Inauguration du monument élevé à la mémoire de Maurice Barrès, à Sion-Vaudémont

Le 23 septembre 1928

Louis-Hubert LYAUTEY

INAUGURATION DU MONUMENT
ÉLEVÉ À LA MÉMOIRE DE MAURICE BARRÈS

À SION-VAUDÉMONT

le dimanche 23 septembre 1928

DISCOURS

M. LE MARÉCHAL LYAUTEY
DE L’ACADÉMIE FRANÇAISE
PRÉSIDENT DU COMITÉ D’ÉRECTION

 

 

MESSIEURS,

Ayant reçu des amis et des proches de Barrès, en ma qualité de voisin, de compatriote et d’ami, l’honneur de présider le Comité chargé de faire élever ce monument, il appartient d’en faire la remise à la France.

La France ! c’est pour elle que le cœur de Maurice Barrès a constamment battu. S’il avait l’amour passionné de notre petite patrie, c’est qu’à travers elle, au-dessus d’elle, il voyait toujours la grande Patrie. Dans son culte pour la Lorraine, il ne s’agissait pas simplement d’un attachement matériel à notre terre natale, mais d’une conception, qui nous est commune à tous, sur ce que signifie la Lorraine, ou pour mieux dire sur ce que signifient les Marches de l’Est, pour l’équilibre, l’harmonie et la force de la personnalité française, pour la sécurité de notre pays. Les Marches de l’Est, Lorraine, Alsace, Nancy, Metz, Strasbourg, indissolublement liées à la France et que nous unissons à elle dans le même amour.

La remise de ce monument, je la fais à celui qui représente ici la France, au Chef même de son gouvernement. Et quelle heureuse fortune a voulu que ce chef fût précisément aujourd’hui le grand Lorrain, ami personnel de Maurice Barrès, uni à lui dans le même sens national, qui, après avoir eu la charge des destinées de notre pays aux heures les plus tragiques jusqu’à la victoire, préside actuellement son gouvernement avec tant de patriotisme et tant d’autorité, porté par une popularité qui lui donne tant de force pour le bien de notre pays : M. Raymond Poincaré.

Au nom de la famille et des amis de Barrès, en notre nom à tous, je le remercie d’avoir, malgré les exigences de sa lourde tâche, bien voulu venir présider cette journée.

Et je suis heureux de saluer à côté de lui cet autre grand Français, Président lui aussi du Comité de patronage de ce monument, dont le nom, inséparable de si grandes heures de notre histoire, a acquis de si hauts titres à la reconnaissance nationale, auquel Maurice Barrès portait également tant d’amitié et de confiance, et à qui m’attachent d’indissolubles liens de gratitude et de fidélité, M. Alexandre Millerand.

Il m’appartient enfin de remercier tous ceux à la générosité et à la collaboration desquels nous devons l’élévation de ce monument, les donateurs et les souscripteurs français et étrangers, dont les noms, fidèlement conservés, vont être placés dans ses assises, les assemblées régionales et municipales, les ingénieurs et les entrepreneurs, mes collègues du Comité national et, avant tous, ses deux secrétaires généraux grâce au dévouement et à l’activité desquels seuls notre œuvre a pu être menée à bien ; le prince de Beauvau-Craon avec qui Maurice Barrès aimait tant à voisiner dans cette belle demeure d’Haroué, ici auprès, où je le revois évoquant, comme il savait le faire, les souvenirs et les traditions lorraines dont les murs sont imprégnés, M. Marcel Knecht à qui ses fréquentes et importantes missions aux États-Unis n’ont pas fait oublier sa province natale et à qui nous devons le généreux appoint de nos amis d’outre-mer, et, au Comité de Nancy, l’infatigable Eugène Rousselot qui s’est donné sans compter à l’organisation de cette journée.

Et maintenant, ma tâche est remplie.

 

À d’autres, mieux qualifiés que moi, de vous parler de lui. Ma parole inexpérimentée ne pourrait être qu’inférieure à l’hommage qu’il mérite et n’aurait certes pas l’éloquence de ce que nous avons sous les yeux.

D’abord, ce monument, si noble et si fort dans sa sobriété, que l’éminent architecte Achille Duchesne a conçu et élevé, non seulement avec son talent, mais avec son cœur.

Cette colline, que le monde entier connaît désormais sous le nom que lui donna Barrès : la Colline inspirée. « Du lieu où nous sommes, écrivait-il, il y a, là, le clocher de Sion et, à l’autre pointe, la ruine de Vaudémont. De l’un à l’autre je ne sais pas un promenoir qui me contente davantage. La Vierge du pèlerinage et le donjon démantelé donnent à l’immense paysage son sens historique... Cette colline, elle est posée sur notre vaste plateau comme une table de nos lois non écrites, comme un appel à la fidélité lorraine, où chaque fois qu’un Lorrain le gravit des ombres l’accueillent. »

Sion, le grand pèlerinage lorrain, qui est, pour nous, mes frères d’Alsace, comme par delà les monts l’est pour vous Sainte-Odile, tant aimé de Barrès, le sanctuaire de la foi nationale et traditionnelle. Sion sauvegardée par la fidélité lorraine des ravages qui inspirèrent à Barrès son livre poignant : la Grande pitié des Églises de France.

Vaudémont, ses murs ruinés, témoins des luttes séculaires que les Marches de l’Est, incessant champ de bataille, soutinrent pour l’indépendance nationale. Glacis de la Patrie constamment foulé, ravagé, il n’a cessé de donner sans compter, dans un esprit de sacrifice et d’amour de la France sans limites et sans restrictions, ses enfants à la mort, ses biens et ses foyers à la destruction, de Sampigny à Nomeny, de Gerbéviller à Saint-Dié.

Et autour de cette colline : l’Horizon.

Ici, derrière ces coteaux proches, sur la Moselle, Charmes, où il repose. Charmes, où la noble compagne de sa vie, son fils, son cher Philippe, maintiennent si pieusement et si fièrement sa mémoire.

De ce côté, Nancy, le Grand-Couronné et, au delà, Metz.

Là, devant vous, les Vosges, la ligne bleue, la cime du Donon, où Barrès salua avec une telle joie la réapparition des trois couleurs.

Et par delà, Strasbourg, le Rhin... Le Rhin !

Ce cadre, mais c’est tout Maurice Barrès, c’est sa formation ancestrale et traditionnelle, c’est sa vie d’action nationale et patriotique. Son rayonnement s’étend toujours sur toutes les familles spirituelles de la France, sur notre vieux sol comme au delà des mers, ainsi qu’en témoigne la présence, ici, en ce grand jour, de ceux d’entre vous, Messieurs, venus d’Espagne, des États-Unis, de Pologne, de Syrie, et j’en oublie. Nulle part il ne nous apparaît plus grand, nulle part aussi, hélas, nous ne sentons davantage, aux jours où l’on s’interroge, aux heures anxieuses, combien il nous manque.