevoix : Kenneth White, pour Les Affinités extrêmes

Kenneth White est Écossais, nous rappelle Michel Déon, mais c’est en français que, depuis 1967, il a choisi d’écrire des nouvelles, des choses vues, de composer des poèmes et, entre autres, une Introduction à la géopoétique. Son œuvre – discrète bien qu’il ne dédaigne pas d’élever la voix de temps à autre – témoigne d’une adhésion parfaite aux deux cultures de l’Écosse et de la France, mariage où elles se croisent, se font de beaux enfants et donnent le bonheur de quelques livres pleins de grâce et de musique. Les Affinités extrêmes qu’il publie aujourd’hui est le tableau, savant et brillant, des écrivains qui ont éclairé sa vie. Livre profond, juste et émouvant.

 

Prix Hervé Deluen : Voltaire Foundation, pour soutenir l’édition des Œuvres complètes de Voltaire

En 1779, l’Académie française attribua son prix de poésie au meilleur éloge de Voltaire, mort l’année précédente : un dithyrambe intitulé « Aux mânes de Voltaire », rappelle notre Secrétaire perpétuel. Aujourd’hui, se réjouit-elle, le prix Hervé Deluen, destiné à une personne ou une institution « qui contribue efficacement à la défense et à la promotion du français comme langue internationale », ne pouvait être plus heureusement attribué qu’à la Voltaire Foundation. Cette institution d’Oxford s’attache à donner aux lecteurs du monde entier l’ensemble des écrits de Voltaire – ce qui représentera plus de deux cents volumes – avec variantes et annotations, fournissant ainsi aux chercheurs un instrument de travail inégalé.

 

Grand Prix de Philosophie : Vincent Carraud, pour l’ensemble de son œuvre

Vincent Carraud s’est fait connaître par Pascal et la philosophie, où il rétablissait, pour la première fois depuis notre confrère Jean Guitton, la portée non seulement théologique mais proprement philosophique de l’auteur des Pensées. Sa maîtrise des études pascaliennes, rapporte Jean-Luc Marion, s’enracine dans une connaissance admirable de toute la philosophie classique, tant par des travaux de haute érudition sur Descartes que par des recherches spéculatives avancées, comme la monumentale reconstitution de l’histoire du principe de raison suffisante Causa sive ratio. La raison de la cause, de Suárez à Leibniz. Désormais considéré comme l’un des tout premiers historiens de la philosophie moderne tant en France qu’en Italie et aux États-Unis, il vient de publier L’Invention du moi, qui, intervenant dans un débat contemporain crucial, montre l’indétermination du concept de « soi », qui doit être remplacé par celui de « moi », tel que Pascal l’oppose à l’ego de Descartes.

 

Grand Prix Moron : Claude Romano, pour l’ensemble de ses ouvrages de phénoménologie

Poursuivons en philosophie. Claude Romano a réussi à imposer le concept d’événement – jusqu’alors négligé même par des philosophes de la temporalité comme Husserl, Bergson, Heidegger – à travers une série impressionnante d’ouvrages : L’Événement et le monde, L’Événement et le temps, L’Aventure temporelle. Or le primat retrouvé de l’événement, écrit Jean-Luc Marion, conduit à une nouvelle pensée de la décision morale et même de la subjectivité. C’est ce que vient de prouver la monumentale confrontation entre la philosophie analytique et la phénoménologie classique menée à bien dans Au cœur de la raison, la phénoménologie.

 

Grand Prix Gobert : Jean-Louis Crémieux-Brilhac, pour Georges Boris. Trente ans d’influence. Blum, de Gaulle, Mendès France et l’ensemble de son œuvre

En cette année du 40e anniversaire de la mort du général de Gaulle et du 70e anniversaire de l’Appel du 18 juin, le Grand Prix Gobert revient tout naturellement à Jean-Louis Crémieux-Brilhac, historien de La France libre. C’est un historien d’un genre très particulier que décrit Pierre Nora. Un historien d’aventures dont il a d’abord été un acteur engagé avant de jeter sur elles, après coup, un regard dépassionné. Un non-professionnel, mais unanimement reconnu et respecté comme un maître par la corporation. Un historien enfin exceptionnellement tardif, puisqu’il a commencé sa carrière à l’âge de la retraite et publié son premier livre, Les Français de l’An 40, à 73 ans – ce qui n’est pas banal – pour construire en quinze ans une œuvre déjà considérée comme classique.

 

Prix de la Biographie littéraire : Annette Becker, pour Apollinaire. Une biographie de guerre

Annette Becker, qui s’est déjà penchée sur la guerre et les écrivains (Zola notamment), se consacre ici à la guerre où s’engagea volontairement Guillaume Apollinaire Kostrowitzky, pas encore naturalisé français. Elle montre la Grande Guerre et comment la voit le poète d’Étendards, Case d’Armons, Lueurs des tirs, Obus couleur de lune, La Tête étoilée… Cet essai, souligne notre Secrétaire perpétuel, à la fois parfaitement documenté et galerie de portraits d’écrivains dans leur relation à la guerre, donne un éclairage passionnant de la personnalité d’Apollinaire.

