Discours de réception du maréchal Joffre

Le 19 décembre 1918

Joseph JOFFRE

Réception du maréchal Joffre

 

M. le maréchal Joffre, ayant été élu par l’Académie française à la place vacante par la mort de M. Jules Claretie, y est venu prendre séance le 19 décembre 1918 et a prononcé le discours suivant :

 

Messieurs,

Le 21 février 1889, Jules Claretie prenait séance au milieu de vous.

Renan, dans sa réponse au nouvel académicien, évoquait le souvenir des grands hommes de la Révolution, dont la vie et la mort avaient été si pathétiquement contées par l’auteur des Derniers Montagnards, de Camille et les Dantonistes.

Jetant un coup d’œil d’ensemble sur les cent années qui venaient de s’écouler, au cours desquelles la France, dans incessante poursuite de son idéal de liberté, cherchait à résoudre, à travers tant de dangereuses secousses, le problème de sa destinée, Renan s’écriait :

« Vous êtes jeune, vous verrez la solution de cette énigme, Monsieur. Les hommes extraordinaires pour lesquels nous nous sommes passionnés eurent-ils tort, eurent-ils raison ? De cette ivresse inouïe, réduite à l’exacte balance des profits et des pertes, que reste-t-il ? Le sort de ces grands enthousiastes sera-t-il de demeurer éternellement isolés, suspendus dans le vide, victimes d’une noble folie ? Ou bien ont-ils en somme fondé quelque chose et préparé l’avenir ? On ne le sait pas encore. J’estime que dans quelques années on le saura : si dans dix ou vingt ans la France est prospère et libre, fidèle à la légalité, entourée de la sympathie des portions libérales du monde, oh ! alors, la cause de la Révolution est sauvée ; le monde l’aimera et en goûtera les fruits sans en avoir savouré les amertumes. »

Près de quarante ans ont passé, Jules Claretie est mort, et la cause de la Révolution est sauvée ; le monde en goûtera les fruits, mais il en aura savouré les amertumes.

Heureusement pour le monde, les hommes de la Révolution avaient fondé quelque chose et préparé l’avenir.

Ils avaient fondé cette grande et belle nation, protectrice du droit, amoureuse de la liberté, qui, à l’été de l’année 1914, opposait les poitrines de ses fils aux coups déloyaux des champions de la barbarie.

Ni Renan, ni Jules Claretie n’auront eu la vision merveilleuse de ce peuple généreux, retrouvant, pour la défense de son sol, l’élan victorieux de la Révolution, faisant sienne la cause de tous les peuples libres, et, pendant plus de quatre années, « entouré de la sympathie des portions libérales du monde », tenant tête à l’Allemagne et menant au combat les jeunes et puissantes armées des plus grandes nations de la terre.

Je pense, Messieurs, qu’en me faisant l’honneur de m’accueillir parmi vous, vous avez voulu rendre hommage à cette glorieuse Armée française qui a tant mérité qu’on l’honore et qu’on l’aime.

Quelque reconnaissance que vous lui gardiez, quelque affection que vous ayez pour elle, vous me pardonnerez de tenter aujourd’hui de vous la faire aimer davantage. C’est que la tendresse de mon cœur est infinie pour elle et que je n’imagine pas de plus beaux soldats, de plus grands héros que ceux à la tête desquels la destinée m’a placé durant trois années.

Jules Claretie l’aimait profondément ; comme correspondant de guerre en 1870, il avait suivi son long calvaire jusqu’au moment où, après Sedan, il vint s’enfermer dans Paris pour en partager la résistance et les épreuves.

Vous m’excuserez si je n’entreprends pas de vous conter la vie de cet homme droit et probe.

Aussi bien suffit-il de feuilleter ses carnets intimes pour y découvrir sa nature ardente et généreuse.

« Si je n’ai pas rendu, dit-il, tous les services qu’on m’a demandés, c’est que je ne l’ai pas pu. J’ai fait de mon mieux et ma bienveillance n’était ni calcul ni nonchaloir, mais indulgence de nature. Je ne sais pas haïr. J’ai des colères, je n’ai pas de rancune. Je n’ai pas aimé beaucoup de gens, mais j’ai adoré ceux qui m’ont été chers ! »

Que de bons Français sont amoureux ainsi de leur indépendance et de leur foyer ! Jules Claretie apportait au sien le rayonnement d’une tendresse passionnée.

