Rapport sur les prix de vertu 1897

Le 18 novembre 1897

Jules CLARETIE

RAPPORT SUR LES PRIX DE VERTU

Lu dans la séance publique annuelle de l’Académie française
du 18 novembre 1897

PAR

M. JULES CLARETIE

DIRECTEUR DE LACADÉMIE FRANÇAISE

 

MESSIEURS,

« Il faut qu’une action louable soit louée. » C’est par ces mots que M. de Montyon, conseiller d’État, chancelier et chef du Conseil du comte d’Artois, expliquait, en mai 1782, le don qu’il faisait à l’Académie française. M. de Montyon comprenait déjà toute la puissance de la publicité, même en matière de vertu. Il trouvait, avec raison, que l’on ne saurait trop vivement mettre en lumière ces dévouements instinctifs et obscurs qui, si vous n’étiez là, Messieurs, passeraient sans laisser de trace, car le souvenir des bienfaits est ce qui s’efface le plus facilement de la mémoire des hommes.

Lorsque M. de Montyon fonda le prix de vertu, Grimm voulut voir dans cet acte de bienfaisance un effort de la philosophie vers la vertu chrétienne, et il conte assez plaisamment que le corps des curés de Paris, jaloux des privilèges qu’on venait d’attribuer à l’Académie française, et qu’il aurait, dit-il, plutôt cru de son ressort que de celui de MM. les Quarante, allait, usant de représailles, fonder un prix pour le plus joli madrigal qui se ferait tous les ans dans l’étendue de leur diocèse. Les ciseleurs d’épigrammes ont eu beau dire, l’institution des prix de vertu est depuis plus d’un siècle entre bonnes mains, et vous avez toujours eu autant de joie et mis autant de soin à découvrir, à célébrer, après les beaux livres, les belles existences, et à couronner, après les poèmes, les braves gens et les sauveteurs, les piètes en action.

Vous aurez du reste. Messieurs, aujourd’hui une déception. C’est une autre voix que la mienne qui devait, cette année, célébrer la vertu. Votre Compagnie avait désigné pour cette tâche, qui est un honneur, un confrère que la mort nous a pris, et qui rivait d’ajouter à tant d’œuvres exquises, spirituelles et aiguës, ce dernier travail, qui en eût été le couronnement et peut-être l’ironique commentaire : un hommage public à la vertu. M. Henri Meilhac, dans les dernières années de sa vie, ne songeait guère qu’à ce Rapport, dont il parlait sans cesse, disant avec un fin sourire, à notre éloquent secrétaire perpétuel : « Jamais la vertu ne m’a tant occupé depuis que je suis au monde. »

M. Meilhac, qui n’eût jamais calomnié personne, se calomniait un peu. L’existence entière de ce maître de l’ironie fut en effet toute de bonté, de bonté cachée et comme dissimulée sous une apparente brusquerie ; et ceux-là qui assiégeaient sa porte et sollicitaient de lui des secours souvent répétés, savent, — et ne rediront pas, — ce qu’il y avait de charité et d’indulgence clans sa timidité un peu bourrue. M. Meilhac avait la pudeur de ses bienfaits. Cependant en énumérant ici les récompenses que l’Académie accorde annuellement comme un hommage aux actions et aux dévouements qui dépassent la commune bonté, peut- être eût-il rappelé ce vieux refrain du chansonnier que, je ne sais pourquoi, son souvenir évoque en moi aujourd’hui, et en parlant de ces Deux Sœurs de charité, la sœur grise et la ballerine, qui se présentent à la porte du paradis — du paradis de Béranger, — eût-il répété qu’on peut, comme la danseuse de l’Opéra, « se sauver aussi par la charité ».

Quoi qu’il en soit, notre regretté confrère tenait à payer sa dette à l’humble, timide, obscure vertu, et M. Boissier nous disait encore que quelques jours avant sa mort, M. Meilhac demandait avec instance qu’on lui envoyât les dossiers de nos lauréats pour composer son discours. Ce discours, qui eût été si personnel et si attirant, nous ne l’entendrons pas ; et ces dossiers, qu’il n’a même pas ouverts de ses mains défaillantes, c’est moi qui les ai étudiés, lus avec une émotion grandissante, avec le regret aussi que le peintre narquois et le satirique de la vie parisienne ne fût plus là pour mettre en lumière, comme il l’avait fait des ridicules et des vices, tous ces dévouements, ces existences d’abnégation et de sacrifice, dont le récit forme à la fois le plus navrant et le plus consolant des tableaux. Et pour célébrer, avec M. de Montyon, les vertus qui sont comme une vivante réponse aux pessimistes invétérés, nous aurions voulu entendre Marivaux s’unissant à Gavarni.

Le prix de vertu, l’unique prix de vertu était, au début de l’institution, décerné à l’action la plus vertueuse faite dans toute l’étendue de la ville et de la banlieue de Paris. Il fallait alors, pour être digne de l’attention et des suffrages de l’Académie, que l’action vertueuse fût, comme on dirait aujourd’hui, essentiellement parisienne, ou du moins qu’elle eût pour théâtre ce grand Paris qui se préoccupe de tout, excepté peut-être de la vertu cachée. Sommes-nous, depuis 1782, devenus plus vertueux ? La question est intéressante mais indiscrète Le qui est certain, c’est que le nombre des prix de vertu a considérablement augmenté et que les actions vertueuses semblent avoir suivi la même progression, il a fallu démolir aussi les barrières de Paris pour la vertu comme pour l’octroi, et ce n’est pas seulement la ville et sa banlieue qui nous apportent chaque année leur contingent de dévouements ignorés à demi ou de nobles actions, c’est toute notre France, cette France si souvent méconnue et calomniée par l’étranger, — par plus d’un Français aussi, — et qui, parmi sa population laborieuse honnête ou résignée garde encore, et plus que toute autre nation peut-être, une élite de braves gens et de héros qui demeureraient anonymes si l’Académie ne consacrait pas, comme on l’a dit, un jour par année à ces humbles, nobles et vaillantes vertus de tous les jours.

Et si les ruisselets font les fleuves, on peut dire que ces petites vertus quotidiennes font, les grands dévouements nationaux. On a souvent dressé, pour se rendre compte des opinions politiques ou des mœurs des populations diverses de notre pays, des cartes spéciales, par département, et la géographie avec la statistique nous ont fait connaître, par exemple, le total des votes de telle contrée et leur signification, au moins temporaire, ou encore la quantité d’alcool absorbée par telle ou telle partie de la France. Nous avons eu des cartes géographiques électorales, et les spécialistes ont établi, toujours par des cartes, le tableau de la moralité publique d’après la criminalité. Ces diverses cartes ont la prétention de nous composer, comme par fragments soudés les uns aux autres, le miroir même où peut se contempler telle qu’elle est une nation. Eh bien ! à mon avis, il manque un tableau à ces tableaux divers, et les statisticiens feraient bien aussi, pour être exacts et pour être justes, de dresser une géographie de la France d’après ses vertus et ses belles actions. Je n’ignore pas que la tâche, si elle est consolante et digne d’être entreprise, ne serait pas facile. C’est une vérité banale de dire que le vice s’étale et que la vertu se cache. Il est bruyant, le crime, il est dramatique, il est poignant, il donne, en même temps que l’horreur du forfait, le délicieux petit frisson de terreur que la foule va demander au vulgaire mélodrame ; la vertu timide, discrète, pudique, farouche ; ne fait point de bruit et continue sa besogne silencieuse. Il faut aller la chercher dans ses retraites, et je crois bien qu’il est aussi malaisé de découvrir certains êtres obscurément vertueux que d’arrêter certains criminels.

