Réponse au discours de réception d’Alexandre Dumas fils

Le 11 février 1875

Joseph d’HAUSSONVILLE

RÉPONSE DE M. D'HAUSSONVILLE
Directeur de l'Académie française

AU DISCOURS DE M. Alexandre DUMAS

prononcé dans la séance du 11 février 1875

 

Monsieur,

J’ai tout d’abord été un peu effrayé de l’honneur qui m’est échu de vous recevoir, et votre discours ne laisse pas que d’ajouter à mon embarras. Entendons-nous. La difficulté n’est pas de vous louer. S’il ne s’agissait que de vous souhaiter la bienvenue, je serais assuré d’être le fidèle interprète de tous mes confrères. S’il suffisait d’énumérer vos titres à nos suffrages, je pourrais compter sur l’approbation de ce public d’élite qui se presse si nombreux dans cette enceinte, afin de connaître l’auteur de tant d’œuvres saluées, chaque soir, de ses plus vifs applaudissements. Mon inquiétude vient d’ailleurs, et je vous en avouerai la cause. Vos romans, vos pièces de théâtre, vos moindres brochures, tout ce qu’il vous a plu d’écrire est trop connu, trop présent à la mémoire et trop goûté. Voilà ce qui me gêne. Comment n’envierais-je pas un peu ceux de mes prédécesseurs qui, ayant à recevoir, de la place que j’occupe en ce moment, quelque nouveau confrère, ont pu se flatter qu’ils allaient, pour la première fois, mettre en lumière des agréments inconnus de leur auditoire, et, qui sait ? du récipiendaire lui-même ?

Avec vous il ne faut pas compter, Monsieur, sur une pareille bonne fortune. Le public a pris tant de goût à vos œuvres qu’il vous sait gré de lui servir au théâtre les mêmes situations qui l’ont déjà intéressé dans vos romans. Vos personnages sont devenus pour lui des connaissances intimes. Les titres de quelques-unes de vos pièces ont passé couramment dans la langue commune. Il y a des passages entiers de vos comédies que, du parterre et des loges, les spectateurs pourraient, au besoin, souffler aux acteurs. On ne vous cite pas seulement de mémoire, on vous discute aussi beaucoup, ce qui est un autre signe du succès. Vos premières représentations ont toujours eu le don d’exciter singulièrement les esprits. Elles ont ouvert le champ à toutes sortes de controverses. En rendant compte de vos ouvrages, avec une compétence qui ne m’appartiendra jamais, nos critiques les plus fins n’ont pas manqué d’agiter entre eux toutes les questions qui se rattachent à l’art dramatique. La mêlée a été chaude autant que brillante. Vous-même, Monsieur, n’avez pas hésité à descendre dans l’arène, non pas, tant s’en faut, pour accourir à votre propre défense. Outre qu’il n’en était pas besoin, c’était le moindre de vos soucis. Les préfaces mises en tête de vos pièces, et qui font désormais corps avec elles, n’ont rien qui ressemble à des plaidoyers d’auteur. On dirait plutôt que, pour écarter tout soupçon de flatterie, vous avez voulu le prendre d’un peu haut avec vos lecteurs. Vous n’entendez évidemment rompre de lances que pour les idées qui vous sont chères et pour les thèses dont l’excellence ne fait pas doute à vos yeux.

Personne n’a donc été étonné tout à l’heure, lorsque, à l’occasion du Cid d’Andalousie, vous n’avez pas hésité à aborder de plain-pied les questions si graves et si délicates qui se rattachent au théâtre. Il vous appartenait de parler avec aisance des chefs-d’œuvre légués au théâtre par les génies de tous les siècles et de faire converser familièrement devant nous Richelieu avec Corneille. Quand vous prononcez, presque de pair à compagnon, les noms de Molière, de Regnard, de Le Sage, celui de Beaumarchais, avec lequel il serait facile de vous découvrir plus d’une ressemblance, on sent que vous êtes sur votre terrain, dans votre propre maison, j’allais dire, en famille. On vous connaissait, Monsieur, le don de l’heureuse invention, de la mise en relief saisissante, du dialogue vif et serré ; vous venez de prouver que vous possédez également ce que j’appellerais volontiers, si l’expression n’était pas tant soit peu contradictoire, le génie même du métier.

Il est vraiment dommage que la réplique ne vous soit pas donnée par quelques-uns de mes confrères versés, comme vous, dans les choses du théâtre, habitués à partager avec vous les applaudissements de la foule, et qui sont, à la fois, vos émules les plus brillants et vos meilleurs amis. Combien il aurait été intéressant de les entendre vous contester peut-être le droit que vous réclamez pour l’art dramatique de ne reconnaître aucune limite ! Vous vous plaignez du rôle trop considérable attribué aux femmes sur le théâtre moderne, particulièrement en France. Je doute qu’elles soient de votre avis. Si leur goût avait été consulté, je pourrais presque nommer les champions déjà éprouvés qu’elles auraient désignés pour défendre leur cause. Puisque le sort les a si mal servies, il faut qu’elles se résignent. J’ai moi-même besoin de quelque abnégation pour oser aborder, après vous, des sujets pour lesquels je me sens mal préparé. Vous êtes parti le premier; vous avez choisi votre voie ; je suis tenu de vous y suivre. Il me faut, à mes risques et périls, me hasarder par les chemins que vous venez de parcourir en triomphateur. Pas moyen de reculer. Le plus sûr est de m’exécuter bravement ; et, pour me donner courage, l’envie me prend, Monsieur, de commencer par vous contredire un peu.

Vous venez de vous accuser d’avoir, pour ouvrir la porte de cette enceinte, usé de sortilège et de magie. Vous semblez croire que vous nous avez, pour ainsi dire, forcé la main en vous plaçant sous le patronage tout-puissant du nom que vous portez et qui vous aurait aidé, comme un bon génie, à triompher de tous les obstacles. Notre compagnie, qui vit de traditions, éprouve, en effet, une véritable joie quand elle a le bonheur de rencontrer l’hérédité dans le talent. Elle a donc été heureuse d’honorer dans votre personne une mémoire dont vous êtes justement fier. Croyez-le bien, toutefois, le véritable magicien, c’est encore vous. Nous ne nous sentions d’ailleurs aucun tort à expier envers l’auteur d’Antony, des Trois Mousquetaires et de Mademoiselle de Belle-Isle. Ce n’est pas nous qui l’avons oublié. Nos règlements, dont vous avez reconnu la sagesse puisque vous vous y êtes soumis, nous interdisent d’apporter nos suffrages à quiconque n’a pas témoigné par écrit le désir de nous appartenir. Votre illustre père les aurait sans doute obtenus s’il les avait demandés. À l’exemple de Balzac, de Béranger, de Lamennais et de tant d’autres, pour ne parler que des morts, il a préféré demeurer ce que vous appelez quelque part « un académicien du dehors ». Pour vous, Monsieur, au premier signe que vous avez fait, nous avons eu hâte de vous admettre au dedans, et nous nous en réjouissons.