 

Prix de la Biographie historique : Jean-François Dubost, pour Marie de Médicis. La reine dévoilée

Une « grosse banquière » florentine parvenue presque par accident sur le trône de France et qui accumula tant d’erreurs qu’on la suspecta d’être impliquée dans l’assassinat d’Henri IV : ainsi Michelet a-t-il à peu près dépeint Marie de Médicis, fixant pour longtemps l’image de cette reine de France, écrit Alain Decaux. C’est pourquoi il salue avec enthousiasme la première biographie où l’on peut découvrir une autre Marie de Médicis. Non pas défense inconditionnelle mais recherche impartiale de la vérité, ce livre somme a coûté dix années de recherches et d’écriture, une écriture vive et enlevée, juge notre confrère, qui extrait cette phrase de l’introduction : « Écrire une biographie de cette ampleur est une leçon de vie. »

 

Prix de la Critique : Pierre-Marc de Biasi, pour Gustave Flaubert. Une manière spéciale de vivre

En couronnant cet ouvrage, la Compagnie salue l’aboutissement d’une passion pour Gustave Flaubert qui commença jeune homme – depuis son premier article « Le projet flaubertien et l’utopie de vouloir conclure » à l’édition critique et génétique de « La Légende de saint Julien l’Hospitalier », sa thèse, et à la publication des Carnets de travail, qui obtint ici même en 1989 le prix Biguet. Même s’il suit sa vie, son dernier livre n’est pas la biographie de l’homme qui souhaitait disparaître derrière son œuvre et prônait l’impersonnalité en art. Le titre est emprunté à une phrase de Flaubert : « Un livre est pour moi une manière spéciale de vivre. À propos d’un mot ou d’une idée, je fais des recherches, je me perds dans des lectures ou des rêveries sans fin. » C’est toute l’originalité de ce grand essai que de prendre Flaubert au pied de la lettre.

 

Prix de l’Essai : Alain Finkielkraut, pour Un cœur intelligent

Le roi Salomon supplia l’Éternel de lui accorder la sagacité et la perspicacité – cette « intelligence du cœur » qui recouvre à la fois la faculté de s’émouvoir et la capacité de penser cette émotion. En cheminant de Milan Kundera à Joseph Conrad ou Henry James, l’auteur nous apprend à quels livres il se confie pour déchiffrer les « énigmes du monde ». Il nous rappelle opportunément, écrit Hélène Carrère d’Encausse, que la littérature est avant toute chose une élucidation, qu’elle impose un détour, qu’elle « dépayse » le lecteur pour mieux l’instruire de sa condition. Les œuvres retenues constituent autant de voies singulières par lesquelles s’opère cette médiation de soi à soi, autant d’étapes dans une conversion au réel. Intelligence et cœur : la conjonction se fait ici injonction.

 

Prix de la Nouvelle : Christophe Ferré, pour La Photographe

La nouvelle est un genre délicat, rappelle Michel Déon. En recueillir plusieurs dans un seul volume incline le lecteur à les comparer. N’en publier qu’une est un choix de l’auteur. La Photographe de Christophe Ferré est une si parfaite réussite qu’on la préfère ainsi, nue dirions-nous, chargée d’une émotion que l’auteur a su maîtriser à la perfection.

 

Prix d’Académie : Régis Boyer, pour son œuvre de passeur de la littérature et de la civilisation nordiques

Régis Boyer a consacré sa vie avec une formidable générosité, rapporte Jean-Marie Rouart, à faire connaître la culture de l’Europe du Nord et ses écrivains qu’il a traduits, commentés et publiés. Il s’est attaché aux grandes figures comme Ibsen, Andersen, Halldor Laxness, il a fait découvrir des auteurs méconnus, redécouvrir Knut Hamsun, dont les égarements politiques avaient fait oublier l’œuvre magnifique, mais aussi les sagas islandaises du Moyen Âge et la civilisation des Vikings. Dans la lignée des grands traducteurs, il est aussi un écrivain capable d’exprimer l’âme et le style de ceux qu’il traduit.

 

Natacha Rimasson-Fertin, pour son édition et sa traduction des Contes pour les enfants et la maison des frères Grimm

Cet ouvrage constitue la première édition en français de la totalité des contes de Jacob et Wilhelm Grimm. Il s’appuie sur l’édition allemande de référence, conserve l’ordre d’apparition et le découpage voulu par les auteurs, note Hélène Carrère d’Encausse. L’appareil critique, les commentaires, sont remarquables et l’élégance de la nouvelle traduction redonne un cœur enfantin qui bat aux aventures de Blanche-Neige, d’Hänsel et Gretel, ou de la Cendrillon allemande.

