Discours de réception de Pierre-Joseph Alary

Le 30 décembre 1723

Pierre-Joseph ALARY

DISCOURS

Prononcé le Jeudi 30. Décembre 1723

par M. l’Abbé ALARY, lorfqu’il fut élu par Meffieurs de l’Académie Françoife à la place de feu M. DE MESME, premier Prefident du Parlement.

 

MESSIEURS,

Je n’aurois jamais ofé prétendre à l’honneur que je reçois aujourd’hui, fi vous ne m’avez encouragé vous-mêmes à le defirer. Le commerce que dès mes plus tendres années mon bonheur m’a fait avoir avec la plûpart de vous, m’avoit infpiré d’abord une forte de vanité pardonnable à cet âge, & qui me cachoit tout l’intervalle qui nous féparoit. Une raifon plus mûre ne tarda gueres à diffiper l’illufion, je commençai à ne plus voir en vous que mes maîtres ; & deflors je fentis que je ne devois rien efperer que de votre indulgence, ce fut à ne vous en paroître pas indigne que je bornai tous mes vœux.

Loin de rougir d’être le premier pour qui vous temperiez la feverité de vos régles, je m’applaudirai de ma deftinée, qui a voulu que je dûffe à vos feules bontés le fuprême honneur des Lettres ; moi, qui tenois déjà de de deux de vos illufftes Confreres[1], que vous avez vû fucceffivement à votre tête, ce precieux loifir, fans lequel on ne peut ni les cultiver, ni s’y confacrer. Tous deux plus unis encore par l’amitié que par le fang, ne fongeoient qu’à me mettre en état d’attirer de vous des regards favorables. Si l’un m’honoroit de fa bienveillance, l’autre ne me refufoit aucune de fes lumieres : il me les communiquoit comme à un Eleve qu’il formoit pour l’Académie ; & en affûrant ma fortune par cette adoption qu’il a bien voulu faire de moi, il a mis le fceau à fa génerofité, & m’a affranchi de tous les foins qui troublent la douceur & la tranquillité de la vie : ainfi je ne me préfente avec d’autre titre que mon bonheur, je ne vous promets d’autre talent que ma docilité.

Oui, MESSIEURS, c’eft par elle feule que j’efpere concourir un jour avec vous aux vûes de votre Fondateur. Toute l’Europe attentive à fes deffeins, & executant fes ordres dans le terms même qu’elle croyoit le plus y réfifter, auroit fuffi à l’ambition du politique le plus confommé ; mais, les vaftes projets d’Armand alloient encore plus loin. Toujours plein des fiécles futurs, quand le fien fembloit épuifer tous fes foins, & l’occuper tout entier ; il comptoit que malgré les plus grands fuccès, il laifferoit fon miniftere fans éclat, s’il laiffoit les Lettres fans honneur ; & que la gloire de la Nation demeureroit enfevelie, fi la Langue qui la devoit immortalifer, n’étoit portée à fa plus haute perfection. Il fçavoit le befoin mutuel qui lie les Héros aux Sçavans, & l’Eloquence & la poëfie, aux glands évenemens & aux actions celebres.

Que ne devoit-on point attendre d’une fi puiffante protection ? Auffi quels prodiges l’Académie n’a-t’elle point enfantés ? la Chaire, le Barreau, le Théatre ont fourni tout à la fois des modeles.

Un fi magnifique établiffement étoit au-deffus des revers de la fortune. Votre Compagnie ne perdit rien de fon éclat en perdant un fi glorieux Fondateur. Le premier Magiftrat remplaça le premier Miniftre, & Themis confola les Mufes de la perte qu’elles venoient de faire.

Elles avoient déja préparé à LOUIS LE GRAND un fiécle digne de lui ; elles avoient preffenti que fon augufte protection devoit les dédommager avantageufement de celle qui leur étoit ravie ; & toute la face de l’Empire Litteraire s’étoit, pour ainfi dire, renouvellée. Bientôt les plus heureufes découvertes dans les Arts & dans les Sciences marcherent de pas égal avec les conquêtes du Monarque. La Victoire & Minerve graveront à l’envi fon nom au temple de Mémoire ; mais m’arrêterois-je à l’éloge du Conquerant, quand on peut louer l’honnête homme dans un grand Roi ?