J’ignore dans quelle mesure vous avez pu, au temps de votre première jeunesse, vous inspirer des œuvres de votre père. La critique littéraire, dont l’indiscrétion est sans limites, s’appliquera probablement un jour à vous comparer tous deux, et peut-être à vous opposer l’un à l’autre. À Dieu ne plaise que je devance ses jugements ! Si par hasard le goût des comparaisons classiques était alors redevenu à la mode, je m’imagine que, pour donner une idée du talent de votre père, on le représentera volontiers comme l’un de ces fleuves puissants, aux larges rives, à la course vagabonde, coulant à pleins bords avec une force exubérante, toujours prompts à passer pardessus leurs digues et à tout inonder autour d’eux, mais charriant des parcelles d’or dans leurs ondes un peu mêlées. Les juges compétents remarqueront, au contraire, avec quel soin vous avez de très-bonne heure veillé sur le trésor des dons qui vous ont été si largement départis. À cette heure difficile où le tapage de vos vingt ans devait bruire si fort à vos oreilles, vous avez su écouter la voix secrète de la muse que vous sentiez en vous. Elle vous priait de la respecter et de ne pas dévorer en un jour toutes les promesses de l’avenir. C’est elle qui vous a enseigné à gouverner votre talent ; c’est à elle que vous devez d’avoir résisté à la tentation d’exploiter vos succès au profit de vos plaisirs et de battre immédiatement monnaie avec vos premiers triomphes.

Quel n’en a pas été l’éclat ! C’était aux environs de 1845. Les feuilles de votre premier roman, la Dame aux Camélias, n’avaient pas encore eu le temps de sécher à l’imprimerie, que M. Jules Janin revendiquait le plaisir de se faire, auprès du public, I’introducteur de la seconde édition : « Le fils d’Alexandre Dumas, à peine échappé du collége, marche déjà d’un pas sûr, écrivait-il, dans la trace brillante de son père. Il en a la vivacité et l’émotion intérieure ; il en a le style vif et rapide, avec un peu de ce dialogue si naturel, si facile, si varié, qui donne aux romans de ce grand inventeur le charme, le goût et l’accent de la comédie. » Il y avait comme une sorte de prophétie dans le jugement de celui qu’on appelait alors, si je m’en souviens bien le prince de la critique théâtrale. Ses éloges vous conviaient à tenter les hasards de la scène, et c’était bien là, en effet votre véritable vocation. Vous l’avez prouvé lorsque, pour votre coup d’essai, vous avez transporté précisément sur les planches le sujet de la Dame aux Camélias Ce jour-là, est-ce par droit de naissance ou par droit de conquête ? vous vous êtes emparé du théâtre. Les batailles que vous y avez livrées ont toutes tourné à votre honneur. C’est pourquoi je ne pense pas vous être désagréable en reportant vos souvenirs vers quelques-unes de ces journées. Si je réussissais à rapprocher vos œuvres des idées générales dont vous venez d’entretenir cet auditoire, peut-être me serait-il donné de lui faire ainsi mieux saisir et apprécier les faces multiples de votre talent. J’en profiterai, si vous le permettez, pour vous soumettre, chemin faisant, de légers doutes qui se sont élevés dans mon esprit sur quelques points où nous ne tombons pas tout à fait d’accord.

Allons droit à ces divergences. Ne vous êtes-vous pas trompé, Monsieur, lorsque, posant M. Lebrun en accusateur, et vous-même en accusé, vous avez cru que les louanges si délicates et si justes adressées à l’auteur du Mariage d’Olympe contenaient une leçon indirecte pour l’auteur de la Dame aux Camélias ? II y a méprise de votre part. Les paroles prononcées à la réception de M. Augier ne vous visaient pas. En voulez-vous la preuve ? Au sein de la commission instituée pour décerner une récompense nationale à l’auteur d’une œuvre dramatique « remplissant toutes les conditions désirables d’un but honnête et d’une exécution brillante » (ce sont les termes du décret impérial), M. Lebrun s’est constitué le plus chaleureux de vos avocats. ll n’a pas tenu à lui que vous ne fussiez, en 1856, le lauréat proposé par les juges officiellement chargés de désigner à la bienveillance du souverain le poëte dramatique le plus moral de son temps. Consciencieux, comme vous nous l’avez si bien dépeint, votre prédécesseur se serait bien gardé de venir, deux ans plus tard, jeter publiquement là première pierre au candidat récemment honoré de ses préférences. Il est vrai que le concours n’a pas abouti. Le prix ne fut pas adjugé. Toujours est-il, qu’aux yeux de M. Lebrun, vous en étiez le plus digne. Laissez-moi donc vous rappeler, dût votre modestie en être embarrassée, que ce n’est pas sa faute si vous n’avez pas été couronné ailleurs pour votre vertu avant de l’être ici pour votre talent.

Rassurez-vous, il ne s’agit pas de vous faire subir un nouvel examen. Je n’en ai nulle envie, et, s’il faut parler net, je ne me sens pas plus de droit à vous octroyer pareil diplôme, que vous ne vous sentez probablement de goût à le recevoir de mes mains. Pour mon compte, je vais plus loin. Je me surprends à douter que l’Académie française ait qualité, je ne dis pas pour distribuer des prix de vertu, c’est une mission qui nous a été confiée par la générosité de M. de Montyon et dont nous tâchons de nous tirer de notre mieux, mais pour distribuer ces prix de vertu aux auteurs dramatiques. Qu’il y ait incompatibilité absolue d’humeur entre le théâtre et la morale, je ne le prétends pas non plus. Peut-être pourrait-on les comparer à l’un de ces ménages dont aucun tribunal n’a` prononcé la séparation, bien que, par un accord tacite, le mari et la femme vivent chacun de leur côté et affectent de ne pas se connaître. Je suis un peu comme les gens du monde qui savent gré aux couples mal assortis du soin qu’ils prennent de dissimuler leurs querelles. En fait de morale dramatique, je ne me sens d’ailleurs nullement porté à la sévérité. Je ne redoute pas, sur la scène, ceux qui se proclament, comme vous venez de le faire, des révolutionnaires et prennent pour devise le mot que Danton appliquait à la politique. Je suis disposé à leur passer beaucoup d’audace parce que je suis décidé à leur concéder beaucoup de liberté. Volontiers je leur accorderai que leur art ne reconnaît pas de limites si, d’eux-mêmes, ils veulent bien circonscrire un peu leur domaine. À la seule condition qu’ils ne se plaisent pas à braver les prescriptions du bon sens et les exigences du bon goût, je les verrai sans déplaisir s’affranchir des règles factices et renverser les barrières de convention.

Je reconnais avec vous, Monsieur, que la position des auteurs comiques est particulièrement difficile, et vous avez raison de solliciter pour eux l’appui des honnêtes gens. Comme les peintres, comme les sculpteurs, ce sont des artistes qui entreprennent de représenter la nature humaine telle qu’elle apparaît à leurs yeux, mais le malheur veut qu’il leur faille vivre au milieu de leurs modèles, le plus souvent assez mal satisfaits d’une trop exacte ressemblance. Avez-vous jamais rencontré des femmes qui, mises en face de leur photographie, ne se soient, avec raison, trouvées fort enlaidies ? D’ordinaire elles jugent assez peu gracieuse la pose qui leur a été donnée, ou plutôt, qu’elles ont choisie : rien à leur répondre. Mais à celles qui jetteraient les hauts cris parce qu’elles ont été représentées trop décolletées, il est permis de rappeler qu’elles ne doivent s’en prendre qu’à elles-mêmes. Ne serait-ce point là, Monsieur, à peu de chose près, la situation de notre société moderne à l’égard des auteurs comiques ?

