Discours sur la vertu 1982

Le 16 décembre 1982

Jacques de BOURBON BUSSET

Messieurs,

Je voudrais, pour commencer, vous lire un petit texte qui me paraît justifier le caractère rituel et traditionnel de cette séance.

« Le goût du changement est maladif et sans doute ne mène-t-il qu’à une frustration renouvelée. L’habitude approfondit ce que l’impatience méconnaît. »

J’ai emprunté ces lignes non à quelque auteur bien-pensant, comme vous pourriez le croire, mais au sulfureux Georges Bataille. Elles s’appliquent, me semble-t-il, non seulement à cette cérémonie, mais à la politique, à l’art et, bien sûr, à l’amour.

J’ajouterai une seconde justification, cette fois non de la cérémonie, mais des prix de vertu de l’Académie. Le jeudi 11 décembre 1845, lors de cette séance publique annuelle, M. Dupin, le Directeur en exercice de l’Académie et voltairien notoire, annonçait qu’un prix de trois mille francs était décerné à Jeanne Jugan, domiciliée à Saint-Servan, arrondissement de Saint-Malo. Le 3 octobre 1982, le Pape Jean-Paul II a proclamé bienheureuse Jeanne Jugan, fondatrice des Petites Sœurs des pauvres. Vous voyez que nos prix mènent parfois haut et loin.

Ma première rencontre avec notre Compagnie eut lieu le 20 décembre 1934, sous cette Coupole. Jeune normalien de la rue d’Ulm, j’étais venu, poussé par la curiosité, assister à la séance. Le discours sur la vertu, ce fut Paul Valéry qui le prononça, Paul Valéry que j’ai eu la grande chance et le grand honneur de connaître et dont je suis fier d’être le disciple.

Il me paraît donc convenable, au moment de me livrer à l’exercice habituel sur ce thème, de prendre appui sur cet éminent prédécesseur.

Il y a quarante-huit ans, Paul Valéry s’écriait : « Vertu, messieurs, ce mot vertu est mort ou du moins il se meurt. Vertu ne se dit plus qu’à peine. Il est, comme l’on dit, pratiquement aboli. » Je serai moins pessimiste. Le mot n’est pas au bout de sa carrière. Il n’est pas sûr, d’ailleurs, que depuis 1934, le mot ait tellement changé de sens. Quand un mot change de sens, cela n’intéresse pas seulement le vocabulaire, cela répond à un changement des mœurs, qui sont pourtant, de toutes les choses, les plus lentes à se modifier.

Assurément, ces dernières années, la transformation a paru singulièrement rapide. Encore faut-il distinguer entre les mœurs apparentes et les mœurs réelles, entre les conventions qu’une société considère, à un moment, comme de bon ton et le secret des cœurs. Ces cœurs sont moins changeants que les opinions qui, elles, suivent et parfois précèdent les modes.

La vertu, c’est un fait, est passée de mode mais beaucoup, sans oser le dire, la pratiquent, comme un culte interdit. Notre vertu, aujourd’hui, est une vertu de catacombes.

Mais qu’est-ce donc, au juste, que la vertu ? Le dictionnaire de l’Académie la définit en premier lieu (c’est le sens le plus ancien) : disposition ferme, constante de l’âme. Le sens le plus répandu : la règle morale, ne vient que plus loin. Quant à Alain, il écrit que la vertu, « c’est une puissance acquise contre tous les genres de convulsion, d’emportement, d’ivresse et d’horreur. Vertu, c’est athlétisme ». Et ailleurs : « force d’âme et fidélité à soi, telle est la vertu ». Ce langage, je l’avoue, me séduit.

Je ne badinerai pas sur la vertu. D’autres l’ont fait ici même avec beaucoup de talent et d’esprit. Je serai déplorablement sérieux. Je jouerai au moraliste, à mes risques et périls, en cherchant à montrer d’abord que la vertu est active et non discoureuse, ensuite que la vertu n’est pas triste.

