Discours de réception de Philippe Néricault Destouches

Le 25 août 1723

Philippe NÉRICAULT DESTOUCHES

DISCOURS

Prononcé le 25 Août 1723

Par M. NERICAULT DESTOUCHES lorfqu’il fut reçu à la place de feu M. CAMPISTRON.

 

MESSIEURS,

Je me trouve aujourd’hui dans la fituation à laquelle tous les hommes afpirent, & ne parviennent prefque jamais ; je fuis au comble de mes vœux ; car il faut vous l’avouer hardiment, l’honneur d’occuper une place dans cette illuftre Académie, a toujours été le plus vif objet de mon ambition. Je voue dirai plus, MESSIEURS, je n’ai jamais defefperé de la voir fatisfaite. Quelle témérité ! n’en ferez-vous point offenfés ? Que j’aurois lieu de le craindre, fi vos fuffrages ne me raffûroient pas ! je les ai demandés avec ardeur. Vous vous êtes rendus à mon empreffement : Ainfi vous me juftifiez vous-mêmes auprès de vous ; c’eft à moi de vous juftifier auprès du Public.

 

Que ne ferai-je point pour y réüffir, & de quelles efperances ne puis-je point me flatter, affuré déformais de votre fecours, guidé par votre exemple & par vos lumiéres, & plus que jamais animé par l’émulation !

 

Poffeffeurs de tous les talens divers qui mettent l’efprit & l’érudition dans leur plus beau jour, vous pouvez les communiquer à vos Eleves qui ne les poffédent pas encore, ou les perfectionner dans ceux qui les poffedent.

 

Quel bonheur n’eft-ce donc point pour moi, d’entrer aujourd’hui dans une Compagnie fi célébre, qu’elle couvre de fes Lauriers immortels tous les Sujets affociés à fes travaux

 

Vous voyez, MESSIEURS, que je fens tout le prix de la grace que vous me faites. Il s’agit de vous en témoigner ma reconnoiffance. Soyez sûrs qu’elle éclatera toute ma vie ; & de quelle maniére ? En afpirant toute ma vie à me rendre digne de cette grace. Je ne vous promets pas des fuccès heureux, mais je vous promets des efforts continuels.

 

J’apporte ici une parfaite vénération pour vous, un defir ardent de profiter de vos lumiéres ; la noble ambition de contribuer à votre gloire, c’eft tout ce que je puis vous offrir pour vous dédommager de la perte de mon Prédeceffeur.

 

Si vous me comparez avec lui, vos regrets vont fe renouveller ; cependant vous attendez de moi fon éloge : & plus cet éloge fera digne de lui, plus je travaillerai contre moi-même.

 

Cette réflexion devroit m’allarmer, mais elle ne m’empêchera point de rendre à M. Campiftron toute la juftice que je lui dois.

 

Non, MESSIEURS, je ne diffimulerai point qu’il s’étoit rendu célébre avant que de parvenir à voir fes travaux couronnés par l’Académie : que quoiqu’elle mette le comble aux honneurs des plus grands hommes ; il s’étoit acquis des honneurs immortels, en ofant courir la vafte & perilleufe carriere où les Corneilles & les Racines s’étoient furchargés de Lauriers.

 

Et dans quel tems encore entreprit-il de marcher fur les traces de ces hommes fi renommés ? lorfque nous étions tout remplis de leurs chef-d’œuvres, lorfque nous ne nous laffions point de voir, d’applaudir, d’admirer les uns ; de nous laiffer toucher, attendrir, enlever par les autres ; lorfque juftement prévenus en faveur des grands Maîtres, qui les avoient produits, nous défefperions qu’il s’élevât jamais fur la Scene Françoife, aucun génie digne d’avoir part au tribut de louanges, que nous nous étions engagés de leur payer fans ceffe.

 

Cependant, MESSIEURS, mon illuftre Prédeceffeur prétendit partager avec eux les applaudiffemens, & il fçut obtenir ce partage glorieux, en dépit de la critique & de l’envie.