Vous êtes, suivant moi, dans le vrai, lorsque vous revendiquez pour eux le droit de choisir le sujet de leurs compositions et celui de peindre leurs personnages d’après nature, tels qu’ils les voient. Cette liberté, Monsieur, vous en avez usé à vos débuts avec une certaine hardiesse. Je ne vous en blâme pas. Je ne sens même pas le besoin d’appeler à mon secours le souvenir des comédies de Térence ou des dialogues de Lucien pour vous absoudre du reproche d’avoir introduit la courtisane au théâtre. Aussi bien, vous n’avez guère songé à ces modèles classiques. Vous vous êtes inspiré du spectacle des mœurs que vous aviez autour de vous ; vous vous êtes servi un peu de vos souvenirs et beaucoup de votre imagination, quand vous avez créé le drame de la Dame aux Camélias. Admise par les uns, contestée par d’autres, touchante pour tous, Marguerite Gauthier, après avoir fait courir la France entière, a bientôt commencé son tour d’Europe. Elle a voyagé, tantôt à visage découvert sous son propre nom, tantôt sous le masque d’une étrangère, accompagnée et comme fêtée par la charmante musique de l’un des plus habiles compositeurs de notre temps. On ne lui a nulle part tenu rigueur. Nouvelle Manon Lescaut, elle n’a rencontré partout que des chevaliers des Grieux. Ah ! si vous aviez prétendu l’offrir comme un exemple, si vous nous aviez demandé non pas seulement de la plaindre, mais de l’admirer, j’aurais eu plus d’une réserve à exprimer. L’amour vénal ne mérite pas qu’on fasse pour lui des frais de réhabilitation, encore moins qu’on lui décerne une sorte d’apothéose, à laquelle vous ne semblez pas avoir sérieusement songé. Provoquer, à force d’habileté, l’intérêt des spectateurs en faveur d’une jeune femme dégradée de bonne heure, alors qu’elle avait à peine conscience de son avilissement, et qui le rachète par le repentir, par la souffrance, par la mort, c’est, pour un auteur dramatique, le plus légitime emploi des ressources de son art. Est-il juste d’aller, comme vous l’avez fait tout à l’heure, jusqu’à mettre sur le même pied Marguerite Gauthier et Marie Stuart ? Je ne saurais vous suivre aussi loin. À supposer que la reine d’Écosse ait été coupable des égarements de conduite mis à sa charge par ses ennemis et que l’histoire ne considère pas comme suffisamment prouvés, une distance infranchissable les séparerait encore. La naissance ou la fortune n’ont rien à voir ici. C’est à bon droit que, dans son verdict définitif, le public se montre indulgent ou sévère, suivant qui à l’origine de la faute il rencontre les entraînements de la passion ou les calculs de l’intérêt. Mais je m’arrête. À quoi bon insister? Vous avez prouvé que vous étiez vous-même de mon avis en vous hâtant de prendre congé de ces divinités de hasard, dont les faveurs se payent comptant, et vous avez vite compris que ce serait peine perdue de semer sur cette fange toutes les perles de votre écrin.

La Dame aux Camélias attirait encore la foule que déjà vous aviez achevé Diane de Lys. Je rapproche ces deux pièces parce qu’elles me semblent constituer ce qu’on pourrait appeler votre première manière. Depuis, vous avez paru en adopter une autre. Entre elles je n’ai garde d’indiquer aucune préférence. Je me borne à constater que tout coule de source dans ces créations de votre jeunesse. Les données ,en sont très-simples. Leur allure est naturelle, franche, rapide. Nul apprêt ; point dé parti pris. On n’y rencontre pas de thèses obstinément soutenues pendant cinq actes. Dans le drame de Diane de Lys, l’intérêt s’attache exclusivement aux personnages. On dirait que vous Ies avez imaginés, et que vous les faites agir et parler pour votre propre plaisir. Vous leur avez prêté cette langue à la fois familière et acérée qui est demeurée l’un de vos secrets. Les mots heureux qu’avec votre profusion ordinaire vous avez mis dans leur bouche ne sont pas de fantaisie ; ils servent, le plus souvent, à résumer leur caractère. À peine, en cherchant bien, pourrait-on découvrir les indices de quelque intention secrète. Vous nous montrez le sculpteur Taupin profondément découragé, médisant de lui-même et de son art, entravé, dans sa carrière d’artiste, parce qu’il a eu la faiblesse, au début de la vie, de choisir dans les bas-fonds une épouse indigne de lui. Paul, le peintre de génie, jette au loin ses pinceaux, et rencontre une mort prématurée parce qu’il a eu le malheur de s’éprendre d’une dame du monde. Qu’est-ce à dire ? Serais-je sur la voie, en supposant qu’il y a là comme un acte d’hostilité anticipée, une sorte d’escarmouche d’avant-garde annonçant la campagne que vous avez depuis si résolument menée contre l’influence fâcheuse des femmes ? Dans la Dame aux Camélias, dans Diane de Lys, vous ne semblez pas toutefois avoir songé à vous ériger en censeur des mœurs de votre temps. Vous vous contentez de les observer de près, de les peindre vivement, sans répugnance, au moins apparente, et sans blâme formellement exprimé. Il en est autrement de votre pièce du Demi-Monde.

Vous avez fait là, Monsieur, une véritable découverte ; non pas, à dire vrai, que cette terre soit restée jusqu’à vous parfaitement inconnue. Avant le jour où vous y avez abordé, elle flottait comme une île mouvante dont les bords, du reste, n’ont rien d’escarpé. Vous avez si bien déterminé sa place sur la carte, vous nous en avez donné une description géographique si exacte, vous en avez pris si complètement possession qu’elle semble ne plus devoir porter désormais d’autre nom que celui dont vous l’avez baptisé. C’est une œuvre qui restera. Au lieu de mon jugement, voulez-vous connaître celui qu’en a porté M. Sainte-Beuve ? Voici ce que je trouve consigné au Moniteur officiel à propos du Demi-Monde, par ce maître des élégances, qui, d’ailleurs, n’a pas beaucoup parlé des choses de théâtre : « Ample justice doit être rendue à cette dernière pièce, à ces quatre premiers actes surtout, si nets d’allures et de langage, coupés dans le vif, semés de mots piquants ou acérés Dans cette scène parfaite entre Raymond et Ollivier chez Mme Vernières, il y a une leçon en même temps qu’une définition, leçon donnée sur place au cœur du camp ennemi, de la façon la plus neuve, la plus insultante et qui se ressent le mieux. Ce panier de pêches a fait fortune dès le premier jour, il a fait le tour de la société. Et le mérite de cette scène n’est pas seulement dans un ou deux jolis traits que l’on en peut détacher, il consiste aussi dans un jet qui recommence et redouble à plusieurs reprises, toujours avec un nouveau bonheur et une fertilité d’images, une verve d’expressions comme il s’en rencontre chez les bons comiques. C’est une de ces scènes, enfin, qui justifient cette définition de la bonne comédie, qu’elle est l’œuvre du démon, c’est-à-dire du génie de la raillerie et du rire. »

Vous pouvez accepter, Monsieur, ces louanges pleines d’autorité. Celles que je pourrais y ajouter n’auraient plus guère de prix pour vous. Je me borne à remarquer que le censeur n’apparaît pas encore bien sévère dans cette pièce du Demi-Monde. Avec un très-juste sentiment de la mesure et selon la méthode des médecins qui proportionnent prudemment la force de leurs remèdes à la faiblesse de leurs malades vous n’avez prêché qu’une demi-morale aux habitués de la baronne d’Ange. Vous avez si bien senti qu’une femme honnête ne serait pas à sa place dans une pareille atmosphère que vous vous êtes refusé à l’y laisser pénétrer, fût-ce pour un instant. Le principal personnage de votre pièce se bat avec son meilleur ami, à la seule fin d’empêcher que la personne dont il est secrètement aimé et qu’il respecte ne soit compromise par un aussi fâcheux contact.

