Discours de réception du duc du Plessis de Richelieu

Le 12 décembre 1720

Louis-François-Armand du PLESSIS de RICHELIEU

DISCOURS Prononcé le Jeudi 2. Decembre 1720 PAR MONSIEUR LE DUC de RICHELIEU, lorfqu’il fut reçu à la place de feu M. le Marquis de DANGEAU.

 

Messieurs,

Après tant d’éloges donnez dans vos affemblées au Cardinal de RICHELIEU, qui s’affûra par votre établiffement l’immortalité qu’il cherchoit par fes travaux, le plus grand honneur que vous puiffiez faire à fa mémoire, étoit de montrer, qu’il fuffit de porter fon nom pour être reçû parmi vous ; & comment pouviez-vous mieux lui marquer votre reconnoiffance, que par un choix qu’on ne pourra jamais imputer qu’au feul fouvenir de fes bienfaits ?

 

Vous avez voulu choifir pour votre éleve l’héritier de votre Fondateur : cet honneur que vous me faites, eft une leçon qui me dira fans ceffe, que le goût pour les beaux Arts, l’amour de la Patrie, la vertu, ont illuftré le nom que je porte, & que c’eft par là feulement qu’on peut mériter votre choix.

 

C’eft ce qui rendit le Chancelier SEGUIER digne d’être votre Protecteur : que ne doit point le Cardinal de RICHELIEU à ce fage Magiftrat qui foutint fi dignement fon ouvrage ? & à vous, MESSIEURS, qui le perfectionnez tous les jours ?

 

Le tems qui détruit la plûpart des monumens que laiffent après eux les Grands Hommes, donne à celui-ci tous les jours un nouveau prix. L’Académie dans tous les tems a produit des Hommes illuftres en tous genres. J’admirerai parmi vous des Hiftoriens exacts & intéreffans ; des Poëtes fublimes, & fages ; des Theologiens auffi intelligibles, que profonds ; des Orateurs, dont l’éloquence n’a jamais orné que la raifon & la vertu. Au milieu d’eux des Généraux, dont la valeur & la conduite nous ont donné la victoire & la paix ; & qui viennent jouir dans le Temple des Mufes du feul loifir digne des Heros. Frappé de tant de grands modeles que ne puis-je profiter des ouvrages des uns, & fuivre l’exemple des autres.

 

Heureux fi je puis acquerir dans vos affemblées, les qualités que vous defirez en moi, & fur-tout ce goût délicat, que Monfieur le Marquis de Dangeau avoit reçû de la nature, & avoit perfectionné dans vos affemblées. Il ne crut point que l’ignorance dût être le partage d’un homme élevé à la Cour & à la Guerre. Perfonne ne connut mieux les principes de la Langue Françoife, & ne la parla avec plus de pureté : plus aimable encore par la douceur de fes mœurs ; plus eftimable par la conduite fage, au milieu des écueils de la Cour, & par fa probité incorruptible au milieu des intrigues, que par les talens de fon efprit, il fçut toujours plaire à fon Maître, fans jamais nuire à perfonne : il eut des envieux, & n’eut jamais d’ennemis.

 

Mais je dois épargner la douleur & refpecter la modeftie d’un frere, dont la prefence vous confole ici de fa perte. Que pourrois-je d’ailleurs ajoûter à fon éloge ? Il a été regretté de vous, & toujours aimé de LOUIS XIV.

 

Au nom de ce Grand Roi, l’idée de toutes les vertus fe préfente à votre efprit : vous feuls étiez dignes de le louer ; & c’eft à moi de lire les éloges que vous lui avez donnez, pour apprendre à le bien connoître, & à parler de lui. Trop jeune pour avoir été témoin de fes grandes actions, affez heureux pour avoir vu de près fes vertus ; permettez-moi feulement de regretter avec vous une vie fi glorieufe, & d’admirer une mort plus belle encore, s’il fe peut, que fa vie.

 

Puiffe le Roi qui lui fuccede, mériter un jour les louanges dont vous avez éternifé la mémoire de fon Prédeceffeur. Nous lui fouhaitons un auffi long régne, nous en efperons les mêmes vertus. De quelque côté qu’il tourne fes regards, il verra par-tout de grands exemples ; un Bifayeul, le modele des Rois : Un ayeul, qui fut le meilleur fils, le meilleur pere & le meilleur Prince : un Pere né pour le bonheur des hommes, trop tôt enlevé à la France, & l’éternel fujet de nos regrets : un Oncle qui l’inftruira dans l’art de régner, qui l’éclairera de fes lumiéres, qui lui apprendra à joindre la connoiffance des beaux Arts, à la fcience de gouverner les hommes.

 

Enfin des Gouverneurs & des Maîtres nommez par LOUIS XIV. & par la voix publique. L’un fut le dépofitaire de la confiance la plus intime du feu Roi, le témoin le mieux inftruit de fes grandes qualités, & le plus propre à les tranfmettre à fon Petit-Fils.

 

L’autre, MESSIEURS, vous avez le bonheur de le poffeder parmi vous ; & fi les luméres les plus fûres, fi la vertu la plus aimable peuvent infpirer à un jeune Roi l’efprit du vrai, & l’amour de la juftice, quelles efpérances n’avez-vous pas, MESSIEURS, de célébrer un jour fa gloire & notre bonheur, qui doivent être inféparables ?