 

Bertrand Lacarelle, pour Arthur Cravan, précipité

Ce livre émouvant et superbe, écrit Michel Déon, étudie la comète Cravan dans son ciel orageux, son rôle dans la mouvance surréaliste, à la veille du chaos de la guerre de 14-18, où poètes et écrivains rêvaient d’une autre littérature. Minimisé par les uns, glorifié le temps d’un éclair par les autres, Arthur Cravan, Américain francophone et boxeur amateur, est mort mystérieusement, paraphant une œuvre désordonnée avec une désinvolture princière. Cet essai, érudit sans lourdeur, met en lumière une sorte de héros dont la destinée ne pouvait être signée que par un suicide.

 

Prix du Théâtre : Philippe Minyana, pour l’ensemble de son œuvre dramatique

Comment devient-on un écrivain de théâtre dont les pièces voyagent si bien ? En jouant Tchékov au lycée ? Fils d’un père chanteur d’opérette à Oran la radieuse, qui se retrouva dans le froid à Sochaux, d’une mère qui ne voulait surtout pas d’usine Peugeot pour ses enfants et déchira le dossier d’inscription de son fils au Conservatoire de Metz, Minyana monta à Paris où il gagna sa vie à la radio, lisant les livres qui venaient de paraître. Il fut comédien, formateur d’acteurs et d’amateurs, avant de devenir, de calepins en calepins, écrivant à la main, l’auteur d’une quarantaine de pièces – dont Chambres, Inventaires, La Maison des morts. Familier de l’ordinaire et de l’extraordinaire, il lui arrive de croiser des fantômes en remontant la rue. Il a mis au point dernièrement une forme étonnante de poème dramatique, à lire ou à représenter, telle La Petite dans la forêt profonde, adaptation libre d’une fable d’Ovide. Nous aimons son originalité sans esbroufe, son pouvoir de renouvellement et son attention au croisement du quotidien et du mythe.

 

Prix du Jeune Théâtre Béatrix Dussane-André Roussin : Guillaume Gallienne, pour Les Garçons et Guillaume, à table !

C’est l’histoire d’un fils, raconte Jean-Loup Dabadie, dont la mère aurait préféré qu’il ne fût pas un garçon, et qui l’élève en conséquence. Indifférent à cette différence que veut lui imposer son entourage, Guillaume se débat avec une drôlerie qui le dispute sans cesse à l’émotion. L’esprit souffle sur cette confession romancée qui n’épargne ni son auteur ni les auteurs de ses jours… Jusqu’à ce que l’amour d’une jeune femme, devenue la sienne, le délivre des autres et de lui-même. Guillaume Gallienne est un jeune et déjà prestigieux sociétaire de la Comédie-Française, absent aujourd’hui car il répète les rôles de Cheneviette et Miss Betting dans Un fil à la patte de Feydeau.

 

Prix du Cinéma René Clair : Xavier Giannoli, pour son œuvre cinématographique

Il a trente-huit ans, cinq courts métrages, dont L’Interview qui obtint la Palme d’or à Cannes en 1998, et quatre longs métrages. Le dernier, À l’origine, s’inspire d’un fait divers (encore une fois), d’une escroquerie. De même que Carrère allait voir Romand en prison, Giannoli est allé rencontrer l’imposteur au parloir. Le film ? Un escroc découvre un chantier d’autoroute abandonné, arrêté par des écologistes qui, voulant sauver une colonie de scarabées, ont ruiné les habitants de la région. Il promet le salut en reprenant l’autoroute. Dans la brume et la boue, les terrifiants travaux, les gigantesques machines font naître des plans lyriques à la Fellini, aux yeux d’Angelo Rinaldi. Mais par un extraordinaire tour à la Pirandello, l’escroc épouse la cause de ses victimes. La folie des éléments, celles des personnages, des images se confondent dans un orage grandiose traversé soudain par l’amour d’une femme.

 

Grande Médaille de la Chanson française : Francis Cabrel, pour l’ensemble de ses chansons

Depuis plus d’un quart de siècle ses mélodies nous charment, constate Yves Pouliquen. Cabrel chantant l’amour qu’il porte à « Petite Marie », à « la Dame de Haute-Savoie » ou aux « belles qui nous regardent ». Chantant aussi son Sud-Ouest natal quand il « s’ennuie de chez [lui] » et qu’« emmuré dans [ces] tours de glace » où logent ses voisins, « chacun son côté de cloison et chacun son feuilleton », il juge la ville qui l’accueille. Avec une pensée pour les déracinés, « Saïd et Mohammed », quand il s’assoit « sur le rebord du monde » pour « voir ce que les hommes en ont fait ». Il a créé Voix du Sud, une association destinée à aider les jeunes auteurs, compositeurs et interprètes de chansons, contribuant ainsi de belle façon à promouvoir la chanson française.