Le champ de vos observations s’élargit singulièrement, lorsque vous abordez les sujets traités dans la Question d’argent, le Fils naturel, un Père prodigue et l’Ami des femmes. Il est impossible de se mouvoir avec plus d’aisance que vous ne l’avez fait au sein de ces milieux nouveaux. Quelle injuste accusation de reprocher à vos pièces de manquer de morale ! Je dirais plutôt que la morale y déborde. Vous y dénoncez non-seulement les vices, mais les penchants mauvais de la nature humaine avec l’ironie la plus amère et les traits les plus sanglants. Votre intention ne reste d’ailleurs jamais douteuse. On aperçoit tout d’abord, et fort clairement, à quel travers vous en voulez et quelle thèse particulière il vous plaît de soutenir. On pourrait, si vous ne le faisiez parfois vous-même, citer l’article du code dont vous poursuivez la révision. Dans les pièces que je viens de citer, vous n’avez pas fait difficulté d’admettre des individus pris dans toutes les sociétés, et vous avez consenti à y introduire des honnêtes gens, voire même des honnêtes femmes. N’avez-vous pas remarqué, Monsieur, vous qui vous rendez si bien compte des difficultés de votre art, à quel point il est malaisé de représenter sur la scène comique, en pleine lumière et en chair et en os, ces deux êtres sans prix, devant lesquels il faut s’incliner quand on les rencontre, je veux dire : le parfait galant homme et la véritable honnête femme ?

Si par hasard vous y aviez éprouvé quelque embarras, il serait injuste de s’en étonner. La tentative a toujours été jugée si périlleuse que peu d’auteurs ont osé I’aborder de front. Je ne vois guère que Sedaine, dans le Philosophe sans le savoir, qui, à force d’ingénieux procédés et d’habiles jeux de scène, ait mené l’entreprise à bien. Ni Molière, ni Regnard, ni leurs successeurs immédiats, ne se sont risqués à prendre un honnête homme ou une honnête femme pour personnages principaux, servant de centre d’action à leurs comédies. Dans le Misanthrope, dans l’École des Femmes, dans les Femmes savantes, Philinte, Ariste, Cléante ne font, pour ainsi dire, que traverser l’action, à laquelle ils ne sont point directement mêlés. Il en est à peu près de même d’Elmire et d’Henriette. Toutes ces figures esquissées d’un crayon si sûr de lui-même, mais si léger, nous sont montrées de profil plutôt que de face. C’est affaire d’art, mais c’était aussi prudence de la part de nos vieux auteurs. Il suffit, en effet, de quelques paroles, d’un seul mot, quelquefois d’un geste de l’acteur, pour indiquer tout d’abord au parterre les vices ou les ridicules dénoncés son mépris. Il n’est pas aussi aisé de proposer l’honnêteté à son admiration ; celle des femmes est particulièrement scabreuse à mettre en scène. Au théâtre pas plus qu’ailleurs, je dirai même, au théâtre moins qu’ailleurs, les tirades sur la vertu ne prouvent rien en faveur de celles qui les prononcent. Elles mettent plutôt le spectateur en défiance. Voyez toutefois la singularité ! Nous ne nous sentons pas portés à tenir pour suspecte la moralité de ces femmes du vieux répertoire que nous n’avons guère fait qu’entrevoir, qui parlent si peu d’elles-mêmes, si librement de toutes choses. L’idée ne nous vient pas qu’Elmire puisse jamais être compromise par Tartuffe. Nous ne doutons pas qu’Henriette et la plupart des ingénues de Molière, dont le langage n’a rien de trop châtié, ne deviennent un jour de très-fidèles épouses. Il s’en faut de beaucoup que nous nous tenions pour aussi assurés de l’avenir qui attend les héroïnes du théâtre contemporain.

Ce qui a compliqué, si je ne me trompe, votre tâche, Monsieur, c’est que vous avez voulu placer l’idéal féminin dans des régions plus élevées qu’on ne le faisait dans l’ancien théâtre. À défaut de la conscience, l’imagination est devenue, de nos jours, très-exigeante. Celle de notre parterre moderne est à peu près impossible à satisfaire. Molière, quand il mettait une honnête femme en scène, pouvait se contenter de nous la montrer fort simple et tout unie, et les plus estimables n’avaient garde de s’exalter sur leur propre vertu. Aujourd’hui ces modestes qualités ne leur suffiraient plus. Pour mériter l’admiration du public, il faut de toute nécessité qu’elles réussissent à concilier dans leur âme, avec les effarouchements de la candeur la plus naïve, les élans de la passion la plus indomptable. Voilà bien des affaires. Cela m’inquiète de les entendre parler couramment un langage emprunté à une nature de sentiments passionnés qu’il leur vaudrait mieux ignorer. Je ne puis empêcher d’avoir peur pour leurs maris, qu’elles aiment d’un amour trop peu différent de celui qu’elles donneraient à tout autre. Je sais bien, qu’au dernier acte, tout s’arrange. L’auteur aidant, à grand renfort de morale, elles sont toutes converties quand la toile tombe ; mais, dans la vie, la toile ne tombe pas toujours si à propos. Que se passera-t-il plus tard derrière cette toile ? Bien hardi qui oserait le prévoir !

Quoi qu’il en arrive, vous pouvez vous rendre cette justice, Monsieur, que vous n’avez rien négligé pour inculquer aux femmes le sentiment de leurs devoirs, et leur démontrer toutes les conséquences de leurs fautes. Vous y avez employé la persuasion et la douceur, mais aussi le fer et le feu. Les évolutions d’un esprit comme le vôtre sont trop curieuses à étudier pour que je ne les signale pas. C’est à partir de votre comédie intitulée : les Idées de Madame Aubray, que votre attention paraît surtout s’être tournée vers ce genre particulier de délits dont les femmes sont plus ou moins volontairement les complices nécessaires. La pièce que je viens de nommer est l’une des mieux conduites et des plus dramatiques parmi toutes celles que vous avez composées. On a rarement mis autant de talent à soutenir au théâtre la thèse de la complète réhabilitation de la jeune fille après une première faute commise. Votre conclusion était malaisée à faire accepter par le public auquel vous la présentiez. Vous l’avez si bien senti vous-même, que vous avez eu soin de placer, en terminant, dans la bouche de l’un de vos personnages, une exclamation qui a justement pour but d’indiquer ce qu’a d’excessif, au point de vue du monde, le dénouement de votre drame. Il y a, en effet, des efforts de conscience qu’en raison de sa divine origine la foi peut arracher aux âmes pieuses, mais que l’on demandera toujours difficilement à cette morale de convention qui règne plus ou moins sur cette terre et domine absolument au théâtre. C’est l’un de ces sentiments d’inspiration toute chrétienne qui détermine Mme Aubray, quand elle commande à son fils d’épouser la femme dégradée, mais repentie, qui a promené avec elle, pendant trois actes, l’enfant né d’une liaison où l’amour n’a jamais eu nulle part.

