Discours prononcé lors d'un hommage à M. Mario Vargas Llosa, à l'initiative de l'Institut Cervantes, de l'Ambassade du Pérou et de la Maison de l'Amérique latine

Le 7 octobre 2025

Amin MAALOUF

DISCOURS

DE

M. Amin MAALOUF

Secrétaire perpétuel

 

Excellences, Chers amis,

L’arrivée de Mario Vargas Llosa sous la Coupole a été, dans son parcours, un épisode tardif, mais ce fut, pour nous tous, à l’Académie française, un moment de bonheur. Et aussi un événement hautement symbolique. Le français et l’espagnol sont des langues sœurs, qui ont vocation à établir entre elles des relations chaleureuses, et personne ne pouvait, mieux que lui, incarner leur proximité, leur intimité. Il est évidemment exceptionnel que l’on songe à élire un écrivain qui a construit son œuvre dans une autre langue que le français, mais Mario était un homme exceptionnel.

Cette rencontre fraternelle entre deux langues s’est doublée, grâce à lui, d’une rencontre entre deux continents, l’Europe et l’Amérique latine. D’abord le Pérou, bien sûr, mais aussi, au fil des événements et des livres, la Bolivie, le Brésil, la République dominicaine ou le Guatemala. L’interaction si féconde entre ces deux univers culturels mérite d’être soulignée, parce qu’en termes de littérature, en termes d’imagination et de puissance narrative, le nouveau monde a revivifié l’ancien, et lui a ouvert des horizons prometteurs.

À titre personnel, j’ai eu le privilège et la joie de rencontrer Mario pour la première fois chez une amie commune, il y a vingt-deux ans. C’était à la veille de la guerre d’Irak, et j’avais pu mesurer l’intensité et l’acuité de son attention aux turbulences du monde. Nous n’avions pas la même vision des choses, mais j’avais été séduit par sa manière d’argumenter, par son désir de convaincre, de gagner l’assentiment de l’autre, plutôt que de lui asséner ses propres convictions. Il se battait pour ses idées comme un preux chevalier d’autrefois, sabre au clair. On pouvait critiquer ses choix, ses préférences, ses affinités, mais on ne pouvait jamais l’accuser de dissimulation, ni de duplicité.

Je ne vous apprendrai rien en disant que nous vivons à une époque où l’on cherche à faire taire ses contradicteurs au lieu de débattre avec eux ; où l’on estime normal de ne pas adresser la parole à ses adversaires, et de ne pas leur serrer la main. Que l’on soit de gauche ou de droite, que l’on soit libéral, progressiste, républicain ou patriote, et quel que soit le sens que l’on donne à chacun de ces mots, on est trop souvent persuadé de détenir soi-même la vérité, et de n’avoir aucune raison de prêter l’oreille à ceux qui pensent différemment.

Mario Vargas Llosa appartenait à une génération qui chérissait le débat et la contradiction. Pour cela aussi, nous sommes heureux et fiers qu’il ait voulu rejoindre l’Académie française, qu’il ait porté avec grâce l’habit vert et l’épée, et qu’il fasse désormais partie de notre histoire.