J’en ai vu surgir pourtant, dans les volumineux dossiers que j’ai compulsés, de toutes les contrées à la fois, paysans de Bretagne, laboureurs des Pyrénées, gens du Nord et du Midi, Parisiens transplantés en province ou provinciaux venus à Paris pour chercher fortune et y trouvant, avec la misère, l’occasion de soulager de plus misérables qu’eux ; j’en ai vu des pays d’Alsace, et dans cette carte idéale que je rêve, — tableau statistique de la vertu sur la terre française, — le souvenir de quelque bonne Lorraine ne serait pas oublié.

C’est à Paris que nous rencontrons Mlle Bonnefois, mais elle nous vient, après bien des années d’aventures, du fond même de la province. Jeanne-Marie-Eugénie Bonnefois est née le 25 mai 1829 au bourg de Dardilly, dans le département du Rhône, d’un père cumulant les fonctions d’instituteur de l’école primaire avec celles de secrétaire de la mairie du et d’une mère ouvrière. Comment, à quatre ans, trouvons-nous Mlle Bonnefois sur les tréteaux d’une baraque foraine taisant la parade pour attirer la foule dans un théâtre mécanique où des marionnettes défilaient devant, le temple de Jérusalem ? L’école de Dardilly n’avait pas donné la fortune à l’instituteur, et celui-ci laissant là ces cahiers d’écoliers et ces livres que sa fille devait rouvrir plus tard, s’était jeté à l’aventure à travers le monde, menant cette vie de hasard des saltimbanques qui ont trouvé en art, depuis des siècles, ce fameux plein air que recherchent les peintres modernes. Ils l’aiment, cette existence indépendante, comme les marins aiment la mer et quand ils l’abandonnent, ils en ont la nostalgie et ils en meurent. Avez-vous jamais rencontré, au bout du chemin, quelque roulotte d’impresario forain arrêtée en pleine campagne dans la halte du repos ? Le cheval détaché du brancard broute, au revers du fossé, l’herbe verte, tandis que le chien au poil hérissé regarde, couché près du foyer improvisé, la marmite qui bout sur un feu de branchettes sèches. La mère surveille la soupe ; par contraste, le père recoud quelque harde au coin de la haie, et des enfants vont et viennent, çà et là, dans un rayon de soleil. Mlle Bonnefois, que l’Académie devait couronner, un jour, fut pendant des années cette enfant errante, amusée des haltes reposantes et qui court après les papillons ou les poules avant de remettre, en rentrant en ville, le maillot rose aux reprises cachées sous les paillettes d’or. Elle était charmante, cette femme aujourd’hui vénérable, et, parfois, — elle s’en souvient avec une douce mélancolie, — elle récitait le boniment qui attirait le public, et elle souriait battant du tambour sous le costume et le tricorne des gardes françaises, lorsque la petite troupe traversant les villes mortes — on appelle ainsi celles où il n’y a pas de foire populaire — faisait le tour de la ville en musique à l’heure de la sortie des ateliers. Et déjà, enfant ou jeune fille, elle était la créature dévouée dont nous saluons aujourd’hui la noble existence.

L’ancien instituteur devenu saltimbanque s’était en effet remarié et Eugénie Bonnefois entourait de soins et de tendresse cette femme qui n’était point sa mère. Cette belle-mère, à son tour, adorait la jeune fille et le modèle même de la famille était donné le plus naturellement du monde par cette roulotte foraine cahotant le long des chemins ces humbles êtres qui s’aimaient. Ce fut la belle-mère qui voulut qu’Eugénie Bonnefois fît sa première communion. La jeune fille avait déjà dix-huit ans. Les saltimbanques qui ont aujourd’hui leurs syndicats et, avec leurs roulottes devenues aussi luxueuses que des wagons-lits, entreront quelque jour, comme d’autres notables négociants, dans quelque conseil de prud’hommes, — on parle même de l’un d’eux qui voudrait se présenter à la Chambre des Députés avec une attribution spéciale, celle de dompteur ; — les forains étaient alors traités en parias par la société civile et, quand ils n’en étaient pas maudits, comme ignorés du clergé dont ils traversaient les paroisses sans leur appartenir. Cette première communion, faite entre deux parades durant une halte dans une fête foraine, laissa dans l’âme tendre et un peu rêveuse de la jeune fille un ferment de mysticisme et de piété que la vie devait développer. Vie de travail toute d’épreuves successives.

Au mois de décembre, Eugénie Bonnefois perdait celle qu’elle chérissait énorme sa mère. Sa douleur fut telle qu’elle demeura dans un état de prostration dont seuls purent la tirer les malheurs de la patrie. L’heure de l’invasion a sonné : la foraine se fait ambulancière. Il y avait, pendant le siège de Paris, dans un logis du boulevard Saint-Martin, une association de nobles femmes qui se donnaient pour tâche de porter secours aux blessés et aux malades sur les champs de bataille, dans les ambulances et dans les hôpitaux. On les appelait d’un beau nom : les sœurs de France. Mlle Bonnefois fit partie de la société, demandant au Comité, pour seule faveur, d’être employée non pas en ville, mais aux remparts. Et, la croix rouge sur son brassard, on la voyait partout, l’ancienne musicienne de la baraque paternelle, qui battait de la caisse autrefois pour attirer les spectateurs et suivait maintenant les tambours de nos soldats pour les ramasser dans la tranchée, panser les blessés sous le feu des obus, passer les nuits dans le froid glacial du rude hiver. consolant les souffrants, frappant d’admiration des chirurgiens et des officiers de l’armée, ne prenant qu’une nuit de congé tous les quinze jours et cela du premier combat au dernier, de Bagneux à Montretout, si bien que lorsque le diplôme de la médaille des Sœurs de France fut conféré à Bonnefois, l’attestation qui accompagnait le bronze remerciait l’ambulancière d’avoir non seulement prodigué des soins aux victimes de la guerre : mais, à l’heure de la famine et avec une abnégation très simple, d’avoir partagé ses vivres avec eux, distribué le pain déjà rare de sa ration de chaque jour.