La nouveauté était hardie. Loin d’en être embarrassé, vous avez eu hâte de la constater vous-même. Dans la préface des Idées de Madame Aubray, vous commencez par citer les passages d’un sermon prêché à la chapelle des Tuileries, devant l’impératrice, huit jours après la représentation de votre pièce. L’interprète de la parole divine y avait parlé des devoirs de la mère chrétienne. Notant avec joie la rencontre entre le dramaturge et le prédicateur, vous vous écriez : « Voilà qui est convenu, et ce n’est pas moi qui ai mal compris ou mal interprété les textes. » Vous le dirais-je ? je me suis senti plus effrayé que rassuré par cette concordance, qui pourrait vite dégénérer en confusion et mêler des choses qui, à mon sens, doivent rester très-distinctes. Avec vous, point de danger vos procédés sont tellement habiles que vous réussissez à accommoder merveilleusement toutes choses. Ce que vous écrivez sera toujours un régal pour les esprits délicats ; mais viennent les imitateurs, et je craindrais de les entendre me dire, comme dans l’épître de Boileau :

     « Aimez-vous la morale ? on en a mis partout. »

Je ne déteste pas la morale, je consens même à la prendre à fortes doses, mais j’entends qu’on me la serve en son lieu et place et je compte sur vous, Monsieur, pour vous retourner au besoin avec moi contre les maladroits qui, sous prétexte d’innovation, s’aviseraient de transporter le sermon sur le théâtre.

Il semble d’ailleurs que vous n’avez pas eu longtemps confiance dans l’indulgence comme moyen de mener à bonne fin la croisade que vous avez entreprise contre les atteintes portées à la foi conjugale. Le revirement chez vous a été soudain et complet. On dirait l’indignation d’un législateur ulcéré de ce que l’on n’a pas observé ses préceptes, et qui prend la résolution de les appuyer, puisqu’il le faut, par les châtiments les plus sévères. Dans l’Affaire Clémenceau, dans la Femme de Claude, vous avez décidément rompu avec le texte de l’Évangile, si miséricordieux pour la lemme adultère. Vous êtes devenu sans pitié pour elle. Tous les moyens vous sont bons pour punir les épouses infidèles. Qu’elles se méfient désormais de ces jolis couteaux à manche de jade qui traînent sur les tables, des pistolets que leurs maris prennent la fâcheuse habitude de porter dans leur poche et de ces fusils de nouvelle invention oubliés dans les coins ; qu’elles tremblent à la pensée dé cette réserve de canons perfectionnés que vous leur faites apercevoir dans le lointain et qui pourront servir un jour aux exécutions générales. Certes, elles auront le cœur bien hardi, celles qui ne reculeront pas devant ce formidable appareil de moralisation. Concevez cependant leur embarras. Au dernier acte de la pièce d’Antony, l’amant, qui, je le sais bien, se propose de sauver, avant tout, l’honneur de celle qu’il aime, s’écrie en la poignardant : «  Elle me résistait, je l’ai assassinée ! » De votre côté, dans une brochure qui a fait grand bruit, vous terminez vos imprécations contre l’adultère en disant au mari d’une trop indigne épouse : « N’hésite pas, tue-la. » Mais quoi ! Si leur sort doit être pareil dans les deux cas ; si elles doivent périr, les unes parce qu’elles ont résisté, les autres parce qu’elles n’ont pas résisté, la condition des femmes devient vraiment trop difficile !

Je soupçonne qu’il entre plus d’amour que de haine dans la rigueur sans pareille avec laquelle vous poursuivez les pauvres femmes. Les plus avisées vous le pardonneront aisément, car elles sont loin d’en vouloir aux gens du trouble qu’elles leur causent. La vérité est qu’avec elles, vous semblez ne pouvoir jamais garder votre sang-froid. Elles ont évidemment le don d’exciter votre génie familier. « Il y aura guerre éternelle entre la femme et lui. » Ce n’est pas de vous que cela a été écrit. Cependant on le dirait, à voir votre acharnement. Que vous a fait, par exemple, la Chimène de Corneille ? Pourquoi avez-vous si vivement pris parti contre elle avec Richelieu ? Je vous félicite, Monsieur, de n’avoir pas voulu diminuer le ministre de Louis XIII, qui faisait de si mauvais vers avec Colletet et Bois-Robert, et de si bonne politique à lui tout seul. Je vous sais gré de n’admettre pas facilement la légende un peu vulgaire qui rend le vainqueur de la Rochelle jaloux de l’auteur du Cid. La légende que vous tentez d’y substituer est-elle beaucoup plus vraie ? j’en doute un peu ; l’histoire sérieuse ne la confirme pas.

Quant aux craintes que vous prêtez à Richelieu, au sujet de l’influence de la pièce du Cid sur les mœurs do son temps, je ne crois pas que vous soyez fondé à les lui attribuer. Pour votre compte, vous appréhendez, si Chimène revenait en honneur, de voir réapparaître avec elle sur le théâtre, tout un cortège de héros trop semblables à Rodrigue, qui vous fait l’effet d’un paladin sentimental. Permettez ! vous avez trop d’esprit et trop de bonne foi pour attacher plus d’importance que de raison aux métaphores outrées qui déparaient la langue tragique de cette époque, et prêtaient un air de convention à des sentiments qui n’avaient rien que de véritable. C’était un jargon prétentieux, j’en conviens, préférable peut-être à celui de nos jours qui vise au naturel, le plus souvent, sans l’atteindre. Après tout, cette vie qu’il met avec emphase aux pieds de Chimène, et dont il menace de se défaire, si sa maîtresse ne lui pardonne, le Cid n’a pas regardé à l’exposer pour défendre sa ville, et frapper sur les Maures les grands coups que chacun sait. Richelieu était bien exigeant s’il ne croyait pas pouvoir compter sur de semblables cœurs pour l’aider à refouler l’Espagnol, et, suivant vos expressions, pour constituer l’unité française. Tout se tient en effet. Je veux dire : tout s’abaisse ou tout s’élève d’un même coup ; et ce sont les nobles amours qui font les nobles actions. C’est pourquoi ne soyez pas trop sévère aux Chimènes, si, par hasard, vous en rencontrez. Vous ne nous causeriez pas seulement un grand plaisir, vous nous rendriez un bon service, si vous nous faisiez applaudir sur la scène quelques figures qui s’en rapprocheraient un peu. Cet effort serait digne de votre talent.

