Discours de réception de Roger de Bussy-Rabutin

Le 1 janvier 1665

Roger de BUSSY-RABUTIN

DISCOURS prononcé en janvier 1665. par Mr. le Comte de Bussy Rabutin, Lieutenant General des Armées du Roy, & Meſtre de Camp General de la Cavalerie Françoiſe & Etrangere, lorſqu’il fut reçu à la place de Mr. Perrot d’Ablancourt.

 

 

MESSIEURS

SI j’étois à la tête de la Cavalerie, & que je fuſſe obligé de luy parler, pour la mener au combat, la croyance où je ſerois qu’elle auroit quelque reſpect pour moy, & que de tous ceux qui m’écouteroient, il n’y en auroit peut-être gueres de plus habile, me le ſeroit faire ſans être trop embaraſſé. Mais ayant à parler devant la plus celebre Aſſemblée de l’Europe & la plus éclairée, je vous avouë, MESSIEURS, que je me trouve un peu étonné ; et que ſi quelque choſe me raſſûre, c’eſt que je croy que vous êtes trop juſtes, pour ne pas excuser les fautes d’un homme, lequel a fait toute ſa vie un métier veritablement qui donne de la reputation, mais qui d’ordinaire ne donne gueres de politeſſe. C’eſt dans cette confiance, MESSIEURS, que je viens vous rendre mille graces de l’honneur que vous m’avez fait, de me recevoir dans une Compagnie qui a un Protecteur auſſi illuſtre, & d’un merite auſſi extraordinaire que celuy qu’elle a, & de me donner moyen par les connoiſſances que je pourray acquerir avec vous, de me rendre digne de bien ſervir le plus grand Roi du monde. Je ſçay bien, MESSIEURS, qu’il aime préférablement à toutes choſes les actions où il y a du courage ; mais je ſçay bien auſſi qu’il eſtime fort les choſes où il y a de l’eſprit ; qu’il s’y connoît mieux qu’homme de ſon Royaume, & qu’il fait cas enfin des habiles gens auſſi bien que des braves. Pour moy, MESSIEURS, après avoir fait juſques icy tout ce que j’ay pû pour mériter par la guerre l’eſtime de Sa Majeſté, en attendant les occaſions de recommencer, j’eſſayeray avec vous de me rendre capable d’autres emplois, qui pour être moins brillans, ne laiſſent pas d’être auſſi utiles à nôtre Maître. Cette eſperance, MESSIEURS, me flate ſi fort, que je vous proteſte que perſonne ne recevra jamais avec plus de reconnoiſſance que moy, l’honneur que vous me faites aujourd’huy, & qu’on ne peut être plus que je ſuis, Vôtre, &c.