Rapport sur les concours de l’année 1849

Le 5 juillet 1849

Abel-François VILLEMAIN

RAPPORT DE M. VILLEMAIN,

SECRÉTAIRE PERPÉTUEL DE L’ACADÉMIE FRANÇAISE

SUR LES CONCOURS DE L’ANNÉE 1849,

5 juillet 1849

 

 

MESSIEURS,

Dans la liste des récompenses littéraires que décerne aujourd’hui l’Académie, c’est un nom dès longtemps célèbre qu’elle doit placer le premier. Le prix pour l’ouvrage le plus éloquent d’histoire de France, cette dotation, dont la forme s’est trouvée justifiée par la rencontre d’un grand talent et d’une destinée à part, reste encore, selon la prévoyance du fondateur, acquise au même écrivain et au même ouvrage. Nulle comparaison même n’a été possible ; bien que depuis un an d’immortels souvenirs aient été dignement retracés par des hommes mêlés chaque jour à notre histoire nouvelle, nul travail ramené dans les conditions du concours n’a été proposé à notre examen ; et l’Académie déclare seulement que le grand prix fondé par le baron Gobert est maintenu aux Considérations sur l’histoire de France de M. Augustin Thierry.

L’Académie maintient également le second prix à l’ouvrage instructif et longtemps nouveau de M. Bazin, à l’histoire non surpassée du règne de Louis XIII.

Jamais le prix d’utilité morale fondé par M. de Montyon ne parut plus opportun que de nos jours. Ce sage avait surtout en vue d’encourager l’enseignement dont Franklin a donné l’incomparable modèle, ces leçons de vertus domestiques, de modération et de travail, qu’il adressait à la démocratie des États-Unis, ces écrits sainement populaires où le gouvernement de l’âme sur elle-même est réclamé en proportion même de l’excès de liberté publique. Mais la vraie mesure de tels écrits, le degré de science qu’ils comportent, la puissance de raison familière et vigoureuse qu’ils exigent, cet art de persuader par le bon sens, ne se rencontrent pas aisément. Écrire pour le peuple sans le flatter comme un maître, accroître en lui non l’orgueil de la force, mais le respect des lois comme première condition de dignité et de bien-être, c’est une œuvre qu’on ne saurait trop estimer, que peu trouveront accessible, et qui veut autant de supériorité d’esprit que de prudence. A défaut de tels ouvrages, parmi ceux du moins que l’Académie a le droit de couronner, un livre a fixé son attention comme offrant au nom du passé des avertissements d’une impartialité non suspecte et d’une évidence utile. C’est l’histoire du Communisme, par M. Alfred Sudre. Non que, dans cet ouvrage rapidement conçu, l’auteur ait employé deux ordres de considérations dont quelques talents élevés ont récemment fait sentir le pouvoir, en opposant à l’esprit de sophisme et de violence le raisonnement philosophique et les notions de l’économie politique. La rigueur de méthode qui poursuit dans ses dernières conséquences les théories du Communisme, et les réduit à l’impossible, sur le terrain même de l’abstraction, n’est pas à l’usage du nouvel écrivain. L’analyse des conditions nécessaires de la production et de la richesse, et, par elle, la démonstration de la stérilité autant que l’iniquité d’une doctrine qui anéantirait ce qu’elle veut partager, occupent également peu de place dans son livre. Mais il raconte, et ce genre de preuve a son éloquence.

Partant de quelques exemples-antiques trop étrangers à la question moderne et trop incomplètement expliqués, il suit, à travers le moyen âge et la civilisation croissante, les essais de folies identiques sous des noms divers, et les catastrophes toujours les mêmes du même faux principe. Entre quelques sectaires des premiers siècles et quelques utopistes du XVIIIe siècle, il nous fait assister au retour périodique des mêmes illusions, des mêmes malheurs, de la même impuissance à rien fonder sur la ruine de la propriété. On trouve là d’avance, avec le démenti anciennement donné par les faits, toutes les exagérations de l’avenir, de telle sorte qu’il n’y a pas une négation téméraire du droit, pas une formule de spoliation annoncée comme la découverte la plus récente, qui ne soit une redite autant qu’une erreur funeste. Et cependant le tableau n’est pas complet. Le Communisme fanatique tenté devant Cromwell, et si puissamment réprimé par sa parole et sa main comme un bouleversement introduit en fraude à la suite d’une révolution politique, manque au récit de l’historien. Mais il montre le Communisme soit athée, soit menteusement mystique, rêvé par quelques hommes en France de 1789 à 1800, mêlé comme un ennemi furtif au mouvement social et toujours repoussé si loin par l’esprit généreux de liberté, par l’instinct même violent de la révolution, et parle génie du gouvernement et de la gloire, par la Constituante, par la Convention, par le Code civil. Cet exemple dit assez combien tous les principes du droit privé sont des fondements immuables, non pour telle forme de pouvoir, mais pour l’existence de la nation et combien le sophisme qui les attaque est antipatriotique et antisocial.