Vous croyez fermement à l’action puissante et directe du théâtre sur les mœurs. Vous désirez que cette influence profite à la régénération patriotique et morale de notre pays. Je le souhaite comme vous. Nous ne différons que sur la nature des moyens à employer. Je ne crois pas que la scène soit une école d’enseignement public, ni le lieu le mieux choisi pour développer certaines thèses si exemplaires qu’elles puissent être, ni pour provoquer certaines réformes, si grande que soit leur utilité. Au risque de vous paraître facile à contenter, je me borne, en lui laissant d’ailleurs toute liberté d’allures, demander à l’auteur d’une œuvre dramatique de laisser à la sortie du théâtre les spectateurs et les spectatrices dans une situation d’âme meilleure qu’à leur entrée. Voilà toute la morale que je lui impose ; mais à celle-là, j’y tiens beaucoup. Vous nous dites : « Ne m’amenez pas vos filles, je leur parlerai quand elles seront des femmes. » Pardon ! Il y a plus de choses que vous ne pensez, dont vous pouvez dès à présent les entretenir. Il y en a d’autres dont il vaut mieux ne leur parler jamais. Pour mon compte, je ne déconseillerais pas aux pères de famille de mener leurs filles aux pièces de Molière, quoiqu’elles soient exposées à y entendre des mots un peu crus, aujourd’hui rejetés par la pruderie de notre langue moderne. J’ai connu, par contre, des mères, qui volontiers auraient parfois fait sortir leurs filles de l’église afin de les dérober à d’autres leçons tombées du haut de la chaire. Toutes saintes et sacrées qu’elles soient, les chères créatures qui font la joie et l’honneur de nos foyers n’ont pas besoin d’être élevées dans une atmosphère factice. Une seule chose importe : les laisser à leurs penchants naturels qui sont bons, et les préserver de tout ce qui pourrait étonner leur esprit ou troubler leur imagination. C’est par l’imagination qu’au théâtre, et ailleurs, on peut avoir prise sur les femmes ; mais prenez garde ! Elles ont la fibre bien délicate ; ne les rudoyez pas. Vous avez tout ce qu’il faut pour faire leur conquête. Au moindre signe, elles vous suivront ; et, comme il est avéré qu’elles font des hommes ce qu’il leur plaît, avec votre talent et de pareilles auxiliaires, vous voilà assuré, Monsieur, de nous mener, dans leur compagnie, partout où bon vous semblera.

Plus que personne votre prédécesseur, M. Lebrun, s’est, pendant toute sa vie, préoccupé de l’influence et de la dignité de notre scène française. Retiré de la lutte, il se plaisait à suivre avec une préférence marquée, et à saluer de ses plus chaleureuses approbations, les triomphes remportés dans une arène où lui-même avait connu de si beaux succès. L’Académie s’en fiait à vous pour apprécier dignement les belles et pures créations du poëte tragique dont nous déplorons la perte. Elle savait d’avance que vous excelleriez à reproduire la gracieuse physionomie du plus âgé de ses membres, resté toujours si jeune par son inaltérable amabilité. Nous comptions sur votre ingénieuse sagacité pour deviner et retrouver l’homme dans ses œuvres, car personnellement vous avez peu connu M. Lebrun. Vous n’en avez pas moins réussi à faire revivre, devant ceux qui l’ont le mieux aimé, la mémoire du charmant vieillard dont le commerce était devenu pour nous la plus délicieuse des habitudes, et qui laissera toujours parmi ses confrères un vide si profond et de si affectueux regrets. Votre tâche a été si bien remplie, qu’en appelant à mon aide les souvenirs de ma jeunesse, j’aurai grand’ peine à ajouter quelques traits épars et de légères retouches à la figure attrayante dont vous avez, de premier jet, si parfaitement rendu l’agréable ressemblance.

Vous avez très-bien défini le talent de M. Lebrun, en disant qu’il a été tout à la fois un poëte de transition et un novateur. Rien de plus vrai ; ses œuvres offrent un heureux mélange de hardiesse et de mesure. Dans ses tragédies, il a cherché la nouveauté en respectant la tradition, et poursuivi l’émotion vive sans renoncer à la beauté morale. Il a été l’un des premiers à rompre avec la périphrase et à prouver, qu’en fait de style, la simplicité n’était pas incompatible avec l’imagination et avec l’art. Ses tendances étaient romantiques, son goût était classique. Il y avait en lui un moderne doublé d’un antique. Comme André Chénier, dont vous avez si à propos évoqué le souvenir, c’est aux lauriers-roses de l’Eurotas plutôt qu’aux noirs sapins de la Germanie qu’il emprunte sa couronne poétique. Alors même qu’elle s’inspire de Schiller et des traditions allemandes, sa muse n’a rien de sombre ni de mélancolique. Elle demeure sereine, souriante, et comme baignée de cette belle lumière de la Grèce qu’elle a plus tard chantée avec tant d’amour. Évandre, Ulysse, voilà quels héros reçurent les premiers hommages de M. Lebrun. Un critique a remarqué que le roi d’Ithaque, avec la prudence qui ne le quitte jamais et ses déguisements perpétuels n’avait pas la physionomie d’un personnage fort dramatique. Peut-être en est-il, en effet, de la sagesse comme de I’honnêteté, dont nous parlions tout à l’heure ; c’est une qualité qui ne prête pas beaucoup aux effets de la scène. M. Lebrun à su pourtant donner le souffle tragique et des accents passionnés au père de Télémaque, quand il nous le montre préparant le meurtre des prétendants :

Heureux qui dans son fils peut trouver un vengeur ;
Plus heureux qui, vivant peut guider sa fureur !

 

Ce sont là de beaux vers ; il y en a beaucoup de semblables dans Ulysse. Cependant M. Lebrun, toujours difficile à lui-même, a plusieurs fois songé à remanier cette tragédie. «  En relisant Homère à Ithaque même, écrivait-il en 1854, et dans les lieux où le poëte grec place les scènes de l’Odyssée » j’ai mieux vu revivre et se mouvoir tous ces antiques personnages. J’ai mieux compris leurs actions et leurs mœurs Du point de vue nouveau où je me trouvais placé, j’apercevais dans ma pensée un drame plus intéressant, plus simple, plus familier plus vrai, plus homérique enfin, que celui que j’ai fait. ? « Est-il possible de parler de soi-même et de ses œuvres avec plus de désintéressement et de bonne grâce ?

Des tragédies de M. Lebrun, Marie Stuart est celle qui est demeurée le plus longtemps en possession du théâtre. Vous avez eu raison, Monsieur, d’insister sur les heureuses nouveautés introduites sur notre scène française par votre prédécesseur. Sa hardiesse était d’autant plus méritoire qu’en réalité la pièce représentée en 1820 était déjà composée en 1816. On a dit avec vérité de M. Lebrun qu’il était « le plus jeune des poëtes de l’Empire », tandis que MM. Delavigne et Lamartine étaient « les aînés des poëtes de la Restauration ».

