Compliment au Roi sur le rétablissement de sa santé

Le 17 novembre 1744

Prosper JOLYOT de CRÉBILLON

COMPLIMENT AU ROI,

Sur le rétablissement de sa santé, par M. de CREBILLON, Directeur de l’Académie, le 17 Novembre 1741.

 

SIRE,

VOTRE MAJESTÉ vient de voir dans nos transports & dans nos acclamations, une image naïve de l’état déplorable où la crainte de perdre un si digne Souverain, avait réduit toute la France ; & on ne lira point sans étonnement, que le plus aimable & le meilleur de tous les Rois nous ait coûté plus de larmes que les Tyrans n’en ont j’aurais fait répandre. L’admiration des Etrangers, & l’amour des Peuples, furent toujours des objets de la plus noble ambition : César lui-même se fût estimé trop heureux de pouvoir inspirer ces sentiments dans le cours d’une longue vie ; & VOTRE MAJESTÉ, qui les inspira dès l’enfance, qui les a justifiés chaque jour, nous en a fait une sorte de religion dans le cours de six mois. Trop heureux les François, fi V. M. plus ménagère d’une vie si précieuse, n’éprouvait pas si souvent leur tendresse, & ne leur causait pas des alarmes plus terribles pour eux que la haine d’un ennemi, qui, grâce à votre valeur, ne nous donne plus d’autre soin que celui de vous élever des Trophées ! Puisse l’Académie Françoise, SIRE, après avoir partagé vivement la douleur & la joie de tant de fidèles Sujets, célébrer au gré, de ses vœux les vertus d’un si grand Maître !

 

VERS

Du même M. de CREBILLON, récités au Roi après son Compliment.

 

QUEL orage soudain s’élève & m’environne !
L’épouvante & l’horreur règnent de toutes parts !
Que de gémissements ! L’air mugit, le Ciel tonne ;
Dieux ! quels tristes objets s’offrent à mes regards !
Où suis-je ? Quoi, je touche à l’infernale rive !
François infortunés, y portez-vous vos pas ?
Qui vous amène en foule aux portes du trépas ?
J’entends parmi vos pleurs une bouche plaintive
Articuler ces mots qui me glacent d’effroi :
O déplorable sang ! O malheureuse Reine !...
La-Reine !... Ah ! c’en est fait, notre Mort est certaine.
La France va donc perdre & son Père, & son Roi,
François, le désespoir où votre âme se livre,
Doit aller aussi loin que la rigueur du Sort.
Si LOUIS ne vit plus, il faut cesser de vivre :
Pouvons-nous souhaiter une plus digne mort ?
Roi, notre unique bien, quoi ! la Parque perfide
Voudrait porter sur vous une main parricide !...
Mais quel bruit éclatant vient agiter les airs !
Quelle étrange lueur roule dans les ténèbres !
À travers tant d’objets terribles & funèbres,
Je vois quelque clarté pâlir dans les Enfers.
Est-ce le Dieu des Morts qui tient sa cour funeste ?
Mais non, ce qui paraît n’a rien que de céleste.
Et quel est donc le Dieu que je vois accourir ?
Il tend vers nous les bras, c’est pour nous secourir :
Mille rayons brillants forment son Diadème :
Le Dieu des Morts n’a point ce port majestueux,
Cet air noble & touchant, ni ce front vertueux :
C’est, je n’en doute plus, LOUIS LE GRAND lui-même
Qui vient sécher nos pleurs & calmer nos regrets.
Hélas ! il veille encor sur ses anciens Sujets.
Ce Roi, qui si longtemps a gouverné la terre,
Règne-t-il en des lieux inconnus au tonnerre ?
On dirait qu’aux Enfers il va donner des lois :
Voilà ses traits, ses yeux, je reconnais sa voix.
« Fermez, dit-il, fermez la retraite des Ombres;
« Mon Fils n’entrera point dans les Royaumes sombres :
« S’il mourait, que d’exploits seraient ensevelis !
« Et qui pourra compter les exploits de mon Fils !
« Entre César & moi le Ciel marque sa place :
« Mais les Dieux seront lents à terminer ses jours ;
« Et si la Gloire a droit d’en prolonger le cours,
« Il n’est point de Nestor que son âge n’efface.
« François, vous reverrez ce Roi si généreux
« Puissent le voir aussi les fils de vos neveux.
Il dit, & tout-à-coup les Enfers disparaissent
La mort fuit, le jour vient, & les François renaissent.
Mais quel éclat nouveau vient embellir ces lieux ?
Passons-nous des Enfers dans le séjour des Dieux ?
Quels feux étincelants brillent sur l’hémisphère ?
Ah ! si c’était LOUIS.... Mais en vain je l’espère,
Il est trop occupé de ses nobles travaux
Il brave également la mort & le repos.
Qu’est-ce donc que je vois ? C’est un autre lui-même,
La Gloire, je le juge à sa beauté suprême ;
C’est elle en ce moment qui vient nous l’annoncer ?
La Gloire prend toujours soin de le devancer.
Hélas ! il est donc vrai, nous allons voir paraître
Ce Héros le plus grand que le Ciel ait fait naître ?
Venez, voyez, chantez l’aimable Souverain
Dont vous a fait présent la faveur du Destin.
O François ! Peuple heureux & si digne de l’être,
Venez en rendre grâce à votre auguste Maître :
C’est lui, c’est sa bonté qui vous rend tous heureux ;
Qu’il soit après le Ciel l’objet de tous nos vœux ;
Qu’en vos Temples pour lui sans cesse l’encens fume ;
Que par le Peuple épars le salpêtre s’allume ;
Que le feu s’élançant par éclats dans les Cieux,
De leur reconnaissance aille instruire les Dieux.