Tel est l’intérêt tout historique de cet ouvrage, auquel l’Académie décerne un prix de 3,000 fr.

Un travail instructif, la peinture d’un vertueux magistrat dans un temps de guerre civile, l’Essai sur la vie et les ouvrages d’Étienne Pasquier, par M. Léon Feugère, obtient le second prix. Quoi de plus moral, en effet, que la modération courageuse d’un de ces politiques hommes de bien du XVIe siècle, avocat, juge, membre des états, tour à tour proscrit et vainqueur, toujours fidèle à la justice, et cultivant les lettres parmi les dangers de la vie publique dans un pays déchiré de factions ? L’auteur a bien montré cette physionomie d’Étienne Pasquier, demeuré immortel à côté de ses grands contemporains, des princes héroïques et des écrivains créateurs, parce qu’il eut le génie du bon sens, qu’il fut égal en raison et en lumières aux plus illustres, et que, par ses études comme par sa vie, il fut un des meilleurs Français de son temps.

Un écrit plus simple, destiné à de jeunes lecteurs, a intéressé l’Académie. C’est une légende de piété domestique, où sont retracés la patience, le dévouement mutuel d’un vieillard et d’un enfant, de l’aïeul et du petit-fils, retenus loin de tout secours par un désastre d’hiver qui les surprend dans une chaumière des Alpes. Trois mois sous la neige ! Ce livre est une bonne œuvre pour les âmes. On doit honorer l’imagination qui sait ainsi rendre vraisemblables les plus étonnants efforts de courage en leur donnant pour appui la bonté du cœur et la confiance en Dieu. L’auteur est M. Porchat, un pasteur protestant d’une de ces frontières qui tiennent à la France par une communauté d’affection et de langage. L’Académie décerne à cet ouvrage une médaille de 1,500 fr.

Elle souhaite que de telles lectures se multiplient, et que souvent le talent s’occupe d’écrire pour l’enfance et le premier âge qui la suit. Dans notre littérature si grande, si variée, parmi tant de chefs-d’œuvre salutaires à l’intelligence, combien sont rares les livres parfaitement appropriés à la première jeunesse, n’excitant son imagination que pour la conserver plus pure, ne parlant à sa raison que pour la rendre judicieuse et ferme ! On écrit pour l’opinion, pour la passion, pour la vérité dans ses manifestations les plus éclatantes. On a moins heureusement écrit pour cette vérité modeste et toute d’application qui convient à la première jeunesse. Un bon livre de plus, un livre où nulle impression, nulle idée ne serait séparée de la leçon morale, ne remplirait-il pas la plus vraie destination du prix ? Ne doit-on pas le demander sous plusieurs formes et pour différents degrés de première jeunesse et d’étude ? N’y aurait-il pas à faire le livre de lecture, la distraction instructive du jeune artisan qui ne peut beaucoup lire, et dont un livre peut décider l’âme ? Y aurait-il, pour un noble esprit doué de l’invention qui plaît et de la parole simple qui persuade, une meilleure gloire que d’écrire ce livre et d’être le Franklin de la jeunesse ? Dans d’autres pays le zèle de secte, l’esprit puritain a tenté cette épreuve ; et il y a eu dans le dernier siècle tel livre de ce genre répandu en nombre vraiment prodigieux dans l’Angleterre et dans l’Amérique. Comment ne ferait-on pas même chose aujourd’hui pour un état social qui en a plus besoin peut-être ? Que ce livre religieux, moral, attrayant pour l’imagination et le cœur, populaire par une simple et naturelle expression, que ce Télémaque des enfants du peuple sorte de quelque plume bien inspirée ! Jamais la prévoyance de M. de Montyon n’aura paru plus juste.