Nietzsche a dit : « Il n’y a de vérités qu’individuelles » : je serais tenté de dire « il n’y a de vertu qu’individuelle ». À une époque où la personne est violemment attaquée, il est nécessaire d’insister sur le fait qu’elle n’est pas un ectoplasme, qu’elle est la plus haute réalité, que ce sont les consciences individuelles qui sont la chance de l’esprit.

La vertu est, en effet, le contraire d’une prétendue vertu collective. La vertu collective commence par les rassemblements de Nuremberg et finit nous savons où. Ce cours tragique des événements, Paul Valéry l’avait prévu, une fois de plus. Dans le discours vertueux de 1934, il disait que notre idée de la valeur infinie de l’individu se trouvait en contraste et en conflit ouvert avec la conception de la collectivité et de l’État. « Désormais, ajoutait-il, l’homme est conçu par bien des hommes comme élément qui ne vaut que dans le système social, qui ne vit que par ce système et pour lui ; il n’est qu’un moyen de la vie collective et toute valeur séparée lui est refusée car il ne peut rien recevoir que de la communauté et ne peut rien donner qu’à elle. »

Cette vision prophétique se réalise sous nos yeux, année après année, pays après pays. Ce nouvel homme collectif qu’on nous propose est la négation même de l’homme occidental, tel qu’il s’est forgé au cours des siècles. Qu’il soit occidental est un hasard historique, mais, si on est attaché à ce qu’il représente, il est nécessaire de prendre comme maxime d’action que l’individu n’est pas fait pour la société, que c’est la société qui est faite pour l’individu. Pourquoi ? Parce que c’est par l’individuel poussé à l’extrême qu’on atteint l’universel.

Je ne parlerai donc point d’une vertu collective et anonyme mais de la vertu telle que j’aimerais pouvoir la pratiquer, telle que chacun doit l’inventer, non en paroles mais en actes.

Rejetons d’abord une idée assez courante de la vertu qui en fait une qualité négative, définie par son contraire. La vertu serait alors l’absence ou l’abstention du vice. On s’estimerait vertueux parce qu’on s’abstient de certains vices. Cette forme d’hypocrisie n’est que trop répandue. Pour beaucoup, être vertueux, c’est ne pas avoir le vice de l’autre, et la vertu se confond avec la médisance. On passe son temps à battre sa coulpe sur la poitrine du prochain. On est saisi d’une vertueuse indignation devant le dérèglement des mœurs. De tous temps, les Pharisiens ont été nombreux et puissants. Ce sont eux qui, par leurs grimaces et leurs sous-entendus, font le plus pour déconsidérer la vertu authentique, valeur non pas négative mais positive. La vertu étant, avant tout, un acte, il n’y a point de vertu sans force. La vertu non seulement ne peut se passer de la force (il n’est pas de vertu faible) mais elle est elle-même une force. Et pourquoi ? Parce qu’il n’y a pas de vertu sans courage. La vertu, c’est le courage de faire le bien, le courage de pratiquer la charité, un des plus beaux mots de notre langue et un des plus mal compris. La charité n’est pas un geste de condescendance, la charité est un acte d’amour, non un acte isolé, mais une série d’actions menées avec courage. Le courage aussi est mal compris. Il n’est pas seulement le coup de tête ou le coup de sang qui fait les héros d’un instant, mais aussi et surtout la résolution de ne jamais manquer de volonté pour faire ce qui apparaît comme le meilleur, la volonté de la volonté, la fermeté dans les occasions quotidiennes. Cette qualité-là, Descartes l’appelle générosité et j’aime à l’appeler la constance. C’est, et c’est là le point essentiel, le refus du fatalisme qui est le mal absolu.

La constance n’a rien à voir avec l’habitude, la routine, la sclérose. Le savant, l’artisan s’acharnent mais leurs gestes répétitifs sont créateurs. La patience est le berceau de l’invention. Ainsi procède la nature, par petites retouches, presque insensibles. Cette constance qui est invention perpétuelle, cette constance créatrice, un homme qui a beaucoup médit de la vertu conventionnelle, la prône ouvertement : « Si, dans tout ce que tu veux faire, tu commences par te demander : est-il sûr que je veuille le faire un nombre infini de fois, ce sera pour toi le centre de gravité le plus solide. » Vous avez reconnu la voix de Nietzsche.

