Cérémonies commémoratives du séjour de Bossuet à Metz

Le 22 mai 1921

Maurice BARRÈS

ACADÉMIE FRANÇAISE

CÉRÉMONIES COMMÉMORATIVES
DU SÉJOUR DE BOSSUET À METZ

Le Dimanche 22 mai 1921

DISCOURS

DE

M. MAURICE BARRÈS
DÉLÉGUÉ DE L’ACADÉMIE FRANÇAISE

 

MESSIEURS.

Ce matin, avec la plus haute éloquence, l’Église a réinstallé Bossuet dans la cathédrale dont il fut le chanoine ; ce soir, elle commémorera son génie dans la chaire même où il le faisait retentir, et maintenant l’Université vient saluer et commenter cette rentrée du plus illustre de nos orateurs sacrés, qui est en même temps un poète d’une incomparable majesté, dans la vieille cité mosellane. Tel est le double caractère, religieux et laïque, des solennités nationales dont l’Académie de Metz et le groupe messin des Conférences ont pris l’initiative et qu’ils ont voulu placer sous la présidence de l’Académie française et de l’Académie des sciences morales et politiques.

L’Académie française, profondément heureuse de prendre part à cette victorieuse renaissance de l’esprit français sur les frontières de notre patrie reconstituée, m’a fait l’honneur de me désigner pour la représenter dans ces cérémonies auxquelles l’intelligence doit attacher un sens profond. En son nom, je salue l’élite messine, tous ces nobles esprits et « les dames de Metz » qui, sous l’occupation allemande, maintinrent le souvenir et l’espérance et tout le riche trésor amassé dans la langue. Et je saisis cette première occasion de proclamer le service que rendit, au cours des années malheureuses, le groupe messin des Conférences, dont Thiria était l’âme, quand il faisait entendre dans Metz les Georges Ducrocq, les André Hallays, les Louis Madelin, les Henry Bordeaux, les Louis Bertrand, les André Michel, les Émile Hinzelin, les Henry Houssaye, les André Beaunier, les Louis Marin. J’en oublie. Metz les garde tous dans son cœur et dans ses archives d’honneur.

Je vais donner la parole à l’éminent professeur de la Sorbonne, M. Fortunat Strowski, qui, citoyen français, tient par ses racines à la Pologne amie de la France. Ayant consacré sa vie à l’étude de François de Sales, de Montesquieu, de Montaigne et surtout de Pascal, M. Strowski convient comme nul autre de nos maîtres pour montrer à Metz ce que notre Université sait extraire d’enseignement vivant, je veux dire utile à la vie, de l’approfondissement des grandes forces du passé. Ensuite, nous entendrons mon savant confrère de l’Académie des sciences morales et politiques, M. Alfred Rébelliau, l’homme de France qui connaît Bossuet avec l’érudition la plus complète et la plus sûre. Avec érudition et avec esprit ! Vous savez de quelle jolie manière ce travailleur austère a raconté le rôle d’agitateur français tenu par Bossuet dans Metz, qui se souvenait encore du Saint-Empire.

Mais, tout d’abord, qu’il me soit permis d’évoquer avec un grand nombre d’entre vous la mémoire du jour où pour la dernière fois en public, nous nous étions réunis et où nous avions lancé le c’non po to jo, ce n’est pas pour toujours.

C’était au temps de la captivité. En août 1911, j’étais venu à Metz pour visiter les tombes et honorer les défenseurs de 1870. À la sortie de la vieille église Notre-Dame, où nous avions entendu la messe des morts, un mot d’ordre courut secrètement la ville, et le soir nous nous retrouvions dans la salle de la Cigogne pleine d’amis. Le chanoine Collin, de la cathédrale de Metz, le pasteur Gérold, du Consistoire de Strasbourg et moi, député de Paris, nous prîmes la parole tour à tour pour affirmer dans un étroit accord la certitude qu’un jour viendrait la délivrance, unanimement réclamée par tous les cœurs de France. Puis, après cette brûlante manifestation d’union sacrée, nous prolongeâmes tard la soirée à nous réciter les plus beaux vers de nos plus grands poètes, de Corneille et de Racine à Verlaine et à Déroulède, afin de faire rentrer dans Metz autant que nous pourrions de spiritualité française.

Depuis lors, nous nous sommes tous revus, le jour du triomphe, quand la Mute sonnait la victoire et que les acclamations de la nation lorraine portaient le maréchal Pétain et ses soldats, de la porte Serpenoise à la cathédrale, par l’hôtel de ville. .En vingt siècles, Metz n’a rien vu d’aussi beau. Nous sommes les Lorrains les plus heureux qui aient jamais existé, puisqu’il nous fut donné de connaître cette revanche du Droit. Mais, si décisive que fût cette souveraine journée de la rentrée des troupes, elle ne suffisait pas à elle seule pour réparer cinquante années de submersion. Il restait à déblayer le terrain, à dégager toutes les forces indigènes, à épurer le pays, à rétablir ses relations intimes avec la mère patrie. Il restait, comme nous l’avions bien senti dans cette soirée d’août 1911, à ramener dans Metz toute la beauté française.

Ce n’est pas seulement notre puissance politique et militaire, mais encore nos mœurs, notre langue, nos traditions, tout notre génie qui, durant un demi-siècle, ont été poursuivis et proscrits avec acharnement par l’Allemagne. De là l’exacte nécessité des cérémonies d’aujourd’hui. Aujourd’hui, l’Église catholique, l’Université de France et, l’Académie française viennent derrière nos soldats et le gouvernement, comme dans une troisième rentrée solennelle, réoccuper le terrain qui avait été perdu par les armes et par l’esprit. Ce que nous accomplissons sur l’appel de la population de Metz demeurera comme une des dates de la reprise française, Quand nous restaurons ici la gloire de Bossuet, nul intellectuel à travers les peuples qui ne comprenne que nous restituons ainsi, à la vieille cité catholique et gallo-romaine, sa physionomie éternelle et que c’est la France, avec tous ses titres et tous ses attraits, qui achève de reprendre sa place sur la Moselle, aux extrémités du monde latin.