Hommage à Mme Hélène Carrère d'Encausse, en l'église Saint-Germain-des-Prés

Le 11 août 2023

Frédéric VITOUX

HOMMAGE

À

Mme Hélène CARRÈRE D'ENCAUSSE

PRONONCÉ PAR

M. Frédéric VITOUX

en l’église Saint-Germain-des-Prés

le vendredi 11 août 2023

 

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Évoquer la vie, la carrière, l’œuvre considérable et les apports d’Hélène Carrère d’Encausse à notre temps, beaucoup l’ont déjà fait, d’autres s’y emploieront à leur tour.

M’attarder sur l’émotion que j’éprouve, après plus de vingt années d’une amitié et d’une confiance sans faille auprès d’une femme d’exception qui a enrichi ma vie à jamais, n’est pas non plus de mon propos.

Je voudrais simplement aujourd’hui, au nom de mes confrères de l’Académie française mais aussi de ceux qui, à l’Académie, ont travaillé quotidiennement avec elle, et dont je mesure la peine immense et le désarroi, lui rendre hommage, lui témoigner une dernière fois notre reconnaissance et notre affection.

Hélène Carrère d’Encausse a siégé plus de trente ans à l’Académie dont elle est devenue en 1999 le Secrétaire perpétuel – la première femme jamais élue à cette fonction. Sa vie se confond donc pour une part avec celle de notre Compagnie qu’elle a si parfaitement représentée et mieux encore animée dans ses travaux et ses missions.

Trois mots me viennent à l’esprit pour définir ce qu’elle fut, et ce qui a caractérisé son action à nos côtés, à notre tête : l’humanité, l’intelligence et l’élégance.

L’humanité !

L’Académie française a connu bien entendu de grands Secrétaires perpétuels. Mais Hélène Carrère d’Encausse, parmi eux, a apporté à sa fonction, et peut-être même pour la première fois dans l’histoire de l’Académie, ses qualités de bienveillance, de générosité, de souci de l’autre.

Certains la surnommèrent « notre mère supérieure », avec un sourire qui n’était que la traduction de leur tendresse et de leur reconnaissance.

Le sort de ses confrères ne la laissa jamais indifférente. Elle a veillé sur eux. Elle a su accompagner avec discrétion les plus fragiles, au soir de leur vie, au crépuscule de leur santé.

Pour tout dire, l’Académie fut sa famille. Sa seconde famille. Sa mort nous laisse orphelins. Il n’y a pas d’âge pour se sentir orphelin.

L’intelligence, elle n’en a jamais manqué non plus, cette intelligence de l’esprit qui s’est accordée chez elle à l’intelligence du cœur. Comment, sans une telle qualité, aurait-elle pu rassembler ou, mieux, fédérer autour d’elle une Compagnie comme la nôtre, riche de personnalités venues d’horizons divers ?

Cette diversité de nos compétences est certes un grand avantage pour enrichir notre Dictionnaire, dans tous les domaines du savoir. Mais la diversité de nos sensibilités pourrait rendre aussi plus délicat, parfois, le besoin de nous unir, en faveur de la langue française ou contre tout ce qui ne cesse de la menacer, car telle est, après tout, notre première mission, notre devoir.

Hélène Carrère d’Encausse y est parvenue.

Le français, la défense et illustration de la langue française qui ne cesse d’évoluer, de s’enrichir, dont les mots connaissent des glissements de sens, dont la grammaire voit apparaître aussi de nouveaux usages, fut sa grande préoccupation. La neuvième édition de notre Dictionnaire, si novatrice à l’heure de la révolution numérique qui bouleverse déjà son usage, en témoigne…

L’intelligence, le sens de la synthèse, l’écoute d’Hélène Carrère d’Encausse au sein de nos diverses réunions et commissions, de nos rapports rendus publics ou de nos prises de parole contre les agressions ou les menaces que subit notre langue, cette intelligence nous a permis encore une fois de nous exprimer d’une seule voix – et c’était primordial.

Je terminerai par le mot d’élégance – cette élégance dont notre Secrétaire perpétuel a toujours fait preuve, et qu’il faut retenir aussi dans le sens où l’élégance est d’abord une affaire de morale.

Pendant près d’un quart de siècle, Hélène Carrère d’Encausse nous a représentés, a parlé en notre nom avec une dignité, une droiture, un maintien et une justesse qui ont fait notre fierté et notre admiration.

Jamais elle ne s’est plainte de la charge écrasante qui était la sienne.

Jamais elle n’a voulu paraître affectée par les attaques dont elle ou l’Académie étaient l’objet, par les épreuves qu’elle affrontait.

« Il est indigne des grandes âmes de faire part des tourments qu’elles éprouvent », écrivait Joseph Joubert. Elle est restée fidèle à une telle exigence.

Hélène a tenu bon. Jusqu’au bout. Impeccable, attentive, indispensable. Soucieuse de ses devoirs. Soucieuse d’abord de la langue française qu’elle aimait tant, elle qui n’en avait pas hérité par sa naissance, née apatride d’un père géorgien et d’une mère russe, mais qui l’avait apprise plus tard, qui l’avait méritée.

Par-dessus tout, elle tenait à achever la neuvième édition de notre Dictionnaire, à laquelle elle s’était vouée depuis plusieurs décennies – cette mission qui lui avait été confiée par Maurice Druon à qui elle succéda comme Secrétaire perpétuel. Elle y est parvenue.

Autrement dit, Hélène Carrère d’Encausse a eu l’élégance de nous quitter alors qu’elle s’apprêtait à nous dire : mission accomplie !

Elle nous laisse désormais à nos devoirs, face à cette Académie dont elle se faisait une si haute idée.

Elle nous laisse à notre deuil et, pour certains d’entre nous, à nos prières, à notre espérance d’un au-delà spirituel, là où le mot de perpétuité pourrait prendre enfin tout son sens.