DISCOURS
DE
M. Amin MAALOUF
Secrétaire perpétuel
Monsieur le Président,
C’est pour nous un immense plaisir d’accueillir un dirigeant emblématique de la grande nation brésilienne, à laquelle nous unit une profonde affinité linguistique et intellectuelle ; et c’est aussi un privilège d’accueillir, en votre personne, une conscience de notre temps, le représentant d’une vision du monde qui place l’être humain, son avenir et ses valeurs fondamentales au cœur des priorités.
Depuis trop longtemps on nous répète, avec Machiavel, qu’en politique la fin justifie les moyens. La vérité, c’est exactement l’inverse, ce sont les moyens qui justifient la fin. Lorsque les moyens qu’on utilise sont respectables, la cause que l’on défend devient plus légitime ; et lorsque les moyens sont douteux, la cause, même quand elle est juste, compromet sa légitimité.
Vous, Monsieur le Président, vous avez su lutter pour la justice et l’égalité, pour l’ordre et le progrès, sans jamais vous écarter des voies de la démocratie et de la paix civile. Plus d’une fois vous vous êtes rapproché de vos adversaires d’hier pour les inclure dans vos alliances, un rare exemple d’ouverture. Et aussi un reflet de cet art de la coexistence qui fait, à nos yeux, la beauté et la grandeur du Brésil.
Vous vous battez aujourd’hui pour que nos contemporains donnent la priorité absolue à la préservation de la planète. Vous qui êtes le protecteur naturel de la forêt amazonienne, vous avez un sens profond de la mission que l’Histoire vous a confiée, et vous assumez avec détermination votre rôle d’éveilleur des consciences.
Vous l’aurez compris, nous aimons profondément votre pays, sa culture, sa langue qui est sœur de la nôtre, et nous sommes également fascinés par votre propre itinéraire, si singulier.
Notre Académie, fondée il y a quatre siècles par le cardinal de Richelieu, a obtenu le privilège d’accueillir, de temps à autre, en son sanctuaire, un chef d’État pour lequel elle éprouve de l’estime, de l’admiration, ou de l’amitié, ou, comme c’est le cas aujourd’hui, les trois sentiments à la fois. Le temps d’une séance, notre éminent visiteur est invité à prendre part à nos travaux, en toute liberté, et en toute sérénité.
La mission première de notre Académie est de veiller sur la langue française, et sur les dizaines de milliers de mots qui la composent. Bien entendu, les mots ne sont pas simplement des mots, ce sont les instruments dont se servent nos contemporains pour appréhender le monde, pour le comprendre, et pour le transformer. Réfléchir au sens des mots, c’est réfléchir au sens du progrès, au sens de l’existence, au sens de l’aventure humaine.
Le mot sur lequel nous vous invitons à vous pencher aujourd’hui en notre compagnie est celui de « multilatéralisme », que nous prévoyons d’introduire dans la prochaine édition de notre Dictionnaire en ces termes : « Politique fondée sur la collaboration entre plusieurs États, qui consiste à envisager de manière collective et concertée des enjeux mondiaux de tous ordres, géopolitique, économique, environnemental, sanitaire, culturel, afin d’y apporter une réponse commune. » La définition proposée est illustrée par un exemple factuel : « L’Organisation des Nations unies est l’un des acteurs du multilatéralisme. »
Depuis longtemps vous préconisez l’émergence d’un nouvel ordre mondial, plus équitable, plus respectueux de la dignité de tous, et qui permette enfin de préserver la paix, sous toutes les latitudes. Vos réflexions sur ce thème si crucial pour l’avenir de l’humanité nous intéressent au plus haut point, et nous vous écouterons, Monsieur le Président, très cher « Lula », avec recueillement.