Discours prononcé à l’occasion de la mort de M. André François-Poncet

Le 12 janvier 1978

René de CASTRIES

DISCOURS PRONONCÉ PAR

M. le Due de CASTRIES
Directeur de l’Académie

à l’occasion de la mort de

M. André FRANÇOIS-PONCET[1]
de l’Académie française

séance du jeudi 12 janvier 1978

 

Messieurs,

Alors que je me réjouissais de présenter mes vœux de bonne année à mes confrères, je me vois également obligé de les entretenir d’un sujet triste et grave en saluant la mémoire de l’un de nos membres les plus éminents, l’ambassadeur André François-Poncet.

La presse a déjà célébré la très belle carrière de cet homme hors série : elle a rappelé que le lauréat du Concours général, le précoce normalien, le major du concours d’agrégation était promis à toutes les grandeurs.

Il débuta comme professeur d’allemand au lycée de Montpellier où son dandysme stupéfia la société languedocienne. François-Poncet n’était assurément pas fait pour la province. À vingt-six ans, il devenait maître de conférences à l’École Polytechnique ; puis, mobilisé comme lieutenant d’infanterie en 1914, il découvrit sa véritable vocation lors d’un détachement à l’ambassade de Berne, en 1917.

Fondateur-directeur de la Société d’Études et d’Information économiques, il allait, pour un temps, chercher une carrière politique. Député de la Seine en 1924, puis de Paris en 1928, il devint pendant trois ans, de 1928 à 1931, un brillant sous-secrétaire d’État aux Beaux-Arts, où ses discours représentent un florilège de l’éloquence parlementaire humaniste.

André François-Poncet avait débuté en littérature à la veille de la guerre de 1914, par un remarquable essai intitulé : « Ce que pense la jeunesse allemande. » Germaniste réputé, il allait assez naturellement passer du ministère à l’ambassade de France à Berlin.

Il y représenta la France avec une cruelle lucidité et son rôle appartient à la grande histoire. Ambassadeur, il multiplia les avertissements contre le danger de guerre de plus en plus menaçant, et sut analyser avec une rare pertinence le caractère d’Hitler. Mais hélas ! a-t-il raconté dans l’un de ses meilleurs ouvrages les « Souvenirs d’une ambassade à Berlin :

« Peut-être eût-il mieux valu crier moins souvent « Au loup ». On s’habituait à mes prévisions pessimistes. On s’en lassait. Au surplus, ce que je pensais personnellement importait peu. Je donnais moi-même mon avis. On ne me le demandait jamais. Je n’ai été qu’une fois en neuf ans convoqué à Paris pour y conférer avec le Ministre... »

On croit rêver devant une pareille négligence et l’on s’étonne moins, qu’au lendemain de Munich, François-Poncet ait demandé à quitter Berlin, pour être nommé à Rome.

Dans son ouvrage « Au Palais Farnèse » il a raconté avec désenchantement qu’il perdit bien vite les quelques illusions qu’il conservait sur Mussolini qui « avait définitivement vendu son âme au diable ».

Sous l’occupation, François-Poncet devait connaître l’exil et la prison. Il a rapporté avec verve les souvenirs de cette période dans ses « Carnets d’un captif ».

Sans rancune pour ses geôliers, François-Poncet allait sous la IVe République, devenir conseiller des Affaires allemandes, puis Haut-commissaire en Allemagne, et enfin ambassadeur auprès de la République fédérale allemande.

Ces dix années peuvent être considérées comme les plus fécondes de sa vie, car c’est en grande partie à son action qu’est due cette réconciliation franco-allemande qui met fin à tant d’affrontements sanglants.

Ce fut au cours de cette haute mission germanique qu’il fut appelé dans nos rangs. La compagnie sortait de rudes épreuves. Elle avait tenu cependant à ne pas déclarer la vacance de l’un de ses sièges dont le titulaire avait été radié par suite d’une condamnation capitale. Ce ne fut, en effet, qu’après la mort du maréchal Pétain que son fauteuil fut remis en jeu.

C’était une succession malaisée et un discours redoutable. Pour assumer cette mission, François-Poncet parut à nos confrères l’homme le plus qualifié.

Sa réception par Pierre Benoît, le 22 janvier 1953, reste une des grandes dates de l’histoire de l’Académie.

Après avoir rendu hommage à nos plumes noires, qui, par une singularité remarquable, ont préséance sur les plumes blanches des ambassadeurs, ce qui soulignait ingénieusement combien il appréciait l’honneur qui lui était accordé, il continua par ces nobles paroles :

« Je vais tenter d’évoquer pour vous la mémoire de mon prédécesseur, car vous n’avez pas pensé qu’il pût être digne de vous, ni de moi, d’esquiver les difficultés que risque de soulever pareille évocation.

« ... Autant que le temps qui s’écoule, le contraste de l’heur et du malheur, de l’extrême infortune succédant à l’extrême fortune le mystère du destin et de ses jeux cruels, exercent par les méditations qu’il leur suggère une vertu d’apaisement sur les âmes nobles ; je suis donc assuré que vous l’éprouvez. Où du reste, Messieurs, la sérénité et l’équité, où la tolérance, trouveraient-elles plus naturellement un refuge qu’à l’abri de cette coupole ? »

Le récit des infortunes du maréchal, tel qu’osa le faire François-Poncet en une époque où les passions fermentaient encore fut la première tentative pour éclairer, sinon pour justifier, les errements politiques d’un homme de bonne volonté, accablé par les fatigues de l’âge et par des circonstances qui le dépassaient.

Il fallait un grand courage pour cette mise au point et, ce jour-là, l’ambassadeur montra une fois de plus qu’il n’en manquait pas.

Revenu dans la vie privée en 1955, il exerça sans compter de hautes fonctions bénévoles : président du conseil d’administration de la Cité universitaire, président du Collège libre des Sciences sociales, président de la Croix-Rouge. En dépit de ses multiples activités il s’intéressait de près l’Institut dont il fut chancelier de 1961 à 1964, après avoir été élu en 1961 membre de l’Académie des Sciences morales.

Des travaux littéraires dont nous avons cité les principaux ainsi qu’une étincelante carrière de journaliste au Figaro ne lui firent point négliger les servitudes académiques : il reçut sous la Coupole Jérôme Carcopino, remit la grand-croix de la Légion d’honneur au duc de Broglie et ne craignit point de s’infliger le pensum disparu des Prix de Vertu.

Assidu à nos séances, il y brillait par son esprit souvent mordant et nombre de ses bons mots sont dignes de passer à la postérité.

Il connut longtemps une verte vieillesse et même quand des faiblesses cardiaques le contraignirent à un repos forcé son esprit resta jusqu’au bout aussi lumineux.

Sa mort ouvre un grand vide dans nos rangs et j’y pleure non seulement la disparition d’un grand esprit mais plus encore celle d’un ami qui m’était très cher. Aussi, en hommage à sa mémoire, je vous invite à suspendre quelques instants la séance.

 

 

[1] Mort le 8 janvier 1978, à Paris.