Les contemporains espéraient beaucoup de l’auteur de Marie Stuart. C’est pourquoi, lorsqu’ils apprirent que M. Lebrun allait donner au Théâtre-Français un drame dont le sujet était emprunté à Lope de Vega, l’attente fut extrême. Reportons-nous par la pensée vers cette époque, si peu semblable à la nôtre, où l’indifférence n’était de mise, ni en politique ni en littérature. Avant d’avoir paru, le Cid d’Andalousie avait déjà des partisans enthousiastes et des détracteurs acharnés. Les uns avaient ouï parler d’un roi frappé du plat de l’épée sur la scène par un grand seigneur, ayant quelque peu tournure de chef de parti. Pour l’opposition quelle aubaine ! Il n’avait pas moins fallu que la protection de M. de Chateaubriand pour tirer, tant bien que mal, l’auteur des mains de la censure. Mais cette générosité du ministre semblait à d’autres bien imprudente ! Dans le camp littéraire la préoccupation se portait d’un autre côté. Les romantiques se demandaient si le Cid d’Andalousie confirmerait les espérances qu’avait fait naître Marie Stuart, et les classiques épiaient l’occasion d’une revanche. De part et d’autre on se défiait presque du geste. La passe d’armes avait lieu sous les yeux attentifs de la génération à laquelle j’appartiens et qui n’était guère moins animée que les champions eux-mêmes.

Nous qui tenions pour M. Lebrun, lui sachant gré dé vouloir introduire la poésie lyrique dans le drame, nous comptions beaucoup sur l’effet d’un certain acte II, dans lequel « le héros de la pièce, tranquillement assis aux pieds de sa bien-aimée, sans desseins, sans inquiétude, uniquement préoccupé de son prochain bonheur, dans un profond oubli, et du monde, et des hommes, et de toutes choses, l’entretenait doucement des progrès de leur amour mutuel ».

Pourquoi de ces jardins nous retirer, Estrelle ?
Dans le ciel transparent la nuit brille si belle !
Au banc qui nous a vas tant de fois nous asseoir
Respirez avec moi l’air embaumé du soir.
.....................................................................................
Nous sommes, loin du jour, plus présents l’un à l’autre ;
Mon cœur plus confiant est plus voisin du vôtre,
Lui parle, lui répond, I’écoute, I’entend mieux,
Et le sent et le voit, moins distrait que mes yeux.
Mon Estrelle ! un moment soyons seuls sur la terre.

 

Ces vers ne sont-ils pas charmants ? Adressés par Talma à Mlle Mars, quelle n’était pas leur séduction ! Ils nous rappelaient les adieux de Roméo et de Juliette. Nous étions ravis de la « scène du banc » comme nous l’appelions alors. Mais le parterre n’y vit qu’un hors-d’œuvre qui ralentissait l’action, et le succès de cette première soirée demeura douteux. À la seconde représentation, le talent de Talma avait triomphé des hésitations du public ; mais bientôt après le grand tragédien tombait malade et mourut quelques années plus tard. Ce n’était pas seulement un interprète habile, c’était un ami excellent que perdait l’auteur du Cid d’Andalousie. Aussi triste que découragé, M. Lebrun retira sa pièce du répertoire. Depuis il n’a plus écrit d’autre tragédie.

Brouillé avec le théâtre, M. Lebrun ne l’a jamais été avec la muse. On ne rompt pas si aisément avec elle. Ceux qu’elle a touchés au front en porteront toujours la marque :

     Même quand l’oiseau marche, on sent qu’il a des ailes.

 

Et c’est ainsi que M. Lebrun est demeuré poëte toute sa vie. Poëte il avait été sous l’Empire, quand il chantait la gloire de Napoléon elles exploits de la grande armée ; poëte il était encore, lorsqu’en juillet 1830, il ajoutait une strophe à la Parisienne de Casimir Delavigne, sur « le convoi de nos frères ». Nous le savons aujourd’hui, après nous en être toujours un peu douté : si attaché qu’il fût à ses devoirs d’administrateur, si habile qu’il ait été à les remplir, M. Lebrun s’est bien gardé de consigner la poésie à la porte de la direction de l’Imprimerie royale. Il s’en est fait suivre sur les bancs de la chambre des Pairs ; il l’a emmenée avec lui au Sénat. C’est à ses collaborateurs du Journal des Savants à nous dire si, par hasard, ils n’ont jamais eu à résister aux efforts de leur président, désireux de la faire admettre avec lui jusque dans leur docte recueil.

Comment aurait-il pu en être autrement ? « Tous les sentiments bons, honnêtes, généreux, avaient leur expression dans ses vers, a dit M. de Sacy du confrère qu’il appréciait non moins chèrement qu’il en était lui-même aimé. Il les a tous chantés parce qu’il les a trouvés en lui-même. Il n’arrache pas l’admiration, il gagne le cœur. Ce n’est pas un maître qui nous traîne à sa suite, c’est un ami que l’on recherche et que l’on voudrait avoir toujours avec soi. » Afin de prolonger la douce illusion d’un si agréable commerce, je voudrais citer quelques morceaux de poésie dont l’émotion est tout intime et familière.

Je n’ai rien à ajouter, Monsieur, aux éloges que vous avez donnés au poëme de la Grèce. Je voudrais seulement constater, à l’avantage de M. Lebrun, qu’au moment où il en écrivait les premiers chants, les Messéniennes n’avaient pas été publiées. Cette fois encore, notre confrère avait l’air de suivre un exemple qu’au contraire il avait donné. L’imagination et le besoin d’émotions nouvelles ne l’avaient pas seules attiré vers la patrie des Hellènes ; il allait, en 1820, y retrouver deux hommes pleins de mérite et d’esprit, M. Martin, un ami de M. Thiers, et M. Achille du Parquet, son compagnon d’enfance, qui devaient l’un et l’autre l’y rejoindre. Il se faisait une grande joie de les surprendre dans quelque coin du Parthénon, ou de la rue des Trépieds. Ce fut à Sparte que le hasard les réunit. Il faut lire, dans les notes du Voyage de Grèce, les pages où sont racontées les joies de cette rencontre, car l’amitié, cette passion des belles âmes, n’inspire pas moins heureusement la prose que les vers de M. Lebrun. Rome, Athènes, Lacédémone, furent pour un instant oubliées.

Sur un tapis de Turquie
Le couvert se trouva mis ;
Je laisse à penser la vie
Que firent ces trois amis.

 

Cependant le plaisir de parcourir un pareil pays en semblable compagnie redouble d’enthousiasme de l’heureux poëte. La Grèce devient pour ainsi dire son domaine ; il se l’approprie; il la fait sienne :

Athène, mon Athène, est le pays du jour.
C’est là qu’il luit, c’est là que la lumière est belle !
Là que l’œil enivré la puise avec amour,
Que la sérénité tient son brillant séjour,
Immobile, immense, éternelle !

 

Voulez-vous savoir sous quels traits lui apparaissait l’image de la Grèce non encore affranchie ?

Comme on voit sommeiller cette pâle statue
Qui montre en nos jardins Ariane abattue,
Posant sur un bras faible un front décoloré ;
De fatigue vaincue, elle s’est assoupie ;
On sent, à sa paupière épaisse, appesantie,
Qu’avant de s’endormir, elle a longtemps pleuré.

