Discours de réception de Jean-François Leriget de La Faye

Le 16 mars 1730

Jean-François LERIGET de LA FAYE

M. de La Faye, ayant été élu par l’Académie française à la place laissée vacante par la mort de M. de Valincour, y est venu prendre séance le jeudi 16 mars 1730, et a prononcé le discours qui suit :

ÉLOGE DE M. DE VALINCOUR

 

Messieurs,

L’amitié dont plusieurs d’entre vous m’honorent, et qui pourroit seule, en tout autre que moi, faire présumer quelque mérite, m’a valu l’indulgence avec laquelle vous avez daigné me choisir. Comment pourrois-je ne pas sentir toute la grace que vous me faites, et n’être pas pénétré de la reconnoissance la plus respectueuse, quand vous m’accordez la place d’un homme qui possédoit tous les talens que je ne fais qu’aimer, et que je n’ai pas assez cultivés.

Son assiduité à vos assemblées, seul mérite que je lui disputerai, perfectionna en lui un talent aussi nécessaire que le génie même ; je veux dire, l’art de juger, plus rare encore que celui d’écrire, et d’autant plus difficile, que le vulgaire le croit plus aisé.

Ce fut ce goût judicieux et éclairé qui lui fit discerner, dans son ouvrage célèbre, des défauts qui avoient échappé à la délicatesse de la Cour. On lit avec un plaisir toujours nouveau plusieurs de ses ouvrages, dans le seul recueil de vers, dont le choix ait été fait avec quelque sévérité.

Histoire, Éloquence, Poésie, tout étoit du ressort de son génie heureux et facile. À la beauté, à la solidité de son esprit, se joignoient la candeur et la probité. Un homme qui pense toujours juste doit nécessairement avoir de la vertu.

M. de Valincour fut incapable de feindre ou de flatter, et c’est par là qu’il mérita l’honneur d’être choisi par Louis-le-Grand pour écrire les annales d’un règne qui n’avoit besoin que d’un historien fidèle.

Quel autre, mieux que lui, nous eût peint avec le style de la vérité, des faits qui sont autant d’éloges : un Roi toujours occupé de la gloire de sa nation, et la France devenue, comme son maître, l’admiration des étrangers.

Puisse la carrière de son successeur être aussi glorieuse ! Elle a déjà commencé plus heureusement ; il se voit l’arbitre de l’Europe dès les premiers jours de son règne ; l’esprit de religion et de sagesse qui a éclairé son enfance, qui préside à ses conseils, nous assure avec la paix, ces doux loisirs si favorables aux lettres.

Mais ce n’est pas assez qu’elles soient tranquilles ; que leur serviroit ce repos sans la protection dont il les honore ? Si les talens naissent avec les hommes, les regards du souverain peuvent seuls les faire éclore. Il a fallu des Princes tels que Léon X, pour rendre à l’Italie le siècle d’Auguste ; et qu’étions-nous avant François 1er ?

Toute notre politesse consistoit à imiter le goût romanesque que les Maures avoient introduit en Espagne ; la science des magistrats, et même du clergé, se bornoit à parler une langue barbare, qu’ils croyoient être celle des Latins. La noblesse faisoit gloire d’une ignorance profonde, ses fêtes et ses plaisirs n’avoient rien que de grossier, et la vivacité qui brille aujourd’hui dans nos écrits, n’étoit alors que dans nos manières.

Ce Roi, le père des lettres, et de la politesse, ouvrit la carrière des Arts, des Sciences, jusqu’alors fermée ; mais la plupart de ceux qui y entrèrent n’étoient encore que savans, il leur manquoit de parler notre langue.

Les lettres ne furent naturalisées Françoises que par le grand Cardinal votre fondateur, dont la politique supérieure aux obstacles, imagina, exécuta tout ce qui pouvoit contribuer à la gloire de la France. L’illustre Séguier soutint cet ouvrage, et il fut porté à son comble par Louis XIV, sous qui tout étoit destiné à devenir parfait.

Cette perfection Messieurs, au moins en ce qui regarde l’esprit, c’est vous qui y avez conduit les François ; c’est vous qui avez assigné à chaque genre d’écrire son style et ses bienséances.

L’histoire vous doit sa noble simplicité ; l’éloquence, débarrassée de citations et d’hyperboles, se renferme à toucher et à convaincre ; la Poésie reçoit ses ornemens de la raison, et n’en est que plus belle.

Qu’il me soit permis de célébrer une propriété que vous aves assurée à notre langue. C’est cet ordre naturel et clair, dans lequel elle nous présente les idées ; avantage qu’elle a peut-être sur des langues célèbres, qui font acheter par quelque contention d’esprit, les agrémens qu’elles ont d’ailleurs.

À quelles sciences, à quelles recherches, ne suffit-elle pas ? De ces deux compagnies qui ont mérité comme vous l’honneur d’être admises dans l’enceinte de ce Palais, l’une éclaircit avec toute la politesse du style, ce que la littérature et la critique ont de plus obscur.

Avec quelle facilité dans l’autre, le Géomètre démontre-t-il en François ses laborieuses, ses utiles découvertes ? L’Astronome nous en dévoile les cieux avec plus de clarté ; le Physicien, le Naturaliste, jusques dans les moindres détails, conservent une élégance lumineuse.

Grace à la langue Françoise qui, par vos soins, est devenue la langue de la raison, toutes ces sciences, autrefois si rebutantes, nous deviennent de jour en jour plus familières ; vous y avez tous contribué, Messieurs ; plusieurs de vous réunissent ces connoissances, et tel, qui par d’autres talens s’est rendu célèbre, a osé inventer l’art d’y répandre des graces.

Et ce changement, Messieurs, que vous avez apporté dans les lettres, ne croyez pas qu’il soit borné à la France. Tant d’ouvrages sortis du sein de l’Académie, après avoir poli cette nation, servent à l’instruction des autres.

Je les ai vus ces ouvrages, avec la joie que l’amour de la patrie donne à un François, chez les peuples les plus éclairés de l’Europe, faire leur étude indispensable et leur admiration unanime ; plus ils se polissent, plus ils goûtent vos écrits, et nous sommes pour eux, j’ose le dire, ce que les Grecs furent un temps pour les Romains.

Que l’envie et l’ignorance souffrent donc ces justes louanges que votre usage décerne aux grands hommes qui ont protégé et illustré cette compagnie. Les éloges que vous donnez, semblables à ces monumens que l’antiquité consacroit à la mémoire des hommes illustres, pour célébrer et encourager les vertus et les talens, sont le plus digne hommage que vous puissiez rendre à vos bienfaiteurs, et qui pourroit le rendre aussi dignement que vous ?