Si le désir crée le sens, c’est la constance qui crée le chemin. Le cheminement crée le chemin. L’homme constant a la résolution arrêtée d’aller jusqu’au bout, quoi qu’il arrive, contre vents et marées. Aucune difficulté ne le décourage. Sa constance est un sentiment extrême, une passion.

La passion de la constance, voilà qui sonne étrangement. Cette alliance de mots correspond cependant à une réalité. En notre époque de mutations accélérées, le désir de durée est très puissant. La mobilité de la science et de la technique provoque, par contrecoup, un appétit d’enracinement. Le lieu de ce nouvel enracinement n’est plus géographique (le brassage permanent de la société l’interdit), il ne doit pas être intellectuel (l’enracinement intellectuel, c’est le dogmatisme et son intolérance bornée), il peut être affectif. L’amitié, l’affection, l’amour enracinent l’esprit dans le réel. Quand cet enracinement se produit, le temps, de destructeur, devient créateur. Intensité et durée ne sont pas contradictoires. Il n’est pas vrai que les sentiments se dégradent inévitablement. Il est vrai, en revanche, que dure ce qui sait se renouveler, que le temps devient un complice quand on lui fait confiance. Le secret de l’alliance du cœur avec le temps réside dans l’idée simple que donner, c’est recevoir. Que le refus de se préférer fait la cohérence intime, que qui perd son moi gagne son âme. De nos jours, on admet cela difficilement. Le culte du rendement et de l’argent discrédite la notion de gratuité, ferment de la civilisation chrétienne, la nôtre.

Tout changerait si chacun était convaincu que vivre pleinement, ce n’est pas voler de caprice en caprice, ce n’est pas se gorger de biens, que vivre pleinement, c’est aider les autres à vivre, les aider à être eux-mêmes.

Tâcher de devenir celui que l’on est, n’est déjà pas chose facile, face à soi-même. La société complique encore les choses. La tentation normale de l’organisation sociale est d’asservir l’individu, de le transformer en un élément docile d’un ensemble pacifié. Or, il n’y a de vraie paix que dans les cimetières. La paix des camps de concentration s’en rapproche. Dans ces lieux où la liberté est captive, les besoins de l’animal humain sont respectés : il est nourri et logé. Les droits de l’homme, eux, sont piétinés. Le droit de penser librement et d’exprimer librement sa pensée est nié. Ces droits politiques, il faut les défendre avec acharnement, en un constant combat. Tout être est unique, irremplaçable. Nul pouvoir n’a le droit de disposer des consciences, même au nom des intérêts supérieurs de la nation. La liberté de conscience est inviolable et ceci ne souffre aucune exception. Si l’affaire Dreyfus fut exemplaire, ce fut parce que c’était une affaire métaphysique. Il s’agissait de choisir, il faut oser le dire, entre condamner un innocent et désavouer l’Armée, rempart de la patrie. Ceux qui ont sacrifié la raison d’Etat à la justice ont eu raison. Ils ont montré de la vertu.

En général, vertu et politique ne font pas bon ménage. L’homme politique, pour réussir, doit être un empirique, non un idéologue. L’action politique suppose de la ruse et beaucoup de compromissions. La vertu n’en sort pas nécessairement intacte mais, après tout, ce que nous demandons aux politiques, c’est d’être de bons gérants, de maintenir ce qui doit être maintenu, de réformer ce qui doit être réformé, de faire le moins de mal possible.

L’action véritable est ailleurs, elle est dans le libre développement des forces créatrices, de la recherche de l’art.

La politique est le royaume des moyens et les moyens sont rarement vertueux. Il arrive d’ailleurs que les moyens contaminent les fins. La fin que les politiques devraient mettre au premier rang, c’est le respect de la différence de l’autre, qui fonde tout enracinement affectif. Il n’est pas d’amour ni d’amitié authentique sans ce respect. Pourquoi n’en serait-il pas de même dans la politique ? Nous sommes loin du compte et c’est fâcheux, car le respect de l’autre est la meilleure approximation de la vertu.