Et ce n’est là, Messieurs, que le prologue en quelque sorte de cette existence de dévouement. Ce n’est pas pour ces vertus civiques que vous récompensez Bonnefois. Beaucoup d’autres vaillantes femmes ont agi comme elle aux heures d’épreuves, et les sœurs et filles de France sont nombreuses qui ont essuyé le sang des blessures de la patrie. Mlle Bonnefois nous offre l’exemple d’une vertu que j’appellerai volontiers plus originale. Elle a. dans cette longue galerie de vos lauréats où les figures respectables abondent, une physionomie très particulière. La guerre finie, la pauvre fille se trouvait sans ressources. Les attestations d’héroïsme n’enrichissent pas. Le héros du champ de bataille retourne aux champs ou à l’atelier avec quelque jambe de moins ou quelque bras amputé. L’héroïne de l’ambulance retourne à son métier avec la misère. Et Mlle Bonnefois n’était pas seule : le père était devenu infirme, incapable de gagner sa vie. Alors, à quarante-deux ans, la vaillante femme reprit son ancien métier : elle se fit ou se refit foraine. Grâce à la confiance et à la sympathie qu’elle inspirait, elle put louer un vieux panorama, — de ces scènes où, à travers les verres gros­sissants, on va regarder, dans les baraques de toile, les faits divers de l’actualité, crimes ou catastrophes célèbres, morts illustres, drames ou batailles, — et elle commença, avec ce panorama d’occasion, la campagne de 1872. Trois ans après, le panorama semblant vieilli, Mlle Bonnefois ouvrait, à la foire au pain d’épice, un beau diorama tout neuf. Elle suivait le courant. Elle n’avait pas un sou vaillant, mais son honnêteté lui assurait le crédit et elle devait cinq mille francs. Hélas ! à la foire au pain d’épice comme au théâtre, le public qui aime la mise en scène va sans doute aux dorures et au luxe : Par des prodiges d’habileté et d’économie, la directrice du diorama parvint à se libérer, tout en pourvoyant aux besoins de son père qui mourut il y a dix-sept ans. en 1880.

Alors, se trouvant seule au monde, Mlle Bonnefois, pieuse et dévouée, songea, — peut-être par égoïsme, — à se refaire une famille. Et cette famille, c’est la grande tribu des errants, la foule des parias et des excommuniés qu’elle veut réunir dans une communauté de sentiments et de pensées. Elle se rappelle vaguement sans doute les petits paysans du bourg de Dandilly épelant l’alphabet dans la maisonnette de l’instituteur. Elle se rappela sûrement les jours où le curé du village enseignait le catéchisme à la petite saltimbanque avant de lui donner la communion. Ce qu’on lui a appris, elle veut à son tour l’apprendre aux autres. Elle fait de son rêve un apostolat. À Amiens, déjà, elle a fondé l’œuvre de la première communion des forains. Mais elle veut à présent leur enseigner à lire et, comme elle dit en un langage qui touchera même les philosophes, leur apprendre qu’il y a un Dieu dans le ciel et vingt-six lettres dans l’alphabet.

C’est à Paris que s’ouvrit, dans le courant de l’année 1892, la première école foraine. Mlle Bonnefois en avait tenté comme une ébauche à Rouen sous les auspices du cardinal Thomas : mais il lui fallait Paris, le grand Paris, pour développer l’idée qui la hantait. Les débuts de l’œuvre furent bien modestes. Sans autres ressources qu’un billet de cinquante francs offert par un ami de la première heure, avant pour toute bibliothèque scolaire un livre d’images prèle par cet ami, Mue Bonnefois ouvrit son école dans sa roulotte de foraine. Elle y recueillit tout d’abord douze petits saltimbanques des deux sexes venant, étonnés puis intéressés, apprendre à lire entre deux tours de trapèze. Et le nombre des petits élèves grandit.

Les parents, d’abord indifférents, presque hostiles, envoient leurs petits à la roulotte où l’on enseigne. Bientôt elle est trop étroite, l’humble roulotte de planches ; il faut lui substituer une baraque de toile et s’assurer le concours d’une institutrice. Mais les dépenses augmentent avec le nombre des élèves, elles sont certaines et les ressources sont douteuses.

Mlle Bonnefois eût succombé, malgré son courage, si de charitables personnes n’eussent secouru la vaillante fille dans sa tâche écrasante. Un Comité de patronage s’est formé pour la soutenir dans ses admirables efforts. Grâce à elle, grâce surtout à l’activité et au zèle de l’institutrice volontaire ; l’œuvre a prospéré, l’école a grandi. Elle grandit toujours. Le magnifique diorama qui était l’unique gagne-pain de la foraine est devenu comme un palais scolaire et ce palais a une succursale. Les douze élèves du début en 1892, comptaient trente-six compagnons de plus en 1893 ; Bonnefois avait 110 élèves, 117 en 1895 et, pour cette année scolaire 1896-97 elle en compte 207. Et les baraques-écoles se montent et se démontent à volonté de façon à suivre avec tout le mobilier des classes les familles des forains dans leurs migrations à travers Paris, les boulevards extérieurs et la banlieue ; de la fête de Ménilmontant qui ouvre la marche, jusqu’à la fête de Vincennes, la vaillante femme poursuit ainsi son labeur et suit ses élèves de station en station, leur apprenant à lire et à penser au bruit des orgues et des cymbales. Et pendant que les pauvres saltimbanques songent aux tours d’adresse qui pourront augmenter la recette du jour et grossir le morceau de pain quotidien, Eugénie. Bonnefois pense, pour ces petits, à ce pain de l’esprit qu’elle pétrit en quelque sorte de ses mains, en y ajoutant, quand il le faut, la nourriture matérielle, quitte après la leçon donnée, à se coucher elle-même sans souper.

L’école est catholique, mais tous les cultes y sont admis. « Laissez venir à moi les petits enfants. » La parole sublime ne parle pas du genre de religion. Les marchands de nougats, parmi les forains, sont mahométans ou juifs. Mlle Bonnefois a pour élèves des israélites d’Algérie et des sectateurs du Prophète. Et, pour reconnaître ce caractère libéral et philanthropique de l’École foraine, le ministre de l’instruction publique, sur la proposition de M. Buisson, alors directeur de l’enseignement primaire, n’a pas hésité à allouer à Mlle Bonnefois une subvention de 600 francs, tandis que la Société nationale d’Encouragement au bien décernait à la noble femme un diplôme d’honneur.

L’Académie française, après avoir pris connaissance du dossier de Bonnefois, — ce dossier où figurent tant de noms de significations diverses, de nombreux articles où la presse de tous les partis signale noblement l’œuvre admirable à l’attention publique, — a décerné un prix Montyon de deux mille cinq cents francs à l’institutrice des petits saltimbanques et ce n’est pas la première fois que les professions excommuniées jadis sont honorées par nous.

Il ne faut pas croire que le théâtre, par exemple, qui a eu ses martyrs, comme Saint-Genest, n’a jamais eu ses prix de vertu. Les coulisses connaissent aussi cette vertu secrète dont parle Fénelon. L’Académie a déjà couronné des comédiens. Elle trouvera peut-être quelque jour, et je le souhaite, l’occasion de décerner un de ses prix de vertu à une comédienne. Ne souriez pas ; on n’aurait peut-être pas à chercher longtemps pour la trouver. Mais ce ne serait peut-être pour elle qu’une demi-bonne fortune. On sait, en effet, ce qu’il advint à l’acteur Moëssard à qui l’Académie française décernait en 1841 un prix de trois mille francs. Moëssard était un comédien de la Porte- Saint-Martin, peu et rarement payé, qui nourrissait ses camarades et secourait même les gens de lettres pauvres et je trouve clans le Rapport de M. de Jouy un touchant tableau de l’expansive charité du comédien.