 

Les Heros fervent de fpectacle à l’Univers, mais leur gloire eft-elle comparable à celle d’un maître qui fe fait aimer ? Le plus ferme appui du Throne c’eft la bonté du Souverain ; fi la majefté impofe, l’affabilité doit raffûrer. Approchoit-on de LOUIS LE GRAND, que l’on ne fentît prefque en même tems l’effet de ces deux éminentes qualités ? Perfuaclé que le Prince ne doit pas moins obéir aux Loix, que commander aux hommes, il ne vouloit exercer fur eux d’autre empire que celui de la raifon. Il refpectoit fa place, il la faifoit refpecter aux autres. Il étoit homme pour les malheureux, il étoit Roi quand il falloit réprimer l’injuftice & venger l’innocence. La dignité, ce fentiment qui tient toutes les autres vertus dans leur jufte proportion, formoit fon véritable caractere & ne l’abandonnoit jamais.

Voilà, MESSIEURS, l’exemple que fon arriere-petit-fils fe propofe d’imiter. Sa jeuneffe avec un tel fecours aura-t-elle befoin des leçons de l’expérience ? A peine forti de l’enfance il marche déja fur les traces de fon Predeceffeur. L’amour de l’ordre, la bienféance qui regle fes difcours & fes actions, cette difcrétion fi néceffaire pour le Gouvernement, cette douceur, ces graces majeftueufes fi fort au-deffus de fon âge, & cependant fi convenables ; tout nous rappelle fon augufte bifayeul. Puiffe-t’il joindre à un Regne encore plus long les mêmes vertus & la même gloire ! Puiffe-t’il un jour étonner la poftérité jaloufe par le bonheur qu’il nous prépare à la fuite de la plus longue paix & de la plus parfaite tranquillité !

Vous avez parmi vous, MESSIEURS, un fûr garant, que des vœux fi magnifiques ne feront point inutilement formés. Ce Prélat qui dans le fein de la Cour a fait éclater un défintereffement digne des premiers fiécles de l’Eglife, n’eft  fans ceffe occupé que du précieux dépôt confié à fes foins. Il ne fonge qu’à donner un Pere à la Patrie ; c’eft-là l’unique but de fes inftructions, dont il a bien voulu que je fuffe quelquefois témoin. C’eft à ce choix que je dois le vôtre, ainfi fouffrez, que ma reconnoiffance remonte jufqu’à la fource du bienfait que vous répandez fur moi, ce fera le juftifier que de la découvrir.

Car, que ne pourroit-on point vous reprocher, fi vous étiez toujours obligés de remplacer le même mérite. Vous avez perdu dans M. le Premier Préfident un de ces génies que la nature fe plaît à former. L’art & l’étude font en vain des efforts ; tout ce que l’un & l’autre peuvent produire, ne fe font jamais de cette heureufe infpiration qui donne en même tems à l’efprit & la force & l’agrément. Le vrai fublime, toujours inféparable de la fimplicité & de la clarté, n’eft ni le fruit du travail, ni la récompenfe d’une hardieffe témeraire. Il femble fuir l’Orateur qui le cherche, il ne fe donne qu’à celui qui, fans le chercher avec trop de foins, fçait le faifir dès qu’il fe préfente. M. le Premier Préfident parloit-il que l’on ne reconnût auffitôt le Chef d’un Senat en poffeffion de l’eftime & du refpect de toute l’Europe depuis tant de fiécles ; fon éloquence dédaignoit ces vains ornemens qui font plutôt des égaremens de l’imagination, que des lumieres de l’efprit. Cette dignité aimable répandue fur toute fa perfonne paffoit jufques dans fes difcours ; on n’y reconnoiffoit d’autres races que celles de la raifon. La gravité du Magiftrat étoit adoucie par la politeffe la plus noble, la Juftice n’avoit plus rien d’auftere, & le plaideur dans fon Juge croyoit toujours voir fon Protecteur.

Placé en quelque façon entre le Peuple & le Souverain ; fa principale attention étoit d’entretenir une intelligence parfaite entre l’un & l’autre. Il ne doutoit pas que cet heureux accord ne fût la baze & le fondement de leur félicité réciproque ; il fe facrifia à ce grand principe, & fa conduite réunit tous les fuffiages. Sa Compagnie devenue fa propre famille n’eût d’autres vûes que les fiennes, & les jaloufies trop ordinaires dans les Corps mêmes les plus refpectables cederent à l’interêt du bien public.