 

Prix du Rayonnement de la Langue et de la Littérature françaises : Alain Elkann, romancier, journaliste, directeur de l’Alliance française de Turin

Une Alliance française a ouvert ses portes à Turin le 7 janvier 2010. La ville de Pavese et de Primo Levi est aussi celle d’Alain Elkann, Italien par sa mère, Français par son père auquel il rendit hommage dans un beau livre écrit en notre langue, Le Père français. Homme tourné vers les autres, homme de dialogues, entre la France et l’Italie, l’Italie et le monde, où ses livres sont abondamment traduits, entre lui et ceux qu’il donne à connaître chaque dimanche à ses lecteurs de La Stampa, aussi bien qu’entre lui et d’éminentes figures des trois religions monothéistes. Depuis qu’il préside le Musée égyptien de Turin, celui-ci s’est réveillé et connaît un immense succès. Sous pareille direction, l’Alliance de Turin est appelée à devenir la plus importante du réseau italien des Alliances françaises.

 

Georges Lomné, directeur de l’Institut français des études andines

Historien spécialiste de l’Amérique latine, mais aussi traducteur de Germán Arciniegas et de sa correspondance avec Zweig, Georges Lomné est l’actuel directeur de l’Institut français d’études andines, fondé en 1948 par Jean Vellard, compagnon d’expédition de notre confrère Claude Lévi-Strauss, écrit Hélène Carrère d’Encausse. Dans l’esprit de sa création mais davantage tourné aujourd’hui vers les sciences sociales et l’archéologie, cet Institut développe une collaboration étroite entre chercheurs français et européens et chercheurs des pays andins – Pérou, Équateur, Bolivie, Colombie. Cette fructueuse coopération scientifique dirigée par Georges Lomné assure un rayonnement au sein de la communauté intellectuelle des pays d’Amérique latine que l’Académie veut non seulement saluer mais encourager.

 

Zygmunt Marzys, pour ses études sur Vaugelas

Le professeur Zygmunt Marzys a consacré l’essentiel de sa vie de chercheur à Claude Favre de Vaugelas, qui compta parmi les premiers et les plus illustres membres de notre Compagnie. Le couronnement de ses travaux, rapporte Frédéric Vitoux, est l’édition des Remarques sur la langue française, parue chez Droz l’an passé. La préface fait en elle-même la matière d’un livre, et l’appareil critique est exceptionnel. Ce prix honore Zygmunt Marzys qui a tant fait, avec Vaugelas, pour la culture et la langue françaises.

 

Paul-Bernard Sabourin, pour son œuvre de diffusion de la poésie francophone

C’est dans les années 1970 que ce professeur de droit découvrit en Afrique la réalité de la francophonie et œuvra désormais pour elle. Il présida aux destinées du cercle Richelieu-Senghor de Paris, puis contribua à créer La Nouvelle Pléiade, qui décerne chaque année un prix de poésie. Jean Métellus en fut bénéficiaire. François Cheng rappelle la belle anthologie de poètes francophones que publia Paul-Bernard Sabourin et qu’il est l’auteur d’une huitaine de recueils, où il nous fait vivre sa généreuse vision du destin humain.

 

Kazuyoshi Yoshikawa, responsable de la Société japonaise d’études proustiennes

Le professeur Kazuyoshi Yoshikawa, de l’université de Kyoto, que présenta notre cher et regretté Pierre-Jean Rémy, appartient à l’école des proustiens japonais qui se constitua dans les années 1970. Sa thèse sur la genèse de La Prisonnière fut la première étude sur les inédits. Il dirigea le monumental Index général de la correspondance de Marcel Proust. Avec Proust et l’art pictural, préfacé par Jean-Yves Tadié, il offre un voyage dans la galerie des peintres de tous les pays que contient À la Recherche, de Carpaccio à Monet, Manet, jusqu’aux portraitistes mondains de l’époque, tels Boldini et Helleu. On y retrouve les tableaux peints par Elstir, on y découvre leurs modèles. À Kazuyoshi Yoshikawa va notre gratitude.

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Ici s’achèvent les grands prix, ici commence une autre suite, les prix de fondations, que nous entreprenons sans délai. Une quarantaine d’ouvrages auxquels nous sommes attachés et dont le temps imparti, hélas, ne permettra qu’à peine un aperçu. Je demande par avance l’indulgence des lauréats, qui voudront bien attendre la fin du beau catalogue pour être salués.