L’existence de Moëssard parut admirable à l’Académie, mais il advint tant nous aimons la raillerie — que la récompense tourna presque au détriment du bon et vaillant Moëssard à qui désormais les petits journaux n’épargnèrent pas l’épithète de « vertueux ». Et Moëssard devenu vertueux de façon indélébile ne put en aucune façon être, dans son métier, autre chose que le « vertueux Moëssard ». On entrevit toujours le brave homme à travers le comédien qui parfois jouait des troisièmes rôles et lorsque, dans les pièces nouvelles, le bon Moëssard était autre chose qu’un personnage vertueux, le public habitué à l’étiquette ne prenait plus au sérieux le traître, ne frémissait plus de ses forfaits, souriait au contraire à Moëssard jouant de méchants personnages par dévouement, et si bien que lorsque Balzac confia dans Vautrin un rôle de forçat au vertueux Moëssard, ce forçat ne terrifia personne et derrière Joseph Bonnet le galérien le public s’attendrit encore au prix de vertu.

Je ne dis pas cela pour détourner de la vertu les comédiens que nous pourrions avoir à couronner et la récompense que l’Académie accorde cette année à Mlle Bonnefois ne nuira pas à l’avenir de la vaillante foraine.

Mlle Bonnefois a des émules, vous n’en doutez pas, et qui éprouvent à toute heure, à tout propos, d’irrésistibles tentations de faire le bien. Catherine Bauret, par exemple, née à Audun-le-Riche (Lorraine), en 1822. Sa longue existence est bien simple. Depuis près de soixante-quinze ans, elle travaille. Son père était cultivateur. Une épizootie s’abat sur ses bestiaux, emporte bœufs et chevaux, le chagrin le prend, comme on dit, et le tue. Catherine Bauret entre alors en service. C’était en 1850, il y a quarante-sept ans. Depuis quarante-sept ans, elle a toujours servi les mêmes maîtres et, non pas seulement servi, mais elle les a soignés, secourus, partageant leurs douleurs et leurs joies, aidant à élever leurs enfants. Catherine Bauret a 75 ans, sa maîtresse en a 89 et la septuagénaire donne ses soins à l’octogénaire infirme, et non seulement elle est la garde-malade de sa maîtresse, mais elle a encore à sa charge sa mère presque aveugle et aujourd’hui âgée de 98 ans. Sa charité est inépuisable, elle se dépouille pour les pauvres. Plus d’une fois, durant des épidémies qui ont frappé la commune de Réhon, Catherine Bauret a couru au péril, s’asseyant au chevet des malades pour leur venir en aide, leur apportant des remèdes ou du vin achetés par elle. Cette apostille d’un de ses compatriotes, notre confrère M. Alfred Mézières, dira tout : « J’habite la commune de Réhon et je suis un témoin de la vie de Catherine Bauret, aimée et admirée dans toute la Lorraine. »

Eh bien ! non, cette courte et éloquente attestation ne dit pas tout. Mlle Catherine Bauret, qui était demeurée à Réhon pendant la guerre de 1870, pour garder, comme un chien fidèle, la maison de ses maîtres, avait tellement frappé, par son attitude simple et sa vigilance, les précautions qu’elle prenait pour que rien ne fît détérioré autour d’elle, un officier allemand qui logeait là, qu’il lui offrit, en partant, quelques pièces d’or pour récompense. Catherine Bauret avait refusé. Sa maîtresse, Lorraine comme elle, possède encore à Metz une maison où elle passe une partie de l’hiver. La vieille servante l’y suit, vigilante. On sait que les Allemands, volontiers respectueux des vertus domestiques, accordent une pension aux vieux serviteurs. Ayant appris que Mlle Bauret était en service depuis tant d’années, immuablement dévouée, ils lui ont alloué une pension de cent quatre-vingt-douze marks accompagnée d’une médaille de l’impératrice Augusta. Je vous disais, il y a un moment, que toutes les provinces de France sont représentées dans notre consolant tableau. Catherine Bauret, la fière Lorraine, a refusé la médaille et la pension en disant, sans faire de phrases, qu’elle ne voulait rien de ceux qui lui ont enlevé sa patrie. L’Académie lui donne. — et c’est peu de chose, — une médaille de cinq cents francs, mais qui la touchera au cœur car la récompense est française.

Parmi les actes de vertu que l’Académie se plaît à couronner chaque année, les plus dramatiques peut-être sont ceux que les sauveteurs accomplissent, et le sauveteur est d’ordinaire un être d’instinct et de courage qui semble opposer au criminel né observé par la science le sauveteur né, l’être de dévouement impulsif qui réconcilierait Alceste avec l’humanité. Les actes d’héroïsme de ces braves gens nous semblent tout simples lorsqu’ils ne nous paraissent pas d’une banalité fatigante alors qu’on les raconte dans une séance académique. Il faudrait voir, sortant de l’eau ou du feu, trempés par les paquets de mer ou les sourcils brûlés par la flamme, ces vaillants qui vont au-devant de la mort avec une résolution si admirable.

Ces sauveteurs, il faudrait les revoir dans leurs vêtements de toile goudronnée, luttant, nageant, allant à travers la mer démontée vers ce point obscur qui, là-bas, est une barque où des malheureux agonisent. Il faudrait les admirer dans le flamboiement de l’incendie et le craquement des poutres qui tombent. Nous ne vous apportons ici que le procès-verbal de leur héroïsme, et les bulletins officiels des batailles ne valent pas, pour donner une idée de la lutte, un lambeau d’uniforme troué et sentant la poudre.

Delacour, Louis-André-Joseph, né à Paimbœuf, ancien maître d’équipage de la Compagnie Transatlantique, attaché depuis plus de trente ans à cette compagnie, a conté, avec une simplicité héroïque, à M. le maire du Havre qui nous a transmis son récit, les sauvetages qu’il a accomplis. La liste en est lorsque. Delacour a 75 ans : il a débuté comme sauveteur à 18 ans, et il continue de sauver à 70 ans.

Je voudrais vous lire son autobiographie où revient comme un touchant refrain rage qu’il avait à chacun de ses sauvetages : « J’étais novice à bord de la Zoïde quand je tirai de l’eau le second du navire le Sauvage, du port de Roscoff. » « J’avais vingt ans quand, matelot à bord du Christophe-Colomb, je sauvais, avec trois camarades de bonne volonté, quinze hommes d’une goélette en détresse. » « J’avais vingt et un ans quand je tirais de l’eau le commandant du Lévrier, cutter de l’État. » « J’avais vingt-huit ans quand, au Havre, le long du bassin Vauban, je sauvai un douanier dont je ne sais pas le nom. » « J’avais trente ans. » « J’avais trente-deux ans. » « J’avais quarante ans. » « J’avais cinquante ans », et Delacour compte ainsi ses années par ses sauvetages, et le brave ancien maître a trouvé pour ne pas vieillir un moyen que je recommande à tout le monde. Il sauve son prochain à soixante-dix ans comme à dix-huit, et, presque septuagénaire, il tirait de l’eau une jeune fille qui se noyait dans le bassin du Havre, et entraînait même avec elle un autre sauveteur plus jeune, mais moins vigoureux que le brave Delacour. Celui-ci pourra écrire : « J’avais soixante-quinze ans quand l’Académie ajouta un prix de 1 000 francs à toutes mes récompenses et à toutes mes médailles :