Il était avide d’écrire, mais après avoir tant écrit, il pouvait dire qu’il ne regrettait pas une ligne, parce qu’il avait toujours conformé sa vie à ces règles qu’il s’était tracées : « En Art, la probité, c’est la meilleure alliée ; — dans la Vie, l’honnêteté, c’est la meilleure habileté ; — en Politique, la loyauté, c’est la méthode la plus simple ; en Littérature, la clarté, c’est la qualité supérieure. »

« Aimer le vrai et le simple, être droit et adroit, clair et net, faire de son mieux et laisser dire. »

 

Comment ce noble caractère n’eût-il pas éprouvé pour son pays un ardent amour, lui qui, à vingt ans, définissait ainsi son idéal : « Voir mon pays agrandi, voir mon pays libre, faire par la plume le plus de bien possible. »

Il eut cette cruelle amertume, qui dura toute sa vie, de voir la France humiliée, et nous devons à l’émotion profonde qui s’empara de lui devant l’ennemi et ne le quitta plus, des pages sur la Patrie, qui peuvent compter parmi les plus belles :

« Ici, écrit-il au d’août 1870, à quelques lieues de la ligne de la Sarre que les Prussiens peuvent franchir, mon sang bat plus vite, et je comprends les angoisses et les résolutions des hommes de 1792, à qui l’on annonçait l’envahissement de la Patrie.

Chère France, dans cette partie douloureuse et décisive, tu mets pour enjeu ce que tu n’as jamais refusé à personne, ni à tes maîtres ni à tes alliés ; France du sacrifice, pays dont le nom même est beau, France des Volontaires intrépides, France de Hoche et de Marceau, tu donnes sans compter ton sang, ta résolution, ta fermeté, ta vaillance, tout ce qui grâce à toi, a fait avancer le monde par l’Idée et a fait reculer l’ennemi par le courage. Allons, la Nation existe toujours. La Patrie ! le seul nom qu’on ait maintenant aux lèvres, le seul amour qu’on ait maintenant au cœur ! »

 

Ces paroles ne s’appliquent-elles pas entièrement à la France d’aujourd’hui ?

Jules Claretie n’a pas vécu assez longtemps pour voir la réalisation de ses espérances. Il est mort six mois avant cette guerre, pendant laquelle se sont révélées avec tant d’éclat toutes les vertus que son clairvoyant patriotisme attribuait à notre pays.

Je me souviens des mois et des semaines qui précédèrent la guerre, alors que déjà elle apparaissait comme inévitable.

La France s’y préparait avec résolution et méthode. Grâce à la loi de trois ans, elle pouvait masser à la frontière une couverture suffisante. Elle formait ses grands États-Majors d’Armée qui, au début de la guerre, devaient contribuer à la sauver.

Je ne puis me rappeler sans une profonde émotion les journées qui précédèrent et suivirent celle où fut signé l’ordre de mobilisation. À ces heures tragiques, je sentis naître dans l’Armée, qui venait se ranger sous mes ordres, cette résolution, ce renoncement, cette confiance qui proclament la justice de la cause et rendent les armées invincibles.

Ce peuple amoureux de liberté acceptait avec fermeté la dure servitude de la guerre, parce qu’il avait conscience d’avoir voulu sincèrement la paix, et qu’un sûr instinct lui dévoilait la grandeur de la tâche qu’il devait accomplir : faire la guerre, non seulement pour que la France demeure grande et belle, mais aussi pour que les peuples vivent libres, pour que l’honnêteté et la loyauté des faibles soient défendues contre la méchanceté et la félonie des forts.

Et comme si l’Allemagne voulait, du premier jour, confirmer cette croyance, elle prenait traîtreusement à la gorge la Belgique, petite par son territoire, grande par sa vaillance et sa loyauté, la Belgique qui, meurtrie, salie, brûlée, piétinée, après trois mois d’un long martyre, trouvait, sous l’impulsion courageuse de son Roi, la force de contribuer à arrêter sur l’Yser la ruée désespérée de son formidable adversaire.

Durant ces trois mois, que de gloire avait amassée pour la France notre héroïque Armée !

