Apposition d’une plaque
sur la maison où a vécu René CLAIR
DISCOURS
DE
M. Félicien MARCEAU
le 11 novembre 1997
C’était... Non, c’est son anniversaire. Parce qu’il était né un 11 novembre lorsque, pour reprendre l’expression de Victor Hugo, ce siècle avait moins deux ans. René disait : « Pour mes vingt ans, j’ai eu Paris en fête, j’ai eu le Paris de l’Armistice. » Il aurait aussi bien pu dire : Pour mes vingt ans, j’ai eu un Paris qui ressemblait déjà à mes films, un Paris avec la foule dans les rues, un Paris pavoisé, couvert de drapeaux, un Paris bleu blanc rouge, ces trois couleurs qui font du drapeau français le drapeau le plus gai du monde. C’était déjà Quatorze Juillet. C’était déjà À nous la liberté !
Ce même mois de novembre, trois jours plus tôt, mourait Guillaume Apollinaire. Si ce rapprochement s’est aussitôt imposé à moi, ce n’est pas seulement pour cette coïncidence de dates, pas seulement parce que, cinéaste ou écrivain, l’un avec ses mots et ses images, l’autre avec ses mots et ses rimes, il s’agit de deux grands poètes, c’est surtout parce que, si profondément originaux tous les deux, ils se rejoignent, ils sont frères dans leur vision du monde, frères dans la forme même de leur poésie, une poésie si haute, si pure et, dans le même mouvement, si directe, si immédiate, qui s’impose dès que nous avons vu l’image, dès que nous avons lu la phrase, une poésie qui a la grâce suprême de l’œuvre d’art : le naturel. « Bergère, ô tour Eiffel, le troupeau des ponts bêle ce matin. » C’est un vers d’Apollinaire. C’est une image de René Clair. « Bergère, ô tour Eiffel... » Qui pourrait expliquer la magie de cette phrase en apparence si simple ? C’est la magie des films de René Clair. « As-tu connu Guy au galop, as-tu connu Guy l’artiflot ? » C’est déjà l’entrain, c’est l’allégresse qui court tout le long des Grandes Manœuvres. Chez René Clair comme chez Guillaume Apollinaire, nous retrouvons le duo sacré de l’œuvre d’art, le duo du comique et du pathétique, de l’émotion et de l’humour qui l’équilibre. En rapprochant ainsi dans le temps ce poète qui entre dans la vie à vingt ans et celui qui la quitte à trente-huit, on dirait que quelqu’un, dans le ciel, a voulu que passât le relais, comme si, pour la poésie, trois jours d’intervalle, c’était déjà trop.
J’ai parlé des Grandes Manœuvres. Tant est la force des lieux communs que j’allais dire : j’interroge ma mémoire. Ai-je besoin de l’interroger ? Tous les films de René Clair sont là, présents, devenus les habitants de cette mémoire. Paris qui dort, Entracte, Un Chapeau de paille d’Italie, Les Deux Timides, Belles de Nuit, Fantôme à vendre, Sous les toits de Paris, tant d’autres.
Cet anniversaire, si heureux qu’il soit, René Clair ne l’avait pas choisi. En revanche, ce qu’il a choisi, c’est son nom. J’imagine qu’il ne lui a fallu que l’inspiration d’un instant tant le choix est tombé juste, tant il a été comme la flèche au centre de la cible. René Clair. Clair comme ses films, clair comme la lumière de l’aurore, clair comme l’éclat de l’épée, clair comme l’eau de la source, comme le sourire de l’enfant ou comme les premiers jours du monde, ces premiers jours du monde dont toute œuvre de création garde la trace, le reflet, le regret, de cet enfant que les vrais poètes, les vrais cinéastes, les vrais romanciers ne cessent jamais d’être.