Émile Avisse, autre sauveteur, a 53 ans. C’est un pilote de Boulogne. On ne compte plus les équipages qu’il a arrachés à la tempête. Combien d’hommes doivent la vie à ce marin qui débutait, en décembre 1870, par ramener, comme pilote, à Dunkerque la prise prussienne Fortuna, capturée dans les mers du Nord ! Pas une année de sa vie n’est pour Avisse une année perdue. La Société humaine et des Naufrages a demandé pour ce patron de ses équipages, depuis quarante ans, dont cinq à l’État, aux services de mer, la récompense que nous lui donnons aujourd’hui : une médaille de 1 000 francs. C’est un hommage ajouté à la croix de la Légion d’honneur que recevait le pilote en 1888, et qui lui faisait traduire sa reconnaissance envers ceux qui s’étaient occupés de lui par ces lignes, d’une éloquence naïve et profonde où se peint le sauveteur, — et je dirai où réapparaissent tous les sauveteurs, qu’ils s’appellent Delacour du Havre, Avisse de Boulogne ou Ammirali de Marseille : — « J’ai fait part de la nouvelle à mon équipage. Le mât de l’Hirondelle ne peut pas porter les bouquets et pavillons qu’ils lui ont mis. Les braves gens sont tellement contents de voir leur patron décoré qu’ils sont en noce depuis. J’ai écrit à tous ceux qui se sont occupés de moi, et le ministre se sera demandé : Qu’est-ce que ce pilote qui a tant de recommandations ? Ce que j’ai reçu de lettres et de cartes depuis hier, je ne pourrais le dire, car j’ai mal à la main d’écrire., et la plume, ça n’est pas la barre de l’Hirondelle à manier ! »

Non, brave homme, mais il est des cas où la barre du pilote est plus noble que la plume la plus illustre, et nous aurons, Messieurs, fait plaisir à bien des gens en rendant une fois encore justice au patron de cette hirondelle, dont les compagnons du pilote vont refleurir le mât, sans aller, j’espère, jusqu’à la « noce » de la Légion d’honneur.

Les domestiques dévouées, plus nombreuses que ne le disent les maîtres, les infirmières volontaires, les consolatrices des souffrants, les braves gens, — et, disons-le pour les féministes, — les femmes admirables qui, faisant de l’abnégation une sorte de vertu toute féminine, vont droit à la souffrance humaine pour la soulager comme au but même de leur existence, forment, vous le savez, Messieurs, la clientèle ordinaire de vos concours. Et quel étonnement pour votre rapporteur, lorsque sur un dossier où il rencontre la longue liste de tant d’actions vertueuses, il trouve ce mot, tracé comme une sentence douloureuse : Insuffisant. Eh ! oui, il faut aux vertus récompensées par ces fondations diverses, Montyon, Honoré de Sussy, Marie Lasne, Camille Favre, Lange, Souriau, Gémond, j’en oublie, une vertu au-dessus, au delà de la vertu commune.

Nous exigeons, — comme si notre faiblesse en avait le droit, — de ces héroïques dévouées, martyres de leur tâche, et que les pauvres malades qui souffrent appellent souvent leurs bourreaux, quelque chose de surhumain ? Et ce surhumain, Messieurs, n’est pas rare.

Voici Mlle Fieschi, Marie-Madeleine Fieschi, d’Ajaccio (Corse), qui, depuis un demi-siècle, sert avec une fidélité pieuse les mêmes maîtres, les a soignés quand ils sont devenus malades, a continué à les servir quand ils sont devenus pauvres, les a ensevelis quand, après des maladies longues et repoussantes, ils sont morts. Elle est septuagénaire, elle est malade elle-même. Comment l’Académie pourrait-elle l’oublier ? Et Rosalie Combes, de Castres (Tarn), qui reste, elle aussi, non pas au foyer mais au chevet des maîtres ruinés, impotents, octogénaires ! Et cette aveugle de naissance, Marie-Joséphine Borel, Parisienne, demeurant à Clermont-Ferrand, qui donne gratuitement des soins à une autre aveugle, infirme, impotente, incapable de vivre sans cette femme, qui semble y voir pour elle, travaille pour elle, vit pour elle, et ne recule dans sa tâche devant aucune tristesse et aucun souci : Et Joséphine Borel ne se contente pas de guider cette aveugle. Elle a aidé sa sœur, plus âgée qu’elle, élever cinq enfants privés de leur père, n’aurez pas. Messieurs, à regretter les mille francs que vous lui donnez sur le prix Varat-Larousse, décerné aux femmes signalées à l’Académie pour leurs vertus dans les trois qualités de fille, épouse et mère. C’est la mène vertu que vous couronnez chez Mlle Anna Boulot, — une récidiviste du bien, — qui, soignant dès sa jeunesse, dès son enfance, les malades et les indigents dans son pays limousin, — elle est née à Guéret, dans la Creuse, en 1840. — vient à Paris, dans ce grand Paris qui lui est inconnu, et y suit les cours de la Société de secours aux blessés, pour devenir le médecin des femmes. Instruite, elle offre ses services à l’inspecteur d’Académie pour faire des cours d’adultes. Elle soutient, en faisant des copies pour la direction des contributions, une famille composée de cinq personnes, sans ressource aucune, et quand on lui dit qu’il faut se ménager, se soigner, qu’elle a dépassé la cinquantaine et qu’à tant de labeurs elle abrégera ses jours, Mlle Boulot répond très simplement :et c’est la réponse que pourraient faire tous ces lauréats dont je retrace trop rapidement les actions vertueuses : Je suis de ceux qui pensent que la vie n’a sa raison d’être que si elle est nécessaire à autrui ! »

Elle fait de mime, Mlle Charlotte Denechère, qui, dans son logis du boulevard de l’Hôpital où sa mère est morte, élève ses deux jeunes frères et les envoie à l’école Jenner. Cette sœur est comme une mère pour les adolescents. Elle est giletière et nourrit les enfants avec son modeste salaire. Mais viennent les chômages, la noire misère, Charlotte Denechère se privera de nourriture pour donner à ses frères le pain quotidien. Un jour de dénuement terrible désespérée, la jeune fille, — elle a vingt-quatre ans et n’a pas connu une joie, je me trompe, elle connaît, elle savoure la noble joie du sacrifice, — elle va... elle se hasarde malgré sa répugnance, à aller au bureau de bienfaisance. On l’écoute, on la renvoie à l’Assistance publique, avenue Victoria, et là on lui déclare qu’on ne peut l’aider « Mais vous êtes libre d’abandonner vos jeunes frères : l’Assistance s’en chargera. » Abandonner les petits Ai-je besoin de dire que la sœur maternelle refusa ? On lui accorda la cantine gratuite à l’école pour ses frères. Voilà tout le secours apporté à la vaillante fille, dont l’existence courageuse n’est, après tout, qu’un exemplaire de la rude vie de labeur patient de l’ouvrière de Paris. Les mille francs que vous avez envoyés auront été les bienvenus, Messieurs, dans le pauvre et honnête logis du boulevard de l’Hôpital.