Vous avez voulu l’honorer en m’appelant à prendre place dans votre Compagnie, laissez-moi vous dire à qui doit aller votre reconnaissance.

À ces chefs résolus et calmes qui, toujours, dans les moments les plus tragiques, gardèrent intacte leur foi dans la victoire de nos armes, illustrant victorieusement la règle la plus vraie de tout l’art militaire qui veut qu’un général soit battu alors seulement qu’il se croit battu.

Parmi eux, qu’il me soit permis de citer du moins celui que vous avez déjà distingué en l’appelant à siéger parmi vous, le maréchal Foch, dont l’énergie indomptable et la haute science militaire ont exercé la plus heureuse influence partout où il a commandé.

À notre corps d’État-Major, qui fut notre force au début de la guerre, et qui l’est demeuré malgré les pertes cruelles qui ont éclairci ses rangs. Je tiens à rendre ici un hommage solennel à ses mérites, à sa probité, à sa conscience, à son savoir.

Au cours des premières semaines de la guerre, jamais nous n’aurions pu faire ce que nous avons fait si les grands États-Majors d’armée n’étaient demeurés comme des rocs dans la tempête, répandant autour d’eux la clarté et le sang-froid. Ils entouraient leurs chefs, sur qui pesaient les responsabilités les plus lourdes, d’une atmosphère de confiance saine et jeune qui les soutenait et les aidait. Ils gardaient, dans le labeur le plus épuisant, au cours d’une épreuve morale terrible, une lucidité de jugement, une facilité d’adaptation, une habileté d’exécution d’où devait sortir la victoire.

De tous ces États-majors, le plus cher à mon cœur est ce grand quartier général, où j’ai vécu les heures les plus angoissantes de ma vie, dans le calme que donne au chef la certitude d’être entouré d’hommes dévoués et instruits, qui placent au-dessus de tout le bien de leur pays. Ces hommes qui, se dégageant de toute autre considération, ont assumé la tâche la plus difficile, ont bien mérité de la France.

Mais, qu’eussent pu faire ces généraux et ces États-Majors en face d’un ennemi redoutable, disposant de moyens supérieurs, s’ils n’avaient commandé aux plus magnifiques soldats du monde ? Pour louer ces soldats, les mots sont impuissants, et seul mon cœur, s’il pouvait laisser déborder l’admiration dont il est pénétré pour eux, traduirait l’émotion que j’éprouve en en parlant. Je les ai vus, couverts de poussière et de boue, par tous les temps et dans tous les secteurs, dans les neiges des Vosges, dans les boues de l’Artois, dans les marécages des Flandres toujours égaux à eux-mêmes, bons et accueillants, affectueux et gais, supportant les privations et les fatigues avec bonne humeur, faisant sans hésitation et toujours simplement le sacrifice de leur vie. Dans les yeux de ceux qui rentraient du combat comme dans les yeux de ceux qui y montaient, j’ai vu toujours le même mépris du danger, l’ignorance de la peur, la bravoure native qui donne à leurs actes d’héroïsme tant de naturel et de beauté, et toujours aussi dans des milliers et des milliers de regards francs et anonymes, j’ai lu cette foi instinctive dans les destinées de la France, cet amour et ce respect de la vérité, de la justice, cette honnêteté apportée dans l’accomplissement du devoir journalier, qui sont la force et la discipline de notre Armée, et qui n’appartiennent qu’à elle. C’est pour cela que nos soldats sont les premiers du monde, et qu’on ne peut les voir sans les admirer, les regarder sans leur sourire, les commander sans les aimer.

Ils ont sauvé notre pays, ils nous ont acquis l’admiration du monde entier. Nous pouvons être fers de voir toutes es nations généreuses qui se sont battues à nos côtés célébrer à l’envi le courage intelligent, la fermeté tranquille, la mâle résolution de la France.

Nous serions coupables d’ingratitude si nous ne rendions pas à notre tour hommage au dévouement et à la vaillance de nos alliés.

Au vingtième jour de la guerre, l’armée britannique faisait son apparition sur le champ de bataille, encore faible par le nombre de ses soldats, déjà forte de toutes les qualités qui firent leur réputation dans le passé : sang-froid imperturbable, courage opiniâtre qu’aucune mauvaise fortune ne peut abattre et qui vient à bout de tous les obstacles.