Dans un temps déjà bien éloigné par le changement plus que par la durée, l’Académie avait proposé de rechercher les caractères de l’invention originale et l’influence qu’ont exercée sur elle le culte religieux, les institutions politiques, les grands événements, le progrès des sciences, et généralement l’âge de civilisation auquel un peuple est parvenu.

La réponse à cette question spéculative nous est venue. Quatre ouvrages seulement ont été présentés. Un seul a dû fixer l’attention de l’Académie c’est un Mémoire inscrit sous le n° 2, et portant pour épigraphe ce vers du Dante :

Morti li morti, e i vivi parean vivi.

L’auteur sans doute n’a pas tout étudié ni toujours saisi le vrai dans un sujet si vaste et d’une démonstration si délicate ; mais il a évité le lieu commun et jugé par lui-même. Connaissant de l’antiquité classique les grandes choses, et familier par l’étude des langues avec quelques régions de ces mondes nouveaux que la littérature a créés dans la seule Europe, il tire de cette comparaison des réponses précises dans l’ordre de la question proposée. S’il donne d’abord, de la faculté qui produit l’invention, une définition dont les termes peuvent être contestés, il fait habilement ressortir les caractères et les effets de l’invention même, par des exemples pris aux points opposés, dans l’idée commune, l’invention de tout le monde, cette matière première de l’imagination, et dans la création accidentelle du poëte, dans ce qui est général et dans ce qui est variable, dans la vérité de tous les temps et dans la croyance ou la passion d’une époque, dans l’invention des personnages et dans celle des détails et de la forme.

Expliquant comment l’invention est inépuisable, non dans chaque nation, mais dans l’humanité, il montre que pour aucune nation le déclin n’est une loi d’avance irrésistible aboutissant par des degrés égaux à un terme fatal. Si le génie souvent ne s’est renouvelé qu’en se transférant d’un peuple à l’autre, souvent aussi sur la même terre, dans la même race, il retrouve un âge ou du moins un jour heureux. Tout ce qui sert à la vie des nations rend des chances à la puissance créatrice des arts ; et même quand tout manque, il reste encore le hasard ou plutôt le don providentiel du génie, qui peut naître en dépit et en désespoir de toutes choses.

Mais cet exemple est rare, et ce qu’il fallait chercher d’abord, c’est la variété des influences sociales qui excitent et secondent l’invention. La Grèce, ses cités et ses îles, son culte semblable ses lois différentes, et avant tout le merveilleux génie de la démocratique Athènes, fournissent au tableau qu’essaye l’auteur quelques traits aussi bien exprimés qu’heureusement choisis. D’Homère à Théocrite, d’Eschyle à Ménandre, quelle puissance diverse d’invention ! Que de rapports de l’imagination aux événements, aux guerres, à la liberté à la gloire de cette nation grecque une et multiple, accrue par ses divisions et ses rivalités, comme pour offrir sur une même terre et sous un même nom plusieurs formes de génie national, et dans chacune de ces formes les libres créations du génie particulier !

Cependant cette heureuse puissance qui devait avoir encore de glorieux retours dans la Grèce d’Europe et d’Asie allait passer à un autre peuple, inventeur d’abord par imitation, comme il fut conquérant, en prenant aux autres peuples leurs meilleures armes pour les manier avec une vigueur et une tactique nouvelles. L’auteur explique bien ce que le génie de ce peuple avait d’individuel en force et en gravité, et comment sa première poésie, quoique inspirée d’Homère, dut être tout historique et par là fut originale et semblable à lui-même. Si dans le théâtre romain et ailleurs il ne paraît pas assez reconnaître cette empreinte nationale, cette création puissante .de formes sous les importations du génie grec, si surtout l’invention de grandeur et de mélancolie que Lucrèce ajoute à la liberté sceptique d’Épicure ne le frappe pas assez si la part d’originalité du siècle d’Auguste enfin n’est pas marquée dans ce court tableau comme elle doit l’être, on y sent du moins avec force les caractères nouveaux d’imagination que la Rome impériale reçut de ses souffrances.