Voici Mlle Colette Fraisier, de Mentry (Jura), qui maintenant à quatre-vingt-huit ans et dont toute la vie, la longue vie, a été employée au dévouement à ses semblables. Elle a, enfant, travaillé pour ses parents ; elle a travaillé pour les malheureux ; elle a travaillé pour ses maîtres, puis, vieillie, sans famille, elle a reporté sur les enfants de ses maîtres le trésor d’amour et de bonté que ses quatre-vingt-huit ans n’ont pas épuisé. C’est la vertu dans toute sa simplicité et son charme puissant, la vertu qui s’ignore, la vertu silencieuse et douce qui aime à la fois les souffrants et les logis où elle a souffert. Elle n’a vécu que pour les autres. À cinq ans, à l’heure de l’invasion, — d’une première invasion, hélas ! — la pauvre Colette s’interposait entre les soldats et son père que les grenadiers autrichiens voulaient fusiller. À sept ans, le blé n’ayant point mûri et la famine étreignant le Jura, elle laissait son pain noir et gluant à de plus pauvres et se nourrissait d’herbes et d’orties, de racines ramassées dans les champs. Je parle, Messieurs, de l’épouvantable famine de 1816-1817. On ne croirait pas à de telles misères, si proches de nous, si des contemporains n’étaient là pour l’attester. Et Colette Fraisier devait revoir d’autres années sinistres.

En 1871, les Prussiens, attaqués par les francs-tireurs, voulaient brûler et piller le village de Chasmole et la population consternée, le curé en tête, voyait arriver la flamme et le fer. Colette se rappela les Autrichiens de 1814, joignit ses mains ridées comme elle avait autrefois joint ses mains d’enfant, et le commandant allemand, se laissant toucher par ces larmes de femme, exempta le village de la contribution de guerre. Les anciens de Chasmole sont là pour attester que l’humble fille a sauvé la commune comme elle a, depuis tant d’années, soulagé les malheureux.

Je lasserais votre patience, Messieurs, avant d’épuiser la liste des nobles actions que vous voulez célébrer. Et, comment choisir parmi tous ces lauréats qui ignorent, pour la plupart, l’existence de nos récompenses et font tout uniment le bien pour le plaisir ?

Voici, attestée par d’humbles signatures d’artisans, de travailleurs, de braves gens, unis aux notables de Marvejols, la biographie d’une ouvrière, employée clans une usine au doublage des laines. Sophie Solignac-Charrier est depuis trente-six ans la première à son poste ; elle se lève chaque jour à quatre heures du matin, soigne sa belle-mère septuagénaire, paralytique et aveugle, accourt auprès de la malheureuse pendant les heures des repas et reprend bien vite le chemin de l’usine. Trente-six ans de labeur, trente-six ans de dévouement. Et dans cette même ville de Marvejols (Lozère), voici Louise Arnal, ouvrière clans une filature, nourrissant père, mère frères, et soignant des étrangers aussi qui deviennent des frères, parce qu’ils sont des malheureux el des malades. Voici Henri Daudet, né à Lyon (Rhône). À vingt ans, il était le soutien de cinq jeunes sœurs l’aînée avait seize ans, la dernière deux mois. La mère venait de mourir ; le père, alcoolique, ne songeait à ses enfants que pour leur arracher leurs modiques salaires. Daudet remplaça à la fois la mère morte et le père indigne. Il a fait de ses sœurs des honnêtes filles, en se privant de tout. Marié maintenant et père d’un enfant de deux ans, le vertueux Daudet continue à veiller sur ses deux dernières sœurs et, de plus, a pris à sa charge une sœur de sa femme, orpheline, et âgée de huit ans.

Voici Eugène Lamaison, de Grenade-sur-l’Adour (Landes), qui, après avoir donné sa jeunesse à son père paralytique, donne la seconde partie de sa vie à ses fils, l’un âgé de vingt-huit ans, l’autre de vingt-trois, ataxiques dès leur enfance. Il est tailleur et épicier à la fois. L’aiguille et son petit commerce ont suffi à l’existence du vieux père disparu et des enfants infirmes. Il fallait habiller, laver, porter le père : il faut coucher, habiller, laver, porter les fils. Eugène Lamaison trouve toute simple cette lamentable existence : il en a l’habitude et fait son devoir.

Faut-il vous parler de ceux que j’appelais tout à l’heure les récidivistes du bien ? Oui, la vertu a ses récidivistes comme le vice, comme le crime. Nous ayons couronné Mme Emma Alphonse de Saint-Denis-le-Têtu (Manche), pour son dévouement aux malheureux. Depuis, Mme Alphonse nous a contraints à la couronner encore : sa charité n’a pas de bornes. Elle recueille au mois de janvier 1899, au moment le plus dur de l’hiver, un pauvre déséquilibré, cordonnier de son état, qu’elle soigne chez elle, lui délirant, elle très douce, jusqu’à la mort du malheureux. Le lit du malade étant vide, elle y couche une ancienne institutrice âgée de soixante-dix-sept ans. Ce n’est pas assez, elle recueille deus autres, vieilles femmes, l’une âgée de soixante-dix-neuf ans, impotente, l’autre de quatre-vingt-trois ans et aveugle. Mme Alphonse a elle‑même soixante-huit ans. L’Académie lui décerne une récompense annuelle sur le prix Lamy. On pourrait l’accompagner aussi de cette mention : Mme Alphonse, déjà couronnée.

Vous avez. Messieurs, décerné le prix Gémond à un homme dont le dévouement et le courage sont attestés par de nombreux témoignages et des récompenses bien méritées. C’est M. Arnould Rogier, qui, tant de fois, a exposé sa vie pour le prochain, et qui, président des sauveteurs de l’Aisne, ne se contente pas d’arracher ses semblables au péril, mais les instruit, et leur enseigne le devoir qu’il pratique si bien. Jadis, pendant la guerre, il se mit au service des prisonniers et des blessés. Aujourd’hui et depuis douze ans, il fait des cours d’allemand, d’histoire, de géographie dans les écoles primaires. Il est, avec ses soixante ans de vertu agissante, un professeur qui a le droit de dire : « Ce que j’enseigne, je l’ai pratiqué. Écoutez-moi et imitez-moi. »

Jean-Antoine Bouquet, de Châteauneuf-de-Randon (Lozère), est un brave facteur rural qui, dans la commune de Chaudeyrac, un matin, voit dans un pré une vachère qu’un taureau enlevait au bout de ses cornes. La malheureuse, tombée sur l’herbe, était bientôt comme labourée par la bête en furie ; le facteur se précipite sur le taureau, le saisit par ses cornes rouges de sang, le repousse, lui arrache la pauvre femme qu’il piétinait tout à l’heure, et chargeant sur ses épaules Rose Mourgues dont tout le corps n’est qu’une plaie, la porte sur ses épaules jusqu’à la ferme et dépose là cette blessée aux vêtements en haillons, aux entrailles pendantes, et qui, grâce à lui, vit encore pour élever sept enfants.

