Inauguration de la statue de F. Ponsard, à Vienne (Isère)

Le 15 mai 1870

Émile AUGIER

INAUGURATION DE LA STATUE DE F. PONSARD

A VIENNE (ISÈRE)

PAR M. ÉMILE AUGIER
MEMBRE DE L’ACADÉMIE FRANÇAISE

Le 15 mai 1870.

 

Du génie ici-bas c’est l’éternelle histoire
Qu’il soit payé par nous d’un dédain passager ;
Il semble que son siècle, envieux de sa gloire,
Le sentant immortel, le traite en étranger.

Il vit souffrant, en proie à la dispute humaine,
Pauvre triomphateur par l’esclave insulté,
Jusqu’au jour où la mort le couche sur l’arène
Et le moule en airain pour la postérité.

En le voyant tomber l’injustice s’est tue :
Une admiration semblable au repentir
Sur un socle de marbre élève la statue ;
La palme du vainqueur est rendue au martyr.

Salut, Ponsard ! salut, illustre et cher poète !
Lorsque nous t’avons dit adieu, le jour fatal,
Nous savions qu’il n’était pas loin le jour de fête
Où nous te reverrions sur un blanc piédestal.

Que le dénigrement ait tourmenté ta vie,
Que l’on t’ait contesté ton rang parmi les forts,
Qu’importent maintenant les fureurs de l’envie ?
Il n’est pas d’insulteurs au triomphe des morts.

Te voilà revenu pour toujours dans ta ville,
Tranquillement assis sur un trône d’airain,
Le seul que n’atteint pas la tempête civile,
Le trône du travail idéal et serein !

Pour te mieux accueillir, la cité maternelle
A convoqué le ban des pays d’alentour ;
Dans la foule accourue à la bonne nouvelle,
Tous tes amis sont là, saluant ton retour.

Tous ?... Hélas ! des absents il faut qu’on se souvienne.
Beaucoup manquent ici qui t’ont reçu là-haut :
Dézé, Béguin, Thénard, Terrien, enfant de Vienne,
Bixio, Durand-Formas, mais avant tout Reynaud !

Lorsqu’on parle de toi, lorsque c’est moi qui parle,
Le premier nom qui vienne aux lèvres, c’est son nom.
Il nous a bien aimés tous les deux, notre Charle !
J’avais son dévouement, toi sa dévotion.

Ah ! que n’a-t-il vécu jusqu’à l’heure bénie
Où l’ange du foyer, entrant dans ta maison,
Te rendait le bonheur, le travail, le génie,
Et fécondait en toi la nouvelle moisson !

Qu’il eût remercié du meilleur de son âme
Celle qui, relevant ton antique vertu,
Fut ta dernière joie et ta dernière flamme,
L’Antigone au cœur fort de ce cœur abattu !

Elle ! c’est elle à qui nous devons Galilée
Et les rugissements du Lion en courroux ;
Plus encor ! nous devons à sa beauté voilée
Cet enfant, ta vivante image parmi nous.

Son premier bégaîment charme ta dernière heure…
Mais, orphelin parmi les orphelins heureux,
Il aura, pour connaître un jour celui qu’il pleure,
Ton œuvre et ta statue en bronze toutes deux.

Sa mère et tes amis lui conteront le reste,
Ta ferme loyauté, la grâce de ton cœur,
Sa faiblesse souvent, — mais à toi seul funeste, —
Ta naïveté fine et son charme vainqueur.

Toi, cependant, assis au centre de la ville,
Comme un Terme au milieu du forum agité,
Tu verras s’écouler sous ton pied immobile
Le flot respectueux de la postérité.

Mais tu conserveras l’attitude rêveuse
Que la Muse immortelle imprime à ses élus,
Et tes yeux, poursuivant l’idée impérieuse,
Vers les choses d’en bas ne se baisseront plus.