Hommage prononcé à l’occasion du décès de M. Alain Peyrefitte, dans la cour d’honneur de l’hôtel des Invalides

Le 1 décembre 1999

Jean d’ORMESSON

Hommage à M. Alain Peyrefitte*

 

 

     Alain Peyrefitte était un homme de foi et d’intelligence. Un homme de culture et d’État. Un homme de passion et de raison. Ses roses poussaient en dedans. Il cachait des passions ardentes dans le secret de son cœur, il ne cessait jamais de les soumettre au contrôle rigoureux de la méthode et de la raison. Je le revois, grand, mince, élégant, un peu sourcilleux, dans la jeune lumière de l’aube, à l’École normale de la rue d’Ulm où nous entrons ensemble, à dix-neuf ans, le feu aux joues, en 1945. Il n’y reste pas longtemps. Il la quitte assez vite pour rejoindre la nouvelle École nationale d’administration que vient de fonder Michel Debré. Elle ouvre une voie royale à une de ses ambitions les plus constantes et les plus honorables : le service de l’État.

     Je le revois, un peu plus tard, avec Jean François Deniau, en Allemagne, à Bad Godesberg, au Schloss Ernich, où Monique et lui m’accueillent avec une générosité que je ne suis pas près d’oublier. Il apprend son métier de diplomate sous la férule ironique et railleuse d’André François-Poncet, image emblématique et quasi platonicienne de l’ambassadeur en majesté.

     Je le revois sous la Coupole du quai Conti et dans les couloirs du Figaro, où nous nous sommes retrouvés. Le jour – il tombe si vite ! – commence déjà à tomber. Il nous donne alors, dans les épreuves et dans le succès, tant de leçons de courage et de lucidité et l’exemple, jusqu’à ses toutes dernières heures, jusqu’à la dernière minute, de cet acharnement au travail qui était sa marque de fabrique.

     Entre le crépuscule du matin et le crépuscule du soir, c’est le miroir d’une vie merveilleusement dominée et multiple que nous tend Alain Peyrefitte : une carrière exemplaire au service de la République, doublée, d’un bout à l’autre, par le spectacle d’un monde qui défile et s’ordonne sous le regard souverain d’un témoin engagé.

     À l’extérieur, la Chine, dont il analyse le sommeil et dont il annonce le réveil.

     À l’intérieur, la France, dont il détecte et ausculte le mal.

     Et, des débuts à la fin, sur sa vie d’écrivain comme sur sa vie d’homme public, toujours familière et suprême, la grande ombre du général de Gaulle dont il devient le Joinville, le Saint-Simon, le Las Cases.

     Partout, il est le premier, le plus jeune, le plus brillant. Il ne cesse jamais de tisser des liens entre la pensée et l’action. Il est le plus gaulliste – et peut-être le seul gaulliste – des disciples de Tocqueville et de Max Weber. Conseiller général, maire de Provins, député, sénateur, huit fois ministre du Général, de Georges Pompidou, de Valéry Giscard d’Estaing – dont nous savons depuis ce matin qu’il avait pensé à lui comme Premier ministre –, membre de l’Académie française et de l’Académie des sciences morales et politiques, il est, indissolublement, un homme de gouvernement et un intellectuel.

     Les parents d’Alain étaient instituteurs. Son grand-père était maçon. Il construisait des ponts, et il se levait la nuit pour vérifier qu’ils tenaient. Son autre grand-père était gendarme. Un soir, à Millau, dans l’Aveyron profond, à la sortie d’une réunion publique, un survivant de la brigade de son grand-père vint trouver Alain et lui dit : « Monsieur le Ministre, vous faites honneur à la gendarmerie nationale. »

     Ce n’est pas seulement à la gendarmerie nationale qu’Alain Peyrefitte a fait honneur. Par cette capacité si rare d’unir en sa personne le goût de la pensée et de la culture les plus hautes et le sens de cet État qu’il a servi mieux que personne et qui le célèbre aujourd’hui avec gratitude et respect, Alain Peyrefitte fait honneur à la France.

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* décédé le 27 novembre 1999.