Ces actes d’héroïsme impulsifs ne sont pas rares, du reste. À côté du facteur Bouquet, c’est un enfant, Alfred Raimbour, de Renay (Loir-et-Cher) qui, lui aussi, risque sa vie pour une créature humaine. Des enfants gardant les bestiaux allument du feu pour se réchauffer contre la bise d’octobre. La flamme, poussée par le vent, atteint la robe d’une enfant de quatre ans et enveloppe la fillette. À cette vue, les petits demeurent pétrifiés, comme hypnotisés par le feu. Seul, Alfred, le frère, conserve son sang-froid, prend sa sœur dans ses bras, l’emporte chez sa mère, à plus d’un kilomètre, et la dépose sur le lit où, quelques heures après, dans les horribles souffrances des êtres dévorés par la flamme, la pauvre enfant devait mourir. Alfred Raimbour avait aussi les mains brûlées. Il avait neuf ans alors, il en a onze aujourd’hui. Ce jeune lauréat est le fils d’un garde tué clans l’exercice de son devoir. Il y a de l’atavisme aussi dans le courage.

Entrez, non loin d’ici, dans un logis de la rue de Vaugirard ; vous y trouverez deux femmes, d’origine nobiliaire, deux sœurs, Mlles Valentine et Denise de Linders, filles de la baronne de Linders, originaire de Lorient, et qui donnent, depuis des années, l’exemple d’un dévouement filial admirable. « Je suis fier comme Lorientais de ces admirables demoiselles », écrivait à l’Académie le vénérable sénateur du Morbihan, M. Audren de Kerdrel. Le baron de Linders était riche. Un notaire d’Orléans, qui se suicide, le ruine, avec beaucoup d’autres. Le baron se fait industriel. Il ne croit pas déroger en travaillant. La guerre arrive. Les suprêmes ressources sont emportées. Accablé, il agonise une année pendant laquelle ses deux filles se privent de tout pour lui. Et depuis dix-huit ans, Mlles de Linders font de même pour leur mère infirme. Leur pénible travail ne leur donne pas toujours le nécessaire : la malade septuagénaire du moins a le pain du jour. Les jeunes filles sont devenues presque des vieilles femmes, elles ont vu passer la jeunesse et ses rêves et se sont condamnées à la réalité douloureuse et glorieuse de dix-huit années de dévouement. Il est bon que l’Académie consacre chez elles les vertus qu’elle a coutume d’honorer chez les humbles et ce n’est point tomber, même lorsque l’on tombe de si haut, que d’arriver à la hauteur des pauvres gens.

Mlles de Linders n’ont voulu ni du mariage ni d’un asile offert en un refuge. Elles sont nombreuses, parmi vos élues, ces pauvres filles, qui pour soigner des parents malades, ou partager la misère d’un maître, renoncent — non sans serrement de cœur — au roman de la vingtième année, au fiancé qui offre la sécurité du foyer, à la sainte joie de la maternité. Elles deviennent mères, mais des enfants des autres, et mères aussi des vieillards qui s’appuient sur leurs bras pour doucement aller jusqu’à la mort.

Sabine et Agathe Grégis, de Biffontaine, dans les Vosges, sont deux pauvres domestiques qui ont fondé, en associant leurs efforts, une maison de refuge pour les jeunes filles privées de leurs parents ou abandonnées par eux. Sabine est née en 1836, à Auterive. Elle était couturière à six ou sept ans et, par son travail, aidait ses sœurs et sa mère à paver les dettes contractées par suite de la longue maladie du père mort. À trente-cinq ans, la vue affaiblie par la fatigue et les veilles, elle entrait en service pour amasser de quoi soigner sa mère, morte entre ses bras, à quatre-vingt-quatre ans. Elle se retira alors dans ce petit village de Biffontaine, au centre des Vosges, et retrouva là sa sœur Agathe, plus âgée qu’elle et gouvernante chez le curé de la paroisse. Associant leur dé­vouement et leurs souvenirs, les deux vieilles filles eurent l’idée d’ouvrir un orphelinat, d’y recueillir et d’y soigner des enfants. Une maisonnette fut mise à leur disposition ; mais à peine Sabine et Agathe Grégis y étaient-elles installées que le feu y prit, — je me trompe, il y fut allumé par quelque adversaire jaloux de la vertu. Tout ce que possédaient les pauvres femmes devint, en une heure, la proie des flammes. Et l’assurance de l’humble orphelinat était péri­mée depuis deux mois. Que faire alors ? Se décourager ? Abandonner l’idée sacrée du secours donné aux enfants en détresse ? Les deux braves tilles n’y pensèrent même pas. Elles recommencent, elles travaillent, elles économisent et la maison de refuge, incendiée dans la nuit du 2 au 3 septembre 1888, est reconstruite et couverte pour le 8 décembre de la même année. Au-dessus de la porte d’entrée, Sabine Grégis a inscrit cette devise de la noble héroïne : Vive labeur ! Et, s’imposant le labeur pour elle, elle en enseigne l’amour aux jeunes filles recueillies sous le toit hospitalier, elle fait de ces enfants de bonnes ménagères et de sérieuses mères de famille. Septuagénaire, presque aveugle, estropiée, la vieille Agathe, conduite par sa première enfant d’adoption, aide sa sœur en, cette tâche et, avec deux autres compagnes, Sabine et Agathe Grégis donnent actuellement des soins gratuits à une vingtaine d’orphelines et à huit personnes âgées et infirmes, dont l’une a quatre-vingt-dix ans. La médaille de mille francs que l’Académie décerne aux deux vaillantes sœurs sera la bienvenue, là-bas, dans nos montagnes des Vosges.

Votre rapporteur, contraint de rééditer, comme chaque année, ce qu’ont dit ses prédécesseurs, craindrait, Messieurs, je le répète, de lasser votre patience en énumérant tous !es dévouements que lui révèle la lecture de ces dossiers. Vous en trouverez la liste, vous en pourrez lire le récit dans ce livret des actions vertueuses qui est comme l’annuaire du dévouement. J’aurais pu rencontrer, chez chacun de vos lauréats, un aussi grand nombre de traits émouvants, autant de noblesse instinctive, autant de vertu, un peu uniforme peut-être.

Car, il faut bien l’avouer, le moule des vertus semble toujours le même ; du moins, s’il est usé, laisse-t-il de l’or pur au fond du creuset, et si le crime, plus varié et plus ingénieux, trouve des raffinements de férocité et, si je puis dire, se perfectionne plus que la vertu, c’est peut-être que la vertu a tout de suite atteint la perfection absolue. Seulement je songe avec effroi que les causes célèbres, les grandes affaires qu’un ironiste exquis appelait les beaux crimes, font inévitablement, et dans une proportion mathématique, monter le tirage des journaux et je ne suis pas bien sûr que la publication quotidienne, du récit des belles actions et des rapports sur les prix de vertu ne le ferait point baisser.

Le pessimiste Nietzsche, qui voit un signe de décadence dans une morale altruiste a écrit : « On manque du meilleur des instincts quand l’on commence à manquer d’égoïsme. » Vos lauréats, Messieurs, je dois le reconnaître, manquent de cet instinct raffiné. Ce sont des décadents à leur manière : ils s’en tiennent modestement à l’amour et au respect de la beauté morale. Ce sont des naïfs aussi et qui consentent à vivre dans un triste monde, celui des déshérités et des souffrants.