 

PRIX DE POÉSIE

 

Prix Paul Verlaine : Jean Daive, pour Une femme de quelques vies

Ce livre magnifique suit une femme, peut-être indienne, peut-être blanche, dans un paysage du Grand Nord, près d’un lac. Sa pauvre maison est posée sur l’eau, l’eau est partout. On suit les gestes de cette femme, sa vie ordinaire, et son sommeil hanté. On ne saura pas son secret.

 

Prix Théophile Gautier : Caroline Sagot-Duvauroux, pour Le vent chaule, suivi de L’herbe écrit

Ce recueil a frappé René de Obaldia par sa profonde singularité. S’il exige de nous une attention particulière, nous sommes récompensés par le choc des images et de mystérieuses correspondances, l’essence même de la poésie.

 

Médaille de bronze du Prix Théophile Gautier : Claude Adelen, pour Légendaire

Traversée de son œuvre, écrivait Pierre-Jean Rémy, des premiers recueils proches de Milosz à ses propres Intempéries. À le lire on éprouve la même « émotion concrète » dont il parle à propos de la poésie contemporaine.

 

Prix Heredia : Sylvie Méheut, pour Immanences

Michel Déon a écouté la voix de Sylvie Méheut et, dans la portée de cette voix, il a cru reconnaître une appartenance qui le touche au monde de Georges Saint-Clair, salué ici en son temps.

 

Prix François Coppée : Jean-Marie Berthier, pour Attente très belle de mon attente

Chant intime et douloureux, écrit François Cheng, dont une part importante est dédiée à ses deux enfants, morts accidentellement. Une douleur intériorisée, exprimée dans une langue dépouillée, épurée, qui rejoint la grande tradition de la poésie élégiaque.

 

Prix Henri Mondor : Ludwig Lehnen, pour Mallarmé et Stefan George. Politiques de la poésie à l’époque du symbolisme

Le sous-titre de ce livre en est le guide. Bouleversé par sa rencontre avec Stéphane Mallarmé, le jeune poète allemand Étienne George changea son prénom pour s’appeler Stefan. Or l’évolution de sa pensée sur le statut de la poésie par rapport au réel et à la société n’est pas en rupture avec la réflexion du poète de Divagations. Encore faut-il défaire Mallarmé de son image de poète de la destruction, tendu vers le ciel de l’Idéal. Tel est un des objectifs de cet ouvrage volumineux et passionnant qui rompt avec bien des idées arrêtées.

 

 

PRIX DE LITTÉRATURE ET DE PHILOSOPHIE

 

Prix Montyon : William Marx, pour Vie du lettré

Où habitent les lettrés ? Que mangent-ils ? À quelles amours s’adonnent-ils ? Comment envisagent-ils la guerre, la politique, l’académie ? Ont-ils une âme ? Cet ouvrage de sociologie amusante, écrit Dominique Fernandez, à travers des exemples choisis dans diverses cultures, instruit en divertissant, et, sous ses dehors impertinents, touche aux sujets les plus graves.

 

Prix La Bruyère : Camille Riquier, pour Archéologie de Bergson. Temps et métaphysique

En reprenant le corpus bergsonien à partir d’une interrogation sur la méthode, en montrant que l’intuition elle-même fonctionnait comme une méthode, ce jeune et brillant chercheur, écrit Jean-Luc Marion, fait une percée déterminante dans l’interprétation de celui qui reste, avec Levinas, un des deux plus grands philosophes français du siècle dernier.

 

Prix Jules Janin : Olivier Le Lay, pour sa traduction de Berlin Alexanderplatz d’Alfred Döblin

On l’attendait depuis 1929, cette version digne d’un chef-d’œuvre de la littérature allemande du xxe siècle. C’est chose faite, se réjouit Dominique Fernandez. On y retrouve enfin la prose abrupte, violente et révolutionnaire de Döblin.

 

Prix Émile Augier : Pierre Notte, pour Et l’enfant sur le loup et Les Couteaux dans le dos, les ailes dans la gueule

Ce sont les pièces les plus récentes de cet homme jeune, attachant, singulier, fin et fantasque, qui se sert de tous les arts, du mime, de la danse, du cabaret, de la chanson et donne à des comédiennes, dont sa sœur Marie, les beaux rôles. Angelo Rinaldi lui trouve une ressemblance avec René de Obaldia – ce qui n’est pas peu dire.

 

Prix Émile Faguet : Myriam Sunnen, pour Malraux et le christianisme

Ni athée, ni antichrétien – bien que marqué dans sa jeunesse par Nietzsche –, ni anticlérical – bien qu’ayant dénoncé dans L’Espoir les compromissions de l’Église espagnole –, Malraux était agnostique. Était-il incroyant ? L’image du christianisme s’est modifiée tout au long de ses engagements successifs, montre l’auteur, qui souligne dans cette évolution l’importance de l’amitié – pour un écrivain espagnol, un poète français, un aumônier de la Brigade Alsace-Lorraine. Myriam Sunnen est la première à explorer cette importante question.