Les grandes qualités ont encore plus d’éclat quand elles font héreditaires. La France accoutumée depuis long-tems aux fervices d’une Maifon également diftinguée & par les vertus & par les talens, conferve pour les defcendans la vénération qu’elle a eue pour les ancêtres. Si les de Mefmes, fi les Davaux ont eu des Pafferats & des Voitures pour immortalifer leur nom fur le Parnaffe, leur éloge ne fe trouve pas moins dans notre Hiftoire, & ce Traité fameux qui regla la deftinée de l’Europe, en rendant à l’Empire & fes droits & fa liberté, fera un monument éternel de la fageffe & de la fupériorité du génie d’un Miniftre qui y eut tant de part.

Je fens, MESSIEURS, tout ce qui me manque pour vous dédommager de votre perte ; & plus je le fens, moins je dois vous en renouveller le fouvenir : mais aujourd’hui affocié à tous vos avantages, oublierois-je celui dont vous êtes le plus flattés. Votre Compagnie, après avoir reçû des Généraux d’Armée de la main de la victoire, donne à l’Etat des Miniftres, dont le feul nom rappelle la confiance. Les Mufes craindront-elles d’approcher du Trône, quand elles ne le verront entouré que de Mécenes ? Que ne doivent-elles attendre d’un Prince qui fçait dès les premiers momens de fon adminiftration fe choifir de pareils confeils ? A peine a-t-il pris les rênes du Gouvernement, que nous nous reffentons de fort inclination bienfaifante. Douterons-nous que par fes foins le meilleur de tous les Peuples ne devienne bientôt le plus heureux ? La guerre a porté fes ayeux au plus haut degré de la gloire ; fes premieres Campagnes lui ont ouvert la même carriere ; il y eft entré avec la même intrépidité ; il lui étoit réfervé de nous faire gouter les plus doux fruits de la paix. La Minorité, ce tems que la France n’a prefque jamais vû tranquille, n’a fervi qu’à en refferrer les nœuds. L’Europe dans le filence a refpecté l’Enfance de notre Monarque. Le genie également vafte & facile du dépofitaire, de fon autorité, a calmé tout, a tout contenu ; mais la mort vient de nous le ravir au milieu de fa courfe. Il auroit fans doute fait fentir à notre jeune Maître, que l’amour des Lettres eft la paffion ordinaire des Héros : en auroit-il fallu d’autre preuve que l’exemple de ce grand prince ? Quelle forte de connoiffance avoit échappé à fa pénétration ? chaque Art lui avoit découvert fes délicateffes, & l’accueil le plus affable, la fimplicité la plus modefte rehauffoient encore le prix de fes plus rares qualités. Quelle fupériorité ne falloit-il pas pour s’attirer le refpect fans l’appareil de la grandeur ? L’hommage forcé, que les places exigent, approche-t-il de celui qui ne fe rend qu’à la perfonne.

Vous n’en connoiffez point d’autre, MESSIEURS, & c’eft l’unique qui vous convient & de recevoir & de rendre. Le mérite feul a des droits fur vous ; il doit juftifier les faveurs de la fortune, ou accompagner l’éclat de la naiffance : vous voulez toujours que les dignités foient la preuve des talens, ou la récompenfe de la vertu. Les diftances que l’ufage & l’ordre politique ont mifes entre les conditions, difparoiffent entiérement ici ; & pour animer encore plus l’émulation, vous n’admettez d’autre rang que celui que l’efprit donne. Que ne m’infpirera-t’elle point cette noble émulation, quand par mon exactitude à affifter à vos Affemblées, j’aurois acquis ce goût fin & délicat qui caracterife tout ce que produit l’Académie ? Si la crainte m’a empêché jufques ici de rendre le Public juge des premiers fruits de mes études, fon tribunal fera-t’il pour moi il redoutable, quand le vôtre m’aura raffûré ? J’oferai tout tenter, éclairé par vos lumieres, & foutenu par vos exemples.

 

[1] M. le Marquis de Dangeau, M. l’Abbé de Dangeau.