Car ces paralytiques, ces impotents, ces aveugles, ces débiles, sont comme une Cour des Miracles de la Société ; mais ces miracles, c’est la charité qui les fait. Et il est bon qu’il y ait, en ce monde, quelques spectateurs attendris et quelques juges spéciaux par qui la misère soit signalée, honorée dans ses actes, car en montrant les diverses façons de la consoler, on-peut faire naître aussi, par l’exemple, le généreux désir et l’appétit de la vaincre. Le paupérisme, dont l’extinction, problème social redoutable est le rêve généreux des philanthropes, ces braves gens que vous couronnez ne le détruisent pas, hélas : — la charité n’est qu’un palliatif ; — mais les misères sont déjà consolées quand les misérables sentent qu’on les aime et qu’on les aborde fraternellement avec un sourire d’amour et de pitié.

Et c’est pourquoi il est utile que vous célébriez très haut les vertus de ces messagers de fraternité. Le huis-clos est souvent mauvais. Autour du crime, le mystère qui en enveloppe les secrets permet de former parfois de dangereuses légendes, inquiétantes pour la conscience publique. Vous n’avez pas de huis-clos pour vos héros et ces actions qui s’accomplissent dans l’ombre, vous les saluez en pleine lumière. Elles ne demandaient pas même cette récompense. Aucun de vos lauréats n’a placé sa vertu en viager.

Il m’en a coûté de me séparer de ces êtres vraiment supérieurs en leur obscurité poignante, pour reprendre, dans l’existence de tous les jours, la vie accoutumée. Je m’étais habitué à considérer le monde comme une réunion de héros et d’héroïnes, et je me demandais pourquoi le roman et le théâtre, dont les fictions sont parfois plus puissantes sur la foule que la réalité même, ne nous montrent pas plus souvent le spectacle de ces sublimes dévouements, au risque de substituer au vice en chapitre et en actes la vieille morale en actions.

Je crois bien que la grande tristesse et la désespérance un peu factice qui s’abattent sur certaines âmes s’atténueraient singulièrement si les intellectuels, comme ils se nomment, dirigeaient leur attention vers ces humbles qui semblent avoir pris pour devise : « Charité bien ordonnée commence par autrui. » Et si la liste est longue des vertus que vous avez pu récompenser, plus longue serait celle des vertus anonymes que nous ignorons et qui fleurissent dans l’obscurité. On ne les voit pas, elles ont la discrétion et la pudeur de leur héroïsme. Il est d’admirables femmes qui gravissent les escaliers des pauvres, pénètrent dans les mansardes, soulagent les misères et laissent après elles le souvenir de leurs bienfaits sans laisser leur nom .Les malheureux disent d’elles : « C’est cette dame qui vient quelquefois. » Ou encore elles prennent un faux nom, comme Mme de Lamartine qui faisait le bien sous un pseudonyme. Je parlais des vertus cachées, des vertus instinctives dont ne se rendent même pas compte ceux qui les possèdent. Qu’une occasion arrive, qu’une catastrophe survienne, alors ces vertus éclatent, soudaines, irrésistibles, inoubliables. Les proverbes, pessimistes aussi, prétendent que l’occasion fait le larron. Dans l’ordre civique, dans l’ordre militaire, où la vertu s’appelle d’un mot très simple, le devoir, partout, l’occasion fait aussi le héros. Ne l’avons-nous pas vu, Messieurs, dans ce tragique jour d’épouvante, dont la date sera toujours pour Paris un souvenir de deuil, lorsque les flammes du Bazar de la Charité consumèrent, en quelques minutes, tant de créatures humaines, le matin, souriantes, heureuses, toutes allant au rendez-vous de la bonté, les unes pour vendre, les autres pour acheter ? En même temps que le sentiment d’horreur unissait tous les cœurs, le dévouement inné qui gît au fond des âmes poussait des spectateurs, des passants, à sauver leurs semblables et la même minute qui faisait tant de victimes innocentes faisait aussi des héros improvisés.

Elles développent immédiatement, électriquement, le sentiment de la solidarité humaine, ces grandes occasions de deuil qui sont comme les grands jours de la pitié. Plus de rangs ; on s’aborde, on se parle, on sentr’aide ; pareilles aux grandes catastrophes nationales, ces heures d’épouvante font les cœurs confondus dans une même étreinte, et c’est alors qu’apparaissent comme entourés d’une auréole de flamme ou de tempêtes les impulsifs de l’héroïsme, les entêtés du sacrifice et du dévouement. Ceux-là, tout Paris sait leurs noms. Les récompenses, les médailles et les croix brillent sur leurs poitrines et l’horrible journée a du moins permis de mettre en lumière de braves gens, comme elle nous a permis d’unir, dans une même admiration douloureuse, ceux qui sont morts, là-bas, de cette mort atroce, ces femmes, ces jeunes filles, ces enfants, toutes ces martyres, à l’heure où la destinée réunissait dans une promiscuité lugubre une princesse royale et une fille du peuple, de ferventes chrétiennes et des israélites, une nihiliste et des sœurs de charité. Et dans ce tas affreux et sublime, l’admiration humaine n’a pas eu à reconnaître les siens. Elle les a salués, elle les a honorés, elle les a pleurés. Elle ne les oublie pas ....

On serait presque tenté de trouver à ces épreuves sinistres, imméritées, féroces, comme à toutes les épreuves humaines, guerres, épidémies, massacres, une sorte de farouche consolation en calculant l’espoir de l’éclosion spontanée de dévouements qui marque aussi les heures maudites de ces catastrophes. La fraternité dans la mort enseigne la solidarité dans la vie et le malheur fait soudain briller certaines vertus comme la nuit fait scintiller les étoiles. Le cœur humain a des ressources profondes, secrètes et sacrées, pour opposer la contagion de la charité à la contagion de la misère, dupe le mendiant, frère Caïn du malheureux exploit en nous ce que le XVIIIe siècle appelait d’un nom la sensibilité, et ce que nous nommons tout simplement la bonté. M. de Montyon, qui fut sensible, connaissait prix des vertus cachées et n’ignorait pas le pouvoir ides vertus publiquement célébrées. Il ne sait plus de donner raison au méchant mot de La Rochefoucauld : La vertu n’irait pas loin si la vanité ne lui tenait compagnie, y, Il n’est point question de vanité, mais de justice. Oui il faut qu’une action louable soit louée ». Peut-titre le souvenir de quelque dévouement fera-t-il naître dans d’autres âmes l’ambition, l’appétit d’un sacrifice nouveau. En attendant, admirons ceux que nous couronnons aujourd’hui. Qui ne se sentirait un peu humilié par leur grandeur inconsciente ? Toutes les belles phrases ne valent pas la plus simple de leurs belles actions et il y aurait un moyen plus certain d’honorer nos lauréats — un moyen héroïque que je n’oserais proposer — ce serait de les imiter. Contentons-nous de les saluer bien bas et de nous rappeler, au moins jusqu’à demain, les noms vénérables de ces bons sauveteurs et de ces filles braves qui nous apportent, si je puis dire, des années de dévouement et à qui nous donnons, en échange, une gloire d’une heure, un éloge d’une minute. Mais quoi, ils ne demandaient même pas cela, ils n’espéraient rien !... ils faisaient le bien pour le bien : ils ne souhaitaient que la joie du sacrifice. L’Académie ne leur eût-elle rien accordé qu’ils auraient encorda meilleure part !