 

Prix Louis Barthou : Jean-Claude Perrier, pour Les Mystères de Saint-Exupéry

Où est dévoilée la part d’ombre dans l’existence lumineuse de « Saint-Ex », écrit Jean-Marie Rouart. Ses rapports complexes avec la politique, sa carrière cinématographique ratée, ses amours compliquées. L’auteur a recueilli de nombreux témoignages, des documents inédits, et il a reconstitué avec talent et passion la mosaïque d’une vie.

 

Médaille d’argent du Prix Louis Barthou : Jean-Pierre Colin, pour Maurice Barrès. Le prince oublié

Écrivain de droite, Maurice Barrès est, avec Anatole France, écrivain de gauche, un des grands oubliés de la littérature française, note Jean d’Ormesson. Son style fait pourtant de lui – avec Aragon, à l’autre bout de l’éventail – un des descendants de Chateaubriand. Jean-Pierre Colin, qui vient d’un horizon opposé, rend justice avec force et subtilité à l’auteur du Culte du moi et des Déracinés.

 

Prix Anna de Noailles : Francine de Martinoir, pour L’Aimé de juillet

Un mariage d’amour à Alger pendant les années de guerre se brise à cause d’un terrible soupçon. Mais le temps rendra justice à la « très vieille âme » que portait en lui le commandant Préfailles. C’est un roman pudique, intense, et hors des sentiers battus, comme l’est, de la N.R.F. au journal La Croix, l’activité critique de l’auteur.

 

Prix François Mauriac : Guillaume de Sardes, pour Le Nil est froid

Le Nil est froid, mais le soleil brûlant. Dominique Fernandez en dit autant de l’écriture de Guillaume de Sardes. Son héros, venu aux Pyramides avec Bonaparte, ne trouvera d’apaisement à ses vertiges amoureux que dans l’ascèse artistique, à l’école du peintre David pour qui la perfection du trait est nécessaire au jaillissement de l’émotion.

 

Médaille de bronze du Prix François Mauriac : Hélène Bonafous-Murat, pour L’Ombre au tableau

Ce roman consacré aux trois frères Le Nain n’a pas laissé indifférent celui qui publia le catalogue raisonné de leurs tableaux. À travers les rares éléments biographiques que l’on connaît, l’auteur tente de reconstituer leur vie dans leur province natale et leur difficile ascension dans le Paris de la première moitié du xviie siècle.

 

Prix Georges Dumézil : Michel Le Guern, pour Nicolas Beauzée, grammairien philosophe

À la demande de Diderot, Beauzée collabora à la réfection ou continuation des articles grammaticaux de l’Encyclopédie, commencés par Du Marsais. Avec cet ouvrage sur la vie et l’œuvre de notre confrère du xviiie siècle, écrit Marc Fumaroli, Michel Le Guern contribue généreusement à faire connaître les liens qui rattachent les encyclopédistes à la pensée linguistique du premier jansénisme.

 

Prix Roland de Jouvenel : Bruno Tackels, pour Walter Benjamin. Une vie dans les textes

L’œuvre de cette figure majeure de la culture allemande et européenne du xxe siècle est encore trop dispersée en France, déplore Dominique Fernandez. Ce livre réussit, par un montage très intelligent des textes, à restituer la vie et la pensée de Benjamin.

 

Prix Biguet : père Sélim Abou, pour De l’identité et du sens. La mondialisation de l’angoisse identitaire et sa signification plurielle

Titulaire de la chaire d’anthropologie interculturelle à l’université Saint-Joseph de Beyrouth, Sélim Abou était bien placé pour consacrer un livre à l’identité politique vue à l’échelle mondiale, écrit Hélène Carrère d’Encausse, là où des conflits identitaires déchirent le tissu national. Il a pu, grâce à sa connaissance de civilisations et de pays différents, comparer le sentiment d’incertitude et d’angoisse que fait croître la « culture globale ».

 

Prix Ève Delacroix : Eugène Green, pour La Bataille de Roncevaux

Un jeune Basque se fait renvoyer de l’école républicaine pour emploi jugé subversif de l’imparfait du subjonctif… Ce trait donne le ton d’un roman frondeur, construit autour d’une réplique héroï-comique de la fameuse bataille, mais le cinéaste du Pont des Arts nous fait surtout découvrir les paysages, légendes et souffrances du Pays à la langue mystérieuse.

 

Médaille d’argent du Prix Ève Delacroix : Étienne de Montety, pour L’Article de la mort

Pour rédiger ce que les journalistes appellent familièrement une « nécro », le héros enquête sur la personnalité médiatique et trouble d’un homme politique récemment disparu. Ce premier roman d’un journaliste confirmé explore avec maîtrise, dit Frédéric Vitoux, les ombres, mensonges et ambiguïtés de notre histoire contemporaine.