Sous les ordres de chefs illustres, dont l’amitié fut toujours pour le commandement français un appui et un réconfort, l’armée britannique s’est formée en combattant ; opposée à la plus redoutable armée de métier que le monde ait connue, elle s’est instruite à la rude leçon de la bataille et cette armée improvisée par la forte volonté d’un grand empire pacifique, a supporté à plusieurs reprises, sans jamais connaître le découragement ni la lassitude, les épreuves les plus cruelles. Chaque revers la faisait plus forte. Ainsi, par des chemins pénibles, elle s’acheminait vers la victoire. L’Empire britannique aura connu cette glorieuse joie de voir ses jeunes légions, après quatre années d’efforts, briser enfin l’étreinte des hordes guerrières de l’Allemagne.

N’oublions pas cependant les sacrifices qu’une préparation insuffisante à la guerre a imposés à une aussi grande nation. Si l’Allemagne a failli vaincre au début, si par la suite elle a pu résister pendant longtemps aux assauts des Alliés, c’est qu’elle disposait d’un instrument de guerre largement préparé à sa tâche difficile ; c’est qu’à la tête de soldats entraînés et bien armés, elle avait placé un commandement et des états-majors instruits.

Les armées improvisées au moment du péril peuvent trouver rapidement de bons soldats et de bons cadres subalternes, parce qu’à cet échelon la bravoure et l’esprit de sacrifice suppléent au défaut de préparation militaire ; mais ces armées demeurent longtemps sans force véritable, parce qu’il leur est impossible de former en quelques semaines des chefs et des états-majors.

Dans cette lutte des nations de l’Entente contre la plus puissante machine de guerre qui se puisse imaginer, que de temps il aura fallu perdre, que de sacrifices il aura fallu consentir pour éviter d’abord d’être écrasé par elle, ensuite pour l’arrêter et la détruire ! Aucun de ces sacrifices n’aura été inutile : tout particulièrement celui des soldats russes qui ont, pendant près de trois années, connu tour à tour les plus éclatants succès et les revers les plus immérités. Tant il est vrai qu’une grande armée ne saurait vaincre que si elle puise dans l’énergie du peuple qu’elle représente la force de mener à bien son pénible labeur. Quelque résolu que soit son effort, il ne peut aboutir s’il n’est pas encouragé et soutenu jusqu’au bout par la foi et la volonté guerrières de la nation toute entière.

Parce que cette foi et cette volonté ont chancelé et sombré dans la tourmente qui a bouleversé la Russie, ses armées, vouées à l’impuissance sans avoir été battues, ont déserté le champ de bataille.

Elles entraînaient dans leur chute cette admirable armée Roumaine, chez laquelle l’amertume du renoncement à la lutte s’est accrue du sentiment qu’elle avait de sa force, retrouvée au cours d’un hiver consacré à s’instruire.

Aujourd’hui, alors qu’elle se préparait à reprendre la lutte, donnant ainsi la preuve la plus remarquable de sa vitalité, elle voit les armées ennemies réduites à l’impuissance, quitter en vaincues le sol de la Roumanie.

Plus heureuses encore, les héroïques divisions de la Serbie et de la Belgique ont connu cette joie profonde de chasser devant elles, sur le territoire national libéré, les hordes autrichiennes et prussiennes. Soutenues dans les pires épreuves par la force indestructible du sentiment patriotique, elles ont remporté la victoire la plus pure et la plus méritée.

Si ces armées ont tant souffert, ce n’a pas été en vain. Elles ont donné aux armées britanniques le temps nécessaire à leur développement. Elles ont permis à l’Italie de se ranger à son tour à nos côtés. Dans une guerre où la continuité de l’effort sur le front, seule garantie du succès, repose sur la puissance du travail industriel de l’arrière, l’Italie, disposant de moyens limités pour ses fabrications de guerre, semblait vouée à l’impuissance. Quoi de plus réconfortant que le spectacle de ce peuple qui, malgré ces difficultés, a su s’imposer les sacrifices nécessaires, organiser la guerre et la poursuivre jusqu’à la victoire sur des fronts particulièrement exposés aux attaques de l’ennemi.