Montesquieu dit, avec raison, que le ressort du gouvernement populaire est la vertu. C’est exiger beaucoup mais on ne peut demander moins. Si la vertu est la résolution de respecter la différence de l’autre, nul doute qu’elle ne soit la première obligation du citoyen qui a le droit, en retour, de réclamer le même respect, étant entendu que le respect est le contraire de la servilité. C’est dans la vie civique qu’apparaît le plus clairement qu’il n’y a pas de vertu, s’il n’y a pas de manifestations de la vertu. La vertu ne se décrète pas, elle se prouve par des actes. C’est pourquoi tout discours sur la vertu est inutile s’il ne conduit à des résolutions. Dans l’impasse où je me suis mis il nie faut donc une porte de sortie.

Il est bon, dans les moments difficiles, de s’appuyer sur la sagesse des nations, autrement dit sur les proverbes et dictons. J’en appellerai un à mon secours : faire de nécessité vertu.

Ce n’est point là fatalisme, ni lâche résignation, mais consentement à l’être et, par voie de conséquence, reconnaissance de l’être différent du prochain. Ce consentement, ce n’est pas la rationalité scientifique, quels que soient ses mérites, qui peut nous y conduire, ce n’est pas non plus la chute dans l’irrationnel. Il existe un troisième mode de connaissance, la connaissance par désir, le désir étant, bien sûr, non un caprice, mais le cœur intelligent dont parle la Bible. Cette connaissance par désir, qui nous ouvre la porte sur le monde réel caché par les apparences, c’est la connaissance du mystique. C’est l’amour qui l’enseigne. Elle n’est pas une connaissance purement affective. Elle mobilise tout l’être, raison comprise, autour d’un désir profond. Chacun sait que suivre avec constance son désir profond, autrement dit sa vocation, est le chemin de la joie. La constance est le secret de la joie. Et voici mon second point. Je crois que la joie est le signe de la vertu.

Rien ne fait plus de mal à la vertu que le visage sinistre qu’on lui donne. Ces têtes lugubres, ces allures compassées font prendre la vertu en horreur et feraient aimer le vice. Il y a là une perversion véritablement diabolique. La joie est le fruit de la vertu. On juge l’arbre à ses fruits. Celui qui ignore la joie ne peut pas connaître la vertu. Il ne fait qu’en porter la défroque.

La joie n’est pas le bonheur. La joie peut vivre dans le malheur. La joie naît du consentement à un ordre auquel on participe. C’est le sentiment naturel de toute créature qui se sent appelée à continuer le grand œuvre de la création. Comme l’amour, la joie tire le meilleur parti de ce qui existe. Serait-ce une si mauvaise devise pour l’homme politique ?

Sagesse un peu courte, diront certains. Voire. Il y a plus de petitesse, au sens péjoratif du terme, dans l’ébauche vague de systèmes abstraits que dans la mise en œuvre de quelques réalisations concrètes. Tirer le meilleur parti de ce qui existe, cela veut dire aussi s’inscrire dans le temps. Apprendre à vivre dans le temps, et pas seulement dans l’instant, ne s’enseigne pas dans les écoles. C’est dommage. Une action qui ne s’inscrit pas dans le temps est une action futile ou résignée. C’est l’inscription dans le temps qui permet, dans tous les domaines, de construire une œuvre.

Et ici nous retrouvons la joie. La joie naît de la création, de la construction, de l’affirmation.

Nous sommes peut-être ici au nœud de l’affaire. Le choix est entre l’affirmation et la négation. La puissance d’un oui à la vie rejette toute hypocrisie. Elle éclate comme un rayon de soleil. Cette puissance d’affirmation est synonyme de joie. Cet éloge traditionnel de la vertu devrait sans doute être un éloge de la joie.

Notre époque est excitante et passionnante, mais pourquoi donc aime-t-elle tant la négation ? Ce culte du non et même du néant, surprend en un siècle où l’homme conquiert l’espace, où il s’approche du secret de la matière et de la vie. Ce pessimisme vient-il de la conscience du décalage entre les progrès de la science et la régression des mœurs politiques ? Le siècle des cosmonautes est aussi celui des bourreaux. On disloque le noyau de l’atome et, dans les salles de torture, on disloque des femmes et des enfants. Il y a de quoi avoir honte et douter de tout.