 

Prix Pierre Benoit : Pierre Hamel, pour Promenades poétiques dans l’œuvre de Pierre Benoit

Essai méticuleux sur les poésies un peu oubliées de Pierre Benoit, leur inspiration puisée dans les voyages, mieux encore, les qualités poétiques de sa prose romanesque. Le bienvenu aux yeux de Michel Déon.

 

Prix Jacques Lacroix : Bernard de Wetter, pour Le Mystère Lynx. Quand le lynx réapparaît en Ardenne

Pourquoi le retour spontané dans les forêts des Ardennes de ce félin nocturne à la beauté sans pareille ? Plus qu’une étude scientifique, écrit Frédéric Vitoux, il s’agit d’une enquête nourrie d’anecdotes et de réflexions sur les possibilités de coexister avec un prédateur dans notre continent européen ô combien civilisé !

 

Prix Raymond de Boyer de Sainte-Suzanne : Dominique Weber, pour Hobbes et le corps de Dieu

Ce livre complète et achève la publication d’un triptyque qui modifie radicalement l’interprétation matérialiste de Hobbes, écrit Jean-Luc Marion. Il reprend l’hypothèse d’un Hobbes radicalement univociste qui assimile l’être non seulement à la substance (comme bientôt Spinoza), mais même au corps. Grâce à cette somme, Hobbes apparaît comme un penseur plus complet et complexe.

 

 

PRIX D’HISTOIRE

 

Prix Guizot : Nathan Wachtel, pour La Logique des bûchers

Plongée dans les archives de l’Inquisition pour étudier les techniques qui permettaient, du xvie au xviiie siècle, d’extirper les aveux et les confessions censés prouver l’hérésie, ce livre rigoureux fait entendre en écho la répétition de ces mêmes techniques dans les grands procès des régimes totalitaires du xxe siècle, écrit Pierre Nora.

 

Médaille d’argent du Prix Guizot : Alain Cabantous, pour Histoire de la nuit xviie-xviiie siècle

Observation de la nuit, temps du plaisir amoureux, des veillées, des fêtes, temps des peurs, des crimes, « nuit pour soi » du sommeil, nuit des religieux, des sorcières, nuit sans cesse éclairée davantage. Jean-Denis Bredin a aimé ce bel ouvrage dont la conclusion invite à réfléchir au ciel étoilé si menacé, et pourtant inscrit au patrimoine mondial de l’humanité.

 

Médaille d’argent du Prix Guizot : Jacques-Alain de Sédouy, pour Le Concert européen. Aux origines de l’Europe 1814-1914

Des rencontres ou congrès ont réuni de façon régulière les souverains, ministres ou diplomates des États européens pour tenter de régler en amont tout embryon de crise pouvant dégénérer en conflits armés. Ce récit précis et nuancé, rapporte Gabriel de Broglie, donne nombre de clefs pour comprendre l’Europe au xixe siècle et sa lente évolution vers sa configuration actuelle.

 

Médaille de bronze du Prix Guizot : David Bitterling, pour L’Invention du pré carré. Construction de l’espace français sous l’Ancien Régime

Comment un royaume à l’origine hétérogène se transforme en un espace militaire et économique relativement homogène et comment ce phénomène s’accélère avec Colbert, Vauban et Boisguilbert. L’auteur, rapporte Pierre Nora, croise les registres des idées, des sciences, des usages politiques, et sa culture philosophique allemande enrichit sa pensée de l’espace.

 

Médaille de bronze du Prix Guizot : Catherine Horel, pour Cette Europe qu’on dit centrale. Des Habsbourg à l’intégration européenne 1815-2004

L’Europe centrale, redécouverte dans les années 1980, a perdu une partie de sa signification politique et géopolitique après son adhésion à l’Europe intégrée, puis après celle des pays de l’Europe orientale : telle est l’idée maîtresse, aux yeux de Pierre Nora, de ce livre riche et instructif.

 

Prix Thiers : Pierre Bauduin, pour Le Monde franc et les Vikings viie-xe siècle

L’auteur bouscule l’image d’une agression faite de pirateries, pillages, déportations et massacres, écrit Pierre Nora. Il cherche à comprendre comment les Vikings, à partir des années 900, se sont insérés dans l’Europe chrétienne, comment les Francs se sont préparés aux invasions, et il insiste sur le cas de la Normandie, où l’intégration a été réussie.

 

Prix Eugène Colas : Christian Taillard, pour Victor Louis (1731-1800). Le triomphe du goût français à l’époque néo-classique

Attendu depuis vingt ans, ce livre après lequel on ne pourra guère avancer, écrit Gabriel de Broglie, apporte beaucoup de nouveautés, de clarté et de solidité dans la connaissance que l’on peut avoir du grand architecte, à la fois savant et bâtisseur, traditionaliste et novateur, qui s’est rendu célèbre par le Grand Théâtre de Bordeaux et le Palais-Royal à Paris.