 

Après Cinna, Pompée & Rodogune, après Andromaque, Iphigénie & Phedre, on vit avec plaifir Tyridate, Andronic, Alcibiade ; on les voit, on les admire encore aujourd’hui, & ces derniers Héros jouiront de l’immortalité, à la fuite de ceux à qui Corneille & Racine l’avoient affûrée.

 

Mais jufqu’où m’emporte ma fincérité ? Ne va-t-elle point produire l’effet que je craignois ? Vous faire encore mieux fentir la perte que vous faites, & les foibles reffources que je vous apporte pour la réparer ?

 

Raffûrez-vous fur mon fujet, MESSIEURS, en vous rappellant ce que je viens de vous dire ; vos fecours me fortifieront, & l’émulation achevra ce que vos fecours auront préparé. Je vois parmi Vous tout ce qui peut l’exciter, & je fens déja qu’elle me tranfporte fi vivement, qu’elle fçaura m’élever au deffus de moi-même ; c’eft l’effet qu’elle produit toujours fur les efprits & fur les courages qu’elle anime.

 

Qu’un homme defcendu d’illuftres Ayeux brûle du défîr de leur reffembler, il n’envifage point leurs actions héroïques, comme un objet qui doive le décourager, ou qui puiffe exciter fa jaloufie ; au contraire, elles l’élevent, elles l’animent, elles l’enflamment ; & après lui avoir fervi de modéle & de guide, elles le portent jufqu’au point d’en faire de pareilles, quelquefois même de plus admirables. Si Philippe n’eût pas étendu fi loin fes conquêtes, Alexandre n’eût jamais entrepris la conquête de l’Univers.

 

N’en eft-il pas des hommes de Lettres comme des Héros ? L’amour de la gloire ne les tranfporte-t-il pas ? les uns veulent conquerir des Provinces & des Royaumes, les autres veulent s’emparer de tous les fuffrages. L’émulation les anime tous également. Elle éleve d’autant plus leurs cœurs & leurs efprits, que leurs Prédeceffeurs fe font élevés au-deffus des autres hommes. Quelque objet que puiffe avoir l’émulation, telle eft la fource, elle eft l’ame des fuccès ; Nous lui devons les plus grands hommes & la perfection des plus beaux Arts ; mais votre établiffement n’eft-il pas le chef-d’œuvre de l’émulation ? Ce fut elle qui fçut infpirer au fameux Cardinal de RICHELIEU, le deffein de former cette illuftre Académie. Pour nous en convaincre, MESSIEURS, il fuffit de rappeler ici les premiers traits de votre Hiftoire.

 

Ce grand Miniftre, dont le vafte génie embraffoit tout, faififfoit tout, prévoyoit tout, apprit avec des tranfports de joie, qu’un nombre choifi d’illuftres Amis, que vous regardez ici comme vos premiers Ancêtres, formoient entr’eux cette aimable & utile Societé, appellée par votre Hiftorien l’âge d’or de l’Académie ; qu’ils s’affembloient pour fe communiquer leurs ouvrages, pour fe confulter, pour fe corriger mutuellement ; qu’enfin ils avoient pour objet de porter notre langue à fon point de perfection.

 

Il prévit quels effets, ou plûtôt quelles merveilles on devoit attendre d’un fi doux commerce d’efprit, de bon goût & d’érudition ; & il ne laiffa point échapper cette heureufe occafion de fignaler fon zéle pour la gloire d’un Etat que fa politique profonde, fes vûes élevées, fa fermeté, fon courage, fa dextérité, fon expérience, maîtreffe des évenemens avoient rendu fi puiffant & fi redoutable.

 

Un génie médiocre eût dédaigné de fufpendre fes graves occupations, pour jetter un inftant les yeux fur cette Académie naiffante. Il eût crû dégrader l’homme d’État, en le faifant defcendre jufqu’aux hommes de Lettres ; mais ARMAND, le grand ARMAND, qui ne pouvoit méconnoître la véritable gloire, fentir d’abord qu’il s’alloit couvrir d’une gloire immortelle, s’il protegeoit ceux qui en font les difpenfateurs.