 

Nous voilà en pleine poésie moderne et de la meilleure. Qu’il y a loin de ces vers de M. Lebrun à ces tableaux de convention, esquissés sous le premier Empire par d’autres poëtes qui ne sortaient jamais de leur fauteuil ! Ce que M. Lebrun décrit, on sent qu’il l’a vu. Ce qu’il met dans ses chants a passé par son cœur. Voilà le secret du charme, et pourquoi le lecteur est d’abord saisi et demeure captivé. Soit qu’après la Grèce il parcoure l’Italie où, de préférence, il visite le tombeau de Virgile et la maison d’Horace, soit qu’il se rende en Écosse, pour recevoir l’hospitalité de l’auteur du Monastère et de l’Abbé, ce sont les mêmes accents, toujours simples, toujours vifs et toujours naturels.

Il n’était pas d’ailleurs besoin des pays lointains pour inspirer M. Lebrun. Athènes, Smyrne, Constantinople, n’ont pas eu seules part à ses chants. C’est le don heureux de la poésie de tout embellir. Sur les bords du golfe de Naples, aux rives du Bosphore, il a plus d’une fois songé avec tristesse à la patrie absente Champrosay, Étiolles, Tancarville, ces noms charmants des jolis villages qui se mirent dans la Seine, se rencontrent aussi dans ses vers. Le plus souvent, il les adresse alors à M. du Parquet, à cet ami qui s’est promené avec lui sous les portiques du Parthénon et dans le parloir gothique d’Abbotsford.

Cher compagnon du beau voyage,
Ami, qui dès notre matin
Avez, de rivage en rivage,
Au mien mêlé votre destin ;
Que de pays dont la poussière
Porte l’empreinte de nos pieds ;
Que de jours passés sur la terre,
Du moins l’un sur l’autre appuyés !
À toutes ces courses lointaines
N’est-il pas temps de mettre fin,
Et de chercher de l’ombre enfin
Au bord de nos propres fontaines ?

 

Comme presque tous les poëtes, M Lebrun adorait la campagne. C’est à Tancarville que, sous l’Empire, il avait composé la plupart de ses poésies lyriques, et savouré la joie délicieuse d’une célébrité précoce ; il n’en prononce jamais le nom qu’avec amour. C’est à Champrosay qu’il composa son poëme de la Grèce. Mais, s’il avait eu les visées ambitieuses du poëte, l’idéal du propriétaire était chez lui des plus modestes.

Heureux qui de son espérance
N’étend pas l’horizon trop loin,
Et, satisfait de peu d’aisance,
De ce beau royaume de France
Possède à l’ombre un petit coin !
Pour m’agrandir m’irai-je battre ?
Trois arpents sont assez pour moi ;
Alcinoüs en avait quatre,
Mais Alcinoüs était roi.

 

J’ai terminé mes citations ; pourquoi les aurais-je abrégées ? La meilleure manière de faire connaître et aimer un poëte n’est-elle pas de rappeler ses vers ? Ceux de M. Lebrun font passer, pour ainsi dire, sa vie tout entière sous les yeux de ses lecteurs, et quelle vie ! Combien le cours n’en est-il pas régulier, aimable ! j’ajouterai heureux, car le bonheur dépend, en partie, de la modération des désirs et de l’équilibre que le sage sait mettre entre les facultés dont le Ciel l’a doué. Il n’a pas été refusé à M. Lebrun d’accomplir son modeste souhait et d’acquérir ces quelques arpents de terre qu’il brûlait de voir reluire au beau soleil de sa chère France. Il les a possédés au pays même de sa naissance, dans la ville haute de Provins, qui fut aussi la patrie d’Hégésippe Moreau, non loin de ces jolis ruisseaux, le Durtain et la Voulzie, que les deux poëtes ont chanté. C’est là que plusieurs d’entre nous se sont souvent donné le plaisir de l’aller visiter.  

 

Voisin de M. Lebrun, habitant comme lui ces contrées où, depuis nombre de générations, ma famille compte plus d’un ami, jamais je n’ai quitté le champêtre et poétique ermitage de la ville haute de Provins, sans remercier du fond du cœur son hôte illustre d’être revenu parmi nous. Je lui savais gré d’avoir voulu, sur le tard de la vie, offrir à ceux de ses compatriotes qui l’avaient connu jeune, délaissé et obscur, le spectacle à la fois si charmant et si plein de leçons de sa verte vieillesse, environnée d’estime et couronnée de gloire. Qu’elle était douce à habiter et difficile à quitter, l’agréable retraite où M. Lebrun passait la belle saison, tendrement soigné par la compagne assidue de toute son existence, dont je frémirais d’aborder rien qu’en pensée, l’insondable douleur ! Pour revenir à Paris il lui fallait faire effort, et se souvenir des devoirs qui le réclamaient à l’Académie. Avec quel profit pour nous, quel entrain, quelle joie et quelle bonne grâce il prenait part à nos travaux ! M. Lebrun y apportait, avec une autorité que nous reconnaissions tous, les meilleures traditions du passé, celles d’un goût exquis en littérature, de la délicatesse la plus charmante dans les sentiments, et de la politesse la plus affectueuse envers tous ses confrères. Il s’était comme donné à lui-même la mission particulière de se mettre en quête des talents nouveaux, et de les révéler à l’attention de notre compagnie, afin qu’elle leur vînt en aide.

Vous recueillerez dignement, Monsieur, cette portion de son héritage, car on connaît votre sympathie généreuse pour les infortunés qui s’aventurent, à la légère, dans une carrière décevante, où les victimes se pressent plus nombreuses que les triomphateurs, et qui mène plus de gens aux abîmes, qu’elle n’en conduit à la renommée, et surtout, à la fortune. Vous nous aiderez à découvrir ces misères imméritées ; vous emploierez le meilleur de votre esprit à nous indiquer les plus ingénieux moyens de les secourir sans les offenser. C’est une tâche qui ne vous déplaira pas, et nous comptons sur vous pour la remplir.

Croyez-moi, vous n’aurez pas vécu longtemps dans cette académie sans vous apercevoir, Monsieur, que c’est chez nous que l’on rencontre la véritable république. L’opinion assigne-t-elle des distinctions et des rangs entre nous ? c’est possible, c’est même probable. Nos rapports sont si agréables et si intimes que nous préférons, faut-il le dire ? Nous affectons même de n’en rien savoir. Nous vivons sur le pied de la plus parfaite égalité, et j’en profite plus que personne. Pourquoi Horace a-t-il parlé quelque part de la susceptibilité des poëtes : Genus irritabile vatum ? Nous en comptons parmi nous. J’ai découvert que leur commerce était des plus faciles, et la preuve, c’est qu’ils y souffrent des historiens comme moi. S’il en est ainsi, avec quelle joie notre compagnie ne vous accueillera-t-elle pas! Elle ne souhaite plus rien de moi ; elle attend beaucoup de vous. Vos triomphes vont être désormais les siens. Elle en jouira d’autant plus qu’elle n’a jamais cessé d’attacher le plus grand prix aux œuvres dramatiques, et qu’elle s’en fie à votre talent pour justifier, avec son attente, celle du public dont les applaudissements, recueillis aujourd’hui dans cette enceinte, ne précéderont que de bien peu, j’en suis sûr, ceux qui vous attendent ailleurs.