 

Prix Eugène Carrière : Alain Mérot, pour Du paysage en peinture dans l’Occident moderne

Exceptionnelle synthèse, aux yeux de Pierre Rosenberg, sur la place que le paysage occupa à Rome d’abord puis dans toute l’Europe. Plus particulièrement consacrée à ce que l’on appelle « le paysage classique », dont les deux héros furent Poussin et Claude, cette monographie à la fois savante et accessible à tous est d’une lecture fort agréable.

 

Prix Louis Castex : Marie Thébaud-Sorger, pour L’Aérostation au temps des Lumières

En 1783, des hommes s’envolèrent pour la première fois. Alain Decaux a été sous le charme de la narratrice, qui conte l’effet immense produit par ces envols, les foules accourues, les lettres reçues par les gazettes. C’est la première fois dans l’histoire du monde que l’on s’enflamme pour une invention. Le fondateur du prix souhaitait que l’aviation ne fût pas oubliée, et l’aviation n’aurait pas existé sans l’aérostation.

 

Prix Monseigneur Marcel : Jacques Le Brun, pour Le Pouvoir d’abdiquer. Essai sur la déchéance volontaire

En évoquant les grandes figures de l’abdication, de Dioclétien à Philippe V d’Espagne, l’auteur s’engage dans une exploration passionnante du retrait volontaire et de ses causes, écrit Hélène Carrère d’Encausse. Il pose notamment la question du lien entre abandon du pouvoir temporel et aspiration chrétienne au retrait du monde.

 

Médaille d’argent du Prix Monseigneur Marcel : Naïma Ghermani, pour Le Prince et son portrait. Incarner le pouvoir dans l’Allemagne du xvie siècle

Cette étude savante et brillante qui à travers les portraits du « Prince », tant catholique que luthérien, décrypte l’idée qu’il se fait de son autorité, confirme, écrit Marc Fumaroli, la convergence amorcée par l’école historique allemande de Warburg et l’école des Annales de Marc Bloch et Braudel entre histoire politique, histoire des idées et histoire de l’art.

 

Prix Diane Potier-Boès : Daniel Panzac, pour La Marine ottomane. De l’apogée à la chute de l’Empire (1572-1923)

 Histoire contrastée de la reconstruction de la marine ottomane après le désastre de Lépante, de la puissance reconstituée de l’Empire ottoman sur toute la Méditerranée grâce à la supériorité technologique de sa marine, jusqu’à ce qu’il se heurte, après 1770, aux puissances européennes, à la Russie surtout, et que commence son long déclin. Une étude remarquable, rapporte notre Secrétaire perpétuel.

 

Prix François Millepierres : Pierre Maraval, pour Théodose le Grand. Le pouvoir et la foi

Où l’on apprend, entre autres, qu’à Byzance, sous cet empereur du ive siècle, les questions religieuses tenaient déjà un rôle politique et que le rapport avec les envahisseurs du Nord et de l’Orient imposait déjà une vision globale de l’affrontement idéologique. Outre sa valeur historique, rapporte Jean-Luc Marion, cet ouvrage offre une leçon sur l’actualité européenne.

 

Médaille d’argent du Prix François Millepierres : Françoise Frontisi-Ducroux, pour Ouvrages de dames, Ariane, Hélène, Pénélope.

L’auteur met sa science et sa prose limpide au service d’un délicieux féminisme, écrit Marc Fumaroli. En faisant le portrait intérieur de trois dames splendides, qui ont en commun une vocation pour le filage et la tapisserie, elle prouve que les sciences dites humaines ne sont jamais si savantes que lorsqu’elles le sont avec imagination et avec style.

 

Médaille d’argent du Prix François Millepierres : Monique Cottret, pour Tuer le tyran ? Le tyrannicide dans l’Europe moderne

Réflexion qui met en lumière l’opposition ambiguë entre l’idéal de l’Europe chrétienne, « tu ne tueras point », et la pratique assez développée du meurtre du tyran, tantôt perçu comme une juste rétribution des excès du pouvoir – Henri III et Jacques Clément – tantôt perçu comme une transgression inacceptable – Henri IV et Ravaillac. Apport important à l’histoire d’une idée politique, conclut Hélène Carrère d’Encausse.

 

 

PRIX DE SOUTIEN À LA CRÉATION LITTÉRAIRE

 

Prix Henri de Régnier : Annelise Roux, après La Solitude de la fleur blanche

 

Prix Mottart : Bernard Chapuis, après Le Rêve entouré d’eau

 

Prix Amic : Revue Le Bulletin des Lettres, publiée à Lyon

 

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Avant de prendre congé, la Grand Rapporteuse demande à tous les lauréats des prix de fondations de bien vouloir se lever afin d’être salués.