 

Mecéne fi fouvent, fi délicatement célebré par les plus beaux efprits du fameux fiécle d’Augufte, lui parut un modéle digne d’être imité. L’émulation le rendit un nouveau MECENE ; & fi celui de Rome eft entré le premier dans le Temple de Mémoire, celui de la France y occupe une place encore plus glorieufe, que la jufte reconnoiffance de vos Prédeceffeurs, & que la vôtre, qui ne fe laffe jamais d’éclatter, lui ont confacrée pour tous les fiécles.

 

Peu content d’avoir médité, formé, affermi votre établiffement, il vouloit le rendre auffi utile à l’Académie, qu’il le trouvoit utile à la France. Inftruit qu’il étoit parmi les exemples anciens & nouveaux, que les Mufes dédaignent de courir après la Fortune, & qu’elle fe fait un plaifir cruel de les punir de leurs mépris ; il fe propofoit enfin de les réconcilier, & de fixer la Fortune dans le fanctaire des Mufes.

 

La mort prévint l’exécution d’un projet fi glorieux & fi nouveau, conçû par un homme extraordinaire, qui n’imaginoit rien qu’il n’exécutât, & qui n’exécutoit rien que de merveilleux.

 

Quelle perte pour l’Académie, que celle d’un pareil Fondateur ! Elle crut qu’elle périffoit avec lui, mais elle ne prévoyoit pas fes grandes deftinées.

 

Et quel heureux préfage ne fut-ce point pour elle dans les premiers mouvemens de fa douleur, que de voir un Chancelier de France, dont la mémoire vous fera toujours précieufe, faire fes foins les plus doux & les plus importuns, de raffûrer, de recueillir ce Corps fi célébre, que le plus grand Miniftre qui eût paru jufqu’alors, avoit jugé digne de fa tendreffe & de fa protection ? Le Chef de la Juftice devint le Chef de l’Académie. Quel effet glorieux pour les belles Lettres produifit alors l’émulation !

 

Car il n’eft pas poffible d’en douter, MESSIEURS, ce fut l’exemple du Cardinal de RICHELIEU qui fçut vous procurer un Protecteur fi vénérable. Ce fut l’ambition d’imiter ce grand homme qui fit naître un fecond Fondateur.

 

Eh ! pouvoit-on s’écarter des fentiers qui conduifent à la gloire, en fuivant ceux qu’il avoit tracés avec tant de fuccès ? N’étoit-ce pas au contraire le rendre immortel, que de faire ce qui devoit éternifer fa mémoire ? LOUIS LE GRAND en fut bien perfuadé.

 

Ce Prince, qui faififfoit avec avidité tous les moyens d’égaler, d’effacer même les Héros les plus renommés, ne crut pas avoir fuffifamment affûré fa gloire, par les Conquêtes les plus glorieufes & les plus rapides. Elles le rendoient à la vérité auffi fameux qu’Alexandre & que Céfar, mais le titre de grand Conquérant ne rempliffoit point fon ambition. Il eut celle d’être un fecond Titus, & il devint les délices du Monde. Ce ne fut point affez pour lui.

 

L’exemple d’Augufte parmi les Romains, celui de François I. parmi fes Prédeceffeurs, l’enflammerent de nouveaux defirs.

 

Le premier avoit honoré de fes bienfaits, de fon affection, de fa familiarité, les beaux Efprits qui fe diftinguerent fous fon Empire.

 

Le fecond s’étoit acquis à très-jufte titre, celui de Pere & de Reftaurateur des belles Lettres. Quels modéles à imiter, auroit dit un grand Prince! Quels modéles à furpaffer, dit LOUIS LE GRAND !