Il convient de surmonter la honte et le doute et d’affirmer, au contraire, qu’il est possible et nécessaire de mettre à la raison la bête. C’est une question de courage, donc de vertu. Propos lyrique, dira-t-on. Il est facile de se moquer du lyrisme. Il vaut mieux, à tout prendre, que la lucidité amère. Et rien n’empêche le lyrisme d’être lucide.

Le lyrisme lucide, nous le respirons chez nos deux plus grands écrivains, Pascal et Rimbaud. Il est à la portée de chacun de nous. Il suffit de ne pas se laisser intimider par les spécialistes de l’amertume et d’opposer à leur : à quoi bon ? un : pourquoi pas ?

Il n’y a aucune raison pour que les négateurs triomphent grâce au sarcasme que nous, Français, confondons trop facilement avec l’esprit. Ceux dont la bonne conscience s’effarouche peureusement font malgré eux le jeu des apôtres de la mauvaise conscience, brandie à tout propos et hors de propos. Les amis de la vie contre la mort, de l’être contre le néant ne sont pas des enfants de chœur pleurnicheurs et cagots, ce sont des femmes et des hommes qui, lucidement, choisissent, contre le désespoir, l’espérance et sont résolus à se battre pour elle, comme ceux qui aiment se battent pour ceux qu’ils aiment.

Ce qui fortifie les partisans de l’espoir, c’est la conviction qu’il y a un au-delà de la misère, de la souffrance et de la mort qui s’atteint dans le dévouement et l’amour. L’amour et la mort sont les deux figures complices qui, telles des statues énigmatiques, jalonnent notre route. Les rapports entre l’amour et la mort, peu les ont sentis plus profondément que le poète Rilke. « Dans la mesure où nous sommes seuls, écrit-il, l’amour et la mort se rapprochent. Les exigences de cette redoutable entreprise qu’est l’amour traversant notre vie ne sont pas à la mesure de cette vie et nous ne sommes pas de taille à y répondre dès nos premiers pas. Mais si, à force de constance, nous acceptons de subir l’amour comme un dur apprentissage, au lieu de nous perdre aux jeux faciles et frivoles qui permettent aux hommes de se dérober à la gravité de l’existence, alors peut-être un insensible progrès, un certain allègement pourra venir à ceux qui nous suivront, et longtemps encore après nous. Et ce serait beaucoup. »

Ce beau texte de Rilke, comme toute son œuvre, nous dit que la constance des sentiments est le ressort de la vie intérieure, qui est elle-même le ressort de toute action digne de ce nom. Alors l’alliance de deux angoisses fait reculer l’angoisse. Alors, la libre communication entre deux vies intérieures ouvre un espace d’espoir. En notre époque d’idéologies sanglantes, il apparaît clairement qu’il n’existe qu’une utopie innocente, celle d’un amour durable. Cet amour à toute épreuve n’est pas un repli frileux sur deux égoïsmes, mais une aventure où deux vont au devant de tous, témoignant, dans ce siècle du gigantisme, que l’intense compte plus que l’immense et surtout qu’il existe un amour que rien ne peut déchirer, un amour indéchirable qui s’accroît de tout ce qui le traverse ; c’est une lueur de cohérence dans un monde incohérent.

Je me garderai de « l’ineptie de conclure », comme disait Flaubert. En me recevant sous cette Coupole, en janvier dernier, M. Michel Déon me prédisait que j’aurais à composer bientôt cet éloge de la vertu et il me donnait le choix entre parler de la pluie et du beau temps ou célébrer les dernières rosières. D’une certaine manière, j’ai fait l’un et l’autre.

Je vous remercie de l’attention si indulgente que vous avez bien voulu m’accorder et je remercie mes confrères de me donner l’occasion, grâce à ce discours, de saluer avec respect et amitié toutes celles et tous ceux, quels que soit leur âge ou leur condition, qui, sans se réclamer de la vertu, la pratiquent avec constance et dans la joie.