Rome chrétienne du vivant de l’empire manque à ce récit. Mais l’auteur, qui la voit partout au moyen âge, essaye de retracer sa suprême influence sur ces temps d’imagination populaire, où tout était poésie, depuis le chant de l’Église jusqu’à l’enfer et au ciel du Dante. Et ce n’est pas sans quelque effort heureux, au moins pour la justesse des vues, qu’il touche à ce grand sujet du moyen âge, tant étudié de nos jours, chaos non de barbarie, mais de civilisation étrange, dont le principal caractère est cette espèce d’unité confuse qui en rassemblait toutes les parties, rapprochait par un symbole commun les génies encore enveloppés des différents peuples, et rendait partout la pensée du poëte plus semblable à celle de la foule, faisant du préjugé populaire le fonds de l’invention, et de l’invention une réalité présente qui dominait la vie.

Dans ce monde de faits et d’idées si difficile à parcourir tout entier, l’auteur semble avoir habilement résumé sans admiration paradoxale quelques traits principaux de l’imagination imparfaite et inépuisable qu’avait le moyen âge.

Mais une lumière nouvelle apparaît et les nations qu’elle éclaire à divers degrés se séparent et se distinguent davantage. L’invention depuis la renaissance, l’invention devant l’antiquité, et devant la réforme, au midi et au nord de l’Europe, et chez cette nation limitrophe aux deux génies, comme aux deux climats, c’était pour la critique un bien vaste sujet. L’auteur y saisit, entre ces grands peuples modernes qui tous ont déjà plusieurs époques dans l’histoire des arts les grandes différences de l’invention, ici plus générale et plus humaine, là plus locale et plus indigène ; ici inspirée par la liberté religieuse et le débat civil là par l’ardeur et l’unité de la foi, ailleurs par l’élévation même du pouvoir, et une sorte de liberté noble qu’ont gardée les esprits ; ici plus rapprochée du moyen âge, là de l’antiquité, se servant de tout, même de l’érudition, et plus heureuse, selon qu’elle est plus conforme à la vérité, celle non du siècle, mais de l’humanité.

Lorsqu’il s’approche de ces grands inventeurs en poésie, Shakspeare, Milton Corneille, Goethe, il montre comment l’invention change tantôt de sujet et d’idée, et tantôt seulement d’horizon, reprenant à diverses reprises un type qu’elle transforme ou qu’elle achève. Dans cette vue de tant d’immortels souvenirs, dans ce travail pour distinguer la part du temps et celle du génie, le mérite de l’auteur est de comprendre les grandes choses les plus diverses, en aimant surtout les plus naturelles. Expliquant ce qui est indigène, admirant ce qui est universel, il croit que la gloire de la France est surtout grande dans les arts à ce dernier titre, et que souvent son génie a paru cosmopolite parce qu’il était vrai. Il ne craint pas de trouver Racine plus inventeur que Lope ou Caldéron, et il l’affirme, non pas en classique d’obéissance et d’habitude, mais comme un esprit indépendant et juste qui revient au sentiment de la discipline et des lois, les jugeant plus fécondes pour la liberté même. On peut le contredire ; mais partout on sent le travail d’un homme qui ne veut admirer qu’en y réfléchissant, et de ses impressions sait tirer des idées.

Le style est parfois trop empreint de formes abstraites ou étrangères. Mais ce défaut, qui n’empêche pas le talent, ne pouvait être un obstacle au jugement favorable de l’Académie. Elle couronne l’étude et la pensée, et laisse à l’auteur le soin de perfectionner son ouvrage, qui déjà est un livre. L’auteur est M. Edmond Arnould, professeur de littérature étrangère à la Faculté des lettres de Poitiers. Si on ne peut entendre ici son ouvrage, que du moins l’estime publique accueille un éloge dont bientôt elle sera juge !