 

En effet, MESSIEURS, il les furpaffa. Je ne puis rien dire fur ce fujet, que l’Univers ne doive attefter. LOUIS ne fe borna point à répandre fes graces fur les Sçavans, fur les beaux Efprits qui fe rendirent célébres dans la vafte étendue de fon Empire. Ses bienfaits allerent les chercher, les prévenir, les furprendre, dans tous les Etats de l’Europe ; au milieu même de fes Ennemis. Et pour prouver d’une maniére encore plus fenfible, qu’il regardoit les Sciences & les belles Lettres, comme un objet digne de toute fon eftime ; il fe mit à la tête de ceux qui les cultivoient avec te plus de fuccès & de gloire pour fon Etat. Il fe déclara le Protecteur de l’Académie.

 

C’eft ici, MESSIEURS, que la voix & la force me manquent pour célébrer dignement cette glorieufe Epoque. Mais difons tout en peu de paroles. LOUIS en vous élevant au comble de la gloire, ne travailla jamais mieux pour la fienne. Votre reconnoiffance n’aura de bornes que celle des fiécles. Tant qu’ils dureront, cet Azyle qu’il a confacré aux Mufes, & à leurs plus chers nourriffons dans fon propre Palais, retentira des éloges magnifiques de ce grand Monarque. Vous vous en êtes impofé la loi. Quel gage plus infaillible pouviez-vous lui donner de l’immortalité ?

 

Mais voyez, MESSIEURS, de quels effets glorieux, ce que LOUIS LE GRAND a daigné faire pour vous, doit être fuivi déformais. Tous les grands Princes que le Ciel fera naître pour nous gouverner ; tous les grands Miniftres qui feront les difpenfateurs de leurs graces, fe croiront engagés à vous protéger & à vous chérir. Après l’exemple de LOUIS, fiez-vous-en à l’émulation.

 

Noble émulation dont il n’y a que les grands cœurs qui foient fufceptibles, c’eft à vous que nous fommes redevables de ce merveilleux affemblage de talens fuperieurs, de qualités éminentes, de connoiffances profondes & univerfelles, de Royales Vertus que nous admirons de plus en plus, dans le Prince qui vient de donner à l’Univers un fpectacle étonnant, que l’Hiftoire de notre Monarchie ne fournit point ; celui d’une Régence heureufe & paifible, qui par les refforts fecrets & imperceptiblement d’une politique auffi nouvelle qu’admirable, a réuni tous les Princes, tous les Etats, toutes les Nations en faveur de la France ; Qui a étouffé les femences de haines, de jaloufies, & de divifions ; Qui conciliant les interêts les plus oppofés, femble avoir fait des principales Puiffances de l’Europe, une feule Puiffance, un feul Etat, un feul intérêt. Enfin qui a établi notre repos intérieur & notre union, avec nos Voifins fur des fondemens qui paroiffent fi durables, que nous pouvons nous promettre des jours auffi tranquilles, que ceux dont les Poëtes ont tiffu le fiecle d’or.

 

Et pourquoi ne nous flatterions-nous pas d’un bonheur fi defirable ? Tout nous l’annonce. PHILIPPE prépare à notre jeune Monarque un Regne fi parfait, qu’il fera le modéle des Régnes à venir.

 

Nous devons l’attendre, & nous l’attendons en effet, ce Regne qui mettra le comble au bonheur de vos Peuples, Prince aimable, dont la feule préfence enleve tous les cœurs, & dont la fageffe prématurée perce au-travers des nobles amufemens de votre jeuneffe. Déja l’on voit reluire en vous les beaux effets de l’émulation que vous infpirent les actions, immortelles de vos fameux Prédeceffeurs. Les plus grands d’entre eux vont revivre dans votre Perfonne Augufte. Mais à quelque degré de gloire que vous conduife la jufte ambition d’être encore plus grand qu’ils ne l’ont été, vous n’irez jamais plus loin que les vœux ardens que nous formons pour Vous, & que les hautes efpérances que vous nous faites concevoir.