Ainsi les Alliés, unis par des liens d’une étroite solidarité, et confiant dès l’abord leur fortune militaire aux robustes épaules de l’armée française, ont pu subir, sans connaître la défaite décisive, les assauts les plus dangereux.

Et c’est vraiment l’enchaînement rigoureux des faits qui m’amène à rendre ici le plus bel hommage à notre armée. Parce qu’elle était fortement préparée à se battre, elle a été, au cours de cette guerre, l’armature solide de tout l’édifice. Et s’il est vrai que l’Armée tire sa force du peuple qui l’enfanta, fut-il jamais dans le monde un plus grand pays que le nôtre !

Cependant il me semble que tant d’héroïsme et tant de résolution n’eussent pas suffi, si les peuples alliés n’avaient été d’abord attirés au combat, réunis pour la bataille, puis soutenus au cours de la lutte par les idées généreuses de liberté et de justice qui ont inspiré leur décision et qui guident leurs actes.

N’est-ce pas dans la conviction qu’elles se battaient pour le droit, que les nations alliées ont puisé l’ardeur du sacrifice et trouvé la certitude de la victoire finale ?

La puissance de sentiments si nobles a été évoquée dans des termes qui sont présents à vos mémoires, par le grand Président Wilson, en même temps qu’elle lui inspirait le geste le plus généreux.

Ce n’est pas sans une émotion profonde que je me reporte au temps que j’ai passé l’année dernière aux États-Unis. Ce peuple, qui sentait obscurément la force immense dont il disposait, mais qui ne savait pas encore comment l’employer, la laissait alors deviner par la violence de son affection pour la France. Il lui semblait qu’à force d’amour, il ferait sans tarder quelque chose de grand et de réconfortant pour le soulagement des armées alles. Il ne se trompait pas, puisque cet amour devait permettre à la France accablée par la défection des armées russes et les dures épreuves du printemps de 1917, de garder intactes sa confiance et sa vaillance.

Alors qu’au milieu des foules américaines, je vivais à des heures qui comptent parmi les plus douces de ma vie, j’avais deviné le besoin de sacrifice qu’éveillaient chez ce peuple généreux la bravoure de nos soldats et la justice de notre cause.

Pour que la France vive prospère, pour que la Belgique renaisse, pour que la liberté règne et que le droit s’établisse, l’Amérique se levait résolue à jeter dans la lutte jusqu’au dernier homme, jusqu’au dernier dollar. L’histoire n’a pas enregistré de plus merveilleuse vision que celle de ces millions d’hommes, s’arrachant volontairement aux occupations de la paix, pour passer la mer semée d’embûches et venir à des milliers et des milliers de kilomètres de leur Patrie donner leur vie pour une noble cause, pour une grande idée.

Et comme si ce n’était pas assez de nous envoyer leurs maris, leurs enfants, nous avons vu ces épouses, ces pères et ces mères escorter au delà des mers la phalange des guerriers, venir soulager nos misères, panser nos blessures. Nous les avons vus, prodiguant leur or et les trésors de leur cœur, s’asseoir à nos foyers ruinés, s’agenouiller sur les tombes, adopter nos orphelins.

Dans une fraternelle accolade, la France et l’Amérique se sont donné leur foi pour le présent, pour l’avenir.

Grâce à cet événement décisif, la France, appuyée sur ses alliés, a enfin conquis la victoire que ses vertus lui ont méritée.

Qu’elle aille sans défaillance jusqu’au bout de son effort ; elle le doit à ses morts, elle le doit aux tout petits qui grandissent insouciants du danger et qui vivront libres parce que leurs pères sont morts pour la liberté.

Que le peuple de France garde dans la victoire ce ferme attachement aux idées de liberté et de justice qui ont fait sa force dans la guerre ! Qu’il conserve ce bel équilibre moral qui l’a préservé de la chute aux heures les plus dangereuses ! Qu’il n’oublie jamais que les faibles et les petits ne sauraient vivre libres dans le monde, si les forts et les grands ne sont pas toujours prêts à mettre leur force et leur puissance au service du droit.

La France doit rester, dans l’avenir, la gardienne des libertés des peuples. Les vertus dont elle a fait preuve dans cette guerre lui ont acquis à ce beau titre des droits impérissables, et l’expérience est faite désormais que sa prospérité est le gage de la tranquillité du monde.