De ce travail souvent heureux, esquisse rapide d’un sujet immense l’attention de l’Académie s’est portée sur l’étude de langage et de style qu’elle avait proposée pour la seconde fois, l’Éloge d’Amyot, c’est-à-dire un chapitre seulement de l’histoire littéraire du XVIe siècle. Les généralités sur l’art excitent la pensée ; un seul point bien étudié peut former le talent. L’influence singulière de ce précepteur de Charles IX, qui rendit populaires en France les héros de la liberté grecque les créations de cet écrivain qui n’a fait que traduire mais qui, remontant par un génie libre et naïf au delà du siècle raffiné de Plutarque, semble dater moins de l’historien*que de ses personnages, et les peindre d’original, c’était pour l’homme de goût une attachante étude. Sur vingt et un ouvrages présentés à l’Académie, deux ont, à distance inégale, approché du but ; tous deux attestent un vrai savoir et le sentiment de l’antiquité. L’Académie a préféré celui dont le mouvement facile, l’expression naturelle représente le mieux le génie simple et le tour gracieux d’Amyot, cette unité de sa vie et de son œuvre, cette gloire acquise modestement et gardée toujours.

Sans digression, sans peinture générale du siècle, sans autre intérêt que le récit d’une pauvre et laborieuse jeunesse qui conduit à tout, et que l’examen attentif et délicat de quelques traductions aussi durables que notre langue, puisqu’elles survivent à ses changements, l’auteur a fait un ouvrage qui instruit et qui plaît. L’Académie décerne le prix à ce discours, inscrit sous le n° 15, et portant pour devise ces paroles de Montaigne : « Je donne la palme à Jacques Amyot sur tous nos écrivains français. » L’auteur est M. Amédée Pommier.

Le discours inscrit sous le n° 20, et portant même devise, n’obtient que l’accessit, mais en méritant une grande part d’éloges. On y reconnaît une instruction solide, des vues justes, et, dans un style travaillé souvent avec art, des signes incontestables de talent. L’auteur est M. de Blignières, agrégé professeur de rhétorique au collège Stanislas. D’autres succès ne peuvent lui manquer dans ces recherches d’érudition française et de goût liées à notre histoire, et qui plaisent aux époques paisibles.

Le dernier sujet proposé par l’Académie porte l’empreinte d’un autre temps ; c’est le souvenir qui vous est présent à tous la mémoire du douloureux sacrifice qui consternait Paris il y a un an, et dont l’anniversaire a failli nous affliger de nouveaux malheurs, la mort de l’archevêque de Paris. Ce nom et les autres dévouements qu’il rappelle avaient été désignés aux concurrents du prix de poésie. Un grand nombre d’essais, plus de cent pièces de vers ont été adressées à l’Académie ; beaucoup ne répondaient pas à la pensée publique ce qui émeut n’inspire pas toujours. Mais il conviendrait peu de s’arrêter à de minutieux détails. Qu’il suffise de dire que la parole du martyr n’est pas tombée sur une terre aride, et que, dans les efforts pour célébrer une vertu héroïque, il s’est trouvé quelques accents du cœur et une voix qui vous touchera !

Deux pièces de vers portaient cette même devise du bon pasteur qui donne sa vie pour son troupeau. L’une est une ode inscrite sous le n° 101, où quelques nobles sentiments, exprimés avec élégance, ne suffisaient pas à la grandeur du sujet. L’autre ouvrage, inscrit sous le n° 97, a obtenu le prix. Le poëte a su inventer avec naturel dans une vérité si terrible et si récente ; ou plutôt, à côté de ce qui frappait toutes les âmes, de ce dévouement sublime auquel la pensée ne peut rien ajouter, il a conjecturé ce qu’il est douloureux et instructif de croire ; il a expliqué sans haine et pour le guérir le fanatisme de l’erreur, comme il a peint avec attendrissement l’héroïsme de la vertu ; il a voulu effrayer ce fanatisme, bien moins des dangers qu’il peut courir, que du mal qu’il peut faire au delà même de sa première pensée ; et en mettant sous nos yeux le désespoir dont un égarement coupable est frappé, la punition du remords ici-bas, et, plus haut, la clémence divine, il a, dans des vers éloquents fait sortir d’une affreuse journée des inspirations de concorde et de paix.

L’auteur de ce poëme est l’écrivain que l’Académie vient de couronner pour l’Éloge d’Amyot, M. Amédée Pommier, voué aux lettres dès sa première jeunesse, et seulement et toujours, mêlant le labeur savant à l’imagination, et redevable d’un talent plus fort aux épreuves d’une lente et rude carrière. Déjà couronné les années précédentes, les deux supériorités qu’il obtient aujourd’hui de critique et de poëte, en le désignant avec éclat, sont une marque du bienfait de ces concours publics, libre protection toujours offerte au talent.