Ode au Roi d'Espagne

En 1701

Charles PERRAULT

Ode au Roi d’Espagne,

AU ROI PHILIPPE V.

ALLANT EN ESPAGNE.

ODE.

 

 

BELLE Nymphe aux cent voix que la Gloire accompagne,
Prends en main la trompette, et va sans plus tarder
Annoncer le Héros, qu’au bonheur de l’Espagne
Le Ciel vient d’accorder.

Jouis, Ebre fameux, d’un si grand avantage,
Et vois croître en tous lieux la gloire de ton nom,
Vois, plein d’un noble orgueil, régner sur ton rivage
Le beau sang de Bourbon.

Il a de son Aïeul l’héroïque sagesse,
De Thérèse il y joint les aimables douceurs,
Et tempère le feu d’une vive jeunesse
Par le poids de ses mœurs.

Va, grand Prince, où du sang la juste voix t’appelle,
Puisque de ces beaux lieux tu peux bien t’éloigner ;
Et va donner au monde un précieux modèle
Du grand Art de régner.

Hâte-toi de remplir les désirs qui t’attendent,
Ces désirs enflammés de vivre sous tes lois ;
De cent Peuples divers tous les vœux te demandent
D’une commune voix.

Déjà nous avons vu les fières Pyrénées,
Qui méprisant la Terre avoisinent les Cieux,
Baisser devant tes pas, soumises, étonnées,
Leurs fronts audacieux.

De là sur l’Univers que ton œil se promène,
Vois qu’il est en tous lieux peuplé de tes Sujets,
Et que l’Astre du jour sur ton vaste domaine
Ne se couche jamais.

L’aimable Région qui voit naître l’Aurore
Te montre ses Climats, ses Iles et ses Ports ;
Un nouvel Univers s’élève, et t’offre encore
Ses immenses Trésors.

Vois les Fleuves du Belge et sa Terre féconde,
L’Eridan, la Sicile, et les prochaines Mers,
Qu’Aretuse franchit, sans mêler sa belle onde
Avec leurs flots amers.

Les Fleuves du Pays, où tu fais ton entrée,
Viennent te saluer couronnés de roseaux,
Et le Tage appuyé sur son Urne dorée
Te présente ses Eaux.

Poursuis et redoublant ton ardeur généreuse,
Va régir ces Climats si féconds en Guerriers,
Que prit Rome autrefois pour la Scène pompeuse
De ses actes guerriers.

Tu verras les débris de la fière Numance
Échappez aux fureurs de Bellone et de Mars,
Et ces murs, dont le sort éprouva la vaillance
Du premier des Césars.

Tu croiras voir encor, tant de gloire en est vive,
Passer devant tes yeux ces grands évènements,
Si souvent écoutez d’une oreille attentive
Dans tes plus jeunes ans.

Leurs nouvelles Cités n’auront pas moins de charmes,
Et moins ne te plaira ce superbe Palais,
Séjour de leurs Héros, qu’embellissent leur armes
Et leurs glorieux faits.

Respecte leurs grands noms qui doivent toujours vivre,
Dont l’éclat a vaincu les ombres du cercueil :
Mais garde d’oublier, ni de cesser de suivre
Les faits de ton Aïeul.

Faits qui toujours nouveaux ont rempli de leur gloire
Les rivages fameux de la Loire et du Rhin,
Ainsi que tes exploits qu’au temple de Mémoire
A gravés son Dauphin.

Ton cœur, si tu les fuis, dans l’ardeur qui te guide
Manquera de Lauriers, manquera de Rivaux,
Et ne serviront point les colonnes d’Alcide
De borne à tes travaux.

Oui, le Tigre Africain, le Lion de Libye
Trembleront en voyant tes Vaisseaux sur leurs Mers,
Et trembleront encor de l’ardente Arabie
Les Dragons les plus fiers.

De la gloire du Ciel vengeur inexorable,
Tu dompteras l’orgueil du perfide Croissant,
Et cette Hydre du Nord au venin redoutable,
Et toujours renaissant.

Delà, ton bras vainqueur par un pieux ravage
Abattra tout Autel aux faux Dieux élevé ;
Et le vaste Univers ne rendra plus d’hommage
Qu’au